Chapitre 8, 11 septembre 3006, Troisième plate-forme

Notes de l’auteur : Mesdames et messieurs, vous êtes invités à m'exprimer les sentiments qui vous habitent à la lecture de ces chapitres. J'aimerais connaître votre appréciation, les éléments que vous croyez techniquement faux, les impressions que vous laissent ces textes. L'immersion est-elle efficace? Quels sont vos personnages favoris ? Quel est le sujet de ce roman ? Vers où se dirige cette histoire ?

Une heure dix du matin. À deux extrémités de la pièce s’élevaient les ronflements discordants des remplaçants de Simard.

Deux. Calme comme l’eau qui dort. Tu avais déjà deviné. Deux. Confirmation qu’elle ne reprendrait pas le service régulier ce soir. Elle ne connaissait pas plus l’homme dégarni à la stature herculéenne que la femme au visage angélique, mais leur profond sommeil laissait présager un professionnalisme déficient.

Elle haussa les épaules en se levant discrètement. Elle avait d’autres soucis pour le moment. Quelques pas suffirent à rejoindre sa destination, une pièce vitrée aux stores ouverts derrière lesquels son supérieur direct feignait de travailler intensément à une heure où il aurait dû être rentré chez lui depuis longtemps. Il avait choisi de la rencontrer lors d’un quart de nuit plutôt que de lui donner rendez-vous en journée.

Que de bonté.

Sa secrétaire se trouvait également à son bureau, aussi occupée que les deux agents que Murielle avait laissés derrière elle. Sa présence inutile à cette heure n’était qu’un indice parmi d’autres.

Un indice que la bonté lui était beaucoup plus étrangère que sa femme ne le croyait.

Une heure quinze. Murielle arriva devant la fausse blonde au visage maquillé comme une peinture abstraite. La bague simple en bois poli à son annulaire datait de moins d’un mois. La pétasse lui fit signe d’entrer. Elle ne leva même pas les yeux de ses ongles au vernis luisant :

« Il t’attend. »

Ses paroles portaient sur leurs vagues les effluves de l’alcool et de la menthe qu’elle employait lorsque l’aga ne lui suffisait plus pour endurer les caresses de la baleine surannée dont elle gardait l’antre. Murielle franchit la porte au vitrage impeccable. Contrairement à sa secrétaire, le capitaine, lui, leva les yeux.

« Ah, vous êtes en avance. Bien. Refermez derrière vous. »

Quentin Girard arborait une perruque grise assortie à sa moustache fournie. Murielle enregistra son vouvoiement inhabituel comme un mauvais signe. Il gratta sa panse rebondie en affichant un air pensif.

« Vous savez pourquoi je vous ai fait venir. »

Murielle hocha la tête. Girard ferait tout pour se persuader qu’il contrôlait l’entretien et dissimuler son vide intellectuel.

« Primo, vous n’avez plus de maître de stage. Deuzio, le département au complet pense que travailler avec vous est malsain. Tertio, que vais-je faire de vous ? A, vous remercier de vos services, B, vous imposer à un autre maître de stage ou C, vous affecter temporairement ailleurs. Convainquez-moi de ne pas choisir A. »

Murielle s’était préparée à ce moment, mais sa réponse soigneusement composée resta sur ses lèvres.

À l’incinérateur, elle savait déjà que Marcus Vofa les avait précédés. Que la présence du cadavre intact signifiait qu’il n’était pas parti. Elle avait gardé le silence et s’était assurée que Vofa récupère les preuves et réduise Freddy au silence. Le sang de son maître de stage coulait sur sa conscience aussi sûrement que si elle avait manié le poignard de verre qui l’avait tué. Elle ne méritait pas mieux que Girard et tous les autres vers qui infestaient les forces de l'ordre. Elle ne méritait pas d’être la flamme qui purifierait la police arbolaise. Elle ne méritait que la touffeur moisie d’une cellule de prison. Un aveu sur les lèvres, elle se détourna de son supérieur.

Son regard rencontra Noémie, la secrétaire qui buvait pour oublier les tâches dégradantes qu’elle accomplissait pour s’épargner la misère. Elle songea à Freddy, agent aux connexions insuffisantes pour soulever l’intérêt du crime organisé. Elle planta ses yeux dans ceux de Quentin, symbole prospère des métastases patentes qui rongeaient sa cité.

Elle pouvait apporter beaucoup à cette ville. Elle pouvait y amener une justice réelle et mettre au rebut la corruption endémique qui y sévissait.

Seulement si elle joignait la police.

Seulement si elle y restait assez longtemps pour faire la différence.

Seulement si elle ne finissait pas comme tous ceux qui avaient essayé.

Elle ravala ensemble sa crainte et son orgueil.

Jamais elle n’avait imaginé céder comme tant d’autres l’avaient fait avant elle. Elle avait toujours vu son destin au fond d’un caniveau, morte, les mains dans la gangrène qui rongeait sa cité.

Elle avait accompli un premier pas du côté de la corruption. Personne ne l’avait achetée, mais elle couvrait le crime de Samson.

Une voix en elle chuchotait qu’il semblait plus gris que noir.

« Pas de réponse ? Devrais-je en déduire que vous envisagez de prendre la porte sans protestation ? Je vous croyais plus attachée à votre carrière. »

Calme comme l’eau qui dort.

Elle pinça les lèvres et se résigna.

« Dans les circonstances actuelles, travailler avec d’autres policiers constituerait un risque pour ma vie. Vous connaissez mon sens de l’observation et ma façon d’assembler des éléments apparemment déconnectés pour en tirer les conclusions logiques et identifier ou appréhender des criminels. Je n’ai pas besoin de vous dire quoi faire. Vous avez décidé de la ligne à suivre avant même mon entrée dans votre bureau. Vous seriez fou de vous passer définitivement de mes compétences et je peux occuper d’autres postes en attendant un nouveau maître de stage acceptable. »

Girard se rembrunit. Maladresse sociale. Quelle partie de sa réponse l’avait dérangé ? Le ton faussement docte et assuré ? Le choix des mots ? Girard était généralement favorable à Murielle, mais la situation pouvait évoluer.

« Vous poursuivrez votre formation auprès de Paulson pendant quelque temps. Vos talents en matière d’observation ne seront pas perdus, vous apprendrez des choses utiles à votre carrière et ça le changera de ses interlocuteurs habituels, » grommela-t-il.

Murielle cilla. Son châtiment différerait de celui qu’elle imaginait.

« Merci capitaine. Devez-vous me communiquer d’autres informations ou puis-je le rejoindre immédiatement ? »

Quentin Girard se leva. Murielle également. Elle n’attendit pas sa réponse pour poser la main sur la poignée. Il explosa un instant avant qu’elle ne traverse le seuil :

« Profitez bien de votre temps avec Paulson, mademoiselle Feïlia. Il pourrait être votre dernier maître de stage. »

Heureusement, elle n’y croyait pas.

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Cléooo
Posté le 26/06/2025
Coucou James ! Me revoilà !

"Le sang de son maître de stage coulait sur sa conscience aussi sûrement que si elle avait manié le poignard de verre qui l’avait tué. Elle ne méritait pas mieux que Girard et tous les autres vers qui infestaient les forces de l'ordre. Elle ne méritait pas d’être la flamme qui purifierait la police arbolaise. Elle ne méritait que la touffeur moisie d’une cellule de prison. Un aveu sur les lèvres, elle se détourna de son supérieur." -> j'ai beaucoup aimé ce passage qui dessine à la fois les ambitions de Murielle et ses regrets, c'est très prenant.

Pour le reste ce chapitre se lit très bien. On comprend peu à peu que Murielle est quand même un atout reconnu dans la police (même si elle débute), malgré la corruption qui y règne.

Je m'interroge sur ce sujet. Est-ce logique d'encourager un jeune talent dans un monde où l'on choisit les coupables ? Je caricature sûrement la chose mais il s'en dégage tout de même un peu ce sentiment.
À moins que Girard la sente corruptible ? Finalement il ne serait pas tant à côté de la plaque.

À bientôt ! :)
James Baker
Posté le 27/06/2025
Hello Cléo!

J'y ai mis ma vision logique, qui n'est probablement pas encore évidente. Cette vision a deux aspects spécifiques que je ne mentionnerai pas; tu devras t'en rendre compte par toi-même. Si je te les dits, je ne saurai pas s'ils transparaissent dans le texte ;)

Il y a déjà quelques indices concernant cela, mais je crois que je parle plus explicitement de l'un des deux aspects dans quelques chapitres. Deux, de mémoire. L'autre devrait devenir évident d'ici à la fin du roman, mais sans jamais être mentionné textuellement.

Je suis très content de réussir à te prendre. Tu es ma plus fidèle lectrice sur Plume d'Argent;)
Cléooo
Posté le 27/06/2025
Que ça ne te décourage pas ! Mon premier roman sur PA est resté un ou deux mois sans le moindre lecteur, puis finalement j'ai reçu une dizaine de bêta-lectures en un an. Faut dire que la plupart des gens ont des PÀL énormes (j'en fais partie). D'ailleurs ces derniers temps je boude plusieurs histoires que j'avais commencé et auxquelles je retournerai quand j'aurai plus de temps ^^
James Baker
Posté le 27/06/2025
J'imagine; j'ai eu des lecteurs tout de suite, plusieurs assidus, mais très peu de commentateurs. Je crois que l'été et la chaleur ont en plus ralenti cela.

Je ne suis pas découragé, ne t'en fais pas. Mais j'ai l'impression que je ne réussis plus à avancer aussi bien le second jet en étant assidu ici. Concilier des beta-lectures d'autres œuvres, l'écriture de la mienne et tout le reste de ma vie n'est pas si évident.
Cléooo
Posté le 27/06/2025
Je comprends, c'est vrai que c'est très chronophage... Après il faut doser. Les bêta-lectures tu peux toujours prendre une pause et y revenir un peu plus tard :)
Mais je comprends parfaitement puisque je suis dans le même cas. Et que je me suis fixée une dead-line à la fin du mois pour un autre roman (non en fait, je veux répondre à un AT qui se termine au 30 juin donc pas le choix) donc entre ça, le boulot, les BL et les dizaines de satellites qui viennent graviter dans ma vie, je comprends ton ressenti ! Courage ! :)
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