Chapitre 8
“Ce n’est plus qu’une question de temps, lui annonça gravement la tenancière. Dans quelques années, toute l’île disparaîtra.”
Chaque mot avait été prononcé sur le ton sinistre d’une prophétie que rien ne pouvait plus dévier de sa route comme un train lancé à pleine vitesse et qui écraserait tout sur son passage endiablé, que ce soit un pont ou quelques âmes désespérées qui se jetteraient sur les rails. Anak regarda autour d’elle le hall charmant tout fait de bois cuivré et décorés de fleurs parfumés ainsi que de photos de la mer. L’endroit était bondé, l’hôtel était victime de son succès ainsi que de son emplacement. En effet, il était implanté sur l’une des plus belles îles des Moluques, celle qu’on appelait l’Ile aux Papillons. Aujourd’hui, la plage était littéralement aux pieds de ce petit hôtel et la mer, dans ces mauvais jours, venaient frôler sa terrasse que sa propriétaire aimait pourtant comme une mère. Les touristes trouvaient cette proximité océanique tout à fait idyllique mais les locaux savaient ce que ça signifiait, ils connaissaient bien le mythe de l’Atlantide.
“Vous pensez que… ça peut être dû à une malédiction ?” osa Anak sur un ton quelque peu tâtonnant.
La gérante qui surveillait que le jeune au guichet effectuait convenablement son travail tourna alors son regard clair sur Anak et la dévisagea un instant.
“Oui, confirma la femme subitement. Tous les locaux en sont persuadés. Nous sommes maudits ici. Les eaux vont bientôt nous avaler tout entier et puis, ce rocher de malheur… certains jours, on peut le voir d’ici avec des jumelles.
-La Flèche des Enfers.
-Vous connaissez bien, réalisa la femme, son intérêt pour Anak croissant par ce fait, toutes les tempêtes commencent là-bas avant de foncer droit sur nous. Les scientifiques essayent d’expliquer cette bizarrerie et évidemment, ils n’avoueront jamais qu’ils n’y comprennent rien. Nous, on sait bien qu’on est maudits. Vous savez, cet hôtel appartenait à mon père, et à mon grand-père avant, il est dans la famille depuis des générations et voilà que ce sera à moi de l'abandonner quand je n’aurai plus d’autres choix. Et qu’est-ce que je vais faire ensuite ? Sans parler de tous mes employés qui perdront leur travail.”
L’inéluctabilité de la tragédie avait quelque chose de terrifiant qui glaça Anak au plus profond d’elle et elle observa les environs d’un œil nouveau. Le bois semblait plus sombre, l’air aussi, comme si un nuage s’était déplacé soudainement pour couvrir le soleil qui éclairait l’endroit.
“Et qu’est-ce que vous faites ici à poser des questions ? s’enquit alors la femme.
-On est des… espèces de chercheurs, slash explorateurs, se présenta Anak, et on essaye de comprendre cette histoire de malédiction.
-Je vois… quoique vous puissiez trouver, continuer de chercher. Si quelqu’un doit faire quelque chose, c’est maintenant.”
La femme fit quelques pas vers le comptoir pour revenir avec quelques fruits exotiques qu’elle nicha dans les mains reconnaissantes d’Anak.
“Notre île est la plus belle pour nous, lui dit la femme avec une grande sincérité, elle nous a toujours nourris. Pour rien au monde, on ne voudrait la quitter.”
Ce fut sur ces dernières paroles qu’elles se quittèrent et Anak émergea de l’hôtel en croquant dans l’un des fruits offerts dont le nectar sucré coulait avec délice dans sa bouche. Les rues de cette île étaient toutes resplendissantes de vie et d’espoir, Anak avait peine à les imaginer englouties. Elle comprenait l’origine de son nom par les envolées de papillons blancs et jaunes qui embellissaient sa promenade. Malheureusement, elle n’avait pas appris grand chose de son expédition ici, et elle n’aurait rien à rapporter à Yakta, si ce n’est le malheur qui semblait jalouser la chance des gens d’ici.
Au bout de la rue, elle connut la surprise de reconnaître Sibéal qui la remontait en marchant dans sa direction. Cette dernière la vit aussitôt et sourit au geste de salutation qu’Anak lui offrit. C’était marrant comm leurs chemins semblaient toujours se croiser. Depuis la découverte du symbole moussu à la pieuvre capricieuse du puits qu’elles avaient creusé dans le sable, sans parler de cette table qu’elles avaient partagé à la bibliothèque. Anak, qui avait toujours cru un peu au destin, prenait cette occurrence répétitive comme un signe.
“Toi aussi, tu es venue interroger les locaux de cette île, devina Sibéal qui était un peu essoufflée par la marche sous le soleil, c’est tellement triste… j’ai été parler à une famille qui était déjà en train de préparer leur déménagement à cause de la montée des eaux.
-Tout le monde ici pense qu’ils sont touchés par la malédiction, répondit Anak.
-C’est aussi ce que j’ai constaté…
-Mais je n’arrive pas à comprendre,” avoua Anak.
Ses yeux suivirent le vol d’un papillon d’un orange étonnamment vif qui remontait une belle maison fleurie.
“Qui maudirait ces pauvres gens ? poursuivit-elle, perdue. Ils n’ont rien fait de mal, ils ne méritent pas tout ça.
-C’est vrai…”
Un soupir émana de Sibéal et Anak se retourna vers elle pour proposer :
“Allons boire un verre, il fait si chaud ici !”
Et Sibéal ne se fit pas prier.
oOoOoO
“Et du coup, on a bu un verre.”
Accoudée à la petite table haute et ronde, Anak sirotait sa troisième piña colada en écoutant attentivement le récit de Chad. Ils avaient les pieds nus dans l’eau, comme beaucoup d’autres clients de l’hôtel qui avaient investi les tables de bar qui avaient été disposées à même la plage, à la frontière entre l’eau et l’île. L’eau était chaude et douce, et la nuit était belle, les étoiles brillant dans le ciel noir pour assurer leurs rôles de grandes vedettes. De grandes enceintes projetaient la musique typique des îles qui donnaient envie de danser et danser jusqu’au lever du soleil.
Avant de retourner au catamaran, Anak était retournée à l’hôtel pour remercier la tenancière de son accueil et de ses fruits, et celle-ci lui avait alors appris que l’hôtel organisait une fête pour sa clientèle. En principe, elle était simplement réservée aux clients mais elle avait invité Anak à y venir. Ce qui ne l’étonnait pas. Les gens des îles, où que ce soit sur leur belle planète, étaient toujours accueillants et généreux. Après tout, ils devaient vivre coupés du reste du monde et se contentaient de ce que leur offrait leur terre tout en souhaitant la bienvenue aux vagues de voyageurs. C’était dans leur culture.
“Donc, il te plaît bien en définitive…, conclut Anak.
-Il est canon ! statua Chad en prenant son air de fin connaisseur. Mais Apollo n’a pas cette… arrogance dégueulasse qu’ont nos deux moussaillons en costard.”
Pour appuyer son propos, Chad leva le menton vers Esteban qui, en plein milieu de la plage et des danseurs, avait le fessier de Wanda contre lui tandis qu’elle se trémoussait avec assurance. Celui-ci semblait bien prendre la chose et s’en amuser. Un peu plus loin, Anak vit Murdock qui entraînait Sibéal alors qu’elle tenait ses sandales par la main pour aller danser eux aussi. Elle aperçut aussi Valérian qui discutait près du buffet avec Mohvo, tandis que juste à côté, Yakta écoutait d’un air dubitatif Nialh, qui paraissait parler plus fort que nécessaire à Apollo, quelques mètres plus loin.
Quand Anak avait reçu l’invitation, elle avait envoyé un message à Sibéal avec qui elle avait pensé à échanger les numéros de téléphone. Puisqu’elles semblaient tout le temps se croiser, autant pouvoir échanger si le besoin se faisait sentir ! Elle appréciait bien Sibéal, alors autant qu’elle puisse aussi profiter de la fête. Après tout, la gérante n’avait pas stipulé de limites quant aux invitations… ils avaient seulement l’obligation de payer leurs consommations, même si elle leur avait fait un prix d'ami.
“Ok, ils sont carrément… hyper sexys, concéda Chad, ça me fait rien de l’admettre ! Mais en vérité… soyons honnêtes, Nanak, regarde-les bien…”
Anak suivit la consigne et se jeta corps et âme dans la contemplation délicieuse d’Esteban, de sa stature musclée, à ses boucles brunes tout en appréciant son sourire qui éclairait, de ses dents parfaites et blanches, son teint mat. Un clignement de cil plus tard, ses yeux étaient fixés sur le grand blond qui échangeait avec son petit frère. Pour une fois, Valérian n’était pas marqué par une quelconque animosité, ni froideur, il semblait aimable et agréable. Et littéralement irrésistible. Il était habillé d’un ensemble léger, constitué d’un pantalon et d’une chemise, tous les deux crème. Et sur le chemin jusqu’ici, Anak avait pu constater qu’il avait laissé deux boutons défaits sur le sommet de sa chemise et qu’on pouvait discerner son torse. A ce souvenir, elle soupira.
“Tu les détestes un peu, en vrai ? lui suggéra Chad insidieusement. Ils sont si beaux que ça te donne envie de les détester, non ?”
Elle laissa cette pensée s’installer dans son esprit et reporta son attention sur Chad dans une grimace.
“Si, avoua-t-elle, un peu quand même, j’avoue.”
Comme un professeur ayant démontré une équation mathématique particulièrement compliquée devant les acclamations de sa classe d’élèves béats d'admiration, Chad se gonfla d’une fausse modestie.
“Voilà, conclut-il en levant son verre de Gin dans un toast, donc détestons-les.”
oOoOoO
“Allez, viens !
-A la prochaine chanson, tenta de négocier leur capitaine.
-Tu as déjà dit ça pour les deux dernières !
-Je suis fatiguée, Nak, on a tourné autour de l’île toute la journée…
-Mais tu adores danser, plaida Anak sans lâcher les mains par lesquelles elle tirait Yakta, allez, ça va te faire du bien !”
Tout en rejetant la tête en l’air dans une reddition résignée et un rire désabusé, la capitaine des Yaks se laissa trainer en avant hors de son fauteuil en osier par les deux bras détérminés de sa co-pilote en short en jean et débardeur blanc. Yakta connaissant Anak depuis sa naissance, la tribu des Yaktantton n’était qu’après tout qu’une vaste famille qui n’avait pas besoin de liens de sang pour s’aimer comme des frères et des soeurs, et les deux femmes savaient tout ce qu’il y avait à savoir l’une de l’autre. Un exemple parmi tant d’autres, elle savait que lorsqu’Anak était prise dans ses moments d’euphorie, rien ne pouvait lui résister. C’avait déjà été un petit exploit de tenir pendant deux musiques d’affilée.
Elles rejoignirent alors le petit groupe qui s’était formé parmi les danseurs composé de Chad et de Moh mais aussi de membres du Mod. Murdock, Sib et Apollo la regardaient se faire mener à la baguette par sa friponne de co-pilote et riaient comme s’il s’agissait du spectacle du moment. Et dire que les deux équipages étaient censés être rivaux… Yakta lança un regard désillusionné sur Anak qui lui répondit d’un coup d'œil malicieux.
“Ohhh, roucoula Moh en voyant sa capitaine arriver, enfin !”
Anak rit en voyant son frère se saisir de la main de Yakta pour la faire tournoyer comme une duchesse.
“Il faut toujours qu’elle se fasse désirer, apprit-elle aux membres du Mod, mais vous allez voir, elle a le rythme dans le sang !
-J’ai hâte de voir ça ! déclara Murdock en levant son verre de bière.
-Anak, avise-toi de ne pas dire n’importe quoi à mon sujet ! lui lança Yakta entre deux pas de danse avec Moh.
-Reçu, ma capitaine !”
Yakta leva les yeux au ciel étoilé tout en continuant de danser et Anak se tourna vers Sibéal en qui elle avait découverte une parfaite partenaire de danse depuis qu’ils avaient investi la zone réservée à cet effet. Un feu de joie avait été créé au centre d’un brasero géant et et les rougoiements des flammes leur donnaient l’impression de danser sur le bord d’un volcan.
Sibéal adopta soudainement un air de connivence qui éveilla l’intérêt d’Anak, et celle-ci lui demanda à quoi elle pensait.
“Je crois que je sens un rapprochement entre nos ces deux-là…,” lui partagea-t-elle.
Un instant confuse, Anak comprit vite qu’elle évoquait Chad et Apollo qui dansaient de part et d’autre de Murdock, mais surtout des regards qui volaient de l’un à l’autre. Face à cette évolution, Anak jubila le plus discrètement possible avant de glisser une confidence à Sibéal :
“Chad n’est pas aussi cynique qu’il veut bien le faire croire !
-Ah oui ?
-Hm hm, confirma-t-elle, il se donne un genre… après, ça reste un emmerdeur !”
A cette dernière remarque, Sibéal éclata de rire tandis qu’Anak mimait des maracas à gauche, puis à droite au son de la musique de la musique.
“On a aussi notre lot d’emmerdeurs sur le Mod, assura Sibéal.
-Heureusement qu’ils ont des chics filles comme nous pour les supporter !
-Tiens, apprécia son interlocutrice, je boirais bien à ça, moi !”
N’ayant pas besoin d’une plus ample invitation, Anak se saisit du bras de Sibéal en l’enroulant autour du sien et partit d’un bons pas vers le bar en clamant :
“EN AVANT !”
oOoOoO
Était-ce le lit qui tanguait ou bien le bateau ? C’était peut-être sa tête.
Anak se redressa dans ses draps, elle n’avait pas envie de dormir en définitive ! Pourquoi diable se coucher alors qu'elle n'avait pas sommeil ? Oui, la nuit était plus proche de l’aurore que du crépuscule, et les doux ronflements de son petit frère lui parvenaient depuis son lit, mais quand même, elle n’avait pas envie de dormir. Forte de ce refus, Anak sortit les jambes de sa couette et se jucha sur ses pieds pour aller coller son nez contre le hublot de la chambre. Dehors, la mer était ridée de vagues et la lueur blanche de la lune traçait des merveilles le long de l’eau. Les étoiles, toutes plus belles les unes que les autres, chantèrent son nom.
Depuis sa plus tendre enfance, Anak avait été happée par les étoiles. On lui avait dit que c’était là-haut que sa mère était partie, alors elle levait toujours les yeux pour y chercher son visage. Certaines nuits, elle la reconnaissait parmi les lumières et ça lui faisait chaud au cœur. Elle avait appris tout ce qu’il y avait à connaître sur la nouvelle demeure de sa mère. Le noms des étoiles, les courbes des constellations et la distance vertigineuse qui les séparait des planètes de leur système solaire. Si ça avait été possible, ç’aurait été le ciel qu’elle aurait aimé explorer et dont elle aurait adoré chasser les secrets.
Puisqu’il s’agissait d’un rêve inatteignable, elle avait plutôt embarqué dans le beau bateau de Yakta, sept ans plus tôt, quand celle-ci avait décidé de ramener tous les trésors du monde à la maison. Ca ne l’empêchait de vouer un culte aux étoiles et d’imaginer, certaines nuits, qu’on puisse inventer des bateaux qui se hisseraient à la verticale plutôt qu’à l’horizontale pour toucher du doigt la lune.
Un sourire se creusa dans son menton, et elle fit volte-face pour quitter sa chambre. Dans son pyjama, un pantalon et un top aux fines bretelles, tous les deux en flanelle claire, elle traversa le couloir en se retenant au mur quand elle vacillait sur ses talons. Peut-être avait-elle un peu trop profité des piña coladas, maintenant qu’elle y repensait. Pour une drôle de raison, ça la fit glousser alors qu’elle sortait à l’arrière du Yak. Toujours hospitalier, le vent marin vint lui courir dans les cheveux et ses longues mèches noires ondulèrent dans l’air. Elle se dirigea vers les filets, dans la ferme attention de s’y coucher, tout en levant le nez vers le ciel pour en admirer sa voûte clignotante quand une voix la fit sursauter :
“Qu’est-ce que tu fais ?”
Elle se retourna brutalement et reconnut Valérian. Malheureusement, elle avait tourné les talons avec trop de vigueur et la brusquerie du mouvement lui provoqua un vertige. Ses pieds dérapèrent contre le sol glissant du catamaran. Elle se tenait aussi bien trop proche du vide et il n’y eut absolument rien à quoi se raccrocher alors qu’elle tomba à la renverse dans l’eau, battant l’air inutilement comme pour se mettre à voler.
Mais elle ne s’envola pas. A l’inverse, elle dégringola et tomba de tout son flanc dans l’eau dans un claquement qui brûla tout son corps, et l'assomma un instant.
Un court instant, dont elle ne n’aurait su évaluer la durée, elle fut ici et ailleurs à la fois, coulant dans la tiédeur de la mer agitée qui l’enveloppait comme un cocon. A travers ses cils entrouverts, elle distinguait très vaguement ses doigts qui se découpaient sur la surface de l’eau qui s’éloignait et s’assombrissait. Puis, la panique se réveilla et elle revint à la raison, ouvrant la bouche pour accueillir une trombe d’eau et de sel, et se mit à brasser l’eau des mains et des pieds pour remonter.
Un ombre emporta soudainement toute la lumière et on l’enserra brusquement à la taille pour la tirer vers le haut. La surprise chassa le restant de son oxygène hors de ses poumons alors qu’elle fut plaquée contre un corps. Elle regagna la surface en recrachant toute l’eau qu’elle avait respiré dans une toux douloureusement rappeuse, et ses yeux protestèrent vivement alors qu’elle papillonnait pour tenter de comprendre où elle était et ce qui s’était passé.
Le visage de Valérian s’imposa alors à elle et elle réalisa qu’il la tenait contre lui, et qu’ils étaient tous deux à la mer. La silhouette du catamaran se balançait derrière lui au rythme des vagues, et eux également.
“Je… je suis tombée, devina-t-elle.
-Tant de perspicacité, commença-t-il à ironiser, c’est…
-Qu’est-ce que c’est ?”
La question s’était jetée hors de sa gorge dans un croassement alors qu’elle levait des yeux horrifiés sur lui, et la fin de la phrase mourut à la bouche de Valérian alors qu’il devenait silencieux et grave. Comme résigné.
Quelque chose de lisse et étrange ondulait contre ses jambes, on aurait dit le corps d’un poisson, celui d’un immense poisson. Elle baissait les yeux, les battements de son coeur s’accélérant dans une appréhension grandissante, quand Valérian lui commanda d’arrêter :
“Ne regarde pas !”
Elle s’arracha à lui dans la seconde alors qu’un terrible pressentiment gonflait en elle. Toute l’ivresse de la soirée passée avait complètement disparu avec son plongeon improvisé. Désormais, elle était particulièrement consciente de son environnement. De la mer qui la soulevait dans des vagues, du simple mètre qui la séparait de Valérian, du fait qu’il était torse-nu et que ses yeux semblaient vouloir sonder jusqu’aux tréfonds de son âme. Et de cette pensée effroyable que, en définitive, elle ne savait rien de lui.
Il ouvrait la bouche dans un début de phrase mais elle ne resta pas pour l’écouter et replongea dans l’eau, s’immergeant complètement. Malgré l’inconfort, elle garda les yeux grands ouverts. Là, rattaché au torse de Valérian, une grande queue de poisson s’étendait et battait doucement l’eau. Pleins d'écailles et si grande, si monstrueusement grande.
Dans un sursaut, elle regagna la surface. Le souffle court, les yeux écarquillés de terreur et le sang glacé. Une… une…
“Ne crie pas, lui défendit-il.
-Une sirène…
-Je suis un triton, pas une…
-Non, non, non,” lâcha-t-elle.
C’était impossible. Comment une chose si irréalisable pouvait être possible ? Dans une panique non-déguisée, elle se mit à nager de toutes ses forces vers le Yak en prenant soin de procéder à un large détour pour garder une distance de sécurité. Bien évidemment, cela se révéla bien inutile. En quelques secondes, il la rattrapa. Elle eut peur qu’il ne se saisisse d’elle pour l'entraîner dans les profondeurs de l’eau et l’y garder jusqu’à ce qu’elle n’en revienne plus jamais.
Elle se souvenait des paroles qu’il avait dites à Chad. Tu ne connais rien des abysses.
Il n’en fit rien, cependant, et elle put se hisser dans la sécurité des filets du Yak. Elle était raide de peur, et elle rampa pour s’éloigner le plus possible de l’eau. Derrière elle, Valérian avait lui aussi regagné les filets et quand elle se retourna pour le surveiller, elle put le voir à la clarté de la lune. Ce long corps qui avait tout d’une queue de poisson. Il faisait trop sombre pour qu’elle en devine la couleur, et elle était trop effrayée pour en apprécier la beauté.
“Tu ne dois rien dire à personne.”
Ce fut la première chose qu’il dit pour briser le silence. Elle commençait à froncer les sourcils en signe de protestation, aussi il argumenta :
“Je t’ai sauvée la vie.
-Je… j’allais remonter, bégaya-t-elle.
-Si tu dis quoi que ce soit à quiconque…
-Quoi ? Tu vas me dévorer toute crue comme le disent les légendes ?
-Rien n’est impossible.
-Clairement,” grinça-t-elle.
Elle devrait partir, se dit-elle. Que faisait-elle planter là à le regarder alors qu’elle pouvait encore prendre ses jambes à son cou ? Mais il restait échoué sur les filets telles les sirènes de tous ces tableaux des grands maîtres qui avaient tenté d’immortaliser la beauté de l’espèce, et bon… force était de constater que rien ne valait la photographie.
“Je peux peut-être aller chercher des serviettes,” s’entendit-elle proposer.
Il ne répondit rien et elle s’en alla en courant vers la première salle-de-bain venue pour prendre le nécessaire. Toujours hébétée, elle prit une pause pour se dévisager dans le miroir. Elle n’était pas devenue folle, quand même ? Ses longs cheveux noirs étaient plaqués contre son crâne dans un rideau brillant, et les cils de ses yeux tout aussi sombres étaient lourds de gouttes d’eau. Non, c’était impossible qu’elle ait pu imaginer une chose pareille. Son imagination était certes fertile, mais il y avait des limites.
Ce fut le pas plus mesuré qu’elle retourna vers Valérian qui essorait ses cheveux. Et bien, non, décidément non, elle ne l’avait pas imaginé. Sa queue était toujours au rapport. Elle lui tendit la serviette et il s’en empara en silence.
“Ce serait mieux si tu retournais dans ta chambre, l’avisa-t-il.
-Et pourquoi ça ?
-Car ça va devenir embarrassant.”
Elle haussa ses sourcils bien haut sur son front. Ah bon ? Embarrassant ? Plus embarrassant que de découvrir que son sauveur a une queue de poisson ?
Il lança alors un coup d'œil appuyé sur les vêtements qui étaient empilés dans un coin du filet. Un pantalon beige ainsi qu’une chemise… et ce qui ressemblait à des sous-vêtements masculins.
“Ahhh…,” fit-elle.
Tout en marchant à reculons, elle soutint encore un peu son regard. Elle voulait lui demander tant de choses. Toutes plus grotesques les unes que les autres. Mais surtout cette question naïve qui voulait savoir s’il était dangereux.
Au final, elle ne dit rien de plus et se retira simplement avant que, dans ses propres mots, “cela ne devienne embarrassant”.
Attention il y a une petite coquille ici
"C’était marrant comm leurs chemins semblaient toujours se croiser. "
Comme j'ai quelques difficultés de concentration en ce moment, je me suis demandé si tu avais envisagé de scinder tes chapitres en 2.
En tout ça m'a l'air d'être une sacré aventure.
Comme nous sommes deux à écrire, chacune pour un chapitre ça serait bizarre de couper en deux. en tout cas on va aller rectifier cette erreur, merci! :)