Quand je me réveille, Emilie n’est plus dans le lit. C’est un jour gris, sans soleil. Elle n’est pas au petit déjeuner. Seules quelques personnes sont déjà réveillées. Je m’assieds en face du joueur d’échecs. Il a toujours ce visage impassible, ces yeux tristes. Je me racle la gorge et me tourne vers la dame assise à côté de moi.
- Vous avez vu Emilie ?
Ma voisine ne réagit pas instantanément. Elle me dévisage puis murmure :
- Non…
- Vous êtes sûre ?
Elle continuer de me regarder fixement puis se détourne, sans me répondre. Je jette un coup d’œil dehors. Les chaises de la terrasse se sont renversées. Le vent souffle fort. Le joueur d’échecs -dont j’ai oublié le prénom- me saisit le poignet. De sa main libre il pointe une porte, à l’autre bout du réfectoire.
- Emilie est là-bas ?
Il hoche la tête. Je ne prends pas le temps de le remercier. Je me lève, marche à grands pas vers la porte et l’ouvre. Une infirmière sort au même moment, je manque de la percuter. Elle réajuste ses lunettes sur son nez.
- Que voulez-vous ?
- On m’a dit qu’Emilie était ici. Je peux la voir ?
- Pas tout de suite. Ce n’est pas le moment.
- Elle va bien ?
- Les gens qui viennent ici vont rarement bien, me répond la femme avec cynisme. Ça devrait aller mieux d’ici quelques heures.
Je n’ose pas insister. Je retourne m’assoir à la table et attends, sans rien faire. Une heure passe. Puis une deuxième. L’inquiétude doit se lire sur mon visage. Que se passe-t-il ? Julien arrive, mais même sa bonne humeur et ses plaisanteries ne parviennent pas à me sortir de cet état. Emilie, mon Emilie. Que lui arrive-t-il ?
***
Une main se pose doucement sur mon épaule. Je lève la tête. C’est un monsieur à lunettes, au sourire très doux. Il me tend la main.
- Je suis le Docteur Merlier. Vous pouvez venir voir Emilie, si vous voulez.
Je saisis sa main, que je serre un peu fort. Le soulagement m’envahit.
- Emilie !
Quand je rentre dans la salle, j’aperçois Emilie dans un lit. Elle est allongée sur le côté, face au mur. Elle ne me répond pas, ne tourne pas les yeux vers moi. Je prends une chaise, la pose près de son lit et m’assied.
- Emilie ? Ça va ?
Je n’obtiens aucune réponse. Mes yeux se posent sur son bras droit, qui dépasse de la couverture. Il tremble. J’hésite un peu avant de le saisir, le plus doucement possible.
- Comment te sens-tu ? Tu veux que je fasse quelque chose ?
Son bras ne cesse de trembler. Son visage est toujours tourné vers le mur.
- Emilie…
Je serre sa main entre mes paumes. J’attends. Tout semble avoir basculé depuis hier.
Elle finit par se tourner un peu, pour s’allonger sur le dos. Son regard s’accroche au plafond. Elle réajuste un peu sa couverture de la main gauche, rapidement mais j’ai eu le temps de remarquer le bandage sur son poignet. Je me retiens de faire la moindre remarque. Que pourrais-je dire ?
- Akira… murmure-t-elle.
Je me penche un peu vers elle, prêt à écouter ses mots.
- Oui, Emilie ?
Ses yeux se tournent vers moi, enfin. Son regard ne cessera jamais de me transpercer. Dès qu’elle pose les yeux sur moi, j’ai l’impression qu’elle accède à toutes mes pensées, tous mes sentiments.
- Tu te souviens, quand on était allongés sur le lit ? On se tenait la main.
Je souris.
- Je me souviens, Emilie…
Je marque une pause.
- C’était hier.
Ses lèvres forment un pâle sourire.
- Vraiment ? Ça me semble si lointain…
Je me mords les lèvres. Une larme coule sur la joue d’Emilie.
- Je voudrais y retourner.
J’écarquille les yeux. Je serre sa main plus fort, puis embrasse ses doigts du bout des lèvres. Elle ne réagit pas. Le docteur se rapproche de moi :
- Vous pouvez me laisser avec elle, s’il vous plaît ? Je vous rappellerai, si vous voulez.
Trop bouleversé pour répondre, je lui adresse un bref signe de tête et repart, d’une démarche maladroite. Je remonte dans la chambre et m’assieds sur le lit. Tout compte fait, il faut croire que je n’ai pas sauvé Emilie. Jamais elle n’avait guéri.
***
Je ne descends pas manger à midi. J’attends, avec l’espoir qu’Emilie va revenir dans un état normal, comme avant. Elle va redevenir Emilie, cette Emilie que je connais. Mon Emilie.
Aux environs de 17h, j’entends la poignée tourner. Emilie rentre. Je me lève, prêt à la serrer dans mes bras, mais elle me demande de m’assoir. Je m’exécute. Elle s’assied à côté de moi. La fenêtre de la chambre s’ouvre dans un grand bruit. Je n’y prête pas attention. Je plonge mes yeux dans ceux d’Emilie, essaye d’y lire une quelconque émotion. Je n’y parviens pas.
- J’ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi, Akira.
- Tout ce que tu veux.
Emilie ne poursuit pas instantanément. Son regard s’égare, ses cheveux sont soulevés par le vent. Ce vent dont parlait mon père. « Messager des bonnes nouvelles »
- J’ai beaucoup réfléchi, tu sais ? Il faut que… que tu m’écoutes jusqu’au bout.
J’acquiesce silencieusement.
- J’ai besoin que tu me laisses partir.
Silence.
- Si j’avais été quelqu’un d’autre peut-être que… ça aurait été toi et moi. Akira et Emilie. Dans une autre vie, peut-être que j’aurais pu te donner l’amour que tu attends de moi. Tu l’aurais mérité. On aurait sans doute pu vivre différemment. On aurait accompli tout ce dont on rêvait ensemble…
Nouveau silence.
- Mais ce qu’on a obtenu, c’est bien cette vie.
- Emilie…
- Et il n’y a rien que tu puisses faire.
Toujours ce silence pesant.
- Ce n’est pas de ta faute Akira.
Les larmes me montent aux yeux.
- Tout l’amour que tu m’as donné, je ne l’oublierai pas. J’en suis reconnaissante. Tu as fait beaucoup pour moi. Mais tu ne peux pas me sauver. Il faut que tu me laisses partir. Et…et pour ça il faut que toi, tu partes.
Je ne réponds rien. Elle a arraché le cœur de ma poitrine pour le mettre en lambeaux. Que puis-je répondre ? Je ne bouge pas. Emilie sort de la pièce. Les larmes dévalent sur mes joues.
« Ce n’est pas de ta faute, Akira »
Je finis par me relever. Je rassemble mes affaires. Ferme la fenêtre.
Puis je pars.
Sous le vent.
Effectivement un chapitre important. Il fonctionne bien et me rend d'autant plus curieux de voir comment tu vas continuer l'histoire. On sent depuis un bout de temps les problèmes psys / traumatiques d'Emilie et j'imagine que ça va être important dans la suite. Ca devient un peu le mystère principal puisqu'on sait à présent ce qui provoque la séparation avec A,kira. Bref, très intriguant, hâte d'en savoir davantage !
Ptite suggestion :
"Elle va redevenir Emilie. Cette Emilie que je connais." fusionner les deux phrases ? je trouve que l'effet de répétition fonctionne avec une seule phrase
Un plaisir,
A bientôt !
Merci pour ton commentaire :) En effet, tout cela prend plus d'importance au fur et à mesure, même si je vais vraiment me concentrer sur Akira par la suite !
Je fais la correction ;)
A très vite