Le bateau plongea vers le sud-ouest pour contourner la plus grande île de l’Archipel. Lorsqu’Andrea l’avait aperçue à l’horizon, nimbée de la lumière dorée de l’aube, quelque chose s’était agité dans sa poitrine. Des réminiscences d’une autre vie, la chaleur d’une étreinte, de la terre ocre sous ses pieds, un rire doux et le parfum ensoleillé des pins et des oliviers. Là-bas, la mer n’avait pas la même odeur, se remémora-t-il, mais il n’aurait plus su dire pourquoi. Ses souvenirs de l’Archipel s’étiolaient au fil des ans, depuis que son père l’avait arraché au village qui l’avait vu naître et à la tombe de sa mère pour le forcer à embarquer sur un navire.
Il tourna brusquement les talons pour rejoindre sa cabine. Tadeo dormait dans la sienne, mais lui n’avait pas réussi à fermer les yeux. Il voyait les murs s’abattre sur lui, les vagues l’engloutir. S’il avait fait preuve d’une meilleure maîtrise de l’archéomagie, aurait-il pu s’épargner les événements survenus au cours de la nuit ? Et à Héméra ? Un peu plus, et elle aurait pu se noyer.
parce que tu es. faible.
Il entra dans sa cabine, trop étroite pour qu’il s’y sente à l’aise, et s’empara de son sac pour attraper l’une de ses précieuses fioles. Il s’était débrouillé pour contourner les limites de son ordonnance afin d’obtenir un stock suffisant pour les prochains mois, qu’il avait soigneusement rangé dans l’une de ses malles. Il dévissa le bouchon en liège et avala d’un trait le liquide ambré.
Il serait calme lorsqu’il mettrait pied à terre. Maître de lui-même.
drogué, ricana une voix dans son esprit.
Il l’ignora. Son traitement ne tarderait pas à faire effet.
Quelqu’un toqua doucement contre la porte et l’entrouvrit sans attendre de réponse. Le visage ensommeillé de Tadeo apparut dans l’entrebâillement.
— Dre ?
— Le réveil est difficile ? le taquina Andrea en faisant disparaître la fiole vide dans son sac.
— Dis-moi que nous sommes presque arrivés…
— Nous avons pris du retard cette nuit, nous n’atteindrons pas l’Archipel avant midi.
Tadeo ouvrit de grands yeux horrifiés, et Andrea dut se mordre la joue pour conserver une expression sérieuse. C’était faux, bien entendu, mais pour une fois qu’il pouvait rendre à Tadeo la monnaie de sa pièce…
— Allons sur le pont, j’ai entendu dire que le petit-déjeuner allait être servi.
— Je te déteste, Dre.
— Je sais.
Pourtant, Tadeo le suivit à l’extérieur en babillant à propos de la petitesse des cabines et de l’inconfort des couchettes, du bateau qui tanguait la nuit et…
— Tu as réussi à dormir ?
— Un peu, éluda Andrea.
— Ne me refais plus jamais de frayeur comme celle de cette nuit, soupira Tadeo.
Lorsqu’ils débouchèrent sur le pont, Tadeo inspira profondément l’air marin et se figea en apercevant les côtes de la plus grande île de l’archipel sur leur gauche.
— Tu m’as menti ! s’insurgea-t-il en se précipitant vers le bastingage.
Des vagues d’un bleu limpide, aigue-marine, léchaient la roche, et Andrea se perdit dans leur contemplation. Il avait toujours aimé la mer et avait appris à nager très jeune, comme tous les enfants de l’Archipel. Sous la surface, le sable était si blanc, et les poissons si nombreux. Une brise chaude et salée emmêla ses boucles cuivrées, et, pour la première fois depuis une éternité, il se sentit presque… détendu.
— Mais si ce n’est pas mon étudiant préféré guéri du mal de mer ! s’exclama Ariana dans leur dos.
— Si seulement, marmonna Tadeo.
— Je ne te propose pas de brioche donc ?
Tadeo pivota en fusillant sa directrice de thèse du regard.
— Si !
Andrea réprima un rire en voyant son expression, celle qui disait qu’il mangerait cette viennoiserie, même s’il devait passer la fin du voyage à rendre le contenu de son estomac par-dessus bord. Tadeo s’empara de la brioche parsemée de graines de sésame et mordit dedans, affamé. Lorsque Ariana en tendit une à Andrea, celui-ci déclina la proposition en secouant la tête.
— Tu es certain ? Après ce qu’il s’est passé cette nuit, tu as besoin de…
— Tout va bien, Ariana.
Ils s’observèrent en silence de longues secondes, puis Andrea se déroba, incapable de soutenir ses prunelles sombres qui semblaient voir à travers ses mensonges. Elle avait essayé de lui parler à plusieurs reprises au cours des derniers mois, mais il avait mis un point d’honneur à l’éviter. Elle le connaissait trop bien ou, du moins, l’avait trop bien connu, et comprendrait aisément la raison de son trouble. Mais elle n’insista pas et se dirigea vers un autre groupe, le visage aussi lisse que celui d’une statue.
Du coin de l’œil, Andrea vit Tadeo ouvrir la bouche, l’air réprobateur, et le prit de court :
— Je sais ce que tu en penses, mais regarde, nous arrivons et nous avons plus important à faire.
En effet, un long ponton en pierre jaillissait de la mer à quelques centaines de mètres du navire. Des éclats de conversations animées bruissèrent sur le pont du navire, et plusieurs membres de l’expédition émergèrent de leur cabine avec leurs sacs, prêts à mettre pied à terre. Leurs malles suivraient une fois le campement installé avec l’aide d’une équipe qui repartirait ensuite avec le navire. C’était étrange de voir tout le monde s’affairer avec une excitation qu’Andrea aurait lui-même dû ressentir, mais cela valait mieux que l’anxiété et les crises, la peau moite et l’envie de vomir.
— Héméra a l’air d’aller mieux, observa Tadeo.
Andrea suivit son regard jusqu’à la jeune femme. Elle avait tressé ses longs cheveux blonds que le sel avait rendus rêches et des cernes se détachaient sur sa peau blême, mais elle se tenait très droite, discutant avec assurance avec Kleio. Il envia sa capacité à surmonter les obstacles quand lui s’en remettait entièrement à son traitement. En constatant qu’il la dévisageait, Héméra fronça les sourcils avant de lui adresser un simple hochement de tête.
— Suffisamment pour te dire bonjour en tout cas, ajouta Tadeo en ricanant.
Andrea lui donna un léger coup de canne dans le tibia en représailles.
Ils se mêlèrent aux membres de l’expédition qui attendaient que le navire accoste. Le bleu si vif de l’eau ondulait contre la coque et, de nouveau, Andrea ressentit cette irrésistible envie de plonger dans les vagues, de chercher des coquillages dans le sable. mais tu n’es. plus. un enfant. Le soleil chauffait sa nuque, ses joues, son dos à travers sa chemise en lin aux manches retroussées.
Alors qu’est-ce que je suis ? se demanda-t-il.
Il essuya nerveusement sa paume moite sur son pantalon. Lorsqu’une main se posa sur son épaule, il sursauta et chercha Tadeo du regard, mais celui-ci était retourné s’accouder au bastingage, peinant visiblement à digérer son petit-déjeuner.
— J’espère que tu as pu te reposer cette nuit, susurra une voix près de son oreille.
Raide, les doigts crispés sur le pommeau de sa canne, il fallut quelques secondes à Andrea pour répondre à Vaios dans un souffle :
— Oui.
Il attendit sa réponse avec appréhension, mais rien ne vint. Les ongles de Vaios s’enfoncèrent dans le tissu de sa chemise un bref instant, brûlants, puis le poids sur son épaule se volatilisa tandis que son directeur de thèse s’éloignait. Andrea expira brusquement l’air consumant ses poumons. tout va bien. il s’inquiétait seulement de savoir. comment tu. allais. après. ton échec.
Enfin, le bateau s’immobilisa le long du quai en pierre, et l’ancre s’enfonça sous la surface dans une gerbe d’éclaboussures. La gorge nouée, Andrea descendit du navire, et lorsque ses pieds touchèrent le sol, les parfum torride des oliviers et des cyprès, sucré des figuiers et des orangers, le frappa de plein fouet, mêlé au sel de la brise marine. Puis, il y eut un océan de terre ocre et la poussière ensablée dansant dans la brise tiède, les nuances blanches, rouges et anthracite de la roche, le vert cendré des buissons. Et le calme. Le calme si profond contrastant avec l’agitation de Ténéa, seulement brisé par les vagues s’éclatant contre la grève et les cris de quelques rapaces au loin.
Soudain, le monde ne lui parut plus aussi angoissant, et il parvint à faire un pas sur le ponton sans trembler.
— Bon retour, Andrea, déclara Tadeo en lui adressant un large sourire.
— Regarde…
Tadeo suivit son regard et écarquilla les yeux en apercevant derrière la cime des tamaris le sommet de ruines – des colonnes brisées, des arches et des édifices fissurés. Aussitôt, un vent de frénésie souffla sur le groupe.
— Nous allons déposer nos affaires, puis nous irons directement voir les ruines pour baliser le site de fouilles, les informa Ariana. Pendant ce temps, une équipe installera le campement.
Le campement n’était pas très loin de l’endroit où ils avaient accosté. Ils empruntèrent un sentier qui les mena à un semblant de plaine cernée par des oliviers. Des structures en bois s’enracinaient dans la terre sèche, déjà prêtes à accueillir les tentures qui leur offriraient un abri bienvenu. Plus loin, Andrea aperçut un puits sans doute bâti par leurs prédécesseurs et entendit le léger glougloutement d’une rivière. C’était ici que chaque expédition s’était établie par le passé, et là qu’ils passeraient les prochains mois lorsqu’ils ne seraient pas en train d’explorer des ruines.
— Le village est loin ? l’interrogea Tadeo.
— Je ne sais plus, répondit Andrea, troublé.
Le village se trouvait sans doute à quelques kilomètres de leur position, mais il aurait tout aussi bien pu se trouver à l’autre bout de l’île tant ses souvenirs lui paraissaient flous.
— Nous ne sommes pas là pour faire du tourisme, trancha la voix de Vaios dans leur dos.
Malgré la douceur de la température ambiante, Andrea frissonna, tandis que Tadeo tournait la tête vers l’archéomage avec une expression pleine de défiance.
— Ça ne me semble pas aberrant de s’intéresser aux coutumes locales.
Mais Vaios ne se préoccupait déjà plus de lui, comme si Tadeo ne méritait que son indifférence. Andrea foudroya son ami du regard.
— Qu’est-ce qu’il t’a pris de lui répondre ainsi ? siffla-t-il à voix basse.
Tadeo haussa un sourcil.
— Je lui ai seulement fait remarquer que…
— Ne joue pas à ça, le coupa Andrea.
— Et toi ? Pourquoi réagis-tu de cette manière ?
Ils se dévisagèrent en silence, mais la réponse d’Andrea mourut dans sa gorge. Tadeo ne pouvait pas comprendre. Il ne pouvait pas comprendre la peur qui lui nouait l’estomac chaque fois qu’il voyait Vaios, cette impression de se noyer jour après jour. ne pouvait pas comprendre sa terreur à l’idée d’être piégé sur cette île auprès de son directeur de thèse durant les quatre prochains mois.
Andrea réalisa soudain que tout serait exactement comme à l’université. Il travaillerait, dormirait, respirerait quand Vaios le lui ordonnerait, n’existerait qu’à travers son regard.
— Laisse tomber.
Il tourna les talons, la gorge nouée. Il ne pouvait. pas. Alors pourquoi Tadeo le confrontait-il à ce sujet dès qu’il en avait l’occasion ? Et… si Vaios faisait regretter son insolence à son ami ?
— Andrea !
Il fit la sourde oreille et rejoignit Ariana, qui distribuait des consignes aux membres de l’expédition.
— Ne vous chargez pas, nous allons seulement faire un état des lieux.
Andrea vérifia que son carnet et son porte-mine étaient bien rangés dans sa sacoche, qu’il lui restait une fiole à portée de main. Lorsque le groupe se mit en route, toute trace de l’excitation qui lui avait étreint la poitrine s’était évaporée. Il se sentait tendu, crispé, épuisé.
tu es seul. seul. seul, chantonna une voix dans son esprit.
Sa canne buta contre une racine à moitié enterrée et il trébucha. Quelqu’un empoigna son bras pour l’empêcher de basculer, et il aperçut un éclat blond sur sa droite. Héméra le relâcha lorsqu’il se redressa, le visage fermé, mais ne s’écarta pas. Elle ouvrit la bouche, la referma, repoussa nerveusement sa tresse dans son dos…
— Merci, lâcha-t-elle du bout des lèvres. Pour cette nuit.
Elle le regarda droit dans les yeux, et Andrea vit combien cela lui coûtait de mettre sa fierté de côté. Il se contenta d’un bref hochement de tête. N’importe qui aurait agi comme il l’avait fait. Sauf son grand-père, peut-être.
Il poursuivit son chemin entre les oliviers, et Héméra accéléra le pas pour rester à son niveau. Ce n’était pas difficile, le sol irrégulier l’obligeait à regarder constamment où il mettait ses pieds.
— Est-ce que… commença-t-elle d’une voix hésitante. Quand nous étions dans l’eau, as-tu vu quelque chose ?
Il lui décocha un coup d’œil curieux. Quelque chose…
— Un bateau, précisa-t-elle. C’est… Ce n’était pas une épave, mais… On aurait dit de la magie, sauf que j’étais en train de me noyer, je… je n’ai rien touché. Je n’y ai même pas pensé.
Elle se tut, perdue dans ses pensées. Andrea se remémora la nuit précédente, sa chute dans la mer, sa peur lorsqu’il avait bu la tasse avant d’arracher sa tête à l’étreinte possessive des vagues. Il avait aperçu Héméra se débattre sous la surface et n’avait pas réfléchi, n’avait pensé à rien d’autre qu’à leur survie.
— Je n’ai rien vu, répondit-il.
Pendant un instant, Héméra parut déçue, puis elle se ressaisit, haussant les épaules comme si cela n’avait aucune importance.
— Peu importe, j’ai dû halluciner.
Il ne la contredit pas. À quoi bon ? Peut-être avait-elle réellement vu quelque chose, même s’il était étonnant que sa magie se soit éveillée de cette manière, peut-être n’était-ce qu’une illusion créée par son esprit asphyxié. Quelle que soit la réponse, Héméra n’était pas venue chercher du réconfort auprès d’Andrea.
Ils longèrent en silence le sentier ocre. Ariana ouvrait la marche, et la dizaine d’archéomages qui la suivaient échangeaient leurs premières hypothèses, impatients de les mettre à l’épreuve. Enfin, le chemin s’élargit et…
chhhhchhhchhhhchhh
Andrea sursauta. Des murmures bruissaient autour de lui, emplissant ses oreilles de sons indistincts. Une brise tiède s’engouffra entre les feuilles des oliviers, souleva une boucle de cheveux qui paressait sur son front. chhhhchhhchhhhchhh. L’homme devant lui se décala légèrement, et Andrea aperçut le sommet brisé d’une colonne. Un nouveau pas, et ce fut la courbe d’une arche qui se dessina, caressée par les doigts du soleil. chhhhchhhchhhhchhh.
Les ruines se dévoilèrent, immenses, majestueuses.
La canne d’Andrea claqua contre un pavé à moitié enfoui dans la terre sèche. Il y en avait des dizaines, des centaines composant la route qui s’engageait de l’autre côté de l’arche sculptée. Sur celle-ci, l’on distinguait un cheval dont l’arrière-train formait une queue de poisson, un taureau aux cornes imposantes, un épervier en position de chasse… Les animaux totems de la Triade. Des runes gravées dans la pierre ocre invoquaient la protection des divinités.
Andrea lutta contre l’envie de s’arrêter pour gribouiller des notes dans son carnet. Il aurait tout son temps au cours des prochains jours.
Il suivit la route pavée bordée de trottoirs inégaux, bosselés, jusqu’à la vaste place qui semblait prendre place au milieu de la cité en ruines. Le long du chemin, Andrea discernait de nombreuses maisons en pierre claire usée par le temps, et, ça et là, il apercevait des traces blanchâtres laissées par le sel lorsqu’elles étaient immergées, des coquillages incrustés dans les murs, du sable entre les pavés.
À certains endroits, des comptoirs en forme de L dans lesquels des cuves avaient été creusées pour stocker de la nourriture indiquaient l’emplacement d’anciennes boutiques, tandis que des fontaines s’arrimaient aux façades de la rue à intervalle régulier. Des animaux aux couleurs passées, un coq, des canards, un chien, décoraient les comptoirs. Ailleurs, l’encadrement de fenêtres révélaient des murs enjolivés par des fresques délavées – des scènes de la vie quotidienne, des représentations des familles qui avaient vécu là, ou encore des récits mythiques – et des sols en mosaïque poussiéreux. Partout substituaient des éclats de peinture bleue, rouge ou blanche.
chhhhchhhchhhhchhh
Andrea pouvait sentir l’appel de la pierre et de la mémoire jusqu’au bout de ses doigts. Une simple impulsion de magie suffirait sans doute certainement à raviver les décors anciens, les odeurs et les bruissements de ce qui avait dû être la plus grande ville de la civilisation ténéenne, aujourd’hui réduite à l’état de cité oubliée, aussi belle que déserte.
Soudain, les chuchotements devinrent clairs.
saîre Mineae, citā anaxos
« Bienvenue à Mineas, la cité des rois… »
Submergé par l’émotion, Andrea oublia la présence d’Héméra à ses côtés et celles des autres archéomages de l’expédition, les tensions qui l’opposaient à Tadeo, la peur que lui inspirait Vaios… Il ne restait plus que ces ruines tout autour de lui et les milliers de voix qui résonnaient dans sa poitrine, le sentiment de faire partie des premières personnes à fouler ce sol depuis des millénaires.
Alors que les membres de l’expédition se dispersaient sur la place, avides d’en voir davantage, Andrea s’immobilisa devant la statue en marbre qui se dressait au centre. Un jeune homme au front couronné chevauchait un cheval à la queue de poisson, tendant une lance devant lui comme si sa seule présence protégeait la cité. Un épervier était posé sur son épaule, et une tête de taureau gravée sur son bouclier en forme de huit. La statue dégageait quelque chose qui attirait inexorablement Andrea ; la prestance des anciens rois, la force des guerriers du passé, celles dont il manquait.
Il baissa les yeux pour étudier le socle de la statue à la recherche d’une inscription, mais le temps avait rendu les symboles qui avaient un jour été gravés dans la pierre illisibles. Il tendit la main pour effleurer les aspérités dans l’espoir d’en tirer quelque chose. À cet instant, la voix de Vaios claqua dans son dos.
— Andrea !
Il se redressa brusquement, la nuque prisonnière d’un carcan de glace malgré la tiédeur ambiante.
— Viens.
Toujours ces ordres lapidaires auxquels Andrea ne pouvait se dérober. À regret, il abandonna la statue pour rejoindre son directeur de thèse, poupée d’argile silencieuse.
— Avant de te concentrer sur des détails, tu dois avoir une vue d’ensemble, déterminer quel est le lieu où nous nous trouvons et son intérêt. Tu t’es attardé sur la statue parce qu’elle se trouvait au centre de la place, mais tu aurais d’abord dû t’intéresser à l’organisation des édifices qui nous entourent, et notamment…
Vaios s’arrêta face au monument qui surplombait la place, imposant. Sur les façades stuquées et les colonnes, dont le fût était plus étroit à la base qu’au chapiteau incurvé, subsistaient des traces de pigments incarnat et céruléen ; des couleurs autrefois vives, désormais blanchies par le sel, qui avaient dû servir à peindre des fresques et des motifs géométriques. Par endroits, Andrea distinguait la courbe d’une vague et la ligne brisée d’une frise, la corne d’un taureau et la lance d’un guerrier, rongées par le temps.
— Est-ce un temple ou palais ? lui demanda Vaios.
— Un temple.
Andrea reconnaissait l’agencement des colonnades, qui longeaient les marches menant au portique. Il bascula la tête en arrière pour observer le plafond peint culminant à une quinzaine de mètres au-dessus du parvis, admiratif du travail effectué par les artistes de l’ancienne civilisation ténéenne.
Le palais devait se trouver ailleurs dans la ville, peut-être en périphérie où il aurait la place de s’étendre, mais le temple, lui, incarnait le cœur battant de Mineas. Ici, les murmures qui résonnaient dans son esprit étaient plus forts qu’ailleurs, mais lorsque Andrea suivit Vaios entre les colonnes, il n’osa pas lui demander si lui aussi les entendait.
Ariana, Héméra et Tadeo se trouvaient déjà à l’intérieur, et Andrea évita soigneusement le regard de ce dernier lorsqu’il passa près de lui. Un puits de lumière rectangulaire fendait le plafond dans toute sa longueur, baignant le temple d’une lumière dorée. Andrea s’immobilisa et tourna lentement sur lui-même pour observer les alentours, retint son souffle…
Il y avait bien des traces de pigments sur les murs, mais nul vestige de fresque contrairement aux colonnes, car partout couraient des glyphes. Des glyphes gravés dans le mur qu’Andrea n’avait jamais vus, des symboles qui formaient des mots, des phrases, peut-être.
— Qu’est-ce que… murmura Vaios.
Captivé par cette vision, Andrea s’approcha d’un mur et passa un doigt sur l’un des glyphes, libérant une once de magie. Un parfum d’olivier emplit ses narines, une vague de chaleur chauffa le bout de ses doigts…
Un grondement retentit soudain, et la terre trembla sous ses pieds. Il manqua de perdre l’équilibre, s’agrippant à sa canne pour rester debout, mais la secousse s’accentua. De la poussière dégringola du plafond. Un tremblement de terre, paniqua-t-il. Les ruines étaient trop anciennes pour supporter le choc, elles…
— Dehors ! cria la voix d’Ariana dans son dos.
Il se précipita vers l’extérieur à la suite des autres. Si le temple s’écroulait, ils seraient tous ensevelis. Une secousse plus forte que les précédentes le projeta au sol et une douleur sourde transperça son genou.
— Imbécile, siffla Vaios en empoignant son bras pour le remettre debout. Qu’as-tu fait ?!
Andrea serra les dents. Rien, il n’avait rien fait, si ce n’est tenter de lire les runes gravées sur les murs du temple ! Et tu as utilisé ta magie pour cela… Une bourrade dans le dos manqua de lui faire de nouveau perdre l’équilibre, une autre secousse, puis l’air tiède fouetta son visage alors qu’il sortait enfin du temple.
Qu’as-tu fait ?! Qu’as-tu fait ? Qu’as-tu fait…
Les membres de l’expédition s’étaient rassemblés sur la place, l’air hébété. Quelques bâtiments s’étaient fissurés, mais lorsque les secousses cessèrent enfin, rien ne s’était effondré.
— Qu’est-ce que c’était que ce bordel ? jura Tadeo.
Andrea reprit son souffle en tremblant, une main appuyée sur sa cuisse. Et une phrase retentit si fort dans son esprit qu’il crut qu’elle avait été prononcée à voix haute : « saîre Mineae, citā Teneos. »
J'ai trouvé les descriptions très agréables, je me suis senti bien en immersion dans le chapitre. C'est une bien belle visite des ruines, bien dépaysante !
J'ai hâte que les masques tombent avec Vaios.
A une prochiane !
Trop cool, ça m'a pris pas mal de temps de trouver comment je voulais faire toutes les descriptions, mais j'adore les ruines hehe.
À plus !
La reprise a eté difficule pour moi, ça ne vizbt pas de ton ecriture mais de la lingue période d'absence + le fait que je viens de finir de lire une histoire dans laquelle Andréa, Taddeo, artemisia sont aussi des noms de personnage, ce qui me confuse un peu (et je connais une 3ème histoire avec un andréa).
Bref, tout ça pour dire que je ne me rappelle plus bien ce qui se passe avant, mais je me rappelle les enjeux : un archipel est revenu, et il faut aller l'explorer. Je n'ai pas trop accroche au debut du chapitre, mais j'ai beaucoup aimé le developpement sur les ruines. Comme Edouard, plus de descriptions m'aurait enchanté :)
Un point de ressenti, je ne suis pas sûr de faire lanpart des choses entre ce qui existait avant la disparition et ce qu'il y a maintenant, ce qui est surprenant et ce qui ne l'est pas?
Enfin, le suspense est bien mené et j'espère que tu ne nous laisseras pas sur notre faim !
Merci et à bientôt!
Haha, tu as lu Tailleur d'images, Makara et moi avons le chic pour avoir des prénoms en commun sur nos histoires x)
Ravie que la découverte des ruines t'ait plu ! Comme je le disais à Édouard our les descriptions, j'en rajoute une couche dans le chapitre suivant donc j'avais peur que ça fasse trop ^^' Et concernant les ruines, eh bien elles n'étaies pas là du tout avant, elles étaient immergées donc elles n'ont encore jamais été explorées :)
Merci pour ton retour et à bientôt !
C'est encore un très chouette chapitre. J'avoue que j'aurais apprécié encore de description / détails au sujet des ruines, vu l'importance qu'elles ont pour le récit. En tout cas, c'est très cool de découvrir cet endroit. J'ai bien aimé les descriptions sur le vent, les oliviers...
Les manipulations de Vaios sont toujours très effrayantes pour Andrea, on voit l'impact terrible que ça a sur lui. Le simple fait de le voir, d'échanger quelques mots avec lui, c'est hyper destructeur. C'est bien de montrer ces interactions a priori anodines mais qui ne le sont pas.
Le lien avec Héméra et Andrea ne se développe pas autant qu'on aurait pu le croire après le sauvetage, ce qui est plutôt bien vu, un geste ne suffit pas à tout remettre en cause entre eux. Intéressant de voir Héméra verbaliser ses visions sous-marines, ça confirme qu'elles vont avoir de l'intérêt par la suite.
Très hâte du 9 !
Un plaisir de te lire,
A bientôt !
Alors, j’avoue que je rajoute une couche de descriptions dans le chapitre suivant, donc je ne voulais pas que ça fasse « trop » non plus ^^’ Tu me diras si ça te semble suffisant !
Complètement pour les interactions de Vaios, ça me semble important de montrer qu’il n’y a pas que les menaces et les humiliations qui affectent Andrea, la moindre remarque le terrifie. C’est vraiment un mécanisme extrêmement pernicieux.
Et oui, Héméra et Andrea ont encore du chemin à faire avant de s’entendre, mais il y a un (très) léger progrès dirons-nous xD
Merci pour ton retour et à bientôt !