*Emilie
J’écoute l’album d’Hoshi, assise, rêveuse sur mon lit. La chanson « La marinière » me fait penser à lui. C’est pas comme si j’avais besoin d’une excuse pour penser à lui d’ailleurs. Je me déteste pour ça, je me trouve faible et stupide. Ce n’est pas bon pour ma santé mentale tout ça … « Ne te découvre pas d’un fil, tu rendrais amoureux ton miroir » je chante. « Marinière …cherche son MarTin, prêt à rester sur terre rien que pour sa main … » Je m’en veux tellement, je suis en train de tomber sous le charme d’un connard arrogant. Je soupire profondément, consciente que le terme « connard » est loin de le définir. Je ne supporte tellement pas ce que je ressens pour lui que ça me rend folle et aigrie.
Mon portable sonne.
« Tu penses à moi ? »
Quand je disais qu’il était arrogant …
« Bien-sûr à chaque seconde de chaque minute de chaque heure. » je réponds, sarcastique.
« J’apprécie que tu ne mentes pas ;). »
Je souffle, l’égo dans les chaussettes. On plaisante mais s’il savait à quel point c’est vrai. Je ne suis plus une ado, s’attacher aussi vite n’est pas normal, non ? Et j’ai le sentiment que notre relation n’est pas équilibrée. Il m’écrit, il vient vers moi mais je n’ai pas l’impression de l’obséder comme moi je le suis par lui. Et ma fierté mal placée a du mal à avaler le morceau.
Jeudi soir, j’accepte d’accompagner Elsa chez Bastien. C’est difficile de lui dire non, elle est TRÈS insistante et ne lâche jamais le morceau avant d’avoir obtenu ce qu’elle veut. Mais le fait que la soirée soit en petit comité a fini de me convaincre.
Cela fait dix minutes que je suis installée sur le canapé de Bastien quand celui-ci vient s’asseoir à côté de moi, la mine contrariée.
- Ça ne va pas ?
Il siffle entre ses dents :
- Martin et Sylvia sont en train de ken dans ma salle de bain, ils abusent.
Cela me fait l’effet d’un coup de massue.
- T’es sérieux ?
- Ouai, franchement ils sont obligés de faire ça chez moi ? Ils pourraient au moins se montrer discrets..
Ce que je ressens est nouveau. Ce n’est pas de la jalousie, même s’il y en a sûrement un peu. Je suis dégoûtée. De lui, d’eux. Dégoûtée de ce qu’ils font. Le dégoût envahit ma poitrine et me laisse confuse et nauséeuse.
Alors, il n’a jamais été intéressé sérieusement par moi ? Il jouait seulement avec moi ?
Je … je suis déçue, frustrée et ..en colère contre moi-même. Parce que j’ai discuté avec un homme intelligent, sensible. Je ne pensais pas discuter avec un homme qui … Je suis tellement naïve. A quoi je m’attendais ? Un homme pour qui le sexe est une union sensuelle et romantique entre deux personnes ? I’m such an idiot !
Mon image de lui est salie, pervertie, rabaissée. Je me sens honteuse. Je l’ai idéalisé. Je me suis laissée aller à des rêveries d’adolescentes.
- Hé, what’ up ?
Martin me tire de mes réflexions alors que je suis debout devant le bar de la cuisine, un verre vide à la main, les yeux perdus dans le vague.
- C’était bon ? je demande d’un air absent sans daigner le regarder.
Il ne semble pas remarquer le ton de ma question.
- Oh on nous a entendu ?
Il remarque que je ne bouge pas et que mon verre reste vide. Il prend une bouteille d’alcool et commence à me faire un cocktail.
- J’ai l’impression que tu es contrariée, je me trompe ?
Je ne sais pas quoi lui dire. Mes émotions sont trop emmêlées. Mais la honte est peut être la dominante dans tout ce méli mélo. Je ne veux pas lui montrer.
- Est-ce que tu m’en veux ? il continue son mélange tout en me jetant des coups d’œil. Est-ce que tu serais jalouse de Sylvia ?
Mon visage s’échauffe et une envie terrible de le frapper surgit.
- Tu crois quoi, sérieux ?! What is wrong with you ?! Ce qui se passe entre toi et moi depuis quelques semaines c’est du flirt. Alors, certes, on n’est pas engagés l’un à l’autre, mais ça te paraît si étrange que ça que je sois « contrariée » que tu fasses l’amour avec une nana à quelques mètres de moi ?
- Woh, calm down Emilie. Déjà « faire l’amour » est un terme un peu ambitieux pour ce qui s’est passé dans cette salle de bain. On a juste pris du bon temps entre adultes consentants. Et oui, tu as raison, j’ai flirté avec toi. J’ai aimé ça, et j’ai envie de continuer. Tu m’attires et j’aime discuter avec toi. Et j’aimerais beaucoup passer du bon temps avec toi aussi, finit-il avec un sourire charmeur en me tendant mon verre.
- Tu crois que j’ai envie d’être la numéro 2 ou 3 de ta semaine ? Tu te prends pas pour de la merde. Je ne serai pas une conquête de plus. Asswipe !
Je vide son verre dans l’évier et quitte cette maison sans dire au-revoir à personne.
*Martin
Ça, c'était inattendu. Je n’ai pas pensé à mal en la draguant ces dernières semaines. J’ai juste agi naturellement. Je n’ai jamais été malhonnête avec elle. Mais c’est vrai que je n’ai pas pensé qu’elle interpréterait ça comme les prémices d’une relation amoureuse. Elle me plaît beaucoup. J’aime parler avec elle. Je pourrais le faire pendant des heures. Et son corps …bon dieu que j’aurais préféré que ce soit elle dans la salle de bain. Mais mes intentions ne vont pas plus loin. Je ne veux pas de relation sérieuse, avec personne. Sylvia est plus âgée que nous, elle sait ce qu’elle veut et ne se prend pas la tête, et ça me convient parfaitement. Quand elle m’a fait du rentre-dedans tout à l’heure, mon instinct a pris le dessus, et je n’ai pensé à rien d’autre.
- Tu as vu Emilie ?
Elsa passe sa tête dans l’encadrement de la porte.
- Elle vient de partir, je crois …, je dis un peu penaud.
Elle fronce les sourcils.
- Tu as fait quelque chose ? elle demande menaçante.
Je ne sais pas quoi répondre à cette question.
- Il se pourrait qu’elle soit en colère contre moi. Mais je ne l’ai pas touché ou quoi si c’est ta question.
- Toi et moi on va pas être potes si j’apprends que tu n’as pas été correct avec ce p’tit ange, elle se contente de dire avant de tourner les talons.
Je soupire. Call it a day. Je rentre chez moi.
Le lendemain en cours, Emilie m’ignore royalement. Elle ne fait même pas semblant. Le week-end suivant, pouvoir lui parler, ou la taquiner, me manque. Mais elle ne donne réponse à aucun de mes appels. En fin d’après-midi je ne tiens plus et décide de me rendre chez elle.
A l’interphone, c’est une voix féminine que je ne reconnais pas qui me répond.
« Euh bonjour, est-ce que Emilie est ici ? »
« Ça dépend qui c’est » glousse la voix.
Merde elle va pas me laisser la voir ?
« C’est Martin, mais on dirait que c’est pas mon jour de chance ! »
J’entends discuter en fond sonore.
Un léger « non Clara ! » parvient à mes oreilles.
« Première porte à droite » me dit-on joyeusement.
Elle déverrouille la porte et je monte les escaliers. Une brune légèrement plus grande qu’Emilie, mais qui semble plus jeune, m’attend à la porte, un grand sourire aux lèvres.
- Alors, dis-moi Martin, c’est à cause de toi qu’elle fait la gueule depuis deux jours ?
- Putain Clara …, ronchonne la douce voix d’Emilie.
Elle rejoint la porte et d’un regard courroucé, indique à la jeune fille de déguerpir. Celle-ci glousse et nous laisse seuls.
- On peut parler, s’il te plaît ?
Je ne souris pas, je tente de la jouer humble.
Elle hésite et sort de l’appartement pour plus d’intimité.
- What do you want ? elle demande une fois qu’on est dans le couloir.
- Écoute Emilie, je suis désolé de ce qui s’est passé. Je n’imaginais pas que tu voyais les choses comme ça. Je ne cherche pas du tout de relation sérieuse…
Elle rougit.
- Je réalise maintenant que j’aurais dû être plus clair sur mes intentions, excuse-moi.
- Alors quoi, j’étais juste un jeu pour toi ?
- Pour être honnête, je pensais que c’était un jeu pour nous deux ...
- Donc, en fait tu voulais juste coucher avec moi en finalité ? me coupe t-elle.
- Je vais pas mentir : oui. Je voulais et je veux toujours coucher avec toi. Je ne t’ai jamais caché mon attirance pour toi. Mais ce n’est pas « juste » ça. J’aime aussi nos joutes verbales. J’aime te taquiner, j’aime passer du temps avec toi tout simplement. J’aimerais continuer ça.
Elle grimace, ne semblant pas convaincue
- Je ne sais pas. Je suis assez déconcertée. Je ne pensais pas que tu étais … que tu … Je te trouvais intelligent et …sensible.
Elle paraît mal à l’aise.
- Oh je vois, et c’est incompatible avec le fait d’aimer le sexe, c’est ça ?
- Non ! Non …, balbutie-t-elle embarrassée.
Je souris.
- J’ai le sentiment que tu accordes beaucoup trop d’importance au sexe. It’s not a big deal.
- Je …je ne suis pas d’accord.
Et soudain ça m’apparaît comme une évidence. Est-ce qu’elle ne serait pas vierge, par hasard ? C’est loin d’être rare, la première année d’université, mais on m’a dit qu’Emilie avait 19 ans, comme moi.
- Je vais peut-être dire une bêtise, mais … j’ai l’impression que tu es inexpérimentée dans ce domaine, je me trompe ?
Wouah, cette fois elle est tellement rouge que j’ai l’impression que les veines sur son visage vont péter.
- Hé ce n’est pas grave t’inquiètes pas, et ça restera entre nous. Mais tu ne devrais pas idéaliser le …sexe.
- Je peux t’aider à expérimenter si tu veux, j’ajoute avec un petit rictus en coin, histoire de la faire réagir un peu.
Elle me fusille du regard et me tape la poitrine des deux mains.
Bingo.
- Je plaisante Emilie.
- Enfin à moitié, j’avoue avec un petit sourire sincère. Bon, est ce qu’on peut continuer à échanger des messages toi et moi alors ?
- Je sais pas Martin …
- Alright ! je fais l’air triomphant.
Ses poumons se dégonflent.
- Okay …BUT ! elle m’interrompt. Je préfère être claire, je ne serai JAMAIS une Sylvia pour toi. Jamais. Tu devras te contenter de mon amitié.
- Je n’ai pas d’amie fille..
Elle me lance un regard menaçant.
- …mais je veux bien essayer ! je me rattrape avec un sourire charmeur.
- Bon j’y retourne, j’ai du travail, on se voit lundi en cours, dit-elle en ouvrant la porte sans me regarder.
Étrangement, qu’elle mette de la distance avec moi me serre le cœur.
Plus tard, chez moi, je ne sais pas trop quoi penser de cette nouvelle information. Emilie n’a jamais connu d’intimité avec un homme. Pourtant, mon flirt avec elle était parfois très équivoque et ça n’avait pas l’air de lui déplaire ou de l’effrayer, sauf peut-être l’épisode de la rivière. Je n’aurais jamais pensé à ça, tiens. Ça transforme un peu l’image que je me faisais d’elle. Mes fantasmes avec elle se retrouvent forcément changés. Mais force est de
constater que je nourris toujours des fantasmes à son égard. Ils sont juste différents … Je vais avoir du mal à ne pas la taquiner davantage sur le sujet. Même si j’apprécie les moments de sexe que je partage avec les étudiantes d’ici, titiller Emilie est de loin plus excitant. J’espère juste qu’elle me laissera l’occasion de me rapprocher d’elle à nouveau… J’ai le cœur lourd d’avoir perdu ce quelque chose que j’avais gagné avec elle.