Allongée dans mon lit, je regardais le plafond de ma chambre en silence. Les constellations que j’y avais peintes semblaient briller à la lueur de la lune.
Mais le sommeil ne venait pas.
Je soupirai.
En me tournant sur le côté, je vis les jumelles étendues dans l’océan d’oreillers moelleux qu’elles avaient installés un peu plus tôt. Je leur avais bien proposé de dormir avec moi dans ce si grand lit que père avait tenu à m’acheter des années plus tôt, ou simplement un matelas, mais elles avaient refusé, préférant se vautrer dans leur nid de coussins de soie et de velours.
En les regardant ainsi enlacées, les membres emmêlés dans des positions si étranges, je pressentais de forts regrets de leur part au réveil. À tous les coups, elles viendraient pleurer dans mon giron, le corps ankylosé d’avoir dormi ainsi.
La nostalgie m’avait envahie en les voyant installer leur lit de fortune. Cela me rappelait les soirées pyjama que nous organisions autrefois. Quand les jumelles racontaient des histoires tantôt merveilleuses, tantôt effrayantes et que Meryl, du haut de ses six ans les reprenait sur leur langage. Je me souvenais encore de Calista insistant pour nous faire défiler avec les robes de mère qu’elle avait subtilisées, nous aidant à les enfiler et nous montrant comment marcher élégamment alors que Marietta nous coiffait comme des princesses. Puis, quand la soirée était bien avancée, nous nous blottissions les unes contre les autres dans un même fouillis de couvertures et d’oreillers. Nous ne formions alors plus qu’une seule et même entité, tout de bras et de jambes emmêlés. Et, au matin, nous découvrions Rihite qui nous regardait, amusé, alors que nous nous débâtions laborieusement pour nous lever.
Je souris à ce souvenir. Cela me semblait si loin à présent…
Évidemment, les jumelles étant ce qu’elles étaient, elles avaient passé la soirée à essayer de me faire jouer aux cartes. Et, bien que j’aime le jeu des Douze Cours, je ne me sentais pas d’humeur à me faire plumer par ces deux joueuses émérites. Il me fallut batailler une bonne heure après mon retour dans la chambre avant qu’elles n’abandonnent enfin et partent se coucher. Juste avant que les ronflements de mes sœurs ne retentissent, j’avais pu entendre Marietta retourner dans sa chambre.
Dans le noir, je me demandais comment elle allait. L’entendrai-je à nouveau pleurer cette nuit ? Elle semblait si fatiguée…
Je triturai la clé d’Asling entre mes doigts, songeuse. J’en sentais le pouvoir me parcourir les phalanges par vagues. En me tournant vers la lune qui décroissait, je me demandai ce que pouvait bien faire le Dieu des Rêves en ce moment, s’il savait que j’avais une de ses clés en ma possession, s’il était celui qui me l’avait offert par le biais de mon père.
Je soupirai, replongeant un regard sur mon plafond constellé. Je m’ennuyais. Le sommeil me fuyait depuis plus d’une heure maintenant et ma fatigue me hantait. Au-dessus de ma tête, la constellation du Rêveur semblait me narguer.
— Chanceux… grinçai-je avec amertume.
Incapable de dormir, je décidai de me tourner vers les songes des autres. Je fermai les yeux et, quelques instants plus tard, je retrouvai mon corps astral. Aussitôt je sentis les murmures des rêves de toute la maisonnée m’assaillir. J’entendais les jumelles rêver de leur prochaine invention, quelque chose d’à peine moins dangereux que leur locomotive. Je secouai la tête.
Ma peau brilla d’argent sous la lune et je me surpris à me demander si elle étincellerait du même gris au soleil. Je remarquai alors, avec un certain étonnement, que la clé d’Asling semblait bien réelle à mon cou. En me tournant vers mon corps physique, profondément endormi, je sentis un frisson me parcourir.
La clé n’y était plus.
Elle ne s’était pas dédoublée comme ma chemise de nuit, elle n’avait pas pris un aspect fantomatique comme mon corps. Elle était solide, elle était réelle.
Je portai une main tremblante à ma poitrine, soulevant la clé entre mes doigts. Elle était chaude et je sentais comme un cœur pulser à l’intérieur. Un papillon s’en échappa et voleta tout autour de moi, ses ailes bleues bordées de noir. Magnifique… pensai-je en tendant une main timide vers lui. Mais le morpho bleu s’évanouit à mon touché, comme un rêve.
En la relâchant, je sentis la clé cogner lourdement contre ma poitrine. Et la peur me noua soudain l’estomac. Pouvais-je… pouvais-je vraiment la garder au cou ? Et au fond, le voulais-je seulement ?
Comme pour répondre à mes questions muettes, une nuée de papillons aux ailes bleues et violettes s’échappa du paneton de la clé, m’entourant, m’accompagnant dans le couloir. Un sourire illumina mon visage. Ils étaient si beaux ! C’était comme si le Dieu des Rêves lui-même m’accompagnait, me donnait sa permission. Comme s’il me confirmait que j’avais le droit de me servir de ce don que j’aimais tant.
En parcourant les longs couloirs du manoir, suivant les papillons d’Asling, je percevais chacun des rêves qui m’entouraient avec une netteté surprenante. Là, Liam rêvait de grandes aventures à bord d’un navire pirate dont les rires retentissaient avec force. Plus loin, j’entendais Calista chanter avec son prince charmant dans son beau château. Je sentais le parfum des champs que Marietta traversait en riant, entouré de nous tous, tandis que, quelques portes plus loin, Vitali rêvait à sa prochaine aventure dans les Terres de l’Hiver.
J’avais la sensation de flotter, sautant, tournoyant sur moi-même. Je me sentais légère, si légère…
Père ne dormait pas encore, je le soupçonnais d’être plongé dans ses papiers tandis qu’au deuxième étage, mère rêvait des plaines verdoyantes de son enfance, un parfum de nostalgie embaumant tout l’étage.
Quelque part au-dessus de ma tête, je pouvais entendre Rhen s’agiter dans son lit. Il ne dormait pas. À quoi pensait-il ? Craignait-il que Calista n’entre dans sa chambre ou se demandait-il s’il devait vraiment rester avec nous pour les Sélénites ? La pensée qu’il s’en aille m’attrista plus que je ne pensais.
Je me détournai. Je devais m’éloigner, je voulais m’éloigner du manoir et du tumulte de tous ces rêves. Je voulais…
En suivant les papillons d’Asling, je me retrouvai dans la galerie des portraits. Un rayon de lune éclairait celui de mon frère, Rihite. Je m’en approchai et les souvenirs m’assaillirent. Le peintre avait si bien travaillé qu’on aurait pu croire Rihite bien présent. À tout moment, je m’attendais à voir le coin de ses lèvres se relever en un grand sourire avant qu’il ne traverse la toile pour me retrouver.
— J’aimerais tellement que tu sois là… murmurai-je en effleurant la toile du bout des doigts.
Je sentis la clé d’Asling chauffer contre moi. En la regardant, je vis ses diamants scintiller doucement, comme de petits cœurs battants. Quand je relevai les yeux, une porte apparut sur ma droite. Je reculai, l’observant avec attention.
Elle était grande, plus grande que celles que j’avais l’habitude de traverser. Son battant avait la couleur de l’aube et des nuages semblaient y flotter. Sa poignée d’or était gravé d’arabesques dont la finesse me fascina. Alors que je m’apprêtais à la toucher, hypnotisée, les papillons qui m’entouraient fondirent sur elle. Un battement de cil plus tard, la poignée se retrouva couverte de papillons aux ailes dorées.
Bizarrement, la porte ne s’ouvrit pas à mon approche. Et j’eus beau en agiter la poignée, celle-ci resta obstinément fermée.
Je ne comprenais pas. Il s’agissait pourtant d’une porte à rêve, j’en reconnaissais le pouvoir. Alors, pourquoi me refusait-elle le passage ? Depuis ma plus tendre enfance, les portes d’Asling m’ont toujours été ouvertes.
En reculant pour mieux l’étudier, je remarquai sa serrure, puits de ténèbres sur fond d’or. Mon regard coula vers la clé autour de mon cou. Était-ce possible ?
Au moment même où mes doigts se posèrent de nouveau sur la clé, celle-ci se détacha de sa chaîne. Je l’approchai alors de la serrure et ouvris de grands yeux quand, dans ma main, je la vis changer de forme. D’argent elle passa à or. Les arabesques de sa tête se muèrent en un papillon doré finement ciselé dont les petits diamants – qui formaient autrefois la constellation du Rêveur – brillaient à présent aux bouts de ses ailes. Seuls l’inscription sur la tige et le paneton restèrent les mêmes.
J’observai longuement la clé sans y croire avant de me tourner vers la poignée, émerveillée. En la glissant dans la serrure, j’entendis un clic sonore. Puis la clé tourna d’elle-même et la porte s’ouvrit enfin. Alors que je la retirai de la serrure, elle reprit sa forme originelle et vint se raccrocher à sa chaîne.
Sur le pas de la porte, j’hésitai un instant et jetai un regard au portrait de mon frère. La lune semblait faire briller ses yeux. J’entendis alors le son des vagues qui s’étendent sur la plage et me retournai. Le rêve de Marietta avait changé de paysage. Mon cœur rata un battement en entendant la voix qui retentit alors. La voix de Rihite.
Je plongeai en avant, m’engouffrant dans le passage.
De l’autre côté, je me retrouvai dans une pièce des plus étranges. Un concert de tic et de tac incessant m’accueillit. En regardant autour de moi, je ne vis qu’un monceau d’horloges et de montres de toutes les tailles et de toutes les formes. De la plus petite en forme de cœur à la plus grande en forme de château fort.
La pièce était immense et si encombrée de bric et de broc qu’il m’était difficile de progresser. Cela me rappela le désordre qui régnait dans la chambre des jumelles avant qu’elle n’explose. Le rêveur paraissait pour le moins désorganisé. Ou du moins, ses pensées.
Un peu plus loin, je m’arrêtai net devant un immense portrait représentant une jeune femme de toute beauté. Ses yeux étaient d’un bleu outremer que je ne connaissais que trop bien et ses cheveux d’un brun familier. Elle avait la peau claire et portait à la poitrine une belle-de-nuit d’argent, le blason de notre famille.
— Grand-mère Cordélia…
Elle paraissait froide et distante, le regard sévère et la bouche pincée. Mais, plus j’approchais, plus le portrait se déridait, affichant à présent un doux sourire. Elle était magnifique.
Juste en dessous, je remarquai un jeune homme penché sur son établi. Il travaillait sur une montre à gousset géante ornée de sabliers qui ne cessaient de tourner à chaque tic. Je sentis mon cœur se serrer en le reconnaissant. Il était bien plus jeune, mais impossible de se tromper.
— Grand-père…
Il leva subitement les yeux et je bondis sur le côté, me cachant derrière une imposante comtoise de bronze. Je le vis alors se tourner vers l’immense tableau et lui parler. Je crus que mon cœur allait exploser en voyant la peinture se tourner vers lui et lui répondre. Grand-mère Cordélia posa un regard empli d’amour sur son époux et, pendant une folle seconde où seul le tic-tac des mécaniques alentours se faisait entendre, j’eus l’impression qu’ils se parlaient réellement, que grand-mère pouvait communiquer avec lui depuis l’autre monde. Ma gorge se serra et je préférai me détourner.
Avant de partir, je ne pus m’empêcher de jeter un dernier regard en arrière. Grand-père semblait tellement heureux… Je ne l’avais encore jamais vu sourire ainsi.
Grand-mère Cordélia était morte bien avant ma naissance, avant même le mariage de mes parents. Grand-père Wendel en avait été anéanti. Dès lors, il se terrait dans une cabane sur la colline non loin du manoir. Il s’était comme éteint, souriait à peine et se complaisait dans le silence et la solitude. Il venait parfois nous rendre visite, surtout pour les fêtes, mais, la plupart du temps, il demeurait seul. Les jumelles lui rendaient souvent visite pour lui poser des questions. Ancien horloger de talent, elles avaient pris de lui cette passion dévorante pour la mécanique.
La porte reparut et je me précipitai vers elle, désireuse de m’éloigner ; j’avais l’impression d’avoir surpris une scène d’intimité à laquelle je n’aurais pas dû assister. Mais cette fois-ci, j’en reconnus l’aspect et la clé à mon cou resta silencieuse.
Je traversai.
Je passai ainsi de porte en porte, parcourant rêve après rêve sans m’arrêter. Aucun de ceux que j’avais croisés ne me semblait intéressant. J’avais besoin de m’amuser, d’oublier tout ce qui me hantait. Je voulais…
La porte suivante était de toute beauté, tout en dorures et bois d’ébène. En la voyant, je sus que j’avais enfin trouvé ce qu’il me fallait et la traversai sans hésiter.
De l’autre côté, je me retrouvai plongée au milieu d’une splendide salle de bal. Partout où mon regard se posait, je ne voyais que murs d’obsidienne et tapisseries couleur de nuit. Des colonnes de jais veinées d’or entouraient une piste de danse de marbre blanc tandis qu’au-dessus de nos têtes, trônant à plusieurs mètres de hauteur, se trouvait le lustre de cristal le plus majestueux que je n’avais jamais vu.
Autour de moi, une foule de courtisans élégamment vêtus dansaient sur les dernières notes d’un quadrille endiablé. Un bal masqué, réalisai-je en découvrant les loups colorés derrière lesquels se cachaient les nombreux visages qui m’entouraient. En parcourant la salle, émerveillée, je finis par croiser mon reflet dans un grand miroir. Un sourire étira mes lèvres en découvrant la tenue dont le rêve m’avait parée.
Ma jupe, d’un bleu roi envoutant, était couverte d’un voile de mousseline noire piquetée d’argent, pareil à un manteau de nuit. Des manches de dentelles noires couvraient mes bras alors que de fines broderies d’argent dessinaient des constellations sur mon bustier. Un ruban de velours noir entourait mon cou et, accroché à celui-ci, la clé d’Asling scintillait discrètement. Mes cheveux bruns étaient en partie relevés en un chignon élaboré dont les boucles étaient retenues par des épingles en forme de minuscules étoiles de diamants. Sublimant le tout, un splendide loup couleur de nuit me couvrait les yeux, ses extrémités décorées de fausses ailes de morpho bleu.
J’étais méconnaissable.
Et j’adorais ça.
Il ne me fallut pas longtemps pour découvrir qui était la rêveuse. Je reconnus tout de suite les manières si élégantes de cette danseuse dont le passage repoussait le flou du décor. Il devait s’agir d’une jeune aristocrate rêvant de faire ses débuts dans la société. Sans doute une fille d’Aramore, au vu de ses vêtements rouges et or. Elle me fit penser à Calista. Ma sœur aurait bien eu sa place à la capitale des Terres d’Amore.
Mais au fond, peu m’importait d’où elle venait ou qui elle était. Il me suffisait de rester discrète, de ne pas m’approcher et je n’aurais plus qu’à profiter.
Quand le quadrille toucha à sa fin, un jeune homme habillé tout de blanc et d’or me proposa sa main. Je la pris avec un sourire et ensemble, nous rejoignîmes la valse qui commençait à être jouée.
J’adorais ce genre de rêve où je pouvais danser toute la nuit sans craindre les ampoules, la fatigue ou les courbatures au matin. Il n’y avait pas de couvre-feu instauré par père, pas de chaussures usées jusqu’à la corde à remplacer, pas de jumelles facétieuses à surveiller. Il n’y avait que moi et la joie de m’amuser des heures infinies, passant de bras en bras sans que personne ne me reconnaisse ni ne se souvienne de moi.
Le plus drôle, c’était qu’ici le temps n’avait pas d’emprise. Cette fille qui tournoyait non loin allait se réveiller au matin en se disant que son rêve n’avait duré qu’une danse, à peine un instant. Alors que moi… moi je me souviendrai de ces nombreuses danses, de ces valses et ces quadrilles enivrants. Demain au réveil, je me souviendrai de chacun des jeunes hommes avec qui j’avais dansé, tout en sachant que personne ne le saurait jamais.
Je dansais ma deuxième valse quand je remarquai un homme un peu à l’écart dans un coin de la pièce. Il avait l’air ténébreux et, alors que nous passions à proximité de lui, je remarquai avec effroi que son regard me suivait.
Mon cavalier me fit tournoyer. Quand je revins dans ses bras, l’homme avait disparu. Un frisson me parcourut l’échine alors que je le cherchais frénétiquement dans la foule, tâche sombre dans une marée de couleurs. Mais rien. Il s’était comme… volatilisé.
J’essayai de me convaincre que je me faisais des idées, que je n’avais rien à craindre. Peut-être le rêve se jouait-il de moi, peut-être n’était-ce qu’une hallucination, une manifestation de mes craintes, rien de plus. À l’autre bout de la pièce, la rêveuse dansait toujours.
Pourtant, au fond de moi, je sentais bien que quelque chose clochait. Cet homme, tout comme moi, n’était pas le fruit de ce rêve, j’en étais persuadée. Je sentis la peur m’envahir à cette pensée, venimeuse et glacée. Mon estomac se contracta et j’eus soudain la sensation que des centaines d’yeux me fixaient. Une sueur froide me coula dans le dos. Je commençai à étouffer, paniquer. J’eus brusquement envie de fuir, de retrouver la sécurité de mon lit.
Alors je lâchai abruptement mon partenaire et me frayai un passage dans la foule. Je n’eus pas besoin de me retourner pour savoir que le danseur s’était trouvé une nouvelle cavalière. Je savais que le rêve avait fait le nécessaire pour remplacer ce trou dans sa toile.
Je m’enfonçai dans la foule, cherchant désespérément du regard la porte par laquelle j’étais arrivée. Quand je la vis enfin se profiler à l’horizon, je sentis le soulagement m’envahir. Mais, alors que j’étais sur le point de l’atteindre, une main se referma sur mon poignet et me tira en arrière.
Surprise, je trébuchai sur ma robe et tombai dans les bras de celui qui m’avait retenu. En relevant les yeux vers l’inconnu, je sentis mon souffle se couper et la terreur m’envahir. L’homme en noir se dressait au-dessus de moi, un sourire de chat aux lèvres.
— Une danse ? me proposa-t-il en m’emportant sur la piste.
J’étais tétanisée alors qu’il me guidait d’autorité dans une nouvelle valse, me serrant contre lui comme pour m’empêcher de fuir. Notre danse me parut durer une éternité. Je le détaillai, la gorge nouée. Sa peau était encore plus pâle que la mienne, d’un blanc laiteux. Ses cheveux, tout aussi sombre que le reste de son habit, n’étaient que boucles d’obsidienne cachant en partie ses yeux aux miens. De près, je remarquai que son costume, complètement noir, était décoré d’un brocart aux motifs de papillons de nuit que je n’avais encore jamais vu. Son masque, tout aussi obscur, semblait fait de plumes de corbeaux.
Il se dégageait de lui quelque chose de lugubre, d’inquiétant. Et j’eus beau chercher son regard, je ne croisais que les ténèbres de son masque.
Nous dansions à présent au centre de la piste, mon cavalier se fichant apparemment éperdument de la rêveuse que nous étions en train d’éclipser de son propre rêve. Je le voyais repousser les autres danseurs, les faisant voler en poussière comme s’ils n’avaient jamais existé. Il se fichait de ce qui l’entourait, c’était comme s’il ne voyait que… moi.
Et cette pensée me terrifia.
— Tu n’es pas issue de ce rêve, finit-il par me susurrer à l’oreille, les plumes de son masque me chatouillant la joue.
Je me raidis à ses mots et un sourire torve étira ses lèvres blêmes.
— Je t’ai enfin trouvée.
Il me serra si fort contre lui que j’eus la sensation d’étouffer. Et quand nos regards se croisèrent enfin, je sentis mon sang se glacer dans mes veines. Ses yeux, complètement noirs, n’avaient de couleur que leurs iris violacées. Les mêmes iris que les miennes. Les mêmes que celles d’Asling.
Nous nous arrêtâmes brusquement de danser, mais je fus incapable de faire le moindre geste alors que ma conscience me hurlait de courir. Les larmes me montèrent. Les mêmes yeux violets que le Dieu des Rêves à une différence près.
Non, je ne pouvais pas me tromper. L’homme en face de moi, celui qui louchait à présent avec un sourire ravi sur la clé d’Asling autour de mon cou ne pouvait être que…
— Ciaran…
Son sourire ne s’en trouva que plus grand à mes mots. Je vis ses yeux pétiller. Il paraissait enchanté, au comble du bonheur même. Alors que moi… moi j’étais pétrifiée, terrifiée. Le Dieu des Cauchemars… je venais d’attirer l’attention du Dieu des Cauchemars !
Marietta avait raison, me dis-je alors que les larmes coulaient pour de bon, retenues par mon masque. Marietta avait raison… Je n’aurais jamais dû venir, je n’aurais jamais dû venir…
Mais, alors que je m’enfonçais de plus en plus dans ma peur, je vis Ciaran se pencher sur moi, plongeant son regard dans le mien.
Il s’opéra alors quelque chose d’étrange. Mes muscles se détendirent, mes larmes cessèrent de couler et mon corps de trembler. Je sentais ses mains glisser dans mon dos pour m’attirer à lui. Et, serrée tout contre lui, je sentis mon esprit s’embrumer. Était-ce si grave s’il m’avait remarquée ? J’avais soudain tellement envie de l’enlacer à mon tour, mais mes bras étaient si lourds…
Ciaran était si proche à présent que nos lèvres se frôlèrent. Et, pendant une folle seconde, j’eus très envie qu’il comble enfin cette distance. Je voulais sentir ses lèvres sur les miennes, son souffle sur ma peau. Je voulais…
Recule.
Le mot retentit en moi comme un coup de tonnerre. Mes yeux s’ouvrirent grands alors que je me réveillais brusquement. Venait-il de m’hypnotiser ? Non, je ne voulais pas le savoir.
Avant même que Ciaran ne le réalise, je le repoussai violement. Il tituba en arrière, surpris par mon geste. Le souffle court, je ne perdis pas un instant et courus vers la porte aussi vite que mes jupons et mes talons me le permirent.
Hébété, il fallut une demi-seconde de plus au dieu pour réaliser que j’étais en train de lui échapper. Quand il se jeta en avant pour m’attraper, je fondis sur la porte et la traversai avant de me plaquer contre elle pour la claquer.
Je reculai alors de plusieurs pas, mon cœur battant la chamade. J’avais tellement peur qu’il ne la traverse, qu’il n’apparaisse soudain devant moi, déchaînant sa folie meurtrière sur moi pour cet affront.
J’attendis un moment. Une éternité passa mais rien de ce que mon esprit paniqué n’avait imaginé ne se produisit. Après mon passage, la porte s’évapora, comme d’habitude. Et rien à part ma respiration erratique ne vint troubler le silence de la nuit.
Ce ne fut qu’à cet instant que je réalisai que la porte m’avait ramenée dans ma chambre. Épuisée, je n’attendis pas une seconde de plus et replongeai dans mon corps. J’ouvris instantanément les yeux et bondis hors de mon lit. Les cheveux emmêlés, le souffle court, il me fallut un moment pour remettre mes idées en ordre. Les images du bal tournaient encore si vivement dans mon esprit…
Je serrai les dents en me souvenant du regard si particulier du Dieu des Cauchemars. Mes yeux glissèrent sur le poignet qu’il avait attrapé pour me retenir. Je me figeai, levant ma main à la lumière de la lune. Je sentis la nausée monter en même temps que les larmes.
Je ne l’avais pas remarqué tout de suite, mais la poigne du dieu avait été plus forte que je ne pensais. Et comme souvent avec les mauvais rêves, elle laissa une trace. Un anneau violacé faisait le tour de mon articulation, comme la plus sinistre des confirmations.
Je m’effondrai dans mon lit en la regardant. Comment allais-je pouvoir expliquer ça à Marietta ? Je ne pourrais pas le cacher, pas dans cette maison où rien ne restait secret très longtemps… C’était impossible, elle finirait par le voir. Et à ce moment-là, que pourrais-je bien lui dire ?
Les larmes affluèrent à mes yeux et je les laissai couler. Au dehors, il faisait encore nuit, l’aube ne se lèverai pas avant plusieurs heures, mais je n’avais pas sommeil. À la place, je me roulai en boule dans mes couvertures et fixai le mur qui avait accueilli la porte du bal jusqu’au matin, triturant nerveusement cette clé qui me semblait traître.
Je ne devais plus la porter en rêve, ni l’utiliser. Mais je ne pouvais pas la laisser n’importe où non plus, ce serait bien trop dangereux. Je n’arrêtai pas de me rejouer la scène, essayant de comprendre à quel moment j’avais commis une erreur et quelle avait été-t-elle ? Ça n’était pas normal, personne n’aurait dû me remarquer…
Mon regard glissa alors avec horreur sur la clé que je ne cessai de tripoter. Je me mordis les lèvres. J’aurais tant aimé la jeter, mais je m’en retrouvai incapable. Cette clé, c’était un héritage de mon Dieu de Naissance, je ne pouvais pas la perdre comme les autres clés furent perdues dans le temps. Elle était bien trop précieuse.
— Cadeau empoisonné… murmurai-je avec amertume.
Dans leur lit improvisé, les jumelles dormaient profondément. En les regardant si paisibles, je sentis la culpabilité me nouer la gorge. Je serrai plus fort la clé dans ma main, priant Asling de me venir en aide. Les larmes redoublèrent, silencieuses, douloureuses.
Qu’avais-je fait ?
Je me souviens de ma perplexité lors du chapitre où pareil, Adaline avait des blessures au poignet : pourquoi ne met-elle pas des manches longues ? des gants ? un bracelet ? y a plein de façons de cacher et de justifier des blessures au poignet. Là-dessus, je trouve la protagoniste étonamment peu débrouillarde.
J'avoue que j'ai trouvé les rêves de chacun et chacune très stéréotypés, trop à mon gout. Je trouve que cela contribue à rendre les personnages relativement unidmensionnels : les jumelles ne s'intéressent qu'à faire des bêtises et de la mécanique, Meryl à lire, etc, etc. Je ne peux m'mpêcher de trouver cela un peu dommage.
Le point fort du chapitre ,c'est bien sûr le fait que l'intrigue se relance. Pourquoi le dieu des cauchemars semble être juste un mec lubrique ? pour le coup je trouve que c'est relativement stéréotypé aussi^^ mais je te laisse le bénéfice du doute, l'histoire peut encore me surprendre !
J'ai bien aimé les rélfexions que se fait Adaline en arrivant au bal masqué. ça justifie son envie de vouloir toujours entrer dans les rêves malgré le danger, c'est ce qui la fait se sentir spéciale et qui lui permet d'avoir des moments rien qu'à elle. ça lui donne un peu d'épaisseur, après ces quelques chapitres où, finalement, je n'ai pas eu l'impression d'apprendre grand-chose de neuf sur elle.
Plein de bisous !
Sacré chapitre ! Intrigues et rebondissements, enfin on en arrive à cette fichue clé !!!!! Finalement, le mot cadeau pour la désigner n’était pas vraiment approprié. x) Elle reste encore bien mystérieuse à mes yeux, néanmoins j’ai comme l’impression qu’elle attire une certaine personne pas très sympathique.
Pouce en l’air pour les anecdotes disséminées, et les nouvelles questions que je me pose maintenant(ah bah bravo, non mais!) sur les grands-parents d’Adaline
Le Dieu des cauchemars a l’air sacrément classe ! Je suis sadique envers Adaline si je souhaite le revoir ? xD Ce petit bal était, ma foi, fort sympa. J’ai bien aimé l’ambiance qui s’en dégageait. Pour revenir sur Ciaran. Je trouve son introduction dans l’histoire bien.
Les descriptions sont toujours au top. Je note tout de même, dans ce chapitre, une profusion de « mais » et de « et » pas de plus utiles. J’en ai signalé pas mal.
Mes remarques :
Mais le sommeil ne venait pas. => « mais » en trop
jeu de carte populaire où mettant en scène les Cours des douze Dieux Primordiaux => « où » entre trop
Et, juste avant que les ronflements de mes sœurs ne retentissent, j’avais pu entendre Marietta retourner dans sa chambre. => « et » en trop
Là, Liam rêvait de grandes aventures à bord d’un navire pirate dont les rires retentissaient avec force. => formulation un peu bizarre. Peut-être faudrait-il déplacer la fin dans ce genre là : « Là, Liam, dont les rires retentissaient avec force, rêvait de grandes aventures à bord d’un navire pirate. »
Vitali rêvait à sa prochaine aventure => rêvait de sa prochaine aventure ?
Ma sœur aurait bien eu sa place à la capitale des Terres d’Amore. => j’ai l’impression qu’il manque un truc ici. La connexion avec la phrase d’avant est, je pense, un peu maladroite.
Mais au fond, => « mais » en trop
Et à cette pensée => « et » en trop
se fichant apparemment éperdument de la rêveuse que nous étions en train d’éclipser de son propre rêve. Je le voyais repousser les autres danseurs, les faisant voler en poussière comme s’ils n’avaient jamais existé. Il se fichait de ce qui l’entourait, c’était comme s’il ne voyait que… moi. => répétition de « se ficher »
Et cette pensée me terrifia. => « et » en trop
Et quand nos regards se croisèrent enfin, => « et » en trop
de mon cou il ne pouvait être que… => « il » en trop
essayant de comprendre à quel moment j’avais commis une erreur et quelle avait été-t-elle ? => quelle était-elle ?
C’est tout pour moi !
Ce chapitre fait avancer un peu l’intrigue, et ça c’est cool ! J’ai eu l’impression de le lire plutôt rapidement, alors qu’il est quand même censé être long, ce qui est bon signe.
Un plaisir !
À Bientôt :)
Merci aussi pour tes remarques, avec ta liste je me rends un peu mieux compte de l'ampleur des "mais" et des "et" en trop ^^' j'irai relire ça bientôt !
Pour ce qui est de Ciaran, je suis vraiment contente qu'il te plaise, personnellement c'est mon personnage préféré donc, non, tu n'es pas sadique envers Adaline de vouloir le revoir x)
Et pour ce qui est de la formulation quant au rêve de Liam que tu as formulé, en fait les rires de viennent pas de lui, mais des pirates qui l'entourent, c'est peut-être un peu maladroit en effet il faudra que je relise tout ça.
Encore merci pour ton commentaire ^^ ça me fait super plaisir :)
A bientôt !
Honnêtement, non seulement la longueur du chapitre ne m'a pas dérangé, mais en plus je pense que c'est préférable pour ce genre d'histoire. En multipliant les personnages et mystères, ton histoire a déjà pris pas mal d'ampleur et c'est normal que cela nécessite des chapitres plus longs. Plus court, ça amènerai deux problèmes : soit tu n'as pas le temps de faire avancer l'histoire/faire progresser les personnages (ce qui est un peu ce que je rapproche au chapitre précédent qui d'ailleurs était très court), soit tu dois grandement accélérer le rythme au risque de perdre le "naturel" de ton écriture. Perso, cela me paraitrait plus approprié que tes chapitres fassent au minimum 3000 mots.
Sinon... wouaw ! J'ai a-do-ré. Probablement mon chapitre pref jusque là. La plongée dans ce rêve est un crescendo parfait. Tu multiplies assez les ambiances pour ne jamais ennuyer : on passe du mystère de la porte qui ne veut pas s'ouvrir, au drama du grand-père, au côté mystérieux mais euphorique du bal masqué pour finir par l'horreur de la rencontre avec Ciaran.
Niveau écriture, tu passes de "tableaux" en "tableaux" de façon si naturelle que la fluidité de la lecture est parfaite. Tes descriptions sont aussi superbes, ni trop peu ni pas assez, ni trop riches ni trop pauvres. Le bal masqué est vraiment THE endroit du chapitre, j'avais vraiment l'impression d'y être.
Et pour finir, Ciaran. Je ne sais pas encore exactement comment tu vas le developper plus tard, mais son introduction est chief kiss. Au début j'ai vraiment cru qu'il s'agissait de Rhen qui s'était incrusté dans le rêve on ne sait comment, et puis bim la révélation vient pile quand il faut. Le passage d'une rencontre romantique à une rencontre horrifique est génial. Ciaran est très bien présenté, il a une présence folle et dégage une vraie impression de menace qui est selon moi la marque d'un très bon méchant.
voili voilou
J'ai adoré ce chapitre, je trouve que les descriptions des rêves que l'héroïne visite sont trop bien ! On est vraiment plongé dedans, c'est génial, continue comme ça !
Bonne continuation !