CHAPITRE 8

Notes de l’auteur : TW : Tentative de v!ol.

De retour au relais, Marguerite travailla avec peine et ne s'obligea à la sociabilisation qu'au moment où des voyageurs se présentèrent dans la cour. Elle repensait au billet que la baronne de Lamezac avait fait porter par l'intermédiaire de la Francine et son cœur se serra à se remémorer les mots inquiétants qu'elle y avait lu.

« Madame Vidal,

J'ai le regret de vous annoncer le décès de ma chère Louise cette nuit au château, nous avons retrouvé son corps sans vie ce matin. Il était froid et rigide, immaculé... Par cet aveu que vous connaissez sans doute par votre fille, et qui sera bientôt annoncé dans Villenouvelle, voyez les considérations que je prends à vous ménager et le soin que j'ai à trembler en pensant à Marguerite qui aimait tant ma chère Louise. Par amitié et pour les services que vous nous avez rendus, je vous prie de lire ma douleur et toutes autres choses de seule vous connues.

Toutefois, je suis navrée de vous écrire que mon époux s'est mis en tête que ma chère Louise a été empoisonnée... il a ordonné une autopsie... Pensez-vous que ces hommes de science puissent trouver des choses que la mort avait empêché de connaître...

Madame,

baronne de Lamezac »

Aussitôt en possession du billet, Marguerite avait demandé à l'emporter avec elle dans sa chambre. Sa mère y avait consenti en lui faisant promettre de le jeter au feu au plus vite, certaines choses devaient rester poussière de secret. La jeune femme avait juré mais n'avait pu s'en défaire par faiblesse de sentiment et parce qu'il était le témoin bien vivant que Louise était morte. Elle l'avait caché dans son matelas de plume.

Dans la cuisine, assise à la table, Marguerite écossait des fèves qu'elle triait et entassait dans un saladier en terre cuite. Quand elle eut terminé, la jeune femme se dirigea dans l'arrière-cuisine et fit l'inventaire des denrées, nota tout ce qu'elle devait, partit à l'hostellerie faire de même et sortit dans la cour souffler un peu. Une chaise de poste arrivait justement dans un nuage de poussière et tremblement. Marguerite s'avança vers le transport et reconnut le postillon de Villefranche, un mauvais bougre dont elle n'aimait pas croiser le chemin et prit sur elle pour rester cordiale quand il sauta du bricolier en la déshabillant de son regard bleu avec appétit. Marguerite trembla ; or elle ne broncha pas, eut égard pour son statut de seconde autorité ici-bas, et décida pour couper court aux envies du sournois libidineux, de s'enquérir des désirs des voyageurs. Elle s'approcha du seigneur qui avait passé sa tête par la fenêtre de son transport et s'adressa à lui.

— Mon seigneur, vous faut-il des chevaux frais pour repartir séance tenante ou souhaitez-vous prendre gîte dans l'hostellerie du relais ?

— Je suis attendu dans les moindres délais, mon enfant, faîtes votre relayage !

— Bien, mon seigneur, toutefois, permettez-moi de vous inviter à venir vous rafraîchir à l'hostellerie, la chaleur est insupportable ce jourd'hui.

L'homme descendit du transport et passa devant elle en la remerciant d'un hochement de tête, main à son chapeau.

— Je vais suivre votre aimable conseil, mais dépêchez-vous à changer les chevaux !

— Certainement, mon seigneur, dit Marguerite en le regardant s'éloigner avec une allure pleine de majesté.

Elle coula un regard froid au postillon de Villefranche afin de savoir s'il avait bien entendu le souhait de hâte du seigneur et quand celui-ci lui sourit, elle sut qu'il l'avait ouï. Pourtant, il dételait les chevaux de son relais avec une lenteur abominable ! Tournant les talons avec célérité, Marguerite rentra dans la cour et s'empressa d'appeler un postillon afin qu'il se secoue la couenne ! Un voyageur était là, nom de nom et personne n'était encore descendu !

Dans l'écurie, elle rabroua Isidore qui traînait à amener les chevaux frais à la chaise de poste et envoya Léo, le garçon d'écurie, les atteler à la voiture. Quand il revint, elle le somma d'aller changer l'eau et les foins gâtés d'excréments de trois chevaux qui s'énervaient à patauger dans leur urine dans leur stalle. Le gamin plia l'échine, attrapa une fourche qu'il cala en travers d'une brouette en bois, et traîna ses sabots jusqu'aux stalles sales. Mimi la mégère lui faisait un peu peur lorsqu'elle parlait d'un ton sec... Agacée de ne pas voir qu'un postillon s'était proposé candidat, Marguerite alla au pied de l'échelle menant à leur dortoir et réitéra son appel d'une voix autoritaire ! Elle attendit le paresseux adossée au mur de chaux rouge de l'écurie, en relisant les inventaires qu'elle avait dressé et qu'elle avait gardé par mégarde quand elle avait quitté l'hostellerie.

Un mouvement à sa droite vint la sortir de ses papiers et alors qu'elle crût que c'était un postillon de son relais, elle reconnut celui de Villefranche, le visage vêtu d'une expression qui la fit se raidir. Le regard du jeune homme dévorait ses courbes et Marguerite, pâlit, sentant poindre le danger. Elle était une fille de relais qu'il n'avait jamais besogné, qui s'était toujours refusée à lui, et qui, de cette façon avait un éclat particulier et une appétence alléchante pour le noceur. Lorsqu'il se pencha vers elle, Marguerite fit un pas de côté mais il la retint par le bras si fermement qu'elle ne put s'échapper.

Elle gesticula pour se défendre, malheureusement le postillon de Villefranche était plus fort qu'elle et quand il plaqua ses lèvres sur son cou, elle eut envie de vomir ! Une panique l'envahit tout à coup, lui tordant le ventre et l'affolant à mesure qu'elle se voyait piégée. Marguerite essayait de crier mais sa voix se mourrait dans sa gorge, choquée par ce qui lui arrivait. Elle tenta une esquive qui n'eut pas le ton de plaire au postillon de Villefranche qui la frappa à la tête pour la tenir immobile. Sonnée par le coup, Marguerite plantait ses ongles dans la chaux du mur pour ne pas tomber et sentit des larmes d'impuissance dévaler ses joues en même temps qu'elle sentait les mains calleuses de son agresseur trousser ses jupes et toucher ses cuisses. Sa vue se brouillait et la dernière chose qu'elle discerna dans le vague fut la silhouette de Léo qui s'enfuyait en courant de l'écurie.

Or, la tempête s'arrêta brutalement quelques minutes après. Le postillon de Villefranche tomba à terre faute à un coup de pied qui l'avait atteint aux côtes. Marguerite, immobile et choquée, resta plaquée contre le mur et vit Mercure attraper le libidineux par le col, furieux, et l'entraîner dans une rixe endiablée. La jeune femme ne comprenait pas ce qu'ils se jetaient en injures et les aperçut à peine choir sur une balle de paille défaite et se battre au sol. L'échauffourée dura peu mais la violence n'avait pas été feinte. Supputant qu'il ne pouvait rosser son adversaire, le postillon de Villefranche leva les bras en signe de reddition, essuya un filet de sang à la commissure de ses lèvres d'un revers de main, les yeux remplis de morgue, et quitta l'écurie en fusillant du regard Marguerite. 

Mercure le laissa filer, reprit son souffle et s'épousseta, il était couvert de paille ! Léo courut vers lui et lui demanda s'il allait bien, le postillon lui sourit en lui ébouriffant les cheveux et le renvoya à ses besognes d'une tape dans le dos. Mercure avait à peine mis pied à terre d'une course que le petit Léo était venu le trouver, la mine livide et lui avait dit que Mimi la mégère était violentée dans l'écurie. Le postillon n'avait pas attendu la fin des explications qu'il avait couru et avait été saisi de colère en découvrant la terrible scène et la détresse de Marguerite, résignée, le visage rouge d'avoir été cogné.

— Ça va ? lui demanda-t-il, inquiet en rebaissant sa jupe sur son jupon sans frôler sa peau.

La jeune femme ne revint à elle qu'au moment où Mercure lui toucha l'épaule, ce contact la fit sursauter d'un bond et elle s'enfuit à toute jambe, en larme. Dans la cour, elle aperçut sa mère à côté du voyageur qui tempêtait que son relayage prenait trop de temps, n'y accorda aucune attention et courut vers le puits. En voyant au loin, le banc où Louise lui avait tenue de si douloureuses confidences, elle prit la mesure du calvaire qu'avait enduré son amie... Une agression était effrayante, cela l'avait tétanisé... alors une grossesse interdite et affronter les douleurs d'une délivrance...

En son cœur, Marguerite haïssait encore plus les hommes et leur vice, et elle en était là de ses imprécations quand elle entendit des pas derrière elle. D'un bond, elle se mit à l'abri derrière le puits et toisa celui ou celle qui arrivait. C'était encore Mercure, il l'avait suivi pour avoir le fin de cette affaire avec le postillon de Villefranche. Il tenait ses papiers qu'il avait ramassé et les lui tendit, Marguerite les attrapa en tremblant.

— Ça va ? Il t'a...

— Non.

— Tant mieux ! dit-il en soufflant de soulagement. T'aurais pu te défendre quand même !

Cette phrase résonna dans l'esprit de Marguerite jusqu'à l'étourdir, jusqu'à se cogner dans son être et cette phrase fut tel un boulet de canon orienté vers la mauvaise personne. Soudainement, la demoiselle Vidal explosa, enragée et insultée par la bêtise du postillon et cria.

— TAIS-TOI !

Mercure prit la mouche face à tant d'inconduite à son endroit et se fâcha. Entre eux, le pauvre puits trembla d'être pris entre deux tempêtes qui s'affrontaient à coups de verve sanglante.

— J'en ai par-dessus la tête de ta mauvaise humeur !

— Tu n'as pas qu'à m'énerver en m'insultant !

— T'insultant ! s'exclama-t-il. En quoi t'ai-je insulté ! Je t'ai sauvé de ce cuisseur notoire ! Un merci t'étoufferais donc tant !

— Tu me sauves et m'insulte en me disant que j'aurais PU me défendre, mais comment oses-tu te permettre de penser une chose pareille ! vociféra-t-elle rouge de colère. Comment oses-tu me faire ce reproche ! Comment des hommes pourraient comprendre ce que c'est que d'être pétrifiée de peur ! Qu'est-ce qu'un homme aussi coureur de jupon que toi pourrait comprendre à la terreur immense d'être réduite à une fille de rien, de perdre le contrôle de son corps, de son âme, d'être une vulgaire poussière prête à être forcée pour un plaisir inique que je n'ai pas souhaité ! Pire, pour un plaisir que les femmes vous doivent, à vous autres, les hommes, alors que nous n'en voulons pas !

— Marguerite ! Marguerite reviens !

La jeune femme lui avait jeté le seau du puits à la figure et avait fui, sentant que toute son épouvante remontait en elle et voulait sortir à flot de larmes mêlée à de cris de haine et de désespoir. Marguerite déserta le champ de bataille en laissant Mercure avec l'écho de ses paroles qui s'entrechoquaient avec les siennes.

En se réentendant dire : « Tu aurais pu te défendre ! » Il eut honte, très honte, de lui d'abord, parce qu'il avait parlé avec une telle froide cruauté ; de la vie ensuite, qui lui avait fait comprendre à tort que se taire et ne rien faire, c'était consentir dans l'œil de l'agresseur... Cette vérité lui éclata à la figure et il s'eut en horreur. Il s'écœura pour s'être comporté de cette façon et avoir sorti comme abomination de sa propre bouche, quelque chose qui l'avait longtemps fait souffrir dans celle d'une autre. 

Une phrase qui l'avait anéanti et hanté des années durant... Une phrase qu'il avait maudit parce que justement, il n'avait pu se défendre...

 

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