PRESENT : JIO
Il était encore en train de ruminer ses récentes retrouvailles avec Elijah quand on toqua à la porte de sa chambre. Maz entra avant qu’il n’ait ouvert la bouche et constata avec passivité l’état désastreux de la chambre de son camarade.
- Je remarque que tu ne sais toujours pas ranger ta chambre. J’ai pourtant entendu dire que tu étais valet au service d’un Duc pendant tes années d’absence…
- Je faisais ce que je voulais de ma chambre tant que la maison était en ordre.
Elle étouffa un gloussement et reprit une expression neutre.
- Soö m’a envoyée te chercher pour ta première séance d’entraînement.
Le jeune homme leva un sourcil interrogateur. Soö l’avait envoyée elle ? Pourquoi ? Pourquoi pas Addal, ou n’importe qui d’autre ? Et si c’était comme un rappel, pour qu’il se souvienne des clauses du contrat ? Un sourire amer chatouilla le coin de ses lèvres.
- Eh. Ça va ? demanda Maz : T’as l’air bizarre.
- Ça pourrait mieux aller. Enfin bon. Allons-y.
Il se leva et enfila rapidement ses souliers avant de prendre la suite de la jeune femme. La soirée débutait et la lumière vespérale du soleil couchant filtrait à travers les rares vitres du couloir. Il n’y avait personne, tout le monde devait être au réfectoire. Aucun des deux amis ne savait quoi dire alors ils se turent et se contentèrent de marcher côte à côte. Mais Maz commençait à s’agiter. Elle serrait les poings, faisant craquer ses phalanges, et prenait quelques fois une longue inspiration, comme si elle voulait dire quelque chose. Puis elle se ravisait et baissait les yeux, prise dans ses pensées. Cette attitude agaça très vite Jio qui n’aimait pas que l’on tourne autour du pot.
- Quoi ? fit-il. Tu veux me dire quelque chose ?
- Qu’est-ce que tu es venu faire ici Jio ? Pour de vrai. Pourquoi est-ce que tu es revenu ?
Il garda le silence, bouillonnant intérieurement. Pourquoi fallait-il qu’elle insiste, pourquoi ne pouvait-elle pas simplement se contenter de continuer la petite vie qu’elle menait au repère ? Pourquoi s’inquiétait-elle ? Devait-il lui dire la vérité ? Oh oui, certainement ! fit une voix ironique dans sa tête. Et tu lui diras : « Tiens, au fait Maz ! Je suis ici parce qu’on m’a capturé, sans quoi je ne serais jamais revenu et je t’aurais oubliée comme un vieux jouet d’enfance, mais j’ai passé un marché et si je ne le tiens pas on pourrait te torturer alors je reste pour me donner bonne conscience ! » C’est ça que tu vas lui dire ? Elle le prendra comment, à ton avis ? Il s’esclaffa sans joie. Evidemment qu’il ne fallait rien lui dire. Ne fût-ce que pour son propre bien. Mais la jeune femme était plus perspicace qu’elle ne le laissait paraître. Son regard s’assombrit soudainement et elle dit d’une voix grave et lente comme si elle n’y croyait pas :
- Tu n’es pas revenu de ton plein gré. On t’a forcé, hein ? C’est pour ça que tu as l’air à bout de nerfs, c’est pour ça que tu évites d’entrer en contact avec les membres de la guilde, et en particulier ceux qui te connaissaient. Tu ne comptes pas rester, tu as quelque chose à faire ici et après tu repartiras.
- Que…
- Mais si on t’avait seulement capturé et emmené ici, tu aurais pu repartir. Quelque chose te force à rester ici. Ce doit être quelque chose de grave pour que tu ne veuilles pas me le dire. Une chose qui…
- On est arrivés, je crois.
Il avait dit cela au hasard, sous l’effet de la panique, et cela semblait être vrai car Maz s’arrêta et soupira.
- On reprendra cette conversation.
Elle se détourna sans même lui jeter un dernier regard et le laissa seul devant la petite porte placée au fond d’un couloir du premier étage. Elle venait de disparaître quand Addal survint. Il ne parut pas surpris de rencontrer Jio à cet endroit et lança un vague « bonjour » avant de demander :
- Alors ça y est ? Tu commences ton entraînement ?
- Peut-être bien, oui. puis, après un instant de silence : Que faites-vous ici ?
- Je passais.
Le jeune mage éclata d’un rire ironique.
- Vous passiez ? Ne me prenez pas pour un idiot : On ne « passe » pas devant les salles d’entraînement. Surtout quand il s’agit de celle qui est la plus éloignée des autres. Enfaite, je devrais reformuler ma question : Est-ce que c’est Soö qui vous a envoyé ici ? Vous me surveillez ?
- Peut-être bien, oui. fit l’homme dans un maigre sourire.
- Alors il ne me fait pas confiance, hein ?
-…
Jio soupira. Soö croyait-il réellement qu’il allait s’enfuir là, maintenant, alors qu’il aurait dû traverser tout le bâtiment et descendre au rez-de-chaussée ? Alors que Maz était encore ici, en danger ? Ou prévoyait-il autre chose ? Il n’arrivait pas à cerner cet homme, ses intentions. Voulait-il seulement se venger de son père ? Dans ce cas, pourquoi avait-il besoin de ses pouvoirs ? Pourquoi ne pas simplement envoyer des assassins ? Pourquoi l’avait-il choisi, lui, alors qu’il y avait certainement d’autres mages d’ombres ? Il sentit qu’on le touchait et se contracta, retirant vivement son bras. Addal l’observait, inquiet.
- Décidément Addal, vous êtes trop tactile à mon goût.
L’intéressé se râcla la gorge, gêné, puis se raidit.
- Eh bien, dit-il, tu devrais peut-être entrer dans cette pièce, non ? Il me semble que tu as assez traîné.
- C’est ça.
Il se détourna et ouvrit la porte en se disant qu’Addal était un crétin et qu’il ne supportait pas cet homme.
Lorsqu’il entra dans la pièce, le battant se referma dans un claquement sec et irrévocable. Le garçon se sentit tout à coup pris au piège. La pièce était plongée dans l’obscurité et l’unique fenêtre avait été recouverte d’un voile noir qui ne laissait passer que de faibles rayons. Dans l’ombre se découpaient de larges piliers que Jio prit soin d’éviter. Le silence était assourdissant, envahissant et le jeune homme sentit son pouvoir grésiller en lui, décuplé par les ténèbres. Cependant il ne voyait presque rien mais avait la vague impression que quelqu’un était présent dans cette pièce, l’observant, épiant ses gestes, ses réactions.
- Il y a quelqu’un ? demanda-t-il d’une voix qui lui parut craintive.
Aucune réponse. Etrange. Maz s’était-elle trompée de pièce ? Non. Elle connaissait la forteresse par cœur. Elle n’aurait pas pu se tromper. Le jeune homme s’avança dans la pièce, le bruit de ses pas se répercutant comme un écho fantomatique dans la salle. Son cœur s’emballait et il commençait à s’impatienter. Quelle était cette mauvaise blague ? Tout compte fait, il n’avait pas peur, il ne trouvait même pas cela étrange. Seulement agaçant. Il revint sur ses pas et réussit à retrouver la porte à tâtons. Il s’apprêtait à l’ouvrir pour sortir mais le battant ne bougea pas.
- Votre petit jeu ne m’amuse pas du tout. Si vous vouliez bien vous montrer…
- Bonjour.
Il se retourna en hurlant et bouscula la silhouette qui venait d’apparaître devant lui. On entendit un claquement de doigts et les lumières s’allumèrent, révélant la salle d’armes et la personne qui venait d’interpeller le jeune homme. C’était une vieille et petite femme qui terminait de se relever. Elle s’appuyait sur une canne bien trop pointue pour n’être qu’une simple canne et époussetait ses habits noirs et informes. Sa chevelure blanche était relevée en un chignon serré retenu par une baguette, elle aussi, mortellement pointue. Elle porta son regard sur Jio. Enfin, c’est ce que le garçon supposa car ses yeux étaient tellement plissés qu’il était difficile de savoir si elle les avait ouverts ou fermés. L’adolescent se tenait la poitrine, prenant de grandes inspirations, et s’exclama avec indignation :
- Mais vous sortez d’où, bon sang ?!
- Bonjour, répéta l’ancienne, je suis ta formatrice principale : Maître Ebremo.
Puis, sans crier gare, elle se déplaça d’un pas souple et rapide jusqu’à son élève et l’examina sous toutes les coutures, le tâtant, parfois, comme du bétail. Jio recula vivement et lui adressa un regard noir mais la femme ne sembla pas le remarquer, continuant son examen minutieux. Lorsqu’elle eut terminé, elle s’écarta et resta là, immobile, à un mètre du garçon. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole, elle le prit de vitesse.
- Ton principal défaut, c’est que tu es une poule mouillée.
- Excusez-moi ? demanda-t-il en essayant de garder son calme.
- Tu transpires la peur. Je l’ai senti dès que tu es entré dans la pièce. Tu es terrifié par ton pouvoir. Ton deuxième défaut, c’est que tu évites au maximum d’utiliser ta magie. Donc tu perds du niveau et de la résistance. Et tu deviens inutile alors que tu as un puissant pouvoir.
- Ça suffit. Je ne suis pas ici pour me faire enfoncer par une petite vieille qui se prétend formatrice.
- Oui. C’est ça. Ton troisième défaut, c’est que tu es arrogant. Peureux et arrogant…
- Déjà, je déteste me faire insulter. Ensuite, vous ne devriez pas juger une personne sur ses premières apparences. Et je n’ai pas peur de mon pouvoir.
- Si tu n’en avais pas peur, tu t’en serais servi dès que tu t’es senti en danger, tout à l’heure.
La colère de Jio atteignit son paroxysme. Cette femme, elle ne savait rien. Rien de ce qui lui était arrivé. Elle ne le connaissait pas. Et pourtant, elle se permettait d’insinuer de telles choses ? Non. Jio n’avait pas peur de son pouvoir. Pas du tout même. Par contre, il était à cran avec tout ce qui lui était arrivé récemment. Et ce professeur n’était qu’un problème de plus sur tous ceux qui s’entassaient déjà sur les épaules du garçon. Son regard noir se teinta d’une lueur rouge de mauvais augure et c’est en criant qu’il fit sortir ce qui lui pesait sur le cœur.
- Vous vous prenez pour qui, à m’insulter à tout va et à me dire que j’ai peur de mon don ?! Vous ne savez rien de moi, absolument rien ! Vous prétendez que j’ai peur de ma magie ? Mais la vérité c’est que je la hais ! Je la déteste du plus profond de mon âme ! Comment ne pas détester un pouvoir qui fait du mal aux gens ?! C’est facile, pour vous, de dire ça : vous avez toujours travaillé avec votre don ! Mais moi, ma magie n’a jamais servi qu’à faire du mal, on m’a formé pour ça ! Seules des personnes détestables s’en sont servies et l’ont convoitée ! On m’a tellement dépossédé de ma magie que je ne sais même plus si c’est vraiment la mienne ! Alors allez-y, citez-moi encore mes défauts, traitez-moi de tous les noms, si ça vous fait plaisir, mais moi je n’ai rien à faire avec quelqu’un comme vous, qui se base sur ses premières impressions pour se faire un avis arrêté sur une personne ! Je m’en vais, si vous n’avez rien d’autre à me dire.
Il se retourna et partit d’un pas rageur en claquant la porte. Il entendit la voix de son nouveau professeur de l’autre côté du battant.
- Quand tu reviendras, j’espère que tu seras prêt à travailler avec ta magie ! Et à ne pas piquer de crise de colère !
L’adolescent secoua la tête. Cette vieille avait fait remonter de mauvais souvenirs à la surface de sa mémoire. Il s’était emporté, oui. Mais il n’avait jamais eu l’intention d’en dire autant sur lui. Il soupira. Les relations avec sa professeure commençaient mal.
PASSE :
- Non ! supplia la femme : Non, s’il te plaît ! Ne fais pas ça !
- Je suis désolé. lâcha amèrement le jeune adolescent : vraiment.
Elle pleurait, les larmes dévalaient ses joues, mêlées au sang qui avait éclaboussé son visage lorsqu’on avait décapité son mari devant ses yeux. Là-bas, au fond de la pièce, six mercenaires expérimentés tenaient les quatre enfants en joue, avec des armes magiques. La mère essaya de bousculer Jio dans un geste désespéré mais le garçon la repoussa.
- Tu vas te dépêcher, oui ?! gueula le chef de mission : On n’a pas que ça à faire !
- Oui, marmonna Jio, je m’y mets.
Le mari avait posé un sort protecteur sur son épouse et, n’ayant pas de briseur de sortilèges dans l’équipe, les mercenaires avaient désigné Jio, dont la magie des ombres était assez puissante pour briser cette défense, pour assassiner cette pauvre femme. Mais il ne pouvait pas s’y résoudre. Son regard était tellement suppliant, elle faisait penser à Rosind. Il revit cette scène, revit la manière dont la directrice du foyer était tombée, dont le sang lui avait éclaboussé le visage. Il porta la main à son visage. Il était brûlant. Cette femme voulait seulement protéger ses enfants. Des enfants qui avaient le même âge que Jio lorsqu’il avait été capturé par les mercenaires. Tout était trop similaire. Tout lui rappelait ce jour, ce désastre. Il sentit soudain un fourmillement sous son crâne et se retourna. Le chef de mission l’observait intensément. Jio secoua la tête.
- Non, ne faites pas ça, s’il vous plaît.
- Tue-la, alors. Si tu ne le fais pas de ton propre gré, je me verrai contraint de t’y forcer.
- Je ne peux pas. Je peux pas la tuer. Elle… Elle n’a rien fait. Pourquoi…
- Nous ne sommes pas des chevaliers mais des mercenaires. On nous a ordonné de tuer les adultes du clan El’Küll et de récupérer les enfants. Il ne reste plus que cette femme. Jio : fais-le.
- Non. Je ne peux pas.
La femme laissa échapper un sanglot. Jio sentit le fourmillement s’intensifier. Il se plaça devant celle qu’il était censé abattre. Ça le dégoûtait. Tout ça le révulser. Tuer cette femme ? Alors qu’elle n’avait rien fait ? Bon sang, ça n’avait aucun sens ! Il avait 13 ans, maintenant, il ne pouvait plus simplement exécuter les ordres, sans y réfléchir. Il était en mesure de se battre. Son supérieur lui lançait un regard mauvais mais le jeune mercenaire ne céda pas. Il s’avança d’un pas résolu.
- Je ne peux pas le faire. Je ne vais pas le faire.
- Je ne te donne pas le choix.
Il se faisaient face maintenant, et leurs fronts se touchaient presque. Le chef de mission n’était pas très grand et Jio était à peine plus petit que lui. Tout le monde les observait dans un silence religieux et la mâchoire du chef s’avançait. Les yeux noirs de Jio scrutaient le moindre mouvement, le moindre danger. Il se prépara et, lorsqu’il sentit les fourmillements s’intensifier encore, il renforça sa protection mentale. Une perle de sueur luisait sur son front. Il était en train de repousser l’attaque de son supérieur. Il le sentait. Soudain, le chef fit quelque chose de lâche. Quelque chose qui déstabilisa le garçon et qui fit vaciller sa barrière mentale : il lui donna un coup dans le ventre. Rapide, précis. Jio fut déséquilibré et fit deux pas chancelants en arrière. Il poussa un juron et essaya de se concentrer mais il était trop tard. L’homme avait déjà pénétré son esprit et pris le contrôle de sa magie.
- Non ! s’exclama l’enfant.
Mais sa maigre protestation n’allait rien changer. Le chef de mission ne mit que peu de temps à s’accommoder au pouvoir de sa victime. Il le lui avait déjà emprunté plusieurs fois. Il ferma les yeux et laissa les ombres se déverser en lui. Jio s’égosilla, se jeta en avant pour empêcher cet homme de tuer la pauvre femme, mais deux mercenaires le retinrent.
- Non, non ! T’as pas le droit ! T’as pas le droit de me prendre mon pouvoir ! Tu peux pas assassiner un innocent en utilisant mon pouvoir ! Arrête !
Il essayait de se dégager mais les membres du groupe le maintenaient fermement. Et l’adolescent assista, impuissant, au massacre qui se produisit. Le chef de mission s’approcha de la femme qui hurlait de désespoir.
- Tu vois Jio, dit-il avec un sourire pervers, c’est exactement pour cette raison qu’on me laisse couramment emprunter ton pouvoir : tu es une forte tête qui ne mérite pas une telle puissance.
- Rends-moi mon pouvoir ! Rends-le-moi ! Tu n’es qu’un voleur ! Tu n’as pas le droit de l’utiliser pour faire ça !
- Arrête un peu de piailler, veux-tu ?
Le chef s’approcha encore de la femme et s’arrêta à cinquante centimètres d’elle. On voyait une sorte de halo blanc et fin qui enveloppait le corps de la malheureuse. Après un ultime regard moqueur pour le mage d’ombres, le chef tendit la main et fit un mouvement sec et maîtrisé dans le vide. L’enveloppe se brisa. Jio bondit et parvint presque à se soustraire à ceux qui le maintenaient. Presque. Mais ils le rattrapèrent et le clouèrent au sol au moment où, dans un deuxième mouvement de main, le chef transperçait le cœur de la femme d’une ombre dense qui enveloppa bientôt son corps et l’engloutit. Les enfants beuglèrent, Jio sentit les larmes lui dévaler les joues tandis qu’il ouvrait la bouche en un cri inaudible. Le chef avait utilisé sa magie. Il la lui avait volé et s’en était servi pour commettre un meurtre. Sa magie avait tué quelqu’un. Sa magie était dangereuse et des gens dangereux étaient en mesure de l’utiliser ! Bon sang mais qu’est-ce qui ne tournait pas rond à la guilde ?! Pourquoi permettait-on à des gens aussi monstrueux que le chef de se servir d’une magie comme celle-là ?! Pourquoi ne s’était-il pas défendu ? Pourquoi avait-il fallu qu’il ait ce fichu pouvoir ?! Il ne lui avait jamais apporté que des ennuis ! Alors pourquoi ? Les deux mercenaires l’avaient lâché, alors il se leva. Il aurait voulu donner un bon coup de poing au chef de mission mais il n’était pas en mesure de le faire, là, maintenant. Alors il sortit de la pièce, claquant la porte derrière lui.
Ce n’était pas ce qui était prévu ! La magie de Jio n’était pas censée servir, pas pour faire ça, pas par une autre personne que lui ! Il se détestait de n’avoir rien pu faire, détestait les mercenaires, et détestait sa magie de servir à des fins aussi atroces. Un assassin. Voilà ce qu’il était. Juste un assassin.
PRESENT :
Addal attendait au bout du couloir et, lorsqu’il vit Jio, il lui adressa un regard interrogateur.
- Le cours n’a pas duré très longtemps.
- Oh, vous, lâchez-moi un peu, hein !
Le jeune homme le bouscula et continua son chemin jusqu’à sa chambre. Il n’en avait pas les clés alors il ne pouvait pas réellement fermer la porte et cela l’agaça fortement. Il se dirigea à grands pas vers son lit et donna un violent coup de poing dans le matelas déjà peu reluisant. Pour qui elle se prenait ? Qu’est-ce qui avait changé dans cette fichue guilde pour qu’on lui manque à ce point de respect ?! Fallait-il qu’il utilise sa magie pour qu’on le considère à sa juste valeur ? Fallait-il qu’il tue quelqu’un pour qu’on lui fiche la paix ? Très bien. Dans ce cas… Il tendit la main et laissa échapper une vague de magie brute qui vint frapper le mur avec force, laissant une marque noire dessus. Presque aussitôt, il sentit une vive douleur l’envahir, comme si on le brûlait de l’intérieur. Un cri lui échappa et il se dépêcha à l’autre bout de la pièce pour se passer de l’eau sur le visage. L’élancement se calma peu à peu, laissant l’adolescent tremblant et affaibli. Il était faible. Ça n’aurait pas dû lui faire mal à ce point. Il aurait dû supporter la douleur. Ne pas la remarquer, même. Il s’était déshabitué de cette sensation. Il détestait se servir de sa magie, et pourtant, il détestait tout autant sentir qu’il ne pouvait pas l’utiliser normalement. Il resta encore un peu penché sur le lavabo, puis retourna vers son lit et s’y allongea. Il était épuisé. Il n’arrivait pas à dormir la nuit et subissait trop de pression et d’inquiétude pour avoir un sommeil réparateur quand il réussissait à fermer l’œil. Il se sentait irritable et estimait que cette vieille folle qui se prétendait professeure avait eu énormément de chance qu’il ait contenu la colère qui le ravageait.
Environ deux heures plus tard, ou peut-être plus, alors que Jio avait plongé dans un sommeil léger et agité, la porte s’ouvrit sans son autorisation et Addal entra dans la pièce. Il secoua le dormeur sans ménagement et Jio se réveilla. Sa mauvaise humeur ne fit que s’accroître lorsqu’il vit qui l’avait réveillé.
- Est-il donc impossible d’avoir la paix ici ?
- Lève-toi. Soö t’attend. et après un court examen de l’état du garçon, il ajouta : Tu as une mine affreuse.
- Je me passerai de vos commentaires désobligeants. Si vous voulez bien attendre dehors…
L’homme sortit de la pièce sans un mot de plus et Jio se leva. Il mit un peu d’ordre dans ses cheveux et lissa ses vêtements froissés. Il se passa encore un peu d’eau sur le visage et jeta un coup d’œil sceptique à la trace qu’il avait laissée sur le mur. Puis il rejoignit Addal dans le couloir. L’homme ne lui parla pas plus et se contenta d’ouvrir la marche. Il guida Jio jusqu’au dernier étage mais passa devant la porte sans entrer dans la tourelle qui servait de bureau au maître de la guilde. Au lieu de ça, il continua dans le couloir adjacent jusqu’à une imposante porte d’un rouge écarlate. Puis il quitta le garçon sans un mot mais avec un regard attentif. Jio prit une inspiration. Il sentait déjà que cet entretien allait l’agacer.
PRESENT : SOÖ
Soö entamait son verre de vin lorsqu’il entendit la porte de la salle à manger claquer violemment. Son jeune invité arriva d’un pas raide et l’homme se dit que le gamin n’avait pas l’air de bonne humeur. Il étira ses lèvres en un sourire hypocrite.
- Jio , mon garçon, quel plaisir de te voir ! Mais assied-toi donc !
- Cessez votre comédie.
Le ton employé par l’enfant était cassant, particulièrement froid. On sentait une pointe d’agacement. Soö haussa un sourcil.
- Quelque chose ne va pas petit ?
- Effectivement.
- C’est à propos de ce qu’il s’est passé ce matin avec ton mentor ?
- Ah. Il vous a donc parlé.
C’était une affirmation plus qu’une question. Soö désigna le ragoût posé sur la table, à côté d’une bouteille de vin d’Alfor.
- Tu en veux ? Ce ragout est un délice.
- Non merci. Dîtes-moi ce que vous avez à me dire.
L’homme soupira. Ce garçon était vraiment têtu. Il ne voulait pas lui faire confiance et, pour l’instant, il n’était d’aucune utilité. Mais patience. Bientôt, la situation changerait.
- Ta professeure est là pour t’aider petit. Alors sois plus agréable avec elle.
- Et elle ? Vous lui avez dit d’être plus agréable avec moi ?
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- On a eu une altercation. Elle a fait remonter des souvenirs…
Soö poussa un sifflement moqueur à l’entente duquel Jio contracta la mâchoire.
- C’est ça qui te bloque petit. Tu te laisses déborder par tes sentiments. C’est pour ça que tu n’avances pas et qu’on ne te prend pas au sérieux. Tu ressembles à un gamin.
L’adolescent esquissa un geste impulsif en direction du maître de guilde mais sembla réfléchir à ce qu’il venait de dire et resta finalement immobile.
- Je ne peux pas oublier des souvenirs qui me mettent à ce point en colère.
- Je ne t’ai jamais demandé d’oublier Jio, mais d’éviter de te laisser emporter par ton ressentiment. Bref. J’en ai fini avec toi. Demain tu iras présenter tes excuses et tu reprendras l’entraînement.
L’homme se leva. Juste avant de quitter la pièce, il se retourna.
- Ah ! Et soigne ton apparence. Avec cette vieille tunique et tes cheveux décoiffés, on dirait que tu es sauvage. Si tu changes de style, crois-moi, tu changes aussi d’attitude. Et on te prendra tout de suite plus au sérieux. Je ferai porter d’autres vêtements dans ta chambre.
Sur ces mots, il quitta la pièce. Il entendit le jeune homme donner un coup sur la table. C’était bien. Il commençait à se remettre en question. Maintenant, l’étape la plus drôle de cet immense jeu allait commencer.
Cependant on en apprend pas beaucoup plus sur le projet de Soo, mais ça fait un coté mystérieux. Surtout avec l'arrivé du nouveau personnage qui à l'air vraiment badasse UwU
(Pardon pour le retard, à vrai dire je n'avais pas vu que tu avais poster un nouveau chapitre ^^')
Merci pour ce commentaire très encourageant et les compliments sur mon style d'écriture !
Pour Soö, patience... On en apprendra plus par la suite. (Il faut bien garder un peu de mystère, non mais !)