Solola resserra ses mains autour de sa tasse. Le contact chaud du café au lait fumant avait toujours quelque chose de rassurant. Cela faisait plus de deux heures qu’elle sirotait café sur café, un livre ouvert à ses côtés. Marcelin apparut, une éponge à la main, et commença à frotter énergiquement la table voisine. Solola lui lança un sourire d’encouragement.
L’idée de donner un coup de main à la cafétéria avait beaucoup plu à la direction de la Deter. Cela leur permettait d’occuper l’étudiant et de leur offrir un temps supplémentaire de réflexion, tout en évitant de se retrouver avec la grand-mère de celui-ci sur le dos. Cette dernière était pourtant à mille lieux de venir les sermonner car personne, et surtout pas Marcelin, ne s’était donné la peine de la prévenir de la découverte d’un tel Talent.
Solola avait vu son ami tout assumer, mais il semblait avoir plus de mal à accepter l’étiquette « d’inutile à la société » qui lui pendait au nez. Son bel optimisme fissuré ne retrouvait ses couleurs que lorsqu’il avait la chance de respirer le même air que Palymre. Il avait tout de même demandé à Solola de venir le soutenir lors de son premier jour à la cafétéria, et bien qu’elle ait été soulagée de se sentir à nouveau utile pour son ami, Solola et sa vessie commençaient violemment à envisager l’abandon.
Le temps paraissait s’étirer inexorablement et Solola avait de plus en plus de mal à se concentrer sur son livre. Elle leva la tête vers l’écran qui projetait les nouvelles du jour.
« Un incendie s’est déclaré ce matin dans une forêt proche de Jeridor. Fort heureusement, l’intervention rapide des pompiers a permis une maitrise immédiate des flammes. Aucun blessé. »
Solola se demanda vaguement si son père avait participé à l’opération. Elle consulta son Holopad. Plus que trente minutes.
« A Panoï plusieurs individus, masculins et féminins, ont adopté des comportements étranges en public, commettant pour la plupart des infractions ou vols dont ils ne semblent garder aucun souvenir. »
La touillette ne cessait de danser dans le café, bien que chaque grain de sucre ait été dissout depuis longtemps.
« Hier, une girafe s’est échappée de sa réserve. Elle a ensuite été retrouvée grignotant les géraniums du balcon de Madame Lopez qui a témoigné à notre micro. »
Une personne âgée, le teint cramoisi, se désolait avec fureur de l’état de ses géraniums au micro du journaliste lorsque la girafe tourna la tête vers Solola. Elle mastiquait lentement et lui lança un regard condescendant à travers ses lunettes :
- Tu devrais aller aux toilettes, chérie.
Assise sur sa chaise, Solola réalisa qu’il lui était impossible de se lever.
- Je ne peux pas, je suis coincée !
La girafe leva les yeux au ciel et fit éclater une bulle de chewing-gum. Avant de s’éloigner en roller, le géranium sous le bras, elle lui lança :
- Tout est une question de volonté.
Solola senti un liquide couler le long de sa bouche. Le temps de chasser la brume de ses paupières elle releva la tête et essuya la bave de sa joue. Marcelin avait déjà abandonné son uniforme et se tenait assis en face d’elle. En fronçant les sourcils, elle se demanda depuis combien de temps il la fixait en train de dormir et s’il se rendait compte de la gêne que son attitude pouvait provoquer.
- Alors, j’ai été comment ? questionna Marcelin.
- Sublime, les tables n’ont jamais brillé aussi fort, railla Solola. Ça te dit une petite balade dans la ville ce soir ? Ça fait des semaines que je ne suis pas sortie, j’en peux plus.
Marcelin marqua une hésitation. Il sembla à Solola qu’il rougissait légèrement en regardant ses chaussures.
- Je ne peux pas ce soir, je vais au cinéma avec Palmyre… On va voir le film qui retrace la vie d’Anselme Dubois … A ce qui parait c’est bien. Mais on peut aller se balader demain si tu veux ?
- Laisse tomber, bougonna Solola.
- Je suis vraiment désolé … c’est juste que c’était prévu … on a déjà les tickets.
Elle n’avait pas envie d’accabler son ami. Ce n’était d’ailleurs pas le moment, il n’avait toujours pas digéré l’information de son inutilité sociétale. Encore une fois, elle aurait aimé réagir avec philosophie et recul. Elle aurait préféré se dire que son ami avait une vraie raison de lui mentir, de se renseigner sur les films qui passaient au cinéma pour construire ses histoires. Cet après-midi là pourtant, elle n’en eut pas la force. Était-ce à cause de sa vessie pleine ? Était-ce d’avoir attendu des heures durant son ami, vissée sur une chaise pour le soutenir lors de son premier jour, et de n’obtenir qu’un refus de sa part lorsqu’il s’agissait de partager une simple balade ? Quoi qu’il en soit, cette fois-ci Solola laissa s’échapper le feu de la colère qui bouillonnait en elle depuis la première apparition du maudit Tournesol.
- Ah vous avez déjà les tickets hein ? Bah vas-y montre. Ils sont où tes tickets ? Comment tu peux me demander de passer des heures sur une chaise pour te donner du courage et m’envoyer balader quand j’ose demander que tu m’accompagnes pour me dégourdir les jambes ? Et tout ça pour quoi ? Pour une soi-disant relation qui n’existe que dans ta tête ? Personne n’y croit à ton histoire ! De toute la journée elle ne t’a pas jeté, ne serait-ce qu’un coup d’œil ! Alors je ne sais pas où tu vas, ni ce que tu fais quand tu vas soi-disant au restau ou au ciné, mais tes excuses pourries tu peux te les garder. L’amitié c’est censé aller dans les deux sens !
La bouche de Marcelin s’ouvrait et se refermait, comme si trop de mots se bousculaient et qu’aucun n’arrivait à naviguer jusqu’à la sortie. Solola aurait préféré que Marcelin lui crie dessus, qu’il l’insulte même. Sa réponse ne fut que silences. Dans ses yeux, elle put voir défiler l’étonnement, la tristesse puis la colère. Il la fusilla finalement du regard avant de tourner les talons en s’éloignant rapidement.
A peine ces mots prononcés, Solola les avait regrettés. Son sentiment était d’autant plus fort qu’elle se savait trop orgueilleuse pour aller s’excuser. De plus, elle n’était pas totalement persuadée d’avoir tort sur le fond, elle ne regrettait que le ton. Inconsciemment, elle avait espéré qu’en le provoquant, Marcelin lui révèlerait son secret. Pourquoi ne pouvait-il pas lui dire où il allait réellement et avec qui ? Ne lui faisait-il pas confiance ? En se dirigeant vers les sanitaires elle se résolut tout de même à ne plus jamais boire autant de café.
Un coup de tonnerre violent fit vibrer le bâtiment et Solola réalisa qu’il n’était de toute façon plus question d’aller se balader. L’agitation joyeuse qui régnait dans l’espace loisirs ainsi que dans les étages contrastait profondément avec l’humeur morose de Solola. Elle voyait le printemps du début de week-end tout autour d’elle mais ne ressentait que le froid de l’hiver qui s’était emparé de son cœur. Dehors, le vent entrainait les arbres dans une danse endiablée et le ciel s’était couvert d’un manteau sombre de nuages. Ce paysage post-apocalyptique exerçait un certain attrait sur Solola qui décida de s’y aventurer. Elle avait besoin de calme et il fallait, de toute façon qu’elle récupère son gilet oubliée en salle de coaching.
Dehors, le vent giflait ses joues sans ménagement. Malgré tout, elle se força à avancer lentement, comme lors d’une promenade. Quelques gouttelettes commençaient déjà à tomber et les douces températures du début de la journée n’étaient déjà plus qu’un souvenir. C’était pourtant ici qu’elle se sentait le plus à se place. Elle traversa le parc, le visage relevé et les poings enfoncés dans ses poches.
En arrivant dans le bâtiment A, les cheveux dressés sur la tête, elle fut tout de même obligée d’admettre qu’il était agréable de se retrouver à l’abri. La vieille bâtisse était vide, mais contrairement à sa jumelle, même vide, elle n’était jamais silencieuse. Les murs vibraient et grinçaient en réponse au courroux du temps. Les poils des bras de Solola s’hérissèrent. L’idée de venir passer un peu de temps au calme et seule avait perdu de son charme devant la profonde obscurité du hall. Elle prit donc la décision de grimper jusqu’au premier étage récupérer son gilet, puis de rebrousser chemin. A l’aide de la lumière émise par son Holopad, Solola gravit les marches lentement. Elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer toute sorte de monstres tapis dans la pénombre (ou pire, Eustache Lawal et son sourire glaçant). Régulièrement, elle se retournait pour vérifier que personne ne la suivait.
Arrivée au premier étage, elle balaya la salle centrale de sa lumière puis s’approcha de sa salle de coaching. Contre toute attente, la lourde porte n’était pas fermée à clé et poussa un long grincement strident lorsque Solola entra. L’obscurité semblait encore plus impénétrable dans cette petite pièce et les ombres projetées par les plantes aux murs lui donnaient un relief effrayant. Une fois qu’elle fut convaincue que personne ne s’y trouvait. Solola referma la porte derrière elle puis entreprit de balayer méticuleusement la salle de sa lumière.
Elle était arrivée au bout de celle-ci lorsqu’un rugissement la fit sursauter.
- Je ne vous laisserai pas faire, ce sont des enfants enfin !
Dans sa surprise, Solola avait involontairement désactivé la lumière de son Holopad. Le dos collé contre le mur glacé, haletante, elle n’avait aucune idée de la provenance de la voix ni de sa proximité. Plongée dans le noir complet, elle essayait de réfléchir vite, le plus vite possible. Devait-elle rallumer sa lumière et prendre le risque de se faire démasquer ? En retenant sa respiration, Solola distingua des murmures. Une voix de femme répondait mais le son était trop étouffé pour qu’elle puisse en distinguer les mots. Solola tripotait son Holopad. Il ne servirait à rien en cas d’attaque mais il était la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher.
Elle avait brièvement espéré que ses yeux s’accoutumeraient à l’obscurité mais l’absence de fenêtre mêlée à son idée de génie de fermer la porte ne laissaient passer aucun trait de lumière. Elle ne pouvait compter que sur le grincement de la porte qui l’avertirait forcément si quelqu’un pénétrait dans la salle. Solola se tenait donc prête à aveugler qui que ce soit au moindre brut de porte repéré.
- Me calmer ?! Et vous laisser faire du mal à mes élèves ? Je me fiche que ça soit pour la bonne cause, rien ne justifie cela !
Solola reconnut la voix du Directeur, Onesime Dubois. Elle semblait provenir de derrière elle. D’une salle qui partageait le mûr sur lequel elle était adossée. Pourtant, il n’était pas censé y avoir de pièce à cet endroit-là… La salle de coaching était coincée entre l’escalier et une deuxième salle de coaching et aucune porte ne semblait indiquer la présence d’une pièce supplémentaire.
Elle n’eut pas le temps de s’attarder sur ce détail logistique car elle distingua cette fois la réponse de la femme qui devait s’être approchée du mur.
- Gardez votre sang froid Onesime, vous n’avez de toute façon pas le choix.
- Pas le choix ? Aux dernières nouvelles Cordélia, je suis toujours Directeur de cette Ecole.
- Et je suppose que vous souhaitez le rester, non ?
Quelques secondes plus tard, elle entendit une porte claquer au loin. Il y avait donc bien une porte quelque part, mais sans pouvoir la localiser il lui était impossible de savoir où était la personne qui venait d’en sortir. Solola colla son oreille contre la porte en bois qui, comme à son habitude ne laissa transparaitre aucun bruit. Lorsqu’elle l’ouvrirait, elle émettrait pourtant un grincement qui résonnerait comme une alarme. Solola se résolut à attendre quelques minutes avant d’allumer la lumière de son Holopad et d’ouvrir la porte d’un coup sec. Sans prendre le temps ni de la refermer, ni d’observer le premier étage, elle dévala l’escalier le plus silencieusement possible. Elle ne prit plus le temps de se retourner et s’échappa du bâtiment à toutes jambes. Sans plus ressentir ni le froid ni le vent, elle ne s’arrêta de courir qu’une fois arrivée dans le hall du bâtiment B, engloutie par les rires joyeux des étudiants. Quelqu’un l’avait-il vue ? Elle n’en avait aucune idée mais espérait, le cas échéant, ne pas avoir été reconnue.
Ce n’est qu’une fois arrivée dans sa chambre que Solola s’autorisa à repenser à la conversation qu’elle venait de surprendre. Qui était cette Cordélia et quel était ce danger qu’elle souhaitait leur faire courir ?
Sur son lit, son gilet l’attendait. Un post-it, signé de la main de Théia Jensen, était posé dessus. Solola laissa reposer sa tête au creux de ses mains. Tant de questions restaient sans réponses et pourtant un seul sentiment prédominait : elle avait une terrible envie de parler à Marcelin.
J’ai bien aimé la transition entre le flash info et les rêves de Solola, qui laisse un doute sur les infos qu’elle a pu entendre : l’histoire de ces personnes qui perdent la mémoire par exemple, il y a anguille sous roche… Et puis bien sûr cette conversation qu’elle n’aurait pas dû entendre, dans une pièce qui n’est pas censée exister… On entre dans l’action !
Sur la forme, juste quelques lettres oubliées :
- Ça fait des semaine que je ne suis pas sortie, => semaines
- elle n’en eu pas la force. => eut
- Solola les avaient regrettés. => avait
- elle n’était pas totalement persuadée d’avoir tord sur le fond, => tort
- elle se résolu tout de même => résolut
- Solola reconnu la voix du Directeur, => reconnut
- Solola se résolu à attendre quelques minutes => résolut
J’attends la suite des aventures !!:)
Encore merci pour ton commentaire et désolée pour le délais de réponse (j'étais en vacances !).
Je ne révélerai pas la suite, mais en tout cas tu te poses les bonnes questions ;)
Merci encore pour ton œil de lynx pour orthographe ! J'ai modifié mon chapitre en suivant tes remarques :)
Merci beaucoup pour ton commentaire ! C'est en effet le début de l'action, on commence à rentrer dans le coeur de l'histoire et j'espère qu'elle te plaira ! ;)