Chapitre 8

Par Enoxa
Notes de l’auteur : Coucou ! Cela fait un moment que je n'ai pas publié, ma faute... J'ai été un peu paresseuse pour commenter et comme je voulais absolument respecter 1 chapitre=1 commentaire... Mais je n'ai pas arrêter d'écrire, je suis même actuellement en train de travailler le chapitre 26 ! Je vais essayer de mettre à jour mon histoire sur cette plateforme dans les semaines à venir en faisant des sessions de commentaire intensives (je déteste le travail bâclé ^^'), merci de votre patience !

Dans beaucoup de régions de Faïchar, des superstitions et autres fables restent encore vivaces. Si depuis des années, plusieurs phénomènes comme les éclairs, la mousson ou encore les tremblements de terre ont trouvé des causes scientifiques, il demeure encore beaucoup de choses inexpliquées. Les fantômes en font partie. Plusieurs témoins décrivent des formes évanescentes, des squelettes ou encore des êtres à la peau en décomposition. Ces apparitions fugaces n’ont pas encore pu être immortalisées. La CCM a défini ces phénomènes comme inoffensifs et a classé l’affaire. À mon sens, si on se donnait la peine de se pencher un peu dessus, on pourrait trouver bien des choses intéressantes à ce sujet.

Extrait de Faïchar et autres trucs

de Orléo Dorlémon


 

Mon souffle est court. Je n’arrive pas à détacher mon regard de ce canon. Savoir que cet objet, le même qui repose au creux de mes reins pour me défendre, pourrait causer ma mort a un effet… hypnotique. Un frisson traverse mon corps. Des milliers d’idées traversent mon esprit, mais elles aboutissent toutes à ce pistolet. Sa surface luit comme recouverte de mercure liquide. Cet effet brillant est traître. On le touche avec le regard, il nous tue avec une balle. Tout se fait à distance. Pas de contact. Juste le froid de la mort.

Il me faut faire un effort prodigieux pour me détacher de cette vision. Mes yeux se posent sur la personne qui me fait face. Un homme ou une femme dont le visage est dissimulé sous un capuchon. Son bras ne tremble pas. Aucun signe de vie ne l’agite. Aucune respiration ne fait se soulever cette poitrine. Aucun battement de cœur n’ébranle cette silhouette. Même la pluie qui se déverse par trombe ne semble pas l’affecter. Le vent se lève, il bat furieusement la cape de l’inconnu – inconnue. Pourtant, pas un mouvement.

Mes muscles se crispent. Boum ! Boum ! Mon cœur pulse furieusement dans sa cage d’os. Des tambours en fond sonore. Si forts qu’ils font trembler mon corps frêle. Si forts qu’ils arriveraient presque à ébranler mon âme. Un chaos intérieur qui tente de m’engloutir. Un tourbillon sauvage qui me submerge de toutes parts. Je tente de me reprendre, de ne pas céder à la peur. En vain. Mes pensées sont déjà sous son emprise.

Fuir ou rester ? Fuir ou mourir ? Rester ou périr ? Périr ou mourir ?

J’expire un grand coup, tentant fébrilement de remettre mes pensées en ordre. Je… Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je me sens sombrer, lentement, terriblement lentement. Un trou sans fond où je m’enfonce. Du goudron qui se colle à moi, qui m’aspire, qui me tire plus profondément vers le bas. Rapidement, ma tête disparaît sous la surface. Le liquide visqueux vient se coller à mon visage. Noir. C’est le noir complet. Pas la moindre lumière ni même une nuance. Un noir parfait, un noir ténèbres. J’essaie de me débattre, de crier à l’aide. Le goudron se déverse dans ma bouche, dans mes poumons. Je me noie.

Mon regard se tourne vers ce qui me semble la surface, vers cet inatteignable. Je tends ma main dans sa direction, désespérée. Soudain, une lumière. Un doux souvenir émerge, vient éclairer cette noirceur. Une chaleur lointaine qui vient m’envelopper, me calmer dans une étreinte rassurante. Un ange qui vient m’entourer de ses ailes de lumière. Les abysses de mon indécision disparaissent. Mes pensées cessent de se télescoper, au moins pour quelques instants. Le spectre de son rire me revient en mémoire. Un rire enjoué. Un rire qui donne de la joie, qui chasse les peurs. Je pourrais presque la sentir à mes côtés. Sa présence chaleureuse. Son sourire espiègle aux lèvres. Des étincelles pleins les yeux. Un courage qui rendrait jaloux les plus grands héros. Oui. Oui, c’est ça que je dois faire. Une esquisse d’apaisement. Oui. Que ferait-elle à ma place ? Que ferait-elle ?

...ol’

Mon sang se glace. La nausée me tombe dessus. Cette voix… Non… Non, je ne peux pas y croire. Mon regard dérive fiévreusement autour de moi. Des arbres, des maisons, … Ce n’est pas possible, je suis sûre que c’était…  Soudain, mon attention est attirée vers une silhouette en retrait dans une rue adjacente. Sa face est plongée dans la pénombre, floutée par la pluie. Une cape noire sur ses épaules. Une broche dorée. Je n’arrive pas à discerner quoique ce soit de plus précis. Mais il y a quelque chose. Quelque chose dans sa stature, son maintien qui m’est familier. Ce dos droit. Ce port de tête. Ce menton levé. Comme au ralenti, je vois sa main se lever dans ma direction.

Sol’ !

Je me fige. Mon sang se glace. Non… Mon cœur rate un battement. Non, ce n’est pas possible… Je suis prise de vertige, je vacille. Elle est morte, elle ne peut pas… La tête me tourne, la sensation de brûlure s’intensifie. Aldena est morte, je l’ai vue de mes propres yeux ! Je dois halluciner, ce n’est pas sa voix, ce n’est pas elle. Le vent hurle à mes oreilles. Ce vacarme vient se rajouter à celui de mes pensées. Je craque sous le trop plein d’informations. Le monde autour de moi explose en millions de bruits.

Aldena est vivante !

Non elle est morte.

Elle est là, elle est venue me sauver comme toujours.

Non, elle est morte brûlée vive.

Aldena arrive toujours à s’en sortir. Elle est plus forte, meilleure que moi.

Elle est morte ! Tu l’as vue de tes propres yeux. Elle est morte et tu n’as rien pu faire !

Morte ?

Morte. Calcinée et en poussière. Morte. Morte ! Morte par ta faute !

Ma respiration se fait plus difficile. La silhouette a disparu. Encore. Les larmes commencent à monter. Je suis une incapable, je n’ai pas su la sauver. Un poids se rajoute sur mon cœur. Une pression qui m’oppresse, qui m’étouffe. Ma chère amie, elle qui s’élançait sans hésitation vers le danger pour me secourir, je l’ai laissée brûler. Je l’ai abandonnée. Je l’ai trahie. Le désespoir s’abat sur moi. Une vague de froid submerge mon corps. Tout se tait. Les battements de mon cœur affolés, les bourrasques de vent. Ma culpabilité, ces flammes infernales qui me ravagent de l’intérieur se transforme lentement en un blizzard mordant. Le monde disparaît sous cet assaut glacé. Les événements de ces dernières heures sont recouverts d’un manteau de neige, sont cachés à ma vue. Il ne reste plus que cette sensation, cette vibration diffuse. Une pulsation oubliée depuis si longtemps. Un étau de glace, une écharde profondément enfoncée dans mon cœur. Indélogeable. Une certitude froide qui s’impose à moi. Elle ravage tout sur son passage, imprègne la moindre cellule de mon corps, gravant un ordre inébranlable en leur sein. Une chose qui me semble si évidente…

Je n’ai plus envie de fuir. Mes yeux rencontrent à nouveau le canon du pistolet. Je n’ai plus peur. Mon regard plonge dans ce trou noir. Je peux déjà m’imaginer les étincelles qui en sortiront, qui fuseront dans la nuit. Ma respiration se fait soudain plus calme. Mon corps me semble soudain plus léger. Je me sens… apaisée. Le monde est devenu si simple tout d’un coup. J’ai l’impression d’être en accord avec lui, d’avoir trouvé ma place. Je pourrais presque…

Soudain, mon souffle est coupé.

Qu’est-ce que… !

L’inconnu – inconnue – tente de m’étrangler. Mon corps décolle du sol. Mes pieds battent l’air. L’étau se resserre encore autour de mon cou. Je regarde cette silhouette encapuchonnée. Si solidement ancrée au sol, si sûre d’elle. Le peu de ce que je peux voir d’elle ne montre pas le moindre signe d’hésitation. Mes poumons commencent à brûler. Des griffes viennent en déchirer les parois. Combien de fois a-t-elle fait ce geste ? Combien de vie se sont éteintes entre ses mains ? Inexorablement, je sens l’oxygène m’échapper. Alors, c’est comme ça que tout va se terminer ? Une larme perle au coin de mon œil. Sa main se resserre. Un gémissement de douleur m’échappe. Ses doigts s’enfoncent dans ma chair. Pourtant, je ne cherche pas à me débattre. Je ne veux pas me sauver. Si toute cette histoire tragique doit prendre fin, c’est maintenant ou jamais. Pourquoi devrais-je rester avec le sang de ma sœur sur les mains ?

Mon regard dérive vers le ciel. Je me retrouve pendant un bref instant isolée dans une bulle. Ne serait-ce que le temps d’un battement de cils, le monde semble si paisible, indifférent à mon sort. Le ciel infini se déploie au-dessus de moi comme une couverture de douceur. Les étoiles brillent, elles illuminent les ténèbres du cosmos. Elles luisent dans la nuit noire, se consumant à petit feu. Même en sachant leur fin proche, elles ont le courage de se dresser avec les dernières forces disponibles, d’étinceler pour montrer au monde qu’elles existent. Pour peu, elles réussiraient à insuffler un peu de chaleur à mon cœur. Lentement, le monde commence à plonger dans les ténèbres.

– Le sujet immatriculé NPH164 n’a pas droit à la parole.

La prise se relâche. Je m’écrase violemment au sol. La douleur se répand dans tout mon corps. Un éclair sulfureux qui se propage dans mes membres, dans mes muscles, dans mes tendons. Une larme dévale ma joue. Je la sens qui trace sa route sur mon visage. Un mouvement lent qui caresse ma peau, un simulacre de compassion. Je la sens qui roule, s’arrête un instant, hésitant entre continuer ou chuter, puis elle quitte mon visage pour se fracasser au sol. Sa chute se répercute en moi. Mon enveloppe charnelle est agitée par un soubresaut. Un gémissement pitoyable m’échappe alors que je tente de me relever, misérable tentative. Je ne suis que douleur. Comment… ? Comment une telle souffrance peut-elle exister après une seule chute ? Suis-je pitoyable à ce point ? Suis-je si faible ?

– Sujet immatriculé NPH164, vous avez l’obligation de me suivre.

Des serres s’enfoncent dans mes bras, me retourne face contre terre. J’ai à peine le temps d’esquisser un mouvement qu’un genou vient s’enfoncer dans mon dos, sans pitié. L’air est expulsé de mes poumons meurtris. Pendant de brefs instants, la confusion prend place dans mon esprit. Un objet métallique rencontre ma peau, encercle mes poignets. Un frisson parcourt mon corps. Des menottes. Violemment, on empoigne mes chevilles. La pluie s’abat sur ma tête comme un couperet alors que l’on me traîne à même le sol, sans aucune pitié. Ces gouttes d’eau glacée s’immiscent dans les moindres défauts de mes vêtements. Elles trempent, dégoulinent le long de ma peau. Les pavés viennent m’écorcher la peau. Un coup au visage. Un pavé dans le ventre. Une pierre contre ma gorge. Les larmes, ou peut-être n’est-ce que la pluie, dévalent librement mes joues. Quelques gémissements pitoyables m’échappent.

Un éclair traverse la nuit. Une lumière aveuglante, la colère du ciel qui vient rejoindre la danse. La pluie redouble, se transforme en déluge. L’image s’impose à moi, elle ne dure qu’une fraction de seconde. Celle des rues de Mer’u illuminées par un projecteur blanc. Pendant un bref instant, les maisons se transforment en crânes vides, les fenêtres et les portes devenant des trous sans fond. Pendant un bref instant, les pavés s’effacent, les rues se fondent en un unique couloir blanc au mur lisse. L’image reste gravée sur ma rétine : il n’y a plus d’échappatoire. Plus du tout.

Lentement, mes muscles se pétrifient. Le peu d’énergie qui me reste est drainé hors de mon corps. Les minutes passent. Interminables. Je laisse retombée mollement ma tête. Ma maison disparaît dans l’averse. Quand le jour pointera le bout de son nez, les villageois se demanderont pourquoi la porte d’entrée est grande ouverte. Peut-être qu’ils reporteront ma disparition. Puis finalement se diront que cette affaire ne les regarde pas et s’en iront aux champs. Personne à Mer’u ne tient suffisamment à moi pour se préoccuper de mon sort. Même Harion. Combien de jours, de semaines défileront avant qu’il se rende compte de ma disparition ? Son travail est si prenant, on n’a jamais le temps de se voir. Et même quand c’est le cas, j’ai l’impression de discuter avec sa pâle copie. Harion n’est plus l’enfant enjoué d’autrefois ; le travail l’a transformé. Mes yeux se ferment. Je suis lasse de cette vie.

Tue-la…

Je rouvre mes yeux. Qu’est-ce que… ! Soudain, une cacophonie de voix résonne dans ma tête. Elles hurlent, leurs paroles se mélangent. Le monde se transforme en taches noires et blanches. Elles explosent en milliers de particules encore et encore. Du rouge vient les teinter. Des roses de sang viennent fleurir partout dans mon champ de vision.

Tue-la…

Une douloureuse vibration se répand dans mon corps. Le choc des pavés sous mon corps… La pluie qui s’écrase et dévale les pans de mon visage… les battements affolés de mon cœur…

Tue-la !

Quelque chose lâche en moi. Une explosion d’énergie. Une décharge qui traverse mes cellules avant d’être propulsée hors de mon corps. Je crie alors que je me sens brûler. Ma peau, mes nerfs, mes muscles sont en feu. Un bourdonnement insupportable envahit ma tête. Je hurle ma douleur alors que je sens que la prise sur mes chevilles se relâche. Puis plus rien. La pluie continue de s’écraser sur mon visage. Les gouttes dévalent de plus belle mon visage. Elles viennent se loger au creux de mes oreilles, de mon cou. Le peu de chaleur que je possédais, elles me le volent. Le vent hurle dans les branches. Des feuilles viennent tapisser la terre tout autour de moi. Leur camaïeu d’ordinaire or, rouge et orange, sous la lumière de la lune se confondent en nuances de bruns. Des éclairs déchirent le ciel. Ils zèbrent la toile de la nuit pendant une fraction de seconde, laissant une atmosphère crépitante derrière eux. Le monde continue son vacarme. Mais plus rien. Pas un mouvement autour de moi. L’inconnu – inconnue – ne revient pas me traîner vers ma mort. Je suis seule.

Le sang bat contre mes tempes. Je tente de me relever. À peine le mouvement esquissé, un éclair de douleur traverse mon champ de vision. Je retombe à terre, le visage recouvert de boue. La matière visqueuse s’étale sur ma joue. Une odeur de terre humide envahit mes narines. Je… Je suis trop faible. Lentement je sens ma conscience glisse vers le néant. Je lutte pour rester éveillée ne serait-ce que quelques secondes encore. Pourquoi ? Je… Je ne sais pas. Dormir serait… si facile et si… simple. Ma vision s’assombrit. Malgré ça, j’arrive à saisir quelques mouvements en face de moi. Une silhouette émerge des buissons. À travers la pluie battante, la dernière image que j’ai est celle d’un masque blanc, lisse qui reflète la lumière couleur argent de la lune. Mes yeux se ferment.

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