Chapitre Huit : Ce qu’il reste de toi
« Un comment, un pourquoi »
C’est à l’âge de huit ans que Joël rencontra trois personnages, bien que fictifs, et qui pourtant resteraient gravés à jamais dans sa mémoire. Il venait de rentrer de l’école, son skate sous le bras (eh oui, déjà), et était allé trouver sa mère dans la cuisine pour qu’elle lui préparât son goûter. Cette dernière venait tout juste de raccrocher le téléphone et soupirait de désolation, ce que n’avait pas manqué de remarquer le jeune garçon.
– Qu’est-ce qu’il y a, Maman ?
– Oh mon chéri, je ne t’avais pas vu ! s’était exclamée sa mère, en le prenant dans ses bras pour l’embrasser. Tu as passé une bonne journée à l’école ?
– Oui, oui, avait vaguement répondu le petit Joël, avant de reposer sa question, têtu comme une mule. Qu’est-ce qu’il y a ? C’était qui au téléphone ?
– C’était ta tante. Ta cousine Samantha fait encore des bêtises.
– Ah.
– Si ça continue, on va l’appeler Proserpine.
Proserpine. Joël n’en avait jamais entendu parler. Mais comme il était curieux, il avait tout de même posé la question à sa mère qui, elle, devait déjà l’avoir rencontrée, cette Proserpine.
– C’est qui, Proserpine ?
Flavie avait mis quelques secondes à répondre, le temps de chercher une réponse convenable et facile à mémoriser pour son rejeton. Avec un sourire malicieux, elle posa le pot de Nutella et une baguette de pain sur la table, tout en répondant :
– C’est la femme du diable.
Elle avait ri devant l’expression à la fois choquée et terrorisée sur le visage de son fils.
– Le diable a une femme ?!
– Faut croire…
– Et Sam est la femme du diable ?! s’était écrié le garçon, horrifié.
– Non, c’est une expression, mon chéri. Une expression qui lui va très bien parce qu’elle fait tourner sa mère en bourrique ! Une vraie petite diablotine, quoi.
– Ah.
Pendant qu’elle lui tartinait tendrement le Nutella sur quelques tranches de pain frais, Joël songeait. Il était certain de l’existence de Proserpine. Et si un jour il venait à la rencontrer, il ne lui ferait pas confiance. Ah ça non, et puis quoi, encore ? La femme du diable ! Et puis Joël pensa au diable. Le diable était le second personnage auquel il s’était intéressé ce jour-là.
– Maman, il est méchant, le diable ?
– Disons que c’est une personne qui n’a pas envie de faire des choses bien.
– Ah. Donc, il est méchant. Mais méchant à quel point ?
– Mon pauvre chéri, ça, nous ne le saurons jamais.
Donc en plus de Proserpine, il lui faudrait éviter le diable. Parce que Proserpine pouvait très bien cafter au diable qu’elle avait vu Joël Ajacier à tel ou tel endroit, et si le diable avait quelque chose contre lui, il pourrait alors le retrouver et lui donner une correction. Non, il ne fallait pas faire confiance à Proserpine. Et éviter le diable.
– Et il habite où, le diable ?
– En Enfer, mais Joël, ne te tourmente pas avec ça, avait assuré Flavie, voyant son fils avec si peu d’entrain devant ses tartines de Nutella. Ce sont des légendes.
– Mais les légendes, c’est vrai quelque part, non ?
– Tu as de ces questions, mon chéri ! Allez, oublie Proserpine et le diable, et raconte-moi plutôt ta journée.
Un peu plus tard, Joël était parti dans le salon regarder un programme pour enfant à la télévision, sans avoir pris le temps d’essuyer sa moustache à la noisette. Comble du comble, il était tombé nez à nez avec un troisième personnage, et celui-là fut un réel traumatisme.
C’était une rediffusion du Mystérieux Voyage de Marie-Rose, le spectacle musical qui mettait en vedette Chantal Goya, une référence auprès des enfants (mais pas vraiment aux yeux de Joël). Le garçon avait hésité à zapper puis, dans un élan de générosité, il s’était décidé à laisser une chance à Chantal Goya. Celle-ci sautillait joyeusement sur scène, sa mythique frange au ras des yeux, un sourire idiot collé sur le visage, dans une robe rose bonbon datant d’une lointaine époque. Autour d’elle tournaient des enfants masqués et déguisés qui chantaient. Et là, était apparu une sorte de clown balourd, masqué lui aussi, habillé d’un costume multicolore et doté d’une double bosse énorme sur le ventre et le dos. Pour couronner le tout, il dansait n’importe comment, très encouragé par Chantal Goya qui, elle, comble du malheur, s’était mise à chanter.
– Regardez les personnages qui chantent et dansent avec moi ; mais parmi ces personnages, connaissez-vous celui-là ? On le voit sur les images, bossu derrière et devant, on ne connait pas son âge, mais il est toujours content !
– Polichinelle, Polichinelle, Polichinelle, Polichinelle, aboyèrent joyeusement les enfants autour de Chantal Goya, toujours là quand on t’appelle, tu es un ami fidèle, Polichinelle, Polichinelle, Polichinelle, Polichinelle, à bas la Fée Carabosse, mais toi on aime ta bosse…
– On aime ta bosse ! brailla le premier chœur.
– On aime ta bosse !
– On aime ta bosse ! hurlèrent d’autres enfants, d’une voix encore plus haute, encore plus aiguë et encore plus fausse que les autres.
Cette chanson entrait dans la persécution de première catégorie. Le garçon se sentait cerné par tous ces bébés-comédiens, par l’énergumène masqué qui faisait le bouffon qu’il trouvait effrayant, et par Chantal Goya, qui levait ses bras de plus en plus haut pour les encourager à crier.
– Polichinelle ! éclatèrent les chanteurs en culotte courte.
– Maman ! hurla Joël au même moment, traumatisé et au bord des larmes.
Lorsque la Mégane noire freina brutalement devant l’hôpital franco-musulman Avicenne, l’horloge de l’accueil affichait presque une heure du matin. La voiture était stationnée de travers, mais cela ne semblait pas être si important pour les occupants.
Paniqué, un couple sortit du véhicule en claquant les portières, et courut vers l’hôpital à l’architecture orientale. Les époux avaient été tirés de leur sommeil par le téléphone, porteur de mauvaises nouvelles. Ils s’étaient habillés en toute hâte et avaient retenu leur souffle jusqu’à leur arrivée. Désormais, ils étaient prêts à éclater toute leur anxiété sur le premier venu. Sans ralentir le pas, ils passèrent sous le porche voûté et recouvert de mosaïques bleu nuit, franchirent la grille mauresque en fer, et débarquèrent en trombe à l’accueil.
– Mon fils ! s’écria la dame, le visage peint de peur et d’angoisse. Où est mon fils ?!
– Ne vous inquiétez pas ! réagit aimablement l’hôtesse. Vous êtes Madame Ajacier, n’est-ce pas ? Votre fils va bien. Il est dans la chambre 114. C’est au premier étage.
Monsieur Ajacier posa une main rassurante sur l’épaule de sa femme et remercia la réceptionniste d’un faible sourire. Puis le couple repartit sans attendre vers la chambre 114, aussi anxieux qu’à leur arrivée. Dans l’ascenseur, Madame Ajacier, très tourmentée par les récents évènements, ne cessait de se demander dans quel état elle allait retrouver son fils. Son mari, lui, ne disait rien.
Sitôt arrivés au premier étage, Monsieur et Madame Ajacier se précipitèrent vers la chambre 114 qui se situait non loin de là. La dame poussa sans ménagement la porte battante et, dès qu’elle vit son fils allongé dans son lit, son cou bloqué dans une minerve et le regard vide fixé sur la télévision, elle ne se fit pas prier pour se jeter sur lui.
– Joël, mon garçon ! J’ai eu tellement peur ! murmura-t-elle, tout en le berçant dans ses bras.
– Ça va, Maman, ça va… Ne t’inquiète pas, c’est fini.
Pierre Ajacier, resté en retrait, observait silencieusement son fils rassurer sa mère qui s’était mise à pleurer contre lui. Beaucoup de questions se bousculaient dans sa tête, mais il était trop tôt pour les poser à Joël. Ce dont Flavie se fichait bien.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-il arrivé à ton cou ? Qui…
– Ah Maman… C’était les Espions, lâcha l’adolescent, qui déglutit en se remémorant le visage terrifiant de Michaël.
Les deux parents sursautèrent, choqués. Tous deux avaient placé les Espions bien bas dans leur liste de suspects. Pour la première fois depuis leur arrivée à l’hôpital, Flavie sembla se souvenir de la présence de son mari et se tourna furieusement vers lui, prête à le fusiller du regard. La fatigue et le choc rendaient sans nul doute sa mauvaise humeur plus redoutable encore.
– Tu entends, Pierre ! Tes Espions s’en sont pris à mon fils ! Combien de fois je t’ai répété que tes petites affaires dans la politique allaient nous retomber dessus ! Je savais bien qu’un malheur finirait bien par arriver ! Et par ta faute, Joël a failli y passer ! Si mon bébé avait eu quelque chose…
– Comment aurais-je pu prévoir qu’ils s’en prendraient à Joël cette nuit ? répliqua le sénateur en colère, alors que le jeune homme levait les yeux au plafond, blasé par la tournure que prenaient les évènements.
– Tu aurais pu empêcher ça, Pierre ! Tu aurais pu…
– Je vous en prie, Madame, Monsieur, ne criez pas, intervint alors une voix paisible. Nos patients dorment et votre fils devrait en faire autant à l’heure qu’il est.
La famille Ajacier tourna aussitôt la tête – Joël essaya avec sa minerve, mais il se ravisa bien vite – vers l’infirmier de nuit, qui était entré en silence dans la chambre. L’adolescent soupira de soulagement. Un sauveur. En l’apercevant, Flavie s’empressa de l’attaquer sur la lésion de son fils.
– Qu’a-t-il au juste ? Est-ce que c’est grave ?
– Non, Madame, sourit l’infirmier. Votre fils a reçu quelques coups à la nuque, mais les premières radios n’ont rien montré d’alarmant. Une chance. Cependant, nous avons préféré lui poser une minerve pour éviter les faux mouvements et maintenir les cervicales quelque temps. Maintenant, si vous le permettez, Joël doit dormir. Il a eu une nuit difficile, mais vous pourrez revenir le voir demain matin. Il sera peut-être plus enclin à discuter avec vous.
L’infirmier fut si diplomate et si doux que Madame Ajacier ne protesta pas une seconde et obéit docilement. Elle embrassa son fils, dont les yeux bouffis lui firent réaliser qu’il était en effet très fatigué et qu’une bonne nuit de sommeil ne pourrait lui faire que du bien. Son mari l’imita, glissa quelques mots à l’oreille de Joël, et le couple quitta la chambre 114 sur la pointe des pieds. Dans le couloir, après avoir refermé la porte derrière lui, l’infirmier arrêta le couple qui avait commencé à se diriger vers l’ascenseur.
– Je finis mon service dans quelques heures, et ce sera un autre de mes collègues qui s’occupera de Joël lorsque vous reviendrez dans la matinée. Aussi, permettez-moi de vous demander d’aller doucement avec lui. Il est encore sous le choc, et les souvenirs de son agression ne s’estomperont pas en une journée. Il lui faudra beaucoup de temps pour se remettre. Alors, ne lui posez pas trop de questions au début… C’est tellement récent…
– Vous pouvez compter sur nous, déclara le sénateur, en posant une main confiante sur l’épaule de sa femme. Quand est-ce qu’il pourra revenir à la maison ?
– Nous allons le garder en observation quelques jours, puis il pourra rentrer chez lui, sourit l’infirmier, avant de reprendre plus sérieusement. Votre fils a eu de la veine. D’après ses dires, ses agresseurs l’ont frappé à coups de matraque, après qu’il en ait tabassé un autre avec son skate. Les pompiers et la police sont arrivés à temps, et le gang s’est enfui avant de le blesser plus gravement encore. Estimez-vous heureux. Sa copine n’a pas eu autant de chances que lui.
– Quoi ?!
Alors que Flavie ouvrait des yeux effarés, Pierre, lui, sembla enfin sortir de sa réserve habituelle et n’avait pas pu retenir un cri.
– Camille ?! s’exclama-t-il, véritablement alarmé. Camille était avec Joël quand…
– Hélas, répondit l’infirmier, qui affichait une mine funeste.
– Où est-elle ? Est-ce qu’elle va bien ?
– Monsieur Ajacier, je ne peux pas vous répondre. Les seuls à qui je peux livrer ces informations sont ses parents, et pour l’heure, nous n’arrivons pas à les contacter. D’ailleurs, si vous possédez leur numéro de téléphone…
– Camille est orpheline, avoua tristement Flavie, après avoir échangé un regard entendu avec son mari. Elle a perdu sa mère il y a bien des années, et son père il y a quelques semaines.
– Nous la connaissons bien, insista le sénateur. Elle fréquente depuis longtemps Joël, et c’est comme si elle faisait partie de notre famille. Il ne lui reste plus personne, alors je vous en prie, dites-nous comment elle va.
L’infirmier les dévisagea l’un après l’autre, et soupira, vaincu. Il chercha visiblement ses mots, ne sachant trop comment annoncer l’état de santé de Camille Laurier si prématurément.
– C’est encore incertain…
– Soyez franc ! ordonna Pierre Ajacier, qui commençait à perdre patience.
– Et bien… Elle se trouve dans un état critique.
– C’est-à-dire ?
– Camille a été poignardée en plein cœur.
Sous le choc, Flavie porta une main à sa bouche et tituba. Son mari blêmit et resserra sa prise sur l’épaule de son épouse. S’il avait été rassuré de voir son fils bien portant quelques instants plus tôt et avait donc conservé son flegme, c’était autre chose d’apprendre une telle nouvelle ! Il avait toujours beaucoup estimé Camille, et l’annonce de son état grave était à deux doigts de lui faire perdre son calme.
– Enfin, pas exactement, se hâta de rectifier l’infirmier. Comment vous expliquer ça ?… Nous ne savons pas encore si le cœur a été véritablement touché, car elle semble avoir été frappée en haut de la poitrine. Nous nous pencherons très bientôt sur la question… dès qu’elle aura retrouvé un état stable.
– Est-ce qu’on peut la voir ? demanda Flavie d’une voix blanche.
– Non, Madame. Elle est actuellement en soins intensifs. Et elle y restera tant qu’il n’y aura pas d’améliorations. Vous pouvez être certains que nos chirurgiens font tout ce qu’ils peuvent pour la sauver. Camille est une jeune fille coriace. L’avoir trouvée en vie, avec une telle blessure et après avoir perdu beaucoup de sang, c’était inespéré. Nous ignorons le temps qui s’est écoulé entre le moment où elle a été poignardée et sa prise en charge par les pompiers, mais ils sont arrivés juste à temps. Encore quelques minutes, et je pense que cela aurait été fini pour elle… Vous m’avez demandé d’être franc, Monsieur Ajacier. Je ne peux pas certifier qu’elle sera saine et sauve demain, mais je peux vous dire en revanche que nous sommes optimistes. Surtout si le cœur n’a pas été endommagé comme nous l’espérons. Maintenant, s’il vous plaît, rentrez chez vous. Nous en saurons plus demain matin.
Joël bâilla à s’en décrocher la mâchoire, puis glissa un regard appréciateur qui se voulait discret sur la jolie infirmière qui l’auscultait. C’était l’heure de la première visite, et elle l’avait réveillé alors qu’il aurait bien voulu dormir encore un peu. À dire vrai, si elle n’avait pas été aussi séduisante, il l’aurait remballée sans attendre.
– Des douleurs ? demanda-t-elle en griffonnant sur son porte-papier.
– Non, sourit-il sans la quitter des yeux. Juste sommeil.
– Tu pourras te rendormir… Quand j’aurai terminé et que tu auras pris ton petit-déjeuner.
Elle désigna le plateau plein à craquer qu’une aide soignante avait apporté quelques minutes plus tôt, et qui n’attirait pas réellement l’adolescent.
– J’ai pas très faim.
– Taratata ! Il faut que tu manges pour reprendre des forces, sinon tu vas me faire un malaise. Ta tension n’est pas au top, tu sais ?
– J’ai mal à la tête.
– Beaucoup ?
– Terriblement.
– Alors, ce sera un petit-déjeuner accompagné d’un Doliprane ! Avec ça, du sommeil, et tout ceci ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
– Alléluia, marmonna Joël, pour qui les choses ne semblaient pas aussi faciles.
Il s’était retrouvé dans la gueule des Espions, avait assisté à un meurtre, avait été battu sans pitié et à deux doigts d’être kidnappé... et il avait appris que sa petite amie l’avait trahi. La totale, quoi ! Joël voulait se rendormir et ne jamais plus se réveiller pour ne plus penser à ce trop-plein d’évènements qu’il n’aurait jamais voulu vivre.
Malheureusement pour lui, il n’était pas près de retrouver les tendres bras de Morphée. Il vit la tête de sa mère dépasser de l’encadrement de la porte, tout sourire. Elle n’avait pas perdu de temps et avait réveillé son mari très tôt pour l’entraîner à l’hôpital Avicenne dès la première heure des visites autorisées. Tous deux avaient eu beaucoup de mal à s’endormir après une telle nuit, mais ce matin-là, Flavie semblait avoir retrouvé sa sérénité et Pierre sa réserve habituelle.
– Regarde ce que je t’ai apporté, mon chéri ! s’exclama Madame Ajacier en brandissant un appareil de son sac à main. Ta Nintendo DS !
Joël sourit franchement. Sa mère pensait toujours à tout. Dormir pour l’éternité avait été aussitôt recalé dans un coin oublié de son cerveau. Il la remercia alors qu’elle se penchait sur lui pour l’embrasser. Son père, quant à lui, s’était assis discrètement sur un fauteuil et attendait.
– High-tech, le p’tit Ajacier, remarqua l’infirmière, amusée. Je ne vois qu’un petit ennui à ton loisir favori, Joël… Tu ne peux pas baisser la tête, et jouer en gardant les bras levés va vite te fatiguer !
– Merde, je n’avais pas pensé ça.
– Il va mieux ? s’enquit Flavie.
– Mieux, mieux, oui, si on compte le fait qu’il a un peu dormi et si on met de côté son mal de crâne… fit la jeune femme, malicieuse. Disons que nous avons prévu d’autres radios pour vérifier qu’il n’a rien, et que le choc sera définitivement passé quand il commencera à jouer avec sa Nintendo DS.
Elle reçut un regard foudroyant de la part de son jeune patient, qui était bien le seul dans la chambre à ne pas trouver la plaisanterie drôle.
– Bien, j’ai terminé pour aujourd’hui. Je vais vous laisser entre vous. Et Joël, n’oublie pas…
– Quoi ? s’étonna l’intéressé.
– Mange !
L’infirmière claqua des doigts avec désinvolture et quitta la chambre, non sans lui avoir adressé un dernier clin d’œil. Joël rougit légèrement et évita le regard chargé de sous-entendus de ses parents.
– Flavie, tu peux nous laisser seuls un instant s’il te plaît ?
Monsieur Ajacier s’était levé, et ni sa femme, ni son fils, n’avaient remarqué qu’il s’était avancé vers eux. Intriguée, Flavie arqua un sourcil, mais elle s’exécuta sans rechigner. Sa colère contre son mari paraissait s’être totalement dissipée.
– Je vais aller t’acheter des Twix au distributeur, annonça-t-elle à son fils, après avoir sorti son porte-monnaie de son sac. Mais pas un mot à l’infirmière, d’accord ?
Joël sourit encore, à défaut de pouvoir hocher la tête, et suivit des yeux sa mère qui sortit de la chambre. Quand la porte se referma derrière elle, son père vint s’asseoir sur son lit, près de lui, et prit sa main dans la sienne. L’adolescent, étonné, ne fit d’abord aucune remarque et garda le silence. Mais très vite, il fut témoin d’une scène qu’il n’aurait jamais cru voir de sa vie. Les yeux de Monsieur Ajacier s’humidifiaient. Il était sur le point de pleurer.
– Joël... Je me sens tellement mal si tu savais…
– Papa, non… Tu sais, Maman délire… T’y es pour rien dans cette histoire. Tu fais ton boulot, c’est tout. Elle ne pensait pas ce qu’elle disait, cette nuit.
– Non, mon garçon, elle a raison. Je n’ai pas assez pris au sérieux les conséquences de mes démonstrations au Sénat qui pouvaient se répercuter sur ma famille. Je n’ai pas assez veillé sur toi, Joël. Et je tiens à te présenter toutes mes excuses. Je ne sais pas ce que je serais devenu s’il t’était arrivé quelque chose de grave… Si je t’avais perdu.
– Ça serait arrivé quand même, Papa. Tu n’as pas idée de ce qu’ils sont capables, ni des moyens qu’ils peuvent mettre en œuvre pour arriver à leurs fins.
Une larme finit par passer le barrage imposé par le sénateur, et roula lentement sur sa joue. Joël en fut très ému. Son père gardait souvent ses sentiments pour lui, et les démonstrations d’affection n’étaient pas son fort. À bien réfléchir, c’était la première fois qu’il le voyait aussi faible (un mot qu’aurait certainement employé Michaël s’il avait été là). L’adolescent attira son père à lui et se laissa étreindre tant bien que mal, sa minerve l’empêchant d’être plus démonstratif (mine de rien, un cou libre servait à beaucoup de choses). Ils restèrent enlacés deux minutes, et lorsque Pierre Ajacier s’écarta de son fils, il avait retrouvé une part de sérénité.
– Alors comme ça, tu as vu les Espions, reprit le sénateur d’un air intéressé, qui désirait changer de sujet.
– Ouais… Ils voulaient me garder avec eux. Tu sais, leur chef est super flippant… Classe, mais super flippant quand même. Je ne l’oublierai jamais.
– La Police va vouloir t’interroger, tu en es bien conscient ?
– Je ne leur dirai rien. Ni à eux, ni à toi. On nous tuerait.
N’y compte même pas en rêve ! Qu’est-ce que tu cherches là, Ajacier ?! À nous condamner ? On nous tuerait pour cet affront ! On nous tuerait ! Notre espérance de vie se limiterait à vingt-quatre heures ! Jamais je ne permettrai que tu dénonces les Espions ! Ils font partie de ceux qui n’acceptent pas la taule, d’accord ?! Alors, un petit conseil, ducon ! Oublie tes conneries tout de suite, parce que je n’ai certainement pas l’intention de mourir pour le compte des Espions, ni pour celui de l’État, tout ça pour sauver la peau de la petite famille Ajacier, capito ?!
Joël ferma difficilement les yeux. Les paroles de Camille lui étaient revenues en mémoire et résonnaient dans tous les recoins de sa tête. Camille. Il repensa à la douleur qu’il avait ressentie lorsqu’il avait appris qu’elle était une Espionne, puis à l’horreur du spectacle auquel il avait assisté, impuissant. Il revoyait encore la jeune fille étendue inerte dans une mare de sang et de poussières. Poignardée. Michaël l’avait poignardée ! Sous ses yeux ! Son père remarqua la contrariété qui s’installait peu à peu sur son visage et parut lire dans ses pensées.
– C’est Camille, c’est ça ? demanda-t-il, alors que son fils approuvait gravement. J’hésitais à t’en parler, Joël. Est-ce que tu veux savoir comment elle va ?
– Elle est en vie ? s’étonna le jeune homme. J’étais persuadé que…
– Les secours sont arrivés à temps. Sa vie ne tenait encore qu’à un fil cette nuit, mais ce matin, en arrivant à l’hôpital, un médecin m’a annoncé qu’elle était dans le coma et avait été mise sous perfusions sanguines. Ils la réapprovisionnent petit à petit, si on peut dire ça comme ça.
– Merci, mais je sais ce qu’est une perfusion, ironisa l’adolescent. Je ne suis pas idiot à ce point non plus.
– Je suis désolé, Joël… Tout ça ne doit pas être facile pour toi. Elle va s’en sortir. On y croit tous.
– Ravi pour elle.
Pierre Ajacier fut d’abord très étonné par l’air détaché qu’avait pris son fils. Camille avait failli mourir, Camille était dans un sale état, Camille allait peut-être s’en sortir, et c’était tout ce qu’il disait ? Pas aveugle pour autant, il devina que Joël lui avait caché des détails… que ce dernier lui avoua dès qu’il eut pris une grande inspiration.
– Ne la prends pas trop en peine, Papa. Elle est l’une des leurs.
Bien qu’un peu honteux à l’idée de ressentir un tel sentiment, Joël se délecta de la vision de son père qui semblait avoir reçu une enclume sur la tête. Lui aussi tombait de haut. De très haut. Il n’y avait pas à dire, pensait amèrement l’adolescent, Camille avait fait du beau boulot. Son père l’adorait et s’était mis à l’esprit qu’elle était une jeune fille honnête et digne de confiance dès qu’il l’avait rencontrée. Et maintenant, maintenant qu’il apprenait qu’elle était une Espionne, il demeurait interdit et ne parvenait pas à se remettre du choc.
– Elle était de leur côté depuis le début, continua Joël, les yeux baissés. Ce n’est pas une simple complice… C’est une Espionne, une vraie. Son job, c’était de m’amener jusqu’à son patron. C’est à ça qu’elle jouait depuis la rentrée… Elle s’est servie de moi pour t’atteindre. Elle s’est foutue de ma gueule. Je ne l’ai jamais intéressée…
– Mais dans ce cas, chuchota Pierre Ajacier, totalement retourné, pourquoi Camille a-t-elle été poignardée ?
– Le chef disait qu’elle l’avait trahi, lui aussi. Qu’elle avait fait des – je cite – petites manigances derrière son dos, qu’elle avait changé de camp, que je…
– Que tu ?
– Que je l’avais rendue amoureuse, termina l’adolescent, le regard vide. Et qu’il ne le lui pardonnerait pas.
– Ah ! Donc, Camille t’aime ! Tout s’éclaire ! Je savais bien que ce n’était pas une mauvaise fille au fond !
Joël ne partageait pas du tout l’enthousiasme de son père et continuait de fixer le sommier en aluminium de son lit. Qu’importait, si Camille s’était mise dans le pétrin toute seule, si elle était tombée amoureuse de lui, si trahir Michaël avait signé son arrêt de mort. Le jeune homme était fermement résolu à faire une croix sur elle.
– Je l’ai vraiment aimée, Papa. J’étais prêt à tout pour elle. C’est ça le plus douloureux. Et même si je suis rassuré d’apprendre qu’elle est en vie, et bien, tout ce que je peux te dire… c’est que je ne veux plus jamais entendre parler de Camille Laurier.
Les jours suivants, Joël put enfin sortir de l’hôpital et profiter de ses derniers jours de vacances. Sa minerve l’insupportait de jour en jour et bien entendu, ses parents subissaient sans un mot ses plaintes grincheuses. Après leur avoir raconté l’intégralité des évènements ayant eu lieu à la gare désaffectée, le jeune homme avait paru se détacher peu à peu de ce traumatisme. Néanmoins, Pierre Ajacier se doutait bien que son fils, qui n’évoquait jamais Camille, souffrait encore de ce qu’il appelait une trahison.
Camille demeurait un sujet tabou au sein de la famille Ajacier. La remise en cause de son innocence restait un perpétuel sujet de désaccord entre Flavie (qui avait été choquée d’apprendre sa nature d’Espionne) et son mari. Pour le sénateur, qui reconnaissait pourtant la part de responsabilité de Camille dans l’affaire, le fait qu’elle se trouvait dans le coma à l’heure actuelle soulevait la question de sa véritable appartenance au groupe terroriste. Au contraire, de l’avis de sa femme, le témoignage de leur fils était l’unique valeur sûre et réelle qu’ils disposaient. Or, Joël avait été formel : Camille Laurier était une Espionne, et c’était elle qui l’avait amené de son plein gré dans la gueule du grand méchant loup.
– Oui, mais comment tu expliques que Camille ait été poignardée alors ?
– Je ne l’explique pas. Je constate.
– Il y a bien l’un ou l’autre qui ment, Flavie.
– Ou pas.
Le débat ne prenait jamais fin, ou s’interrompait lorsque Joël débarquait dans la même pièce que ses parents. La position de Flavie ne l’empêchait pas de s’inquiéter de l’état de l’adolescente. Son mari lui rendait visite le plus souvent possible. Les premiers temps, la jeune fille avait été plongée dans un coma artificiel. Pierre était resté sous le choc de sa première visite en soins intensifs. Camille, branchée à plusieurs machines, un masque à oxygène sur le visage et une énorme compresse sur la poitrine, dormait profondément. Il s’était aperçu à quel point elle avait maigri, alors qu’elle était déjà si menue, et sa peau blanche comme le cadavre qu’elle était à moitié l’avait empêché de dormir plusieurs nuits d’affilée. Son air maladif et ses joues creuses l’avaient intimement convaincu d’un détail : Camille Laurier n’était pas une Espionne comme les autres.
Deux semaines après les évènements, les médecins avaient jugé que la rouquine était assez « requinquée » et avaient contacté le sénateur pour l’avertir de leur décision de faire sortir, doucement, très doucement, Camille du coma. À l’annonce de cette nouvelle, Flavie avait senti un énorme poids s’envoler de ses épaules, Joël avait haussé les siens, et Pierre s’était rué à l’hôpital Avicenne, à son chevet.
Encore ensommeillée et excessivement faible, elle avait à peine remarqué sa présence. Les infirmiers, qui ne lui avaient autorisé que cinq minutes de visite, s’étaient empressés de le mettre à la porte dès qu’elles furent écoulées. Tenace, le sénateur était revenu le lendemain, à la première heure, allant même jusqu’à oublier l’hémicycle de la Chambre qui l’attendait. Camille, bien qu’encore très fatiguée, lui avait jeté son très fameux regard perçant, qui l’avait fait sourire. Elle s’était abstenue de lui adresser la parole, et après une heure à parler dans le vide, Pierre Ajacier s’était retiré en silence.
Le troisième jour, la situation changea. Camille sortit de réanimation et fut placée dans une chambre normale. Son masque à oxygène lui avait été ôté, et lorsque le sénateur débarqua avec un imposant bouquet de fleurs, elle semblait avoir retrouvé sa langue et son autorité. Il la surprit à sermonner l’infirmière qui la perfusait et sourit franchement à l’entendre. Camille Laurier faisait son grand retour dans les starting-blocks.
– Et bien alors, vous êtes aveugle ou quoi ? Elle est là, ma veine, pas à côté ! Ça vous arrive souvent de piquer les gens là où ça vous chante ?! Ah. – Elle vit le sénateur et le salua avec cette solennité toujours aussi déconcertante – Monsieur Ajacier. Laissez-moi, Mademoiselle.
– Je dois refaire ton pansement, Camille, essaya de riposter l’intéressée avec douceur.
– Plus tard ! Allez-vous-en. Oh ! Attendez. Avant de partir, relevez-moi.
L’infirmière s’exécuta sans rechigner et inclina le dossier du lit automatique pour que sa patiente pût faire face à son visiteur. Ce dernier paraissait amusé devant cette petite reine qui donnait des ordres à droite et à gauche. Toutefois, il n’était pas dupe. En voyant le visage encore trop pâle de la jeune fille, elle avait encore besoin de repos et il se promit de ne pas la déranger trop longtemps.
– Monsieur Ajacier, répéta fermement Camille en guise de salutations, alors que la soignante disparaissait de la chambre.
– Bonjour Camille. Tu as l’air d’avoir retrouvé ta langue, on dirait.
– J’ai moins honte. Et je suis dans de meilleures dispositions pour m’entretenir avec vous.
Tout en l’écoutant, Pierre Ajacier glissa les fleurs dans le vase posé sur la table de chevet. L’Espionne suivait tous ses gestes du regard, suspicieuse, et ne fit aucun commentaire sur le bouquet. Quand il lui demanda si elle se sentait mieux, la rouquine prit ses grands airs (mais ses cheveux très emmêlés ne la rendaient pas vraiment crédible).
– Venons-en au fait, Monsieur Ajacier, déclara la jeune fille, pète-sec. Je dois vous avouer que je suis très étonnée de vos visites, et de l’attention que vous m’accordez.
– Et pourquoi donc ? sourit le sénateur, en s’essayant sur le fauteuil.
– Vous le savez très bien. Vous êtes la dernière personne que je m’attendais à voir (même si, en fait, je n’attendais aucune visite), surtout après ce que j’ai fait. Joël vous a forcément raconté.
– C’est vrai. Mais j’aurais également souhaité entendre ta version, Camille.
– C’est la même que la sienne. S’il ne vous a rien caché, bien entendu. Vous a-t-il dit que je suis une Espionne ? Que je lui ai donné rendez-vous à la vieille gare de Bobigny pour qu’il rencontre les Espions ?
– Oui.
– Alors, il vous a tout dit. Joël est un garçon honnête.
– Il ne m’a pas expliqué précisément pourquoi les Espions t’ont poignardée… Et je doute que lui-même le sache vraiment. Il a tout juste évoqué une sorte de trahison envers ton chef et…
– Alors, il vous a tout dit, répéta Camille, un léger sourire sur les lèvres. J’aime votre fils, Monsieur Ajacier. Je n’aurais voulu pour rien au monde que mon propre groupe lui fasse du mal. Mon patron a deviné ce fâcheux sentiment et ne me l’a pas pardonnée. J’ai été punie, voilà tout.
– Mais laisseront-ils Joël en paix ? demanda le sénateur, que la question brûlait sur les lèvres depuis longtemps.
– Bien sûr que non, répondit-elle d’un air détaché. Autant ils n’avaient aucune raison de le tuer avant, autant maintenant, ils en ont une : il est témoin. Mais rassurez-vous, ils attendront un peu avant de s’en prendre à nouveau à lui. Les Espions aiment les effets de surprise, et nous sommes tous encore trop sur nos gardes pour ne pas nous méfier d’eux. Mais le fait que les évènements soient trop récents n’est pas la seule raison qui poussera mon groupe à prendre son mal en patience.
Camille marqua une pause et attrapa avec difficulté un verre rempli d’eau sur sa table de chevet. Elle s’excusa auprès de son visiteur, but avec un plaisir non dissimulé, et inspira profondément. Pierre la vit alors bloquer sa respiration, comme si elle souffrait, et grimacer tout en portant la main à sa poitrine.
– Camille, est-ce que ça va ? s’inquiéta le sénateur. Tu veux que j’appelle l’infirmière ?
– Non merci, Monsieur Ajacier. Ce n’est rien. J’ai juste… un pincement au cœur. C’est normal. Reprenons, maintenant. C’est assez compliqué. Il se trouve que ce soir-là où Joël nous a rencontrés, mon patron, Michaël (ne vous leurrez pas, ce n’est qu’un pseudonyme, et j’ignore moi-même tout de son véritable nom), a dû faire face à quelques imprévus. Tout d’abord, je n’étais pas censée le trahir. Mais je l’ai fait et je l’assume. Soit. Votre fils, qui aurait dû être le sujet de toutes les attentions, s’est fait sans le savoir voler la vedette par la modeste Espionne que je suis. Dans la terrible hiérarchie des priorités de Michaël, il se trouve qu’une trahison passe avant un enlèvement. Vous ignorez tout ce que j’ai fait pour votre fils avant cette nuit à la gare, Monsieur Ajacier. Toujours est-il que j’ai agi assez en sa faveur pour mériter le titre de traîtresse première classe, et la punition qui va avec.
Ironique, elle désigna la compresse qui cachait sa vilaine blessure. Pierre buvait ses paroles, et nota dans un coin de sa mémoire les quelques questions qui lui venaient à l’esprit.
– J’étais inconsciente quand l’attention de Michaël est revenue sur votre fils. Il n’est pas difficile pour moi d’imaginer la suite des évènements, car tout s’est passé exactement comme je l’avais prévu. Tout était calculé, Monsieur Ajacier, que croyez-vous ? Il était prévu que votre fils s’en sorte indemne – ou presque. Ce n’est pas le hasard qui a fait venir les flics à ce moment-là. C’est moi, toute quasiment morte que j’étais. Moi.
Sans cacher sa fierté, la jeune Espionne lui narra en quelques phrases comment elle avait fait complice sa vieille voisine, Madame Zidou, et également salvatrice de Joël Ajacier.
– Ne trouvez-vous pas que je suis rudement intelligente ? fit Camille avec orgueil, quand elle eut terminé.
– Et exceptionnellement épatante, enchérit Pierre, souriant. J’en conclus qu’avec l’arrivée des flics, les Espions n’ont donc pas pu s’en prendre comme ils l’auraient voulu à Joël.
– Pas exactement. Mon patron aurait eu le temps de revenir sur sa décision de kidnapper Joël, puisqu’il ne pouvait pas le prendre avec lui dans sa fuite. Il aurait pu le tuer sans plus de sentiments pour faire disparaître le témoin qu’il était. En un instant, Joël, qui n’était qu’une victime, est devenu une menace. C’était une raison bien suffisante pour le descendre. Cela aurait pris deux secondes… Sauf que Michaël m’avait déjà tuée, moi, avec son poignard. Vous allez nous prendre pour un groupe de tarés, Monsieur Ajacier, mais il se trouve que nous autres Espions sommes très superstitieux, et tuer deux fois de suite avec ce poignard, très sacré à nos yeux, porte malheur. Et Joël est quelqu’un de trop important pour Michaël pour qu’il laisse à un de ses hommes le soin de le tuer à sa place. Voilà, Monsieur Ajacier.
Il y eut un petit silence, et le sénateur finit par réaliser que Camille avait terminé son récit. Il ne cacha pas sa déception qui la fit sourire. Puis, la curiosité étant trop forte, Pierre osa lui poser ses quelques questions. Elle ne pouvait le renseigner totalement sur le groupe terroriste, mais elle prit plaisir à lui raconter son quotidien d’Espionne et ce qu’elle avait mijoté dans le dos de Joël. Ils discutèrent longtemps, et l’homme politique put apprendre, à défaut d’informations concrètes sur les Espions, des anecdotes étonnantes comme le profond respect de Michaël pour les morts, sa vision de la justice si particulière, ainsi que la position de Camille dans toute cette organisation. Jamais Pierre Ajacier n’aurait pensé que ces terroristes, posant tant de problèmes à la société, le fascineraient autant aujourd’hui, grâce à Camille Laurier.
– Je vais te laisser te reposer, Camille… déclara le sénateur, après avoir jeté un coup d’œil à sa montre.
Plus de deux heures s’étaient écoulées et il ne les avait même pas vues passer ! Il avait remarqué le bâillement étouffé de la rouquine et s’était senti coupable d’avoir tant abusé de son état de fatigue.
– Je suis désolé de t’avoir demandé tout ça si peu de temps après ton réveil. Ce n’était pas délicat de ma part.
– Ce n’est rien, Monsieur Ajacier. Vous aviez besoin de savoir. Et moi, ça m’a fait du bien d’en parler. Au fait, je vous remercie pour vos fleurs. C’était très gentil de votre part, et je les trouve très jolies.
– Je t’en prie, Camille, c’est à moi que ça fait plaisir. Je reviendrai te voir demain. Nous avons encore beaucoup de choses à nous dire. Allez, pour l’heure, repose-toi et reprends des forces.
Camille sourit et ferma les paupières alors qu’il déposait un léger baiser sur son front. Elle se sentit soudainement fatiguée, avec l’impression d’avoir un creux dans le corps. Le sénateur s’éloigna en silence, mais la jeune fille le rappela d’une voix ensommeillée avant qu’il ne quittât la chambre.
– Pourquoi je ne suis pas morte ? Les médecins ne devaient pas me sauver. Je ne voulais pas. Alors pourquoi ?
Peiné, Pierre Ajacier revint vers elle. Il s’assit sur le lit, prit sa petite main délicate dans la sienne et se pencha doucement à son oreille.
– Parce que ton heure n’est pas encore venue, Camille. Tu as sûrement des choses à accomplir dans ce monde. Des choses extraordinaires. Quand tu auras fini de remplir ta mission, alors là, on t’appellera. Pas avant.
– J’aime cette idée, murmura mystérieusement l’Espionne avant de sombrer dans le sommeil.
Totalement indifférent à l’agitation qui régnait dans la cuisine, Joël reposa la bouteille de jus d’orange sur la table et but une grande gorgée de son verre. Pierre était occupé à raconter à Flavie sa visite à l’hôpital, insistant sur le fait que Camille se rétablissait peu à peu et sur l’étonnante et fine stratège qu’elle était.
– Nous avons pas mal discuté aujourd’hui. Trop, peut-être, pour l’état dans lequel elle se trouvait. C’est une fille décidément très astucieuse et pleine de ressources. Tu te rends compte qu’elle a organisé toute seule le dénouement des faits qui se sont produits à la gare ? C’est elle qui a calculé que Joël serait épargné si les flics se pointaient à telle heure, si elle se faisait tuer avant lui… Tout ! Et le chef n’a rien vu venir ! C’est vraiment une excellente Espionne. Tu savais qu’elle était numéro trois de son groupe ?
Si Flavie souriait devant l’admiration béate que portait son mari à Camille, Joël, en revanche, lança un regard torve à son père.
– Elle a bon dos, la numéro trois du groupe. Je remarque que ses talents parviennent même à te rendre aveugle sur le fait qu’elle se soit servie de moi pour envoyer notre petite famille dans la gueule des Espions.
– Joël, arrête un peu, tu veux ? Tu exagè…
– J’exagère ? coupa l’adolescent, furieux, qui reposa rudement son verre sur la table. Tu crois que j’exagère ? Cette salope m’a totalement détruit et m’a envoyé me faire prisonnier des Espions pour s’en prendre à toi, Papa, et j’exagère ?!
– Cette salope, comme tu dis, a sauvé la vie de mon fils unique et pour ça, ta mère et moi avons une dette énorme envers elle ! rugit le sénateur. Tu devrais avoir honte, Joël ! Cette fille est bien la seule à s’être sacrifiée pour un gamin aussi égoïste que toi ! Crois-moi, aucune autre ne l’aurait fait !
Joël plissa les yeux, le cœur serré. Il ne trouva rien à riposter. Son père avait, une fois de plus, eu le dernier mot. Et Camille, le beau rôle. Existait-il sur Terre une seule personne qui pourrait se mettre à sa place ? Empathie ? Son père connaissait-il au moins l’empathie ? Joël avait appris ce mot en philosophie et le trouvait tout simplement formidable. Empathie. Se glisser dans la peau de l’autre. Cette faculté qui manquait de façon si cruelle à son père. Sans empathie, l’adolescent jugeait son paternel trop défaillant.
– Demain, c’est samedi et tu n’as pas cours. Tu me feras le plaisir d’aller lui rendre visite à l’hôpital. Il me semble que tu as reçu une bien meilleure éducation que celle dont tu fais preuve aujourd’hui. Tu as tout intérêt à t’y rendre. Je ne supporterai pas une déception de plus.
Sans un mot, Joël s’empara de la bouteille de jus d’orange et la rangea dans le réfrigérateur. Il savait qu’il obéirait. Il n’avait de toute façon pas d’autres choix. Flavie, restée en retrait, ignorait quel parti prendre, et l’observait avec son air malheureux de mère compatissante. En voilà une, au moins, qui pratiquait l’empathie.
– Tu sais, mon cœur, tenta-t-elle timidement, ton père n’a pas tout à fait tort. Je sais combien les mensonges de Camille t’ont fait beaucoup de mal… Mais sache que ton père et moi aurions beaucoup souffert, nous aussi, si nous t’avions perdu. C’est pour cela que nous sommes si reconnaissants envers elle. Ton père, surtout. Il tient à toi bien plus que tu ne pourrais l’imaginer.
– Joël… reprit Pierre, qui avait retrouvé son calme. Je ne te demande pas de lui pardonner son geste, ni même de redevenir son ami ou de l’embrasser à pleine bouche. Je te demande simplement d’aller lui rendre visite, parce que c’est ce qui lui ferait le plus plaisir. Elle t’attend comme le Messie, et tu lui dois bien ça. Après tout, sans elle, tu ne serais plus là aujourd’hui.
– Soit, marmonna l’adolescent. J’irai donc, puisque je n’ai pas le choix. Mais vous me promettez de ne plus me bassiner avec Laurier après ?
Les parents hochèrent la tête en soupirant, et Joël sentit sa bonne humeur le regagner peu à peu. Il enfonça les mains dans les poches de son baggy et adressa un sourire canaille à sa mère qui s’en interrogea.
– Aussitôt que je sortirai d’Avicenne, je peux vous assurer que ça va changer. Fini Laurier !
– Hein ? hennirent Pierre et Flavie à l’unisson.
– Je suis bien décidé à me faire plaisir. Avec les filles, pour commencer. – Il remarqua l’air hagard de ses parents – Hé quoi ? Je peux avoir toutes les nanas que je veux ! Si j’avais été plus âgé, je me serais tapé l’infirmière !
– Joël, enfin !
– Non, sérieux, les relations bidons, c’est fini. L’amour, c’est pour les ploucs. Moi, j’ai assez joué, j’en ai ma claque. J’arrête tout.
Sur ces dernières paroles, il quitta la cuisine et partit s’enfermer dans sa chambre. Quelques secondes passèrent, et le rap poétique de MC Solaar se mit à faire trembler les murs pour une énième fois depuis la trahison de Camille. Le jeune homme avait monté le son à fond, et le titre, Solaar pleure, laissait un arrière-goût amer de désespoir, de cauchemar et de colère dans toute la maisonnée. Le miroir de l’état d’âme de Joël Ajacier. Dubitatifs, Pierre et Flavie restèrent silencieux jusqu’à ce que le cri enragé du diable se mourût à l’étage.
Joël n’avait jamais autant détesté le samedi que ce jour-là. Les paroles de son père l’avaient hanté toute la nuit, et il s’était dit que plus vite il irait rendre visite à Camille, plus vite il serait débarrassé d’elle. À la grande surprise de ses parents qui pensaient qu’il s’accorderait une grasse matinée, il quitta donc, morose, le pavillon des Ajacier à dix heures du matin.
Il fallait l’avouer : il traîna sur la route qui l’amenait à l’hôpital Avicenne, n’ayant aucune envie de voir l’Espionne qui avait brisé son cœur. Alors, lorsqu’il vit le marché de Bobigny s’étendre devant lui, il s’y enfonça avec grand plaisir dans l’espoir de retarder le moment de sa visite. Le marché avait toujours eu sur lui un effet d’ivresse et de vagabondage. Là, entre les étalages de poissons frais et ceux des fromages les plus malodorants qui fussent (mais ô combien délicieux), il oubliait tout et retrouvait le sourire. Le marché représentait à ses yeux une autre forme de méditation. C’était comme si les bouquinistes silencieux qui le suivaient du regard et les commerçants le suppliant d’approcher suffisaient à faire disparaître les souvenirs encore si douloureux. Camille, ses baisers, ses mensonges, sa bouche pamplemousse, sa trahison, sa froideur, sa (presque) mort. Les coups qu’il avait reçus, sa minerve dont il s’était enfin débarrassé. Nathan et Eddy, leur haine qu’ils ne dissimulaient plus lorsqu’il les croisait chaque jour au lycée. Michaël. Ses mots assassins. Son poignard. Camille. Par terre. Morte. Presque.
Perdu dans ses pensées en désordre, il continuait de se mélanger à la population lorsque quelque chose attira son attention. Non loin de lui, un petit visage de porcelaine le fixait d’un air glacial. Joël s’approcha de l’étalage et dévisagea, intrigué, le petit impertinent sans vie qui osait le défier du regard. Une marionnette. Elle représentait un homme grossier, avec une double bosse à l’avant et à l’arrière, un nez crochu, un bicorne rouge délavé comme son costume, et un masque noir sur les yeux. Joël le reconnut sans problème.
– Polichinelle. Le double français de Pulcinella, d’la Commedia dell’arte. Vif, moqueur, cynique, et tellement gourmand qu’il en est glouton ! Et encore que j’en oublie, va… Bagarreur, menteur, brutal et parfois même cruel. C’est un jouissif qui n’éprouve aucun regret.
Joël releva la tête vers l’artisan assis derrière l’étalage. Il avait terminé sa présentation de la marionnette par un rire gras. Sans ôter le mince sourire de son visage, l’adolescent sortit son porte-monnaie et lui tendit un billet de dix euros. Le marchand bondit sur l’argent et l’encaissa sans plus attendre. Il n’eut pas le temps de remercier et saluer son client, car Joël avait déjà décampé, Polichinelle serré contre son torse. Le marché se trouvait derrière lui à présent. Il s’était dépêché d’accélérer l’allure pour le quitter. Il n’avait qu’une hâte : rejoindre l’hôpital Avicenne au plus vite.
Vingt minutes plus tard, un palais oriental finit par apparaître devant lui et Joël s’empressa de pénétrer à l’intérieur. Il avait le numéro de la chambre de Camille Laurier noté sur un petit bout de papier, mais il la chercha longtemps. C’est un infirmier qui lui désigna une porte entrouverte à deux pas de lui. Joël se sentit confus par son manque de concentration et le remercia, légèrement gêné. Il s’approcha un peu de la porte couleur lavande, hésita… et entra.
Camille Laurier dormait. Lorsque le jeune homme la vit, son cœur se contracta. Il s’approcha jusqu’à sa hauteur et la fixa longuement. Jamais elle n’avait paru aussi vulnérable. Tout en elle était devenu terne, comme sa chambre. Sur sa peau blafarde ressortaient par endroits quelques unes de ses veines bleutées. Seuls ses taches de rousseur et ses cheveux rouges pétants éparpillés sur l’oreiller contrastaient allégrement avec le reste de son corps maigre et affaibli. Il remarqua une énorme compresse apposée sur sa poitrine, à l’endroit où Michaël l’avait poignardée, et quelques pansements sur ses avant-bras. Un plateau-repas, posé sur la table de chevet, montrait clairement que la patiente n’avait pas mangé grand-chose au déjeuner. Malgré ça, Camille paraissait se rétablir petit à petit et demeurait paisible. Enfin, cela restait une impression… car à force de l’observer, Joël se rendit compte que l’Espionne faisait semblant de dormir. Il faillit éclater de rire devant sa tentative de tromperie, mais il se ravisa bien vite et conserva son sérieux. Sans plus d’émotions, il déposa Polichinelle contre le flanc de la jeune fille et se sauva comme un voleur.
L’après-midi, Camille reçut une seconde visite, sans surprise cette fois, puisqu’il s’agissait de celle promise par Pierre Ajacier. Une infirmière se trouvait encore avec elle, et la jeune Espionne était d’une humeur encore plus désagréable que la veille.
– Vous m’énervez ! cria-t-elle à la soignante qui essayait de trouver sa veine. Et puis, ça sert à quoi de me donner du sang puisque j’ai mes règles ?! Tout ce que vous me donnez, je le perds à grands flots et… – L’infirmière lui enfonça l’aiguille dans l’avant-bras – Aïe, putain, mais faites attention ! Espèce d’incompé…
La voix de Camille se brisa alors et elle perdit en une seconde toute sa superbe. Se sentait vaciller malgré qu’elle fût assise sur son lit, elle paniqua et agrippa le bras de l’infirmière qu’elle insultait un peu plus tôt.
– Je me sens mal, Mademoiselle… se lamenta faiblement la rouquine qui papillonnait des paupières. Mes yeux se la jouent Canal Plus…
– Pas étonnant, répliqua l’intéressée, ironique. À force de t’agiter alors que tu as perdu déjà bien assez de sang et que tu en perds encore puisque tu as tes règles, ça devait bien arriver ! Je te rappelle que tu n’es pas encore rétablie.
– Je vais faire un malaise…
– Allez, Camille, oh ! Où est donc passée la fille robuste que tu es, hein ?
Tandis que l’Espionne roulait des yeux et se trouvait sur le point de perdre connaissance, l’infirmière lui tapota énergiquement les joues. Inquiet, Pierre décida de s’approcher pour lui tenir la main et lui adresser quelques mots rassurants. Il remarqua une marionnette hideuse coincée sous son bras, mais n’y prêta pas plus d’attention, trop absorbé par l’état de la jeune fille. Peu à peu, Camille reprit ses esprits et rosit très légèrement, honteuse d’avoir paru si frêle devant son visiteur. L’infirmière sortit un morceau de sucre d’une poche de sa blouse, qu’elle déballa et glissa entre les dents de sa patiente.
– Ce soir, perfusion supplémentaire. Et pas sanguine, cette fois, annonça-t-elle alors que Camille croquait délicieusement le sucre. Ton corps a besoin de plus de nutriments.
– De nutriments ?
– Fer, sucre, protéines, lipides… Bref, toutes ces petites choses qui sont nécessaires pour retrouver de l’énergie. Tu nous épargnerais autant de perfusions, Camille, si tu faisais l’effort de manger un peu plus.
Camille grogna quelques mots incompréhensibles, tout en prenant soin d’éviter le regard de Pierre Ajacier. Après s’être assurée que sa patiente se sentait mieux, l’infirmière promit de repasser plus tard et la pria de l’appeler en cas de besoin. Dès qu’elle quitta la chambre, l’Espionne souffla et se tourna vers le sénateur.
– Monsieur Ajacier, je suis confuse…
– Ce n’est rien Camille, sourit-il. C’est normal d’avoir des petits moments de faiblesse dans ton état. Alors comme ça, Joël m’a dit qu’il était passé te voir ce matin…
– Oui, avoua la rouquine d’un air penaud.
– Et que tu avais fait semblant de dormir…
– Hein ? Comment il a deviné ?!
– Je pense qu’il commence à bien te connaître.
Camille ronchonna encore, puis désigna Polichinelle qui fixait froidement le père de Joël.
– Pour tout vous dire, je ne me sentais pas encore prête pour l’affronter… Regardez ce qu’il m’a apporté. Je le déteste. J’étais très en colère quand j’ai vu son cadeau, l’infirmière peut témoigner. Elle a failli me donner un calmant. C’est très insultant, savez-vous, de recevoir un Polichinelle.
– Ah oui ?
– Je vois à votre air que ça ne vous parle pas.
– Pas vraiment, Camille… Les marionnettes sont bien le dernier de mes soucis.
– C’est particulier, j’avoue. Ma mère me racontait souvent les aventures de Petrouchka quand j’étais petite. Enfin, Polichinelle, quoi. Mais le Polichinelle français est encore plus méchant que Pulcinella et Petrouchka. Sauf que Petrouchka…
– Camille, excuse-moi de t’interrompre, mais je ne suis pas venu ici pour parler de Petrouchka ou je ne sais quoi…
Vexée, la rouquine plissa les yeux et resserra son étreinte autour de Polichinelle ou Petrouchka, peu importait son nom. Cependant, le sénateur ne lui en tint pas rigueur.
– C’est à propos de la Police.
– Cot cot cot, commenta la jeune Espionne, avant de ricaner.
– Camille !
– Désolée, c’était plus fort que moi… Aïe, j’ai mal !
– Si tu arrêtais de rire, aussi !
– D’accord, d’accord, pas la peine de vous énerver… Alors, dites-moi, c’est quoi le problème avec les poules, pardon, les flics ?
– Ils comptent venir t’interroger lundi.
– C’était à prévoir. C’était aussi l’une des raisons pour lesquelles je voulais crever. Maintenant, c’est malin, je vais devoir leur rendre des comptes. Enfin… Quelle brigade vais-je devoir mener en bateau ?
– La Brigade Criminelle.
– Encore ?!
– Comment ça, encore ?
– Mais je me la suis déjà tapée lors du meurtre de mon père. Et pourquoi la Crim’ d’abord ? Personne n’est mort à la gare ! Enfin, pas totalement en tout cas. Ah mais j’oubliais ! Ils ont une section terroriste ! Peut-être qu’ils veulent m’interroger parce qu’ils veulent continuer l’enquête sur mon père ? Mais toujours est-il que personne n’est mort à la gare, et que…
– Bon sang, Camille, ce que tu peux être pénible quand tu t’y mets !
Devant le sénateur exaspéré par son babillage, la jeune fille rougit et s’enfonça un peu plus dans son lit. Elle qui n’avait d’ordinaire pas l’habitude de parler, elle éprouvait un soulagement à s’exprimer devant la seule personne qui venait lui rendre visite.
– Excusez-moi, Monsieur Ajacier, fit-elle honteuse, comme une petite fille prise en faute. Je crois que c’est la morphine qui me rend un peu dingue. Ils m’en ont donné une bonne dose ce matin parce que j’avais mal…
– Camille, je sais que tu préférerais sans doute te reposer, mais…
– Non ! Quand je suis toute seule, je m’ennuie !
– Mais il faut vraiment que tu sois au courant de la version des faits qu’a livrée Joël aux policiers, histoire d’être crédible lorsqu’ils viendront te voir.
– Vous serez avec moi quand ils seront là ? demanda Camille d’une petite voix.
– J’essaierai.
– Bon. D’accord. Je vous écoute.
Pierre lui raconta donc comment Joël avait façonné les faits de façon à ne pas s’attirer les représailles des Espions. Alors qu’ils se promenaient en ville en fin de soirée, Camille et lui, qui pensaient que le groupe terroriste avait une part de responsabilité dans la mort de Monsieur Laurier, s’étaient vus attaquer et amener à la gare désaffectée par les Espions pour un règlement de comptes. Par la suite, les évènements se rapprochaient plus ou moins de la vérité, à l’exception que Michaël avait décidé de menacer Joël en s’en prenant à Camille au lieu de la punir de sa trahison.
– Joël a avoué clairement aux flics qu’il ne souhaitait décrire les Espions qu’il avait vus, de peur de s’attirer encore plus d’ennuis.
– Excellent, vraiment excellent ! commenta Camille, ravie. Je vois que mes petites menaces ont eu de l’effet ! Je savais que c’était un bon garçon, tout compte fait. Me voilà sauvée. Nous sommes libres, puisque votre fils a eu la décence de se taire ! Il a eu raison. On l’aurait tué, sinon. Ah, vous avez vraiment ensoleillé ma journée, Monsieur Ajacier.
Le sénateur lui jeta un regard soucieux. Malgré ses efforts pour protéger Joël, elle défendait encore totalement son groupe, ce qu’il avait un peu de mal à comprendre. Camille parut lire dans ses pensées et se justifia avec un petit sourire en coin.
– Je n’irai pas en taule. C’est tout ce que je souhaite, Monsieur Ajacier. Je préfère crever plutôt que de croupir dans une cellule. Je suis de votre côté, c’est vrai, mais je tiens sincèrement à ma liberté. Si on me prive de parcourir les toits, d’écouter à droite et à gauche, d’espionner des gars de toute sorte, ce n’est plus une vie. Je doute que vous puissiez comprendre, après tout, vous n’êtes pas un hors-la-loi. Mais voilà, ma liberté, c’est vraiment ce que j’ai de plus précieux. Avec ma parole.
– C’est certain que je ne peux pas me mettre à ta place, Camille, mais expliqué comme ça, j’arrive un peu mieux à comprendre ton sentiment. D’ailleurs, ça n’a pas grand-chose à voir, mais je me posais une question tout à l’heure. Tu te sens en sécurité ici ? Tu n’as pas peur que les Espions viennent à l’hôpital pour…
– Pour m’achever ? termina la jeune fille, avant de se remettre à rire. Monsieur Ajacier, je vous ai dit que les Espions se font d’abord oublier avant de passer à l’action. Ils endorment la méfiance de leur victime. Mais je ne suis pas leur victime. Je suis une des leurs, même si je suis mise à l’écart désormais. J’ignore si Michaël sait que je suis vivante. Oh ! J’adorerais voir sa tête ! Il le saura très vite, s’il n’est déjà pas au courant. Et quand Nathan et Eddy me verront au lycée ! Oh, Monsieur Ajacier, qu’est-ce que ça va être amusant !
– Nathan ? Eddy ? Qui est-ce ?
– Deux Espions qui sont dans la même classe que Joël et moi.
– Dans la même classe que Joël et toi ? répéta le sénateur d’une voix blanche.
À voir Pierre Ajacier blêmir, Camille comprit sa gaffe. Son fils passait chaque jour sept heures en moyenne au lycée, en compagnie de deux Espions qui désiraient ardemment sa mort. Cela n’avait forcément rien de rassurant pour un père qui avait déjà vu sa famille attaquée deux semaines plus tôt.
– Ne vous inquiétez pas, Monsieur Ajacier. Ils ne lui feront rien. Michaël s’est réservé le privilège de tuer votre fils pour lui tout seul, lança Camille, qui se voulait amusante.
C’était raté. Pierre Ajacier ne rigolait pas du tout. Il se releva nerveusement, raide comme un tronc d’arbre, et attrapa sa sacoche qui gisait sur le sol. Il jeta un regard navré à la jeune patiente, qui comprit aussitôt qu’elle allait perdre son unique visiteur.
– Monsieur Ajacier, vous partez déjà ? s’enquit la rouquine sans cacher sa déception. C’est ma faute ? Je suis désolée si…
– Non, Camille, tu n’y es pour rien. Il faut que je parle d’urgence à ma femme. Et que je touche aussi deux mots à Joël. Je dois trouver une solution pour que ce qui s’est passé à la gare ne se reproduise plus, tu comprends ?
L’Espionne hocha la tête, compréhensive, alors que le sénateur l’embrassait sur le front, comme à son habitude, pour lui dire au revoir. Il s’apprêtait à sortir de la pièce, lorsqu’elle le rappela à nouveau d’une petite voix suppliante.
– Avant de partir, Monsieur Ajacier, est-ce que vous pouvez me promettre d’appeler Madame Zidou de ma part, pour lui dire que je vais bien et lui demander des nouvelles de ma chienne ? Vous trouverez facilement son numéro, elle est dans l’annuaire… S’il vous plait…
Pierre Ajacier sortit un instant de ses pensées noires, et lui offrit enfin un de ces sourires qui ravissait tant la jeune fille. Il promit et quitta la chambre, soucieux.
À dire vrai, Camille appréciait de plus en plus Pierre Ajacier et sa conversation. Elle était touchée par ses visites ainsi que par l’attention qu’il lui portait, et avait fini par s’habituer à sa présence. Elle ne cacha toutefois pas sa surprise, lorsque le lendemain, le sénateur vint la voir accompagné de sa femme. Tous deux avaient l’air très inquiet, rappelant l’angoisse qui avait précipité le départ du sénateur la veille. Camille eut un sourire amer en devinant la crainte de Madame Ajacier à son égard. Restant derrière son mari, elle hésitait visiblement à s’approcher de la jeune « terroriste ».
– Monsieur Ajacier, Madame Ajacier, salua l’Espionne, formelle comme à son habitude. Voyons, Madame Ajacier, n’ayez pas peur. Je ne suis pas armée et une perfusion me retient à mon lit. Je ne peux pas vous faire de mal. Je n’ai même aucune raison de vous en faire.
Un peu plus rassurée, la mère de Joël s’avança auprès de la petite reine et lui tendit un petit panier qui dégageait une savoureuse odeur de biscuits sortant du four. Ce parfum alléchant parvint jusqu’aux narines de la jeune fille et lui déclencha un gargouillement d’estomac qui lui rappela qu’elle avait encore fait un maigre repas ce midi-là.
– Je t’ai apporté des cookies, Camille. J’espère que tu les aimes.
– Et comment ! Oh, tout ça pour moi ? Merci Madame Ajacier ! En plus, je meurs de faim !
Le couple éclata de rire devant la jeune fille qui plongeait déjà sa main dans le panier tout en le humant à plein nez. Elle en proposa à ses visiteurs, qui refusèrent poliment, et dévora trois cookies d’une traite.
– Alors, qu’est-ce qui vous amène si soucieux ? s’enquit la jeune fille, en croquant dans un quatrième biscuit.
– J’ai discuté longtemps avec Flavie hier, commença le sénateur, et nous avons essayé de réfléchir à une solution pour protéger Joël…
– Je vous arrête tout de suite, Monsieur Ajacier. Il n’y a pas de solutions à ce genre de problèmes. Vous avez affaire à des Espions. Tôt ou tard, ils mettront la main sur votre fils. Même si vous l’envoyez en Mongolie. Je sais de quoi je parle.
Gênée à l’idée de paraître un peu gloutonne devant ses visiteurs, Camille préféra suspendre un temps son goûter. Elle s’appliqua à balayer les miettes autour de sa bouche avec sa langue, puis se lécha les doigts, sans cesser d’écouter le père de Joël avec le peu de sérieux qu’il lui restait.
– Tu as raison, Camille, reprit gravement Pierre Ajacier, nul déstabilisé par la petite toilette de la jeune fille. C’est pour ça que nous avons une faveur à te demander. Tu connais les Espions mieux que quiconque, et je sais que tu tiens aussi beaucoup à Joël, même si cette tête de mule refuse de voir la vérité en face.
– Tu es la seule qui puisse faire quelque chose pour lui ! S’il te plait Camille ! Je ne supporterais pas qu’on s’en prenne à mon fils une seconde fois !
Coupé par son épouse qui s’était jetée, suppliante, sur la rouquine, Pierre Ajacier n’eut pas besoin de finir d’exposer sa requête. Camille avait tout compris. La jeune Espionne regarda un instant les larmes rouler sur les joues de Flavie, épouvantée à l’idée de perdre son unique fils, puis lui sourit avec douceur.
– Madame Ajacier, je comprends votre inquiétude, fit-elle en relevant son visage. Vous êtes une maman. J’aime votre fils et je n’ai pas non plus envie qu’il lui arrive des embrouilles qu’il n’a pas cherchées. J’ai choisi mon camp depuis longtemps et puisque vous ne me rejetez pas et que je vous suis si redevable pour toute l’attention que vous me portez, je suis prête à vous aider.
Flavie frissonna lorsqu’elle enroula ses mains squelettiques autour des siennes et, sans la quitter des yeux, Camille lui déclara très sérieusement :
– Je vous jure, Madame Ajacier, que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour surveiller les Espions et protéger votre fils d’eux. Je vous jure que, moi vivante et ce jusqu’à ma mort, jamais ils ne lui feront de mal, ou alors ils ont auront affaire à moi. Vous avez ma parole, Madame Ajacier. Et vous savez ce qu’on dit de la parole d’un Espion. C’est ce qu’il a de plus précieux !
L’Espionne ajouta qu’elle était navrée de ne pas pouvoir faire un pacte avec leur sang, car hélas, les couteaux de l’hôpital n’étaient pas assez tranchants pour entailler l’épiderme. Flavie et Pierre restèrent sceptiques face à ce détail, puis lui sourirent, soulagés par sa promesse. Jamais on n’avait exprimé à Camille autant de reconnaissance. Le sénateur lui serra chaleureusement la main. Sa femme lui sauta au cou en ne cessant de la remercier à tout-va. La jeune fille se sentait importante, utile et adulée. Et elle aimait ça.
– Bien entendu, je pose une condition, sourit narquoisement la rouquine. Débrouillez-vous comme vous voulez, mais faites-moi sortir d’ici !
Plus d’une semaine avait passé depuis l’accord établi entre Camille et les parents de Joël. Bien entendu, celui-ci n’en connaissait pas l’existence et avait repris sa vie normale, réussissant à oublier peu à peu la jeune fille. Il avait perdu une copine, mais regagné l’amitié de Martin. Ce dernier était venu le trouver, à la fois honteux et persuadé que s’il ne l’avait pas abandonné, les Espions n’auraient pas profité de sa solitude (Camille ne comptait pas vraiment en « amie ») et ne l’auraient pas agressé. Joël avait donc retrouvé tout le soutien de son ami dans l’affaire qui le reliait au groupe terroriste.
De son côté et grâce à Pierre Ajacier qui s’était longtemps battu avec le personnel soignant de l’hôpital Avicenne, Camille avait pu rentrer chez elle, non sans promettre de revenir pour d’autres examens. Elle avait refusé qu’il la reconduisît chez elle, et était partie seule, marchant lentement à l’aide de sa béquille, en direction de sa cité. Madame Zidou, qui avait suivi l’évolution de son état de santé grâce au sénateur, avait béni tous les saints lorsqu’elle avait trouvé l’Espionne sur le pas de sa porte. Douceur était même restée parfaitement idiote et immobile devant sa maîtresse qui l’avait tant manquée, avant de comprendre la réalité et d’aboyer de bonheur.
Sur le chemin qui l’amenait au lycée Louise Michel, Camille se remémorait l’accueil plus que chaleureux que lui avait réservé sa chienne. Elle avait été si heureuse de retrouver sa présence si rassurante et ses câlins si doux ! L’Espionne s’était tellement préoccupée de ses retrouvailles avec sa chienne bien-aimée qu’elle avait à peine remarqué l’absence de son père. Elle souffrait moins de sa disparation aujourd’hui : les très longues journées seule à l’hôpital lui avaient permis de méditer et de faire son deuil – au moins un point positif. Elle se réjouissait également de bien avancer dans ses révisions. Le Baccalauréat approchait et Flavie Ajacier avait emprunté de force à son fils ses leçons pour que Camille pût rattraper son retard.
Bref, la vie reprenait son cours et laissait entrevoir quelques rayons de soleil, faibles mais bien présents. Dès qu’elle fit son apparition au lycée, tous les élèves se tournèrent sur son passage. Ils avaient entendu parler des évènements ayant eu lieu à la gare désaffectée (et comment ! cela avait fait la Une du journal !), et tous savaient aussi que les Espions en personne avaient conduit Camille Laurier tout droit à l’hôpital Avicenne. C’était bien suffisant pour placer Camille Laurier en tête de la liste Pipole du lycée.
Il était dix heures. Les cours devaient commencer après la récréation du matin. Ignorant les regards peser sur elle, Camille décida de reprendre son poste d’Espionne et s’adossa contre sa colonne favorite, qui lui tenait lieu de point de surveillance. À la recherche de Joël Ajacier, elle balaya la cour à la manière d’un radar. Elle le chercha longtemps, mais il resta introuvable. Plus les minutes s’écoulaient, plus son inquiétude grandissait. Alors qu’elle commençait à se mordre les lèvres d’angoisse, son regard perçant s’arrêta sur Mélissa et son nouveau petit ami.
Son cœur encore faible manqua un battement. Joël. Elle ne l’aurait pas reconnu. Elle se trouvait loin du couple et ne le voyait pas précisément, mais il avait changé. Au niveau vestimentaire, déjà. Il portait une chemise blanche sous la veste d’un costard anthracite, avec un jean qui pour une fois ne lui flottait pas sur les cuisses. Joël. Son Joël en bon chic bon genre, les cheveux nettement raccourcis après un détour chez le coiffeur. Son Joël encore, qui enlaçait étroitement Mélissa au visage de faon. Mélissa, qui caressait le visage du jeune homme avec la paume de sa main, taquinant ses irrésistibles fossettes. Son Joël, enfin, qui s’inclinait légèrement pour laisser courir ses lèvres sur le poignet de la lycéenne. Camille, poignardée une seconde fois.
Était-ce le fait de sortir avec une jeune fille aussi délicate que Mélissa qui l’avait poussé à changer physiquement ? Était-ce une croix sur le Joël d’avant, celui qui s’était pris les pieds dans les filets d’une Espionne ? Était-ce justement les évènements récents, son histoire passée avec Camille, une page tournée qui l’avait rendu plus mâture, moins naïf… plus adulte ? Était-ce elle, au final, qui avait fait de lui un homme ?
Camille s’en savait rien, mais sentait naître en elle une pointe de fierté de savoir qu’elle avait été aimée par un garçon aussi charmant. Elle souffrait aussi. La vision de sa concurrente qui respirait le bonheur l’écœurait au plus haut point et elle refoulait tant bien que mal son envie de vomir. Mélissa pouvait toucher au jackpot. Camille, elle, n’en avait plus le droit. Sa jalousie augmenta de seconde en seconde. Joël sortait peut-être avec Mélissa… mais Joël lui appartenait toujours, et il ne pourrait pas indéfiniment fuir le lien fort qui les unissait, l’Espionne en était persuadée.
Au loin, le jeune homme releva la tête et croisa son regard. Camille ne baissa aucunement les paupières et se surprit même à lui adresser son plus beau sourire mauvais. Elle vit l’attention de Joël glisser vers un coin ombragé de la cour et son visage se fermer. La rouquine suivit le parcours de ses yeux et aperçut Nathan et Eddy qui, eux aussi, gardaient un œil noir sur le fils du sénateur.
Sûrement dérangé par le fait d’être observé par trois Espions aussi dangereux que ceux-là, Joël attrapa la main de Mélissa et préféra l’entraîner dans un coin un peu plus intime du lycée. Camille ne chercha même pas à le suivre, beaucoup trop retournée par ce qu’elle venait de voir. Elle se reprocha de ne pas s’être préparée plus tôt à cette éventualité et attendit, le cœur en miettes, la fin de la récréation.
Lorsque la cloche sonna, elle se rendit lentement devant la salle où aurait lieu le cours d’Histoire. Elle arriva l’avant-dernière : tous ses camarades attendaient devant la porte le professeur qui manquait encore à l’appel. Le bruit de sa béquille sur le sol attira l’attention de toute la classe et une trentaine de regards se braqua sur elle. Elle feignit l’ignorance jusqu’au bout et passa devant les deux Espions qui, sans attendre, lui firent un croche-pied. Camille s’écroula par terre à la vue de tous.
– Et alors, Laurier, on a perdu ses réflexes ? railla Eddy.
– Ça fait quoi d’avoir tout perdu ? demanda Nathan, avec un sourire mauvais.
La béquille roula jusqu’au mur. Étendue à plat ventre, Camille ne se releva pas. Elle n’en avait pas la force. C’était bien la première fois que cette classe de Terminale la voyait si vulnérable, mais pour autant personne n’osa intervenir. Pas même Joël qui, malgré le cœur serré à la vue de ce spectacle, refusait d’intervenir à nouveau dans la vie de l’Espionne.
– Putain, mais y’a personne qui réagit là ?! beugla quelqu’un, seul au milieu de cet égoïsme. Nan, sérieux, j’hallucine ! Elle pourrait clamser que vous resteriez là ou quoi !
Un lycéen brun se détacha du groupe d’élèves, hors de lui. Mo. Ignorant le regard noir des Espions, le jeune homme se précipita sur Camille, immobile, encore trop fragilisée par son agression à la gare. Seules ses dents grinçaient pour faire taire la douleur naissante dans son crâne et ses reins.
– Cam ? Camille, ça va ?
– Mo ? s’étonna faiblement l’intéressée après avoir ouvert un œil, alors qu’il la retournait sur le dos.
– Comment tu te sens ?
– Ça va assez… Rien de cassé, quoi...
Il l’aida à s’asseoir sur le sol, et pendant qu’elle reprenait ses esprits, il se redressa pour dévisager furieusement Nathan et Eddy. Mesurant pas loin de deux mètres, il posa un œil hautain et menaçant qui fit un bon effet sur les deux Espions.
– Dégagez de ma vue, pauv’ cons, avant que je vous fracasse la gueule.
– Tu nous parles sur un autre ton, Mohamed, compris ? répliqua Nathan, qui ne voulait pas fléchir aussi facilement devant ce grand gaillard. De quoi tu te mêles d’abord ?! Hein ? Je m’occupe de tes oignons, moi ? Un conseil, Mo : reste en dehors de ça, sinon tu vas t’attirer de gros ennuis, et tu regretteras de m’avoir connu.
– Genre, tu me fais peur. Les gars qui se la pètent comme toi, dans ma cité, ils font pas long feu. Alors, moi aussi, je vais te donner un conseil, gadjo : ne m’emmerde pas, j’ai des relations.
Joël applaudit en silence la répartie de Mo qui laissa sans voix la pupille de Michaël. Cependant, son camarade profita d’un instant où Camille se relevait, le dos tourné, pour lui jeter un regard de reproche que le fils du sénateur interpréta comme « Et toi qui ne l’a même pas défendue… ». Honteux, il baissa la tête, tandis que Mo se baissait pour saisir la béquille gisant sur le sol et la rendre à la jeune fille, qui le remercia timidement. Le professeur montra le bout de son nez juste à ce moment-là et le spectacle qu’était Camille s’envola bien vite de l’esprit des lycéens qui s’engouffrèrent sans plus attendre dans la salle. Mo l’accompagna jusqu’à sa table, de peur qu’elle ne s’effondrât à nouveau, puis alla s’asseoir à côté de Joël, légèrement piqué par la jalousie.
– Par pitié, ne me fais pas la morale, soupira le jeune homme, alors que son camarade ouvrait déjà la bouche pour le sermonner.
– Tu mériterais que je te casse la gueule à toi aussi, Joël… Mais je vais faire semblant de compatir, parce que t’es un bon pote et que je pense que t’as pas mal morflé de ta rupture avec Camille.
Joël ne fit aucun commentaire et ouvrit son classeur, rapidement imité par Mo. Le cours commença alors et il fut très vite absorbé par les explications de l’enseignant, qui lui permit d’oublier Camille, Nathan et Eddy. Le professeur était un véritable amoureux de l’Histoire et savait transmettre sa passion à ses élèves, qui buvaient ses paroles en silence, tous émerveillés par ses anecdotes. Ils se croyaient tous en ex-URSS, eux aussi, et non à quelques semaines du Baccalauréat à réviser sagement leurs leçons.
– Et il n’était pas rare, comme en France à l’époque de la Résistance d’ailleurs, de voir des femmes russes jouer les espionnes pour le KGB…
– Mais M’sieur, ces femmes-là existent encore ? demanda Naweï, assise comme à son habitude au fond de la classe, mais pas moins attentive au récit du professeur.
– Ça ne m’étonnerait pas, tiens donc ! Ces femmes existent partout dans le monde, là où il y a eu et où il y a encore des Résistances qui s’organisent. De nos jours et dans certaines sociétés comme la nôtre, c’est même devenu un métier ! Tous ne poursuivent pas des objectifs politiques ou militaires, non. L’espionnage s’est également répandu dans le monde des entreprises. Pour info, on appelle ça l’intelligence économique. Il y a des universités qui proposent même cette formation, c’est vraiment quelque chose qui se développe !
– Ouah, ben ça alors ! soufflèrent une dizaine de lycéens, sous le choc.
– Eh oui. On peut faire son James Bond dans une PME ! Je veux dire que téléphoner pour demander le login de quelqu’un, ça se fait plus qu’embaucher une espionne russe pour aller coucher avec untel ! Enfin, revenons à nos moutons… Ce que je voulais dire, c’est que l’espionnage est toujours d’actualité partout dans le monde, et ce, sous toutes les formes possibles. Regardez, en France, quel est le sujet favori des médias ?
Un frisson parcourut la classe silencieuse et inquiète, pour qui la réponse était une évidence. Les Espions. Instinctivement, le regard de Joël glissa sur Camille, assise toute seule à la table collée au bureau professoral.
– La mère de Camille était russe… remarqua Nathan à voix haute, ironique, avant que Naweï n’en demandât davantage sur les Espions au professeur.
De toute évidence, aucun élève ne saisit le sous-entendu à l’exception de Joël. À l’entente de cette insinuation, Camille Laurier se retourna lentement sur sa chaise et planta son regard perçant dans celui de l’Espion qui osait la défier. Sur son visage ne restait plus aucune trace de sa récente défaite.
– Oui, et alors ? Ça te fait flipper, Nathan ? lança-t-elle, malicieuse à souhait.
L’intéressé se renfrogna et détourna la tête. Quant à Joël, il sourit malgré lui devant la répartie de la jeune fille, ce que son voisin, Mo, ne manqua de remarquer.
– Tu devrais aller lui parler, lui glissa-t-il discrètement.
– Quoi ? À qui ?
– À Camille. Tout n’est peut-être pas perdu, mon frère.
– Si, Mo. Cette fille m’a fait beaucoup de mal, tu n’as pas idée.
– Et elle a souffert aussi. Mais elle t’aime à en crever, j’te dis.
– À en crever, tu dis… répéta Joël, morose.
– Et toi, tu l’aimes encore.
Vers la fin de l’année scolaire, les lycéens préféraient parfois déserter les salles de cours pour réviser (ou pas) plus tranquillement chez eux. Cela avait été le cas de Mélissa et Martin, qui avaient abandonné Joël ce jour-là sans le prévenir. Ennuyé à l’idée de se retrouver seul, Joël était sorti démoralisé de la cantine et avait décidé de s’isoler totalement des autres élèves pour ruminer à son aise. Un peu plus, un peu moins, cela revenait à peu près au même en fin de compte.
Il s’éloigna donc vers le fond du lycée et pénétra dans un bâtiment plus en recul des autres. Son prochain cours aurait lieu ici, et il comptait attendre l’heure tourner, assis par terre. La lourde porte claqua derrière lui et résonna dans toute la bâtisse. L’endroit était désert. Paraissait désert. Il n’y avait pas un seul bruit.
Joël quitta le hall sombre et s’inséra dans le couloir. Il fit deux pas et s’arrêta net, stupéfait. L’endroit n’était pas aussi vide qu’il ne l’avait cru. Adossés au mur, l’un en face de l’autre, Nathan et Eddy tournèrent la tête vers le nouveau venu et lui adressèrent un sourire mauvais.
À ce moment-là, alors que la cervelle de Joël entrait en état d’alerte rouge, un choix s’imposait. Soit il prenait les jambes à son cou et se faisait passer pour une poule mouillée, soit il gardait sa fierté et continuait son chemin pour aller s’asseoir comme prévu devant la classe, en faisant mine de ne pas les voir. Il se décida pour la seconde option, se disant pour lui-même que l’ignorance était le pire des mépris, une phrase que lui avait souvent répété Camille.
– Ben alors Ajacier, t’es tout seul ? demanda innocemment Nathan. T’as perdu ton Papa et ta Maman ?
Joël ne répondit pas et continua d’avancer, déterminé. Il ne cessait de fixer le bout du couloir qui lui paraissait être la ligne d’arrivée d’une longue compétition. Au fond de lui, il savait que les deux Espions allaient lui faire amèrement regretter la défaite qu’ils avaient essuyée à la gare désaffectée. Il n’ignorait pas non plus qu’il n’en ressortirait pas indemne, mais il refusait de fuir. Jusqu’au bout il ne fuirait pas. Même si on formait un barrage menaçant devant lui pour le dissuader d’avancer, tel que celui de Nathan et Eddy à ce moment-là.
– Non, mais tu crois aller où comme ça ? Tu viens nous déranger et tu comptes repartir comme si de rien n’était ? Tu sais Ajacier, t’as du bol qu’on ne puisse pas te descendre… Mais rien ne nous empêche de t’offrir le dessert que tu n’as pas eu le temps de déguster le mois dernier.
Et Joël dégusta. Le poing de Nathan qu’il reçut dans l’estomac suffit à lui couper le souffle. Il n’eut pas le temps de riposter : Eddy le poussa violemment contre le mur et il se cogna le crâne contre la poignée de la fenêtre. À deux contre un, Joël n’était pas en meilleure position pour se battre. Très vite, alors qu’il ne pouvait se défendre, il croula sous les coups des deux Espions. Un bruit sourd, celui d’un sac jeté à terre, résonna dans le couloir, mais l’adolescent le perçut à peine, trop sonné par l’offensive de ses adversaires.
– Espèce d’enfoirés, touchez pas à mon mec !
Camille chargeait droit sur Nathan et Eddy, puis bondit sans crier gare sur le premier. Pris par surprise, l’Espion sentit ce poids tomber sur lui et manqua de perdre l’équilibre. La rouquine enroula ses jambes autour de sa taille et resserra une main autour de sa gorge, l’autre brandissant un couteau suisse ouvert sur la lame la plus tranchante. Le premier réflexe de Nathan fut de foncer à reculons sur le mur pour assommer Camille ou tout du moins, lui faire du mal. La jeune Espionne grinça des dents sous l’effet de la douleur, mais ne lâcha pas prise pour autant et pressa son arme contre la gorge de son ennemi.
– Eddy ! aboya la rouquine, hargneuse, à l’attention de celui qui continuait à frapper Joël. Recule ! Recule ou je l’égorge ! Je te jure que je l’égorge !
Voyant son ami à la merci de Camille, Eddy n’hésita que quelques secondes et s’écarta légèrement du fils du sénateur. Satisfaite, elle lui adressa un sourire mauvais, desserra son étreinte et avant que Nathan ne réagît, elle lui enfonça le couteau dans l’avant-bras pour le dissuader de toute tentative à son égard. Elle sauta à terre et envoya un formidable coup de poing dans la mâchoire d’Eddy, le même qu’avait reçu Joël deux minutes plus tôt.
– Le prochain qui s’approche de lui, je le tue ! fulmina l’Espionne, rouge de colère. Allez, dégagez maintenant, je ne veux plus vous voir !
Eddy et Nathan, qui soutenait son avant-bras ensanglanté en ignorant la douleur qui le transperçait, lancèrent un regard assassin à la rouquine, puis détalèrent, vaincus. Dès que Camille entendit la porte du bâtiment claquer au loin, elle se jeta à genoux devant Joël. À son plus grand déplaisir, elle commença à lui repousser les cheveux qui lui tombaient sur le visage ainsi qu’à le tripoter partout pour vérifier s’il n’avait pas de lésions graves. Le jeune homme grogna et essaya de balayer ses mains curieuses, mais Camille lui donna une tape sèche et continua sa tâche, la mine sévère.
– Ferme-la, Ajacier. T’as intérêt à te tenir à carreau si tu ne veux pas finir comme Nathan. Regarde-moi. Peut-être une bosse derrière la tête. Un léger cocard en préparation. Il faudrait mettre de la glace, mais ce sera trop tard lorsque tu rentreras chez toi. Enfin, tu peux toujours essayer. La mâchoire. Tu as mal ? Ouvre la bouche. Ça va, t’as toutes tes dents, mais tu saignes de la gencive. Et du nez. Attends. Prends ce Kleenex. Les articulations. Aucune douleur ?
Blasé, Joël se laissait manipuler comme une marionnette et répondait par hochements de tête. Il s’en voulait de se laisser faire tripatouiller par l’Espionne qui lui avait fait tant de mal. De plus, la voix dure et les gestes de Camille n’avaient rien à envier à ceux de l’infirmière sexy qui s’occupait de lui lors de son court séjour à l’hôpital Avicenne, ce qui rendait ce rapprochement encore plus désagréable.
– Allez, Ajacier, relève-toi, intima la rouquine, se redressant de toute sa hauteur. Tu peux y arriver ?
Joël se détesta encore plus de ne pas l’avoir envoyée paître lorsqu’elle agrippa ses bras et le tira de toutes ses forces en arrière pour le remettre sur pieds. Puis sans le lâcher, elle le guida vers la sortie, attrapant son sac au passage. Lorsque Camille poussa la lourde porte, les rayons éclatants du soleil frappèrent de plein fouet Joël et l’aveuglèrent un instant. Il avait l’impression de sortir de l’enfer. À son grand soulagement, la jeune fille le lâcha et s’apprêta à l’abandonner sans plus de cérémonie.
– Ne va pas à l’infirmerie, ordonna l’Espionne, faisant volte-face. Ni chez le Proviseur. Ne dis même rien à tes parents, ils seraient fous d’inquiétude. Vu ta gueule, la tâche va être ardue, mais il vaut mieux qu’ils ignorent les faits. Il ne s’est rien passé, capito ? Tout ceci doit rester entre nous quatre. Nathan et Eddy garderont le silence d’eux-mêmes. Les flics ont bien assez tourné autour de nous à mon goût. Faisons-nous oublier.
Joël devina à sa dernière phrase qu’elle parlait surtout d’elle et de son groupe. Il acquiesça sans un mot et observa la jeune fille ajuster sur son sac sur l’épaule, prête à repartir.
– Une dernière chose, Ajacier. Ne reste pas seul. Où que tu ailles, assure-toi d’être accompagné. La présence de Martin ou Mélissa suffira largement. Seul, tu es faible et facile à atteindre. Et un jour où il t’arrivera un gros pépin qui porte le nom de Michaël, je ne serai pas forcément dans le coin. Évitons ça, tu veux.
L’adolescent hocha à nouveau la tête et ravala sa salive. Le souvenir de Michaël restait encore trop présent dans son esprit pour prendre à la légère la menace de Camille.
– Je devrais te remercier, parvint à articuler Joël, alors que ces quatre mots lui arrachèrent la gorge.
– Te fatigue pas, Ajacier, marmonna l’intéressée. Je paie mes dettes.
Sans rien dire de plus, l’Espionne s’éloigna et disparut à l’angle du premier bâtiment. Dès qu’elle ne fut plus dans son champ de vision, le jeune homme sentit un poids s’envoler de ses épaules et l’atmosphère devenir moins oppressante. Il s’en trouva fort soulagé, mais continua à méditer.
Joël s’était déjà demandé à plusieurs reprises quel terme pouvait définir le mieux Camille Laurier. Il avait longtemps réfléchi, plusieurs jours même, sans jamais parvenir à un résultat satisfaisant.
Camille était ses yeux une sorte de James Bond d’un mètre cinquante-sept, qui se glissait partout avec la même finesse qu’un serpent, et qui alliait la ruse du renard avec le camouflage du caméléon. Beaucoup avaient été observés par Camille sans même ne jamais l’avoir vue.
Camille était une sorte de pirate, comme le jour où il l’avait surprise à surveiller la cour de récréation, une lueur malveillante brillant dans ses yeux perçants. Les mains dans les poches, son pantacourt bouffant qui dévoilait ses mollets fermes et blancs, un genou replié, ses cheveux rouge sang volant au vent, elle ressemblait vraiment à un flibustier. Qui aurait pu se douter, dans ce lycée si banal, que cette fille était recherchée comme tant d’autres par les forces de l’ordre ?
Joël ignorait les limites de sa cruauté, mais la savait désormais capable du pire. Camille pouvait certainement être une femme très dangereuse, aussi dangereuse que Polichinelle prêt à poignarder quelqu’un dans le dos.
Camille, c’était le chat étrange dans Alice au Pays des Merveilles.
Il fallait s’en méfier.
« Ce qu’il reste de toi… Une si longue absence qui se moque de moi, une éternelle danse, un début d’utopie, le chaos de ta peau dans l’enfer de mes nuits, le sommeil en morceau »
Ce fut un chapitre long mais addictif aussi. Évidemment, au début, on veut tout de suis savoir ce qu'il est advenu de Camille et Joël, du coup ça se lit à la vitesse de la lumière (même si les scènes d'enfance de Joël sont particulièrement bien réussies, et très cruelles à cause de leur emplacement stratégique, là où le lecteur a envie de savoir ce qui est arrivé aux deux héros !), le temps d'être rassurée (enfin, un peu au moins) sur leur état respectif ! Pauvre Camille, bien mal en point... Joël s'en sort mieux physiquement, mais moralement il est anéanti, ce qui peut se comprendre aussi.
La rancune qu'il garde envers Camille prend au tripe, on le comprend bien, mais forcément, on a envie qu'il passe au-dessus de ça pour qu'il comprenne les sentiments de Camille. Seulement, ce n'est pas si simple, je m'en rends bien compte... Mais je garde espoir sur le fait qu'ils vont se sauver mutuellement - moralement, j'entends.
Les passages narratifs entre Camille et M. Ajacier, après toute cette adrénaline que tu nous as fait avoir dans le chapitre précédent, sont plus calmes, plus doux. Ils forment une sorte de petite trève plaisante à lire. J'aime bien les parents Ajacier, mais je crois l'avoir déjà dit. Ça se confirme, surtout pour le père. La mère est forcément moins sympathique à douter de notre Camille, mais bon, elle a un bon fond quand même, et ça se comprend qu'elle prenne le parti de son fils.
Par contre, le père qui veut "obliger" son fils à se réconcilier avec Camille... mauvais calcul, très mauvais ! Il n'y a rien de tel pour braquer un ado... Vraiment, il il ne connaît rien de rien à la psychologie adolescente, Pierre Ajacier.
Ensuite, les choses reprennent leur cours normal. Après huit chapitres, j'ai enfin mis le doigt sur ce que me rappelaient Nathan et Eddy : Crabbe et Goyle dans Harry Potter ! Bon, en physiquement différent, c'est sûr, mais je trouve que le mode "duo" leur va très bien. ^^ Bref, comme tu l'as dit, Camille reste une Espionne dans le sang, ça se voit. Sauf que maintenant, elle roule pour elle-même... ce qui n'est peut-être pas plus mal.
La scène où Camille s'effondre devant sa classe m'a fait réellement très mal pour elle. Heureusement, elle semble avoir un chouette allié en la personne de Mo. Il me plaît déjà ! Cette scène où Joël ne bouge pas d'un poil pourrait presque être mise en parallèle avec la scène où lui-même se retrouve en difficulté contre le duo, et où Camille vole à son secours. En même temps, elle a promis au père de le protéger, mais bon, ça en dit quand même long sur le caractère de Joël, qui a un besoin urgent de mûrir (voilà qu'il batifole avec Jessica, maintenant... *roll eye*), par rapport au caractère si adulte de Camille.
D'accord, il le dit lui-même à la fin : Camille est dangereuse. M'enfin, à lui de savoir se défendre aussi... Bref, je ne doute pas qu'il va prendre un peu de plomb dans la cervelle. Déjà, physiquement, il a plus la classe, ce qui est bon signe. :)
J'attends la suite avec impatience ! ^^
Bisous !
<br /><br />
Il y avait beaucoup de choses dans ce chapitre, c'est vrai, la scène d'une partie de l'enfance de Joël étant un peu particulière, j'avais peur qu'elle passe un peu mal. Mais apparemment non. Donc je suis soulagée. ^^ Et oui, c'était sadique de la placer là, mais je n'avais aucune place pour la caser. ^^
Donc finalement, Camille s'en sort relativement bien, mais le plus douloureux, désormais, c'est de faire face à Joël qui ne lui pardonne (et pardonnera) pas ce qu'elle a fait alors qu'il avait grande confiance en elle. C'est difficile pour les deux. J'avoue que Joël n'est pas très chouette dans ce chapitre, mais sa famille compte beaucoup pour lui. La famille et la confiance. Il va falloir qu'il prenne beaucoup de recul... Je lui laisse encore son caractère d'adolescent bien trempé pour le dernier chapitre (histoire de bien rigoler une dernière fois quoi xD), mais après, PROMIS, il deviendra adulte. Pour sûr que cette histoire lui restera en mémoire et qu'il va en prendre de la graine !
Et heureusement, Papa Ajacier est là. :) Pas forcément pour réconcilier Joël et Camille (parce qu'il sait très bien que son fils est une tête de mule), mais surtout pour le convaincre que Camille a aussi fait des bonnes actions, malgré tout, et qu'elle mérite au moins un merci.
Aaaah oui ! Crabbe et Goyle ! J'avoue que je n'y avais pas pensé, mais c'est vrai que l'image du duo inséparable est bien la même ! ^^
Pour Camille, enfin... C'est ze chapitre, celui où vraiment on la voit très faible... Le fait qu'elle s'écrase sur le sol à cause d'un croche-pieds, c'est bien le signe qu'elle tombe de son piédestal. Elle n'a plus de relations, plus d'amis, plus de famille... et plus trop de forces non plus... pour le moment. Mo est bien sympa, et très loyal, mais malheureusement je ne crois pas que nous le reverrons encore. :(
Oh, et pour terminer sur Camille, par rapport à ce que je voulais te dire la dernière fois. J'en suis pas encore rendue à l'apparition du fameux personnage qui lui ressemble dans MI-5 (bientôt fini la saison 2, merci de m'avoir fait connaître au passage, j'adore *_* (love love love Mr. Darcy)), mais comme tu le faisais la remarque sur Camille adulte, je voulais rebondir. Je ne pense pas qu'une fois adulte, Camille aura un tout autre regard sur sa jeunesse. Je ne pense pas que Camille aura appris de ses erreurs. Bien sûr, elle n'en sera que plus forte après ce qu'elle a vécu ici, mais elle ne sera pas en paix tant qu'elle ne se sera pas vengée de Michaël et des Espions. Cela dit, c'est vrai, elle aurait bien aimé avoir une vie normale et être tout simplement heureuse comme les autres...
Camille reste donc une Espionne exilée, mais une Espionne quand même, à son "propre compte" comme elle dira. Donc potentiellement très dangereuse. =D Enfin tout ce que je peux dire, c'est qu'il va y avoir de l'action ! xD
En tout cas, Keina, un gros gros gros merci pour tes commentaires, je suis toute enchantée ! *_* Je te promets de faire mon max pour boucler le dernier chapitre en fin de mois. BISOUDOUUUUUX !
Camille est vivante ! Mais amochée ! Mais vivante !!!!
Enfin ce chapitre n'est pas réjouissant dans le sens où le couple Camille/Joël n'est plus ou presque. Enfin il n'est plus à cause de la trahison de Camille, mais les sentiments demeurent entre ces deux-là... et ça je crois que Joël aura beau faire, il ne pourra pas tourner si facilement la page, et il finira par revenir vers Camille... ils se marieront et auront beaucoup d'enfants. Bon je m'avance un peu, là ! En tout cas, je comprends Joël, je comprends son père et je comprends le fait qu'ils ne se comprennent pas sur le sujet. Je peux accepter l'idée que Joël en veuille à son père, mais je pense qu'il le sous-estime aussi...
Alors, oui, je l'avoue je suis tombée sous le charme de son père, que j'ai trouvé grand devant Camille. Il aurait pu la détester aussi, il aurait pu lui en vouloir, mais non. Lui, ce qu'il a vu avant tout, c'est l'amour de Camille pour son fils, le sacrifice qu'elle n'a pas hésité à faire et j'avoue que j'ai trouvé la relation entre ces deux-là très réussi. Ils marchent bien ensemble, vraiment et j'espère qu'on aura l'occasion de les recroiser en tête à tête par la suite.
Camille survit. Camille est amoché physiquement, mais aussi moralement. Elle ne vit pas super bien sa survie, ni l'idée que Joël n'est plus à elle, qu'elle va garder un oeil sur lui et que la confiance n'est plus entre ces deux-là. Je sais qu'on peut comprendre Joël, je sais, mais je trouve ça triste qu'il ne voit pas l'amour qu'a Camille pour lui, les sacrifices, l'existence qu'elle s'est condamnée à vivre pour lui... je trouve ça trop beau *o* !
Au passage, j'ai trouvé ça grandiose que Mo vienne au secours de Camille. J'ai eu un pincement au coeur, j'ai failli me dire... Camille et Mo... sans doute parce que Joël n'a pas bougé le petit doigt pour elle... mais je suis revenue à Joël/Camille, l'amour avec un grand A et avec le pire pour le moment.
Bref, je crois que l'on peut dire que j'ai beaucoup aimé ce chapitre, que je l'ai trouvé très bien et que je n'ai rien à redire dessus ! Bravo ma petite Clo'
A quand la suite ? !
PS : j'ai oublié de dire plein de trucs, mais j'espère que tu m'en voudras pas trop. C'est l'émotion de retrouver Camille en vie, même si le coeur en morceaux...
Je crois, malheureusement, quoiqu'il se passe par la suite entre Joël et Camille, que Joël ne pardonnera jamais vraiment à Camille d'avoir mis en danger sa famille. Comme tu l'as dit, c'est une situation critique où tout le monde a sa part de tords et de bonnes actions. Joël a assez morflé pour jouer à l'aveugle, Pierre Ajacier est assez reconnaissant pour avoir encore plus grande estime de Camille, et Camille aime assez Joël pour le prendre sous son aile. Et il va donc falloir un peu plus de temps à Joël pour l'oublier... si elle le lui permet. ^^
Pierre Ajacier est un homme sensé et réfléchi, et surtout très juste (un peu comme Michaël). Avant d'arrêter un jugement sur notre Espionne, il a voulu un peu connaître les dessous de l'histoire. Il est très humain, et c'est ce qui le fait très bon sénateur d'ailleurs. Même si nous le verrons peu dans la seconde partie, c'est quelqu'un qui a noué de profondes relations avec Camille. En politique, ils s'entendent très bien, même s'ils n'ont pas les mêmes avis. En fait, Pierre Ajacier apparaît et apparaîtra toujours pour remonter Camille dans l'estime des autres. Etant tous les deux un peu endettés l'un envers l'autre, ils sont prêts à s'aider mutuellement : Camille, en tant qu'Espionne, peut être utile à Pierre. Pierre, en tant que politicien, peut aussi rendre de nombreux services à Camille. C'est donnant-donnant. Pierre Ajacier est vraiment le seul personnage qui n'a aucun doute sur la loyauté de Camille. Même Joël pourrait rester sceptique sur ce sujet, vu ce qu'il a vécu.
Mordiou, tu fais une fixette sur le mariage et les enfants ! =D D'ailleurs, j'ai prévu de glisser quelques allusions qui te sont destinées dans le dernier chapitre ! ^^ En tout cas, Camille ne se mariera pas avec Mo. Je crois d'ailleurs que nous ne reverrons plus Mo tout court (car par la suite, l'histoire déménage de Bobigny)... Mais il est possible que Camille, très reconnaissante, le prenne lui aussi sous son aile. Et pour Joël/Camille, j'ai envie de te dire "tu oublies Mélissa !" qui est un peu dans le lot maintenant... Ca semble effectivement mal barré pour nos deux tourtereaux, mais le Truc est toujours dans la place. ^^
En tout cas, au prochain et dernier chapitre, je te concocte la présence de toute la famille Ajacier (Pierre y compris), Camille, avec un dernier retournement de situation du côté de nos chers Espions. Avec la participation exceptionnelle de Douceur, aussi. xD (J'ai l'impression d'avoir fait une bande-annonce, diantre xD).
Voilà, un grand merci pour ton commentaire et pour tes compliments, merci merci merci beaucoup de m'encourager Aresya ! Plein de bisoudoux !
Je suis tellement contente que ce chapitre t'ait plu ! =D
J'avoue que l'originalité de ce chapitre, c'est la vulnérabilité de Camille... ^^ Mais c'est exceptionnel. La Miss va se reprendre. Après tout, avec la promesse qu'elle a faite aux parents de Joël, elle va avoir de quoi s'occuper et pour ça, il faut être en forme ! =D
Je conçois tout à fait que tu ais envie de casser les dents à Joël... Mais bon, sois gentille avec ce pauvre petiot qui a grandement souffert... Il lui faudra du temps, et rien ne sera jamais plus comme avant. :)
Mais comme tu le fais remarquer, elle a perdu son mec mais gagné un allié. Et un sacré allié ! :) On ne dirait pas comme ça, mais Monsieur Ajacier est le quatrième personnage le plus important (ex-aequo avec un autre que tu ne connais pas encore) de l'histoire, derrière Michaël. C'est vrai qu'il a toujours été un peu dans l'ombre, et le sera aussi dans la deuxième partie, mais comme je le disais à Aresya, Pierre Ajacier remonte toujours Camille dans l'estime des autres dans les moments où personne n'a plus confiance en elle. La confiance qu'il accorde à Camille est une valeur sûre, parce que M. Ajacier n'est pas n'importe qui. Et sans lui, Camille serait dans de beaux draps... et peut-être en taule.
En tout cas, je te remercie chaleureusement pour ton commentaire, et je t'assure que c'est moi qui me sens toute petite petite quand je te lis toi, et les autres, sur FPA ! *_* Comme tu peux le constater, mes blocs de mots à l'état brut n'ont strictement rien à envier aux autres qui ont tant de vocabulaire et de facilité ! *_*
Je vais essayer de booster mon écrituromètre pour avancer et boucler cette première partie ! ;) Merci encore !