Il n'aura finalement réussi à dormir que sur le matin. Il est huit heures à peine lorsqu'il rouvre les yeux. Nicolas vient de quitter le lit. Liam discerne, à l'écoute, une certaine agitation dans sa cuisine. Dans la précipitation, ils se sont couchés sans fermer les stores. Une lumière grisâtre entre par la baie vitrée. Il se retourne pour voir le ciel nuageux et plombé, au-dessus de l'arche de la défense. La vue peut plaire. Aujourd'hui la météo est comme ce qu'il ressent, un peu morne. Il est, on ne peut plus gêné vis-à-vis de Nicolas, le jeune homme n'aura finalement pas obtenu grand-chose de lui.
Soulagé de savoir Yann déjà parti au travail à cette heure, il s'étire avant de se décider à se lever. La discussion autour du café sera définitivement plus facile si son colocataire exubérant, n'est pas là pour faire son show.
En se levant, il ne trouve pas son peignoir, son collègue l'aura certainement emprunté. Il enfile le jeans et la chemise des jours de congés, le style cool et déjà mis une fois, pensant se changer après la douche. Il se traine ensuite, pieds nus, jusqu'à la cuisine.
Son invité de la nuit y est occupé à entasser les tasses, le pain, les confitures, sur un petit plateau télé.
- Bonjour, tu fais quoi ? lui demande-t-il.
- La belle au bois dormant est debout ! Je n'avais pas envie de déjeuner dans ta cuisine, le sol est froid, tu as cette fausse peau de mouton autour la magnifique table de verre de ton salon. J'ai eu envie de profiter du confort !
- Ha bon, comme tu veux. Au passage, c'est une peau de mérinos.
- Quoi donc ?
- La peau de mouton, c'est une vraie.
Liam préfère la cuisine, dans sa tête, petit repas égal petite pièce. Il soupire mais ne semble pas être en position de dire quoi que ce soit. Considérant le beau brun partant avec son plateau chargé, il décide de l'aider en prenant le reste.
Il manque de lâcher la sucrière qui lui vient de sa grand-mère, tandis qu'à l'entrée du salon, la vision de Yann en haut de l'escalier de la mezzanine le surprend.
Médusé par l'apparition, il reste coi, ramasse mécaniquement les quelques sucres tombés sur le sol sans le quitter des yeux.
Le jeune homme n'a jamais été plus beau. Est-ce le vêtement ? Yann ne montre pas son nombril comme la veille. La tenue est très sobre, un slim serré noir, des Dr Martens semi montantes noires elles aussi, il ignore ce qu'il porte en-dessous mais sa veste anthracite est de toute beauté.
- Quelle classe ! se dit-il.
Limite il préfère ça que le débordement sensuel auquel il a eu droit la veille.
- Ce mec est d'une finesse !
La vision le laisse rêveur. L'habit est cintré même autour des épaules. La veste trois-quarts à col Mao est étroite jusqu'aux hanches, puis là, comme pour un vêtement féminin elle s'évase. Une casquette poulbot ajoute à la note un côté un peu garçonnet. Cependant il est plus pâle encore qu'à son habitude, et son maquillage, un peu inquiétant. Liam ne l'a sans doute jamais vu autant fardé. Les yeux seulement, néanmoins le trait de charbon se trouve grossi et dessous et dessus des yeux. Il fait penser à certain personnage de Tim Burton, sombre, romantique et mélancolique.
- Hou là ! C'est pas halloween tu sais ha haha ! balance ironique, le pompier moqueur.
Le regard gris clair de Yann fonce instantanément, une haine indicible se lit sur son expression. S'il pouvait lancer des éclaires, le beau Nicolas aurait de quoi s'inquiéter.
- Bonjour, tu n'es pas au boulot ? l'interroge aussitôt Liam toujours surpris par sa présence.
L'intéressé descend les marches une à une, lentement, sans calculer l'autre. Il pose un sac à terre, baisse les yeux et ce sourire en coin que Liam commence à détester apparait juste avant qu'il n'ouvre finalement la bouche.
- Il n'était pas prévu que tu ne t'immisces plus dans ma vie ? lui rappelle le rouquin aussi maussade qu'ironique.
- Je...
- C'est plus fort que toi non ? insiste-t-il.
- Pardon, j'étais juste étonné.
Yann remonte les quelques marches afin de prendre également avec lui, l'étui de sa basse restée sur le palier de sa chambre.
- Bon bha moi, je vais prendre ma douche, intervient Nicolas. J'étais ravi de te revoir l'épouvantail ! ricane-t-il en filant vers la salle de bain.
Il faut à Yann beaucoup d'effort pour ne rien répliquer.
- Tien c'est amusant, tu ne dis rien ? s'étonne Liam qui se demande bien pour quel motif il ne se défend pas, il s'avère pourtant avoir des facilités à être cynique avec lui. Aurais-tu trouvé ton maître ?
Yann qui referme son sac, sourcille en comprenant l'allusion.
- Pour qui me prends-tu ? C'est un con, tu choisis mal tes amants. Je ne m'abaisserais pas à répondre à de pareilles âneries.
- Tu gardes ta méchanceté et tes sarcasmes pour moi ! souligne Liam avec visiblement l'envie d'en découdre.
Sur le coup Yann change de mine, du regret ?
Liam s'en aperçoit mais ne sait de quoi il s'agit, puis c'est si fugace, à peine quelques secondes avant que la bouche ne reprenne son air dédaigneux.
- Tu as une haute opinion de toi-même n'est ce pas ? se contente de lâcher le colocataire sans plus d'explication.
- ...
Son allure est charmante, sa bouche haineuse, ses mots blessants, sa figure respire la douleur, ses yeux sont emplis de tristesse et son corps d'aspect fragile à l'air fatigué. Le mélange perturbe Liam qui hésite entre son besoin viscéral de le protéger, l'envie de le prendre dans ses bras et celle de lui foutre une bonne claque. Yann lui tourne le dos, met son sac sur l'épaule et s'apprête à partir.
- On est samedi, c'est vrai, observe Liam presque pour lui-même.
- Quoi ?
- C'est pour ça que tu ne travailles pas aujourd'hui, tu vas répéter, comprend-t-il.
- Quelle perspicacité ! raille l'androgyne.
- Tu parts tôt non ?
Yann soupire, les questions du blond l'agacent.
- Je croyais que c'était chacun pour soi et que tu ne devais pas te mêler de ma vie ? répète-t-il acerbe. C'est toi qui pose les règles ici, c'est pas moi, croit-il bon d'ajouter devant la mine déconfite de Liam. Moi je m'en fiche après tout, si tu exiges que je te fasse un rapport sur mes faits et gestes, y'a pas de soucis. En attendant là, faut que j'y aille. Amitié à ton macho, chaud de la bite !
- Non attend ! le stoppe-t-il en l'attrapant par le bras, évitant par un réflexe miraculeux, certainement dû au souvenir de la dernière fois, le coup de poing systématique de Yann.
- Holaaaa ! C'est une habitude chez toi ?
- Lâche-moi !
La frimousse enfantine de Yann l'hypnotise, non en fait tout chez ce garçon l'attire, même sa mauvaise grâce aux rapports sociaux amicaux. Il y a quelque chose de troublant chez ce jeune homme, un je-ne-sais-quoi de fascinant.
Liam ignore ce qui le pousse, il ressent qu'il ne doit pas laisser Yann partir comme ça. Les yeux angoissés de Yann tout-à-coup le bouleversent. Il ne saurait comprendre les raisons exactes d'un tel abattement. Liam aurait-il réussi à égratigner l'animal sauvage avec sa phrase de la veille ? Est-il vraiment la cause de cet air désenchanté ? Quelque chose l'accable, quelque chose que le maquillage n'est pas parvenu à cacher. Plutôt que de lâcher le poignet déjà en sa procession, Liam chope l'autre.
Yann, sans comprendre ce qui lui arrive, se retrouve forcé de reculer. Il se cogne ainsi le dos et l'instrument s'y trouvant, contre le mur.
- A quoi tu joues ? ! proteste-t-il acculé.
Sans lui répondre, Liam fond carrément sur lui, sa bouche s'écrase sur la sienne, l'embrassant encore et encore, sans plus pouvoir s'arrêter. Yann sidéré, a bien tenté de se libérer, face à ces lèvres avides, la surprise l'a d'abords condamné à subir l'assaut imprévu.
Les secondes passent, son esprit s'embrouille, sa bouche s'entrouvre d'elle-même et sa langue vient seule chercher celle de l'autre. Il ne se défend plus, ne cherche même pas à s'enfuir, au contraire. Tout comme pour Liam, son corps et ses désirs refoulés prennent le pas sur sa raison. Liam lui lâche les bras pour emprisonner son visage au creux des mains, l'échange devient brulant. Leurs corps s'écrasent l'un contre l'autre. C'est au moment où Liam essaie de le serrer dans ses bras, que Yann reprend tout-à-coup ses esprit et gémi.
- Nooon... Son odeur est partout sur toi, comment peux-tu ?
- Haaan ! Vous le dites si je suis de trop ? balance Nicolas passant la tête à l'entrée du couloir.
Liam tout chose, revient à lui. Il ne comprend pas ce qu'il lui a prit. Yann profite de sa stupeur et du détournement d'attention provoqué par Nicolas, pour s'enfuir en claquant la porte.
Un ange passe. Liam, les bras ballants, reste un instant sans voix, sans réaction.
- C'est vexant, tu étais loin d'avoir cette ardeur avec moi hier soir, balance Nicolas, mi-amusé, mi-vexé.
- Mon dieu qu'est-ce que j'ai fait ?
- Tu as laissé parler tes pulsions animales, c'était bien ? Il n'avait pas l'air de se débattre beaucoup !
- Hein ?
- Je dis qu'il a eu l'air d'apprécier l'attaque.
- ...
- Ceci étant, j'ai compris, il est clair que je n'ai plus grand-chose à faire ici.
- Je... pardon.
- Haha ! T'en fais pas va ! C'est pas comme-ci tu ne m'avais pas prévenu. M'enfin, si jamais, un jour, le genre folle travesti en mode halloween ne te dit plus rien, tu as mon numéro !
*
Gabriel salut ses musiciens avant de les faire entrer au studio loué pour l'après-midi, pendant que Uzu décharge la voiture.
- Salut les gars !
- Salut ! répond Math, le nez visiblement bouché.
- Math t'as l'air abattu ? relève aussitôt Steph.
- J'ai la crève !
- Ça va aller ? le questionne de suite le leader.
- Ouais c'est pas un microbe à la con qui m'empêchera de faire hurler germaine !
- Yoo ! lance Jeff visiblement de bonne humeur.
- Merde on a toujours pas de batteur alors ? râle Math en le voyant débarquer.
- Enchanté de te voir aussi Math, tu n'aimes pas mon jeu ?
- Haa déconne pas, c'est pas l'problème, j'adore ton jeu, sauf qu'on sait que c'est que du provisoire. Me regarde pas comme ça grand con, je t'adore je te dis !
- Moi aussi je t'aime Math !
- Hé stop, si ça devient sexuel demande aux autres tapettes là, moi la queue ça me branche pas mec !
- MATH ! le rappelle à l'ordre Steph.
- Quoi ? ROoo c'est d'l'humouuur !
- Ouais bha évite, il pue ton humour ! décrète Gabriel calmement.
Ils pénètrent dans le lieu, chacun dans son coin s'installe. Jeff les laisse quelques minutes, travaillant ici à temps partiel, il se doit de faire le tour de l'endroit.
Yann entre en silence et fonce au fond de la salle, il n'a salué personne, Uzu habitué à le voir faire son show à chaque fois, s'en étonne.
- Yann à l'air perturbé non ?
- Tu trouves aussi, lui répond à voix basse le claviériste. Il était bizarre ce matin, il est passé à la maison pour déposer les dernière modifs, il avait l'air particulièrement à côté de ses pompes, impossible de tenir une conversation suivie.
- Yann perturbé ? Vous voulez rire ? C'est son état naturel voyons ! se moque une fois de plus Math.
Gabriel se rapproche et donne un avis personnel à son japonais de copain.
- Il a dû avoir une discussion avec ton ex et se faire remonter les bretelles.
- Sans doute, admet Uzu.
- S'il arrêtait de faire le con hein !
Uzu ne répond rien, il est vrai que pour le coup, il n'a pas bien compris le comportement de Yann. Gabriel a beau le prévenir, lui seriner sans arrêt les risques de faire confiance au bassiste, son petit ami a du mal à s'habituer au portrait que tous font de l'androgyne. Là, il doit bien l'avouer, son attitude colle assez bien avec la « légende ». Ça l'attriste un peu, même s'il continu de croire qu'il doit y avoir une bonne raison derrière ses agissements.
- C'est chez ton ex qu'il vit maintenant c'est ça ? Et ça se déroule de quelles manières ? l'interroge Steph.
- Tu es avec son ex, il est avec le tien hi hi ! Surtout si vous faites une partouse, vous m'appelez pas ! hiéééhihi !
- On se passe de tes commentaires Math... proteste Gabriel, que le guitariste commence à exaspérer. Ça se déroule comme d'hab', ajoute-t-il à l'intention de Steph, ne laissant pas Uzu répondre, sans prendre soin de baisser le ton. C't'idiot cherche les embrouilles, il a d'la chance que l'pôve gars qui l'accueil a l'air idiot.
- Gabriel !
Uzu tique autant pour le manque de discrétion de son copain qui critique une personne se trouvant à deux pas de lui, que pour le jugement sur Liam.
- Bha quoi ? C't'un tas de muscle, beau gosse mais sans cervelle, j'y peux rien, j'dis qu'la vérité !
- Han Youz' tu faisais dans le bodybuildé avant ? C'est quoi, un ouvrier du bâtiment genre Village people ? continue de se marrer le guitariste rythmique goguenard.
- Il est architecte d'intérieur, réplique froidement Uzu.
Gabriel tousse, il ignorait se détail.
- Ouais bha au premier abord, l'a pas l'air d'avoir inventé l'eau chaude.