Chapitre 8 - Cristal

Maison abandonnée sur la colline – Lundi 10 décembre 2007

 

Isabelle ouvrit les yeux pour découvrir le ciel, quelques nuages, des arbres sans feuille. Elle se trouvait dans un véranda, devant un beau jardin, sur un transat. Il faisait tiède et une couverture recouvrait son corps, la réchauffant agréablement.

Où se trouvait-elle ? Qu’est-ce qui l’avait tiré de son sommeil ? Une violente douleur dans le ventre la fit hurler.

- Isabelle ? s’exclama quelqu’un près d’elle.

Elle tourna la tête vers la gauche pour découvrir le seigneur James Moriat. Elle le dévisagea, incapable de savoir ce qu’elle était censée ressentir. Devait-elle le craindre ? Monsieur Benet lui avait dit que le mage noir voulait la tuer. Il lui avait aussi dit qu’elle avait tué ses parents avec ses pouvoirs étant bébé. Or cela était un mensonge. Il lui avait dit qu’elle était une mage blanche. Un mensonge également.

Le seigneur James Moriat était un mage noir, de la même engeance qu’elle. Isabelle n’eut pas la possibilité de recoller les morceaux. La douleur revint, plus forte, partant des côtés des hanches et remontant jusqu’à son nombril pour exploser. Elle cria en portant ses mains à son ventre.

Les sensations renvoyées par ses doigts la prirent par surprise. Elle descendit le regard. Son ventre ! Il était gros, énorme, saillant.

- Le travail est commencé, comprit le seigneur Moriat. Billy ! Isabelle est en train d’accoucher !

Le maître des morts apparut dans le champ de vision d’Isabelle. Cette vision n’amena rien à son esprit déstabilisé. Perdue, elle fondit en larmes. Billy lui tint la main. Les sanglots se transformèrent en hurlement à la contraction suivante.

- Acceptes-tu que j’utilise mes pouvoirs pour réduire la douleur ? demanda le seigneur Moriat.

- Non, lança Isabelle qui craignait qu’il n’en profitât pour lui faire du mal. Où suis-je ?

- Dans notre maison, indiqua Billy. Après ton enlèvement, nous avons décidé d’arrêter de bouger et nous nous sommes installés ici. Ce n’est pas Versailles mais c’est largement suffisant.

- Tu n’es plus sous collier de souffrance, dit le seigneur Moriat. J’ai détruit le sort. Tu peux utiliser tes pouvoirs pour te soigner. C’est permis. Nul ici ne t’en empêchera.

Isabelle hurla sous le coup d’une nouvelle contraction.

- Tu as le droit, Isabelle, insista le seigneur Moriat.

- Je ne sais pas faire, indiqua la jeune femme. Personne ne m’a jamais appris à utiliser la magie. J’ai passé trois ans et demi dans une école de sorcellerie. Billy, un papier et un crayon, s’il te plaît.

Trois contractions plus tard, Isabelle avait ce qu’elle demandait. Elle traça des courbes et des lignes droites, complétant son dessin au fur et à mesure. Enfin, elle fut satisfaite. Ne restait plus qu’à ensorceler le papier.

- La vache, t’es douée en symbologie, s’étonna Billy.

- Ce qui est totalement anormal pour une magicienne, gronda le seigneur Moriat. Ces salopards ont fait d’elle une sorcière. C’est une honte !

- D’être une sorcière ? lança Billy qui venait visiblement de le prendre mal.

- D’avoir fait de ma fille une sorcière. Ça aurait été tout autant atroce de faire d’une sorcière une magicienne, précisa le seigneur Moriat.

- Votre fille ? répéta Isabelle qui n’avait retenu que cela de l’échange totalement inintéressant au demeurant.

Le seigneur Moriat sembla gêné. Il avait parlé un peu vite et semblait regretter de ne pas avoir tourné sept fois sa langue dans sa bouche avant de s’exprimer.

- Comment ça, votre fille ? insista Isabelle avant de crier sous le coup d’une nouvelle contraction.

- Isabelle, ensorcelle ton symbole et on en parle après, d’accord ? proposa Billy.

Elle contacta ses pouvoirs et le résultat la prit complètement par surprise. Elle voyait toujours le ciel, les nuages, les arbres mais l’espace tout entier était rempli de cristaux, la plupart translucides et transparents. Quelques uns, rarement, se coloraient de jaune, mauve, rouge, violet, bleu, orange, marron, gris, vert, rose.

Où que son regard se tourna, Isabelle ne voyait que cela, partout, à l’infini. C’était magnifique. Les rayons du soleil passaient à travers, apparemment indifférents à la présence de ces intrus. Isabelle sourit devant une telle merveille.

Près d’elle se trouvait un cristal d’un jaune vif. Elle tendit la main pour le toucher et sa main passa au travers. Ces derniers temps, des hallucinations, elle en avait eu beaucoup. Celle-là valait le déplacement. Isabelle nageait en plein bonheur. Cette vision avait quelque chose de tellement apaisant, de tranquille, inspirant à la paix et à la sérénité.

Isabelle se sentit bien, calme, tranquille. Retrouver le lien avec la magie la combla.

- Combien de temps suis-je restée sous collier de souffrance ? demanda-t-elle au seigneur Moriat près d’elle.

- Quinze mois, répondit-il.

Son visage n’exprimait que de l’inquiétude.

- Isabelle ?

Elle se tourna vers le mage noir.

- Comment te sens-tu ?

- Merveilleusement bien, répondit-elle.

Il hocha la tête mais son visage resta fermé. Il leva les yeux vers Billy, à droite d’Isabelle et chercha de l’aide dans le regard de son ami. Isabelle se tourna vers le sorcier, surprise.

- Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle d’une voix sereine.

- Tu te souviens de ton précédent réveil ? demanda Billy.

- Mon ? Quoi ?

- Tu as dessiné un symbole pour soulager la douleur, tu t’en rappelles ?

- Oui, je n’ai pas eu le temps de l’ensorceler mais ce n’est pas grave. Je me sens bien maintenant. Je peux…

Elle posa les mains sur son ventre. Il était plat.

- Où est mon bébé ? demanda-t-elle, abasourdie.

- Tu as accouché il y a une dizaine d’heures, précisa Billy, temps que tu as passé dans les vapes, les yeux ouverts mais inconsciente du monde qui t’entourait. Tu as dû pousser instinctivement car Cristal est née sans difficulté.

- Nous avons fait ce que nous avons pu, précisa le seigneur Moriat. C’est la première fois de ma vie que je fais ça. Heureusement que la magie était présente…

- Cristal ? répéta Isabelle.

- Tu répétais ce mot pendant l’accouchement, indiqua Billy. Nous avons supposé que c’était ainsi que tu souhaitais nommer ta fille. Nous avons eu tort ?

- Non, dit Isabelle. C’est un très joli prénom. Où est-elle ?

- Juste là, dit le seigneur Moriat en attrapant un bébé dormant sur un berceau posé sur le carrelage.

Elle portait un body rose à fleurs. Cela fit rire Isabelle.

- Elle a faim, précisa le seigneur Moriat. Seuls mes pouvoirs calment ses douleurs.

Isabelle dégagea son chemisier. La petite attrapa le téton et but goulûment. Les deux hommes parurent rassurés.

- Qu’avez-vous ? demanda-t-elle.

Elle avait la sensation de planer, d’être loin de son corps. Cela avait été son échappatoire, sa porte de sortie en enfer. Ne plus être là, s’évader mentalement. Seule la présence de son bourreau la ramenait dans la prison. Le reste du temps, elle n’était pas là et l’arbre sortant de son cercle ne la quittait pas.

- Nous n’étions pas certains de ta réaction, annonça Billy.

- Ma réaction par rapport à quoi ?

- À Cristal, précisa le seigneur Moriat. Sa conception aurait pu t’amener à ne pas vouloir d’elle.

Isabelle serra son bébé contre elle. Abandonner son enfant ? Plutôt mourir ! Elle comptait bien prendre soin de sa fille. « Tu n’as même été présente pour sa naissance » souffla une petite voix dans sa tête. « Tu étais dans les vapes durant ses premières heures de vie. Si tu veux t’occuper d’elle, il va falloir revenir. »

Isabelle frémit tandis que son visage se trempait d’un liquide salé.

- Je veux m’en occuper, gémit-elle.

- Nous en sommes ravis, assura le seigneur Moriat.

Il approcha sa main d’elle, probablement pour lui caresser les cheveux, geste tendre et rassurant.

- Ne me touchez pas ! s’exclama-t-elle en frissonnant.

Il recula en levant les mains en geste d’apaisement. Isabelle gémit en serrant sa fille se nourrissant au sein. Isabelle vit le regard désespéré du seigneur Moriat vers son ami sorcier. Le rejet dont il venait de faire l’objet venait de le blesser profondément.

- Billy, du papier et un crayon, s’il te plaît, réclama Isabelle.

Le seigneur Moriat grimaça. Que la magicienne put s’abaisser à de la symbologie le révulsait. Elle traça un cercle ouvert sur le dessin puis réalisa un très bel arbre dont les branches s’évadaient vers le ciel. Son trait était rageur. Depuis presque deux ans, elle ne voyait que cela, elle voulait savoir.

- C’est quoi ? demanda-t-elle en le montrant au seigneur Moriat.

Il se figea, abasourdi, puis répondit :

- Un arbre ?

- Que signifie ce symbole ? s’écria Isabelle de manière très agressive.

Cristal lâcha le sein et se mit à pleurer.

- Pardon, ma puce, s’excusa la jeune femme en caressant tendrement sa fille qui se remit au sein avec délectation.

Isabelle releva les yeux sur le mage noir. Il observait le dessin sans comprendre.

- Je suis magicien, pas sorcier, se défendit le seigneur Moriat. Je n’y connais strictement rien en dessin. Je ne sais pas ce que ce truc peut signifier.

- Moi, je m’y connais un peu en symbologie, la base de l’école quoi, précisa Billy, et moi non plus je ne sais pas ce que ce truc peut signifier.

- Vous êtes censé vouloir me tuer à cause de ça, indiqua Isabelle.

- Je suis aussi la cause de la grippe de l’an dernier, et de la sécheresse, et des inondations, et des doryphores qui ravagent les champs de pommes de terre.

L’ironie dans sa voix était limpide.

- Je ne veux pas te tuer, Isabelle, ni à cause de ce truc, dit-il en jetant rageusement le dessin de l’arbre, ni pour aucune autre raison. Je n’ai jamais tué personne et j’espère n’avoir jamais à le faire. Je veux juste vivre en paix. J’ai été pourchassé depuis mes seize ans, l’âge auquel on ne devrait penser qu’aux jupes des filles.

- Ta fuite perpétuelle ne t’a pas empêché de reluquer sous une robe, que je sache, ricana Billy.

Le seigneur Moriat sourit en caressant Isabelle du regard. La jeune femme se renfrogna. Le mage noir sortit son porte-monnaie de sa poche, le fouilla et tendit un petit rectangle à Isabelle. La jeune femme s’en saisit et la reconnut.

- C’est la photo de votre femme.

- Par conséquent ta mère, répondit le seigneur Moriat.

- Ma ?

Isabelle observa l’image. Les révélations de son bourreau dans les prisons impériales lui revinrent en tête. Sa mère, une mage noire raflée par le guide Bern, était enceinte au moment de son emprisonnement. Elle avait accouché seule et sans le soutien d’un médecin ou de la magie, en était morte. Le guide Bern s’était bien gardé de lui indiquer l’identité de son père. Ou alors l’ignorait-il lui-même.

- Je suis tellement désolé, dit le seigneur Moriat. C’est pour me toucher moi qu’ils t’ont fait souffrir.

Isabelle ne répondit rien. Elle douta que ce fut la seule raison de son enlèvement. Des rafles de mages noirs, il y en avait souvent.

- Comment s’appelait-elle ? demanda Isabelle en désignant la photo.

- Elizabeth Cheriez.

- Cheriez, répéta Isabelle. Ils m’ont donné son nom de famille.

- Nous n’avons même pas pensé à le lui demander, maugréa Billy. Si tu nous avais donné ton nom complet dès le départ, nous aurions pu savoir.

- Qu’est-ce que cela aurait changé ? pleura Isabelle. Si le guide Bern revient maintenant pour me récupérer, aurons-nous la moindre chance contre lui ?

Le seigneur Moriat baissa les yeux.

- Au moins, je pourrais essayer, murmura-t-il. Je ne te quitterai plus jamais des yeux. Je te protégerai, Isabelle, quitte à en mourir !

La jeune femme observa cet homme. Son cœur la cherchait depuis vingt ans. De son côté, elle n’avait jamais cherché son père, le croyant mort par sa faute. De plus, le seigneur Moriat était censé être le grand méchant. Elle s’était recluse pendant presque quatre ans dans une école de sorcellerie uniquement pour lui échapper. Le rapprochement promettait d’être tendu.

- Accepteriez-vous de m’enseigner la magie, seigneur Moriat ? Histoire que j’en sache un peu plus sur la magie que sur la sorcellerie ?

- Tu peux me tutoyer et m’appeler James, indiqua le seigneur Moriat.

Isabelle ne broncha pas, ni d’un geste, ni d’un mot. Billy posa une main sur l’épaule de son ami en soutien.

- Je t’apprendrai la magie avec grand plaisir, dit le seigneur Moriat, la voix tendue.

- Je ne battrai pas demain un guide de la lumière, j’en suis consciente, mais quelques notions ne seraient pas du luxe.

Le seigneur Moriat hocha la tête.

- Maintenant ? demanda-t-il.

- Je n’ai rien d’autre de prévu dans mon agenda, précisa Isabelle en tendant sa fille qui avait fini de boire à Billy. Tu veux bien lui faire faire son rot et la coucher ?

- Bien sûr, Isabelle, répondit le sorcier, visiblement touché qu’elle lui confie son enfant.

- N’ayant jamais été au lycée, j’ignore comment la magie s’enseigne de manière technocratique, précisa le seigneur Moriat. Je vais me contenter de lancer un sort basique devant toi et tu vas essayer de m’imiter, d’accord ?

Isabelle hocha la tête.

- Ce sort permet de déplacer un objet, indiqua le seigneur Moriat.

Isabelle grimaça.

- Un problème ? demanda-t-il.

- Non, aucun, dit Isabelle. C’est juste le sort que j’avais l’habitude de travailler avec monsieur Benet.

- Essaye de ressentir ce que je fais, dit-il.

Isabelle vit les cristaux autour d’elle s’écarter, bouger et les couleurs venir se loger contre le torse de son interlocuteur, s’assemblant avant de devenir aussi transparents que tous les autres et l’objet se déplaça de quelques centimètres.

- Tu penses pouvoir le refaire ? demanda le seigneur Moriat.

- Hum ? dit Isabelle, toujours perdue dans sa contemplation. Oh ! À mon tour. Pardon. Euh…

Ce sort nécessitait deux jaunes, une bleue et une rouge. Elle regarda autour d’elle. Des jaunes, il y en avait beaucoup. Des bleues et des rouges un peu moins, mais cela restait facile. Elle visa la jaune la plus proche et désira intensément qu’elle vienne à elle.

Les cristaux devant elle s’écartèrent, formant un tunnel jusqu’à la topaze. La pierre précieuse fut aspirée jusqu’à toucher le torse d’Isabelle qui sourit. Elle récupéra une deuxième jaune proche, puis la bleue et la rouge les plus proches. L’assemblage terminé, elle le « relâcha », sans bien savoir exactement comment. Un bruit d’explosion retentit, faisant sursauter Isabelle.

La jeune femme se tourna vers le seigneur Moriat qui posait sur elle un regard ahuri.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.

- Tu es une excellente magicienne ! Aucun débutant n’arrive à faire ça !

- Quoi ? Rater un sort ?

- Tu n’as juste pas assemblé correctement. L’ordre a de l’importance.

- Ah bon ? Vous pourriez recommencer ?

Le seigneur Moriat reprit les quatre même couleurs mais mit d’abord la rouge, puis les deux jaunes puis la bleue. Isabelle observa autour d’elle, attrapa les couleurs les plus proches – ce que le mage noir devant elle n’avait étrangement pas fait – et lança le sort. Elle vit, ravie, le verre se déplacer de quelques centimètres. Elle ricana de joie.

- James ? lança Billy.

- Je ne connais pas exactement le contenu des cercles parce que je ne suis jamais allé à l’école et qu’en temps que mage noir, je n’y aurais de toute façon pas accès mais ce que fait Isabelle, c’est de la très haute magie.

- Parce qu’elle a fait bouger un verre de quelques centimètres ? répliqua Billy.

- C’est la manière dont elle le fait ! Elle est d’une rentabilité incroyable ! Elle se fatigue à peine. Les débutants sont d’habitude très lents et perdent énormément d’énergie. Ce simple sort leur coûte tellement qu’ils vont dormir après.

- Je me sens très bien, indiqua Isabelle.

- Tu lances ce sort mieux que moi ! s’insurgea le seigneur Moriat, maintenant clairement jaloux.

- Vous ne prenez pas les cristaux les plus proches, répliqua Isabelle en haussant les épaules. Forcément, c’est plus fatigant d’aller les chercher à l’autre bout du terrain alors qu’il y en a un juste à côté.

Le seigneur Moriat lui envoya un regard éberlué.

- Les cristaux ? répéta-t-il. De quoi parles-tu ?

- Des cristaux de couleur à la base de la magie et qui nous entourent. Vous ne les voyez pas ?

- Non, dit le seigneur Moriat. Qu’est-ce que tu vois exactement ?

- Des cristaux partout. L’immense majorité n’a pas de couleur. Certains ont une teinte. Pour former le sort de télékinésie, il faut deux jaunes, un rouge et un bleu, pas dans cet ordre, sinon, ça fait un son d’explosion.

- Tu as fait exploser quelque chose, un brin d’herbe je dirais, indiqua le seigneur Moriat. Mais bref, tu veux dire que tu vois la magie ? Avec tes yeux ?

Isabelle hocha la tête.

- Il se passe quoi quand je lance un sort ? demanda le seigneur Moriat.

- Les cristaux s’écartent pour former un tunnel jusqu’au cristal requis.

- C’est pour ça que tu as nommé ta fille Cristal ? demanda Billy.

- Je ne l’ai pas nommée Cristal. J’ai vu des cristaux au moment de sa naissance, c’est tout. Vu que c’est un joli prénom, je l’ai gardé mais je n’étais même pas conscience d’être en train d’accoucher.

Billy acquiesça non sans cacher sa surprise.

- Les cristaux s’écartent, répéta le seigneur Moriat. Je ne les détruits pas ?

Isabelle comprit. Il voulait en avoir le cœur net : les mages noirs détruisaient-ils oui ou non la magie ?

- Les cristaux s’écartent, insista Isabelle. Aucun cristal n’est jamais détruit. Ils sont là, je suppose infinis. Lorsque votre tunnel atteint le cristal souhaité, vous l’aspirez vers vous et vous laissez les cristaux combler l’espace. Puis, vous recommencez avec le suivant jusqu’à avoir tout ce dont vous avez besoin. Vous faites l’assemblage et l’ensemble coloré devient transparent. Le sort se déclenche.

- Les cristaux colorés deviennent transparents, répéta le seigneur Moriat.

- Tu détruis donc la magie, en conclut Billy.

- Pourquoi dis-tu cela ? demanda Isabelle, surprise d’une telle conclusion.

- Peut-on lancer des sorts avec les cristaux transparents ? demanda Billy.

- Je ne sais pas. Je n’ai aucune connaissance en magie. Là, comme ça, je dirais non.

- Donc en lançant des sorts, James et toi, Isabelle, détruisez la magie. Y a-t-il beaucoup de cristaux colorés ?

- Elle a dit au départ qu’ils étaient largement minoritaires, rappela le seigneur Moriat.

- Lance un sort, pour voir, Billy, proposa Isabelle.

- Pourquoi ? demanda-t-il.

Isabelle ne répondit rien. Le seigneur Moriat le fit pour elle.

- Pour vérifier si par hasard tu ne détruirais pas la magie toi aussi.

Billy grogna. Il dégaina sa baguette.

- Stop ! s’exclama Isabelle.

Elle tendit la main et attrapa le bout de bois. Billy la lui laissa volontiers.

- Incroyable ! Des cristaux sont attachés à la baguette et bougent avec elle. Il y en a…

Isabelle plissa des yeux. L’assemblage était complexe.

- Impossible de compter. Certains sont à l’intérieur et donc invisibles à mes yeux. Il y en a vraiment beaucoup et ils sont petits.

- Ils sont de tailles différentes dans l’air ? demanda le seigneur Moriat.

- Oui, répondit Isabelle. C’est plutôt hétérogène. Vas-y Billy. Lance le sort pour faire bouger le verre.

- Flytta, dit Billy.

Isabelle ne vit rien du tout en dehors du verre qui se déplaça.

- Pourrais-tu le faire bouger beaucoup plus ? De plusieurs mètres !

- Flytta, répéta Billy.

Cette fois, Isabelle vit quelque chose, un changement de couleur rapide. Elle s’approcha de la baguette tandis que les deux hommes l’observaient les yeux grand ouverts de stupéfaction.

- Recommence, un grand déplacement s’il te plaît.

Cette fois, elle le vit. L’assemblage de la baguette offrait des aspérités à sa surface, proposant des débuts de montage, qu’il suffisait de terminer. Elle trouva l’endroit où s’offraient un rouge et deux jaunes, dans cet ordre. Ne manquait que le bleu pour terminer le sort.

- Encore, demanda Isabelle.

- Flytta, dit le maître des morts pour la quatrième fois.

Le cristal transparent se teinta rapidement de bleu avant de redevenir transparent. Les cristaux attachés à la baguette perdirent leur couleur.

- Tu peux utiliser ta baguette combien de fois ? demanda Isabelle.

Billy se crispa. La question le prenait visiblement à rebrousse-poil.

- Comment ça, combien de fois ? s’exclama le seigneur Moriat. Une baguette, c’est pour la vie.

- D’accord et si vous vous la transmettez de père en fils, combien de générations pourront s’en servir avant qu’elle ne soit vide ?

- Jamais ! s’écria le seigneur Moriat. C’est infini, je te dis.

- Les sorciers policiers en changent en moyenne une fois par semaine, avoua Billy.

- Quoi ? s’exclama le seigneur Moriat.

- Ils pourraient en changer moins souvent, continua Billy.

- Mais les sorts deviendraient plus difficiles à lancer et ils risqueraient de rater une mission à cause de ça, supposa Isabelle.

- Isabelle, c’est un secret de sorcier, ça ! Un qu’on ne veut surtout pas qui s’ébruite. Comment peux-tu déterminer cela juste en me regardant lancer un sort ?

Isabelle observa le maître des morts, puis la baguette puis s’empara de deux feuilles et d’un crayon. Elle dessina une spirale sur chacun des bouts de papiers.

- Tu dessines magnifiquement bien, fit remarquer Billy. Deux spirales identiques, bravo !

- J’ai réalisé beaucoup de calligraphies au lycée de Fairview.

- Ah bon ? s’étonna le seigneur Moriat. Pourquoi ?

- Parce que je faisais les miennes et celles de Korlan, un quatrième année.

- Pourquoi ? insista le seigneur Moriat.

- Parce que si je refusais, il activait le collier de souffrance qu’il m’avait placé, répondit Isabelle.

Du feu brûla dans les yeux du seigneur Moriat.

- Tu l’as dit aux professeurs ?

- J’ai rapporté les faits à monsieur Benet, mon référent, celui qui m’a élevée depuis toujours.

- Qu’a-t-il fait ?

- Rien, indiqua Isabelle. Selon lui, Korlan avait besoin de se faire les dents et j’étais la souffre-douleur idéale. Mais bon, vous savez, apparemment, je n’étais que le cobaye de son expérience alors…

- Cobaye ? Expérience ? répéta le seigneur Moriat. Isabelle, je ne comprends rien.

- Le guide Bern m’a tout expliqué à mon réveil aux prisons impériales. Monsieur Benet cherchait à m’obliger à lancer des sorts comme un mage blanc, sans détruire la magie.

- Et du coup, je détruis la magie ou pas ? demanda Billy.

- J’aimerais que cette spirale téléporte son utilisateur au sapin, là-bas, indiqua Isabelle.

Billy observa l’arbre puis hocha la tête. Isabelle posa sa main sur la première feuille et l’ensorcela. Instantanément, des dizaines de tunnels se créèrent autour d’elle, récupérant des cristaux, les amenant sur le papier. Les pierres précieuses tremblaient, s’éloignaient les unes des autres, comme si cette proximité les insupportait. Isabelle laissa ses pouvoirs gérer en arrière plan, observant avec amusement son propre cheminement.

Elle créa une sphère de vide, empêchant les cristaux de partir. Elle rajouta ceux manquants et lorsqu’ils furent au complet, elle les assembla avec minutie. L’ensemble solidifié s’accrocha au papier. Le parchemin était prêt à l’emploi.

- Tu es lente mais cela ne semble pas te prendre énormément d’énergie, indiqua Billy.

- C’est surtout que je n’ai pas détruit de magie pour faire ça, indiqua Isabelle. C’est celui qui l’utilisera qui détruira les cristaux. Je me suis contentée de les déplacer et de les assembler. À ton tour.

- Comment ça ? demanda Billy.

- Ensorcelle la seconde feuille. Je suis curieuse de voir comment tu t’y prends.

Billy toucha la feuille et les cristaux translucides devinrent colorés. Isabelle observa cela avec incrédulité.

- Je ne ressens pas l’usage de la magie, indiqua le seigneur Moriat, alors que je l’ai senti avec Isabelle. Pourtant, vous avez fait la même chose, non ?

- Absolument pas, répliqua Isabelle. Le résultat est le même, certes, mais pas la façon de le faire.

Isabelle observa le papier et décida de tenter quelque chose. Elle écarta les cristaux, visant la feuille ensorcelée par Billy et aspira. L’assemblage tout entier vint à elle et lorsqu’il toucha son torse, Isabelle se téléporta près du sapin. Elle revint en marchant, frissonnant en revenant dans la véranda chauffée.

- Je n’ai jamais vu quelqu’un lancer un sort aussi vite, annonça le seigneur Moriat. Ta téléportation était d’une puissance inégalée ! Tu es cercle 10, à n’en pas douter.

- Bien sûr que non, répliqua Isabelle. Billy, touche ta feuille.

Le sorcier le fit une fois, puis deux, puis trois, l’air ahuri.

- C’est impossible ! Je viens à peine de l’ensorceler ! Les objets perdent en capacité parfois au bout d’un moment, pas dès leur création !

- Les objets magiques perdent parfois leurs pouvoirs ? répéta Isabelle en souriant.

- Encore un secret de sorcier, j’imagine, ronchonna le seigneur Moriat.

Billy grimaça.

- Je ne suis pas cercle 10, dit Isabelle. J’ai juste pris ton assemblage. Plutôt que de créer le sort depuis la base, j’ai pris le tien. Je ne crois pas que les objets magiques perdent en puissance au fur et à mesure que le temps passe. Je crois plutôt que des magiciens en passant leur prennent leur pouvoir sans même s’en rendre compte. Ils ont besoin d’un cristal et le prenne. D’ailleurs, que se passe-t-il si…

Isabelle lança un tunnel vers sa propre feuille ensorcelée et ne fit venir à elle qu’une topaze. Le reste se désagrégea et les pierres précieuses se répandirent dans l’air. Isabelle observa le phénomène et l’évidence la frappa.

- Billy, les sorciers ne détruisent pas la magie, annonça-t-elle. Ils la créent.

- Quoi ? s’exclamèrent les deux hommes en même temps.

- Billy colore les cristaux. C’est pour ça que nous ne ressentons pas l’usage de la magie. Je pense que nous percevons les vibrations dans notre environnement, les légers chocs sur les cristaux. Après tout, nous écartons brutalement la purée qui nous entoure. Cela se ressent de proche en proche. Sauf que Billy n’écarte rien, ne bouge rien. Il se contente de colorer les cristaux. Billy, les sorciers créent la magie que les magiciens utilisent. Sans vous, si ça se trouve, il n’y aurait plus de magie depuis longtemps.

- S’ils colorent des cristaux pour lancer des sorts, ils les consomment, rétorqua le seigneur Moriat.

- Sauf qu’ils créent des objets magiques en prévision de, des objets qui perdent leurs pouvoirs…

- Tu veux dire que ce sont les magiciens qui détruisent nos créations ? s’étrangla Billy. Sans eux, nos objets seraient immortels ?

- Je le pense, oui. Je serais curieuse de savoir comment les mages blancs manipulent la magie.

- Je te déconseille d’en approcher un de trop près, répondit le seigneur Moriat. Pour peu qu’ils soient un peu doués, ils sentent notre manière d’utiliser la magie et appellent tout de suite un guide de la lumière.

Isabelle hocha la tête.

- Je ne suis pas prête. Je dois apprendre à manier la magie.

Le seigneur Moriat hocha la tête.

- Je crois que nous pouvons beaucoup apprendre l’un de l’autre.

Isabelle sourit.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez