Le caveau ancestral – Mercredi 12 décembre 2007
Farid commençait à trouver le temps long. Cinq rencontres avec le roi des magiciens pendant lesquelles il avait dû lui mentir, certes par omission, mais tout de même. Ses collègues et lui avaient décidé de convoquer une nouvelle fois les devins.
- Alors ? Ça en est où ? demanda-t-il au devin Fansy.
Ses comparses et lui échangèrent des regards gênés.
- Nous ne parvenons pas à trouver la bonne question. Le roi Philippe Stanson va être détrôné mais impossible de déterminer exactement quand, ni par qui, ni l’identité de son remplaçant. Nous nageons dans un épais brouillard.
- Cette situation nous met en porte-à-faux, siffla Farid.
- Nous le comprenons aisément.
- Nous avons besoin d’informations utilisables pour prendre une décision. Notre relation avec le roi des magiciens est plutôt bonne. C’est un connard prétentieux qui nous prend de haut, mais il accepte de nous aider quand nous en avons besoin. Nous avons besoin de savoir si le suivant sera mieux ou pire, afin de déterminer si nous devons aider cet orgueilleux à conserver son trône ou ne rien faire et laisser la suite suivre son cours.
- Nous comprenons très bien les enjeux et nous vous assurons faire tout notre possible pour…
- Ce n’est pas suffisant, siffla Farid. Donnez-nous des résultats.
Il les congédia d’un geste de la main. L’ambiance était très lourde dans le caveau ancestral.
La maison abandonnée sur la colline – Samedi 05 janvier 2008
Isabelle observait une petite fleur violette. Depuis combien de temps contemplait-elle ses pétales ? Le matin ? Elle sombrait souvent ainsi hors du temps, réminiscence de la torture du guide Bern. Billy et James la laissaient tranquille, ne la ramenant au présent que pour allaiter Cristal.
Isabelle ressentit une vibration dans la magie. Quelqu’un venait de lancer un sort très près d’elle. Elle se tourna vers la source et se figea. La vision la décontenança. Elle en perdit tous ses moyens.
- Dan Bern viendra demain vérifier ton état. S’il constate que tu te portes bien, il t’emmènera. Si tu es encore souffrante, il te laissera tranquille pour ne revenir vérifier qu’au premier dimanche du mois suivant. Fais en sorte d’être malade, Isabelle.
Le visiteur disparut à ces mots. Isabelle en resta choquée, le souffle court. Une autre vibration, encore plus proche, résonna dans son environnement.
- Isabelle ? J’ai senti l’utilisation de la magie ? Ça va ? dit James.
- Je dois faire une potion, annonça-t-elle.
Elle observa autour d’elle et commença à ramasser des herbes, des racines, des fleurs, des tiges et même quelques insectes. Elle se rendit à la cuisine avec ses trésors et commença à préparer une mixture.
- Que fait-elle ? demanda Billy en entrant dans la pièce.
- À toi de me le dire. Je ne suis pas sorcier. Les potions, je n’y connais rien.
- Ce n’est pas mon champ de prédilection, gronda Billy.
- Tu es doué en quoi ? demanda James, amer.
- En baguette magique, répondit le maître des morts, la discipline la plus exigeante et la plus difficile qui soit pour un sorcier. Mélanger des trucs, ce n’est pas de la magie. C’est de l’alchimie, rien de plus que de la cuisine.
- Super. Isabelle nous cuisine quoi ?
Billy observa la mage noire, comptant ses mesures, détaillant ses ingrédients.
- Je ne sais pas du tout ce qu’elle fait, indiqua Billy. Je n’ai jamais vu ça à l’école.
- Encore heureux ! s’exclama Isabelle. Il serait inconcevable qu’une école enseigne à réaliser un poison.
- Un poison ? répéta le seigneur Moriat.
- Si tu ne l’as pas appris à l’école, d’où te vient ce savoir ? interrogea Billy.
- Je l’ai appris à l’école, simplement pas en cours. Quand on ne passe pas tout son temps à apprendre des noms de sorts débiles en suédois, ça dégage vachement de moments pour lire à la bibliothèque.
- Ce n’est pas débile ! gronda Billy.
- Que vous lanciez des sorts en suédois ? Franchement, vous ne pourriez pas faire comme tout le monde ?
- En latin, tu veux dire ? En mettant une robe, un chapeau pointu et en lançant des balles à travers des anneaux à vingt mètres de haut sur nos balais ? s’écria Billy.
- Je veux dire sans parler ! Avons-nous besoin de dire un mot pour lancer un sort, nous ? Non ! Tu crois quoi ? Que ta baguette t’écoute ? N’importe quoi ! dit Isabelle qui parlait tout en réalisant sa recette.
Billy en resta muet de stupéfaction. Que répondre à cela ?
- Tu as simplement associé ce mot au sort dans ton esprit. C’est un moyen de le classer mais tu peux faire la même chose sans le mot, continua Isabelle.
Billy se recula, comme frappé par la foudre, puis sortit de la cuisine.
- Je crois que tu l’as vraiment vexé, indiqua le seigneur Moriat.
- Je m’en fous, répondit Isabelle, le front plissé.
- À qui est destiné ce poison ?
Isabelle ne répondit rien. Elle ne voulait pas qu’il l’en empêche. Elle avait besoin de se concentrer. À minuit, enfin, la préparation fut prête. Elle ignorait à quelle heure le guide Bern viendrait vérifier son état. Elle se tourna vers le seigneur Moriat qui ne l’avait pas quittée des yeux.
- Durant la journée qui va suivre, vous allez tirer mon lait puis le mettre au frigo en vous souvenant attentivement de où vous l’avez mis. Ne le donnez pas à Cristal. Préparez du lait en poudre pour elle.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il sera empoisonné, répondit Isabelle avant d’avaler une des pâtes de fruit qu’elle venait de préparer.
- Non ! s’exclama le seigneur Moriat en la prenant dans ses bras tandis qu’elle perdait rapidement pied. Pourquoi as-tu fait cela ?
- Ne me soignez surtout pas avant demain. Laissez-moi sombrer et veillez-moi.
Isabelle perdit connaissance.
La maison abandonnée sur la colline – Lundi 07 janvier 2008
Isabelle ouvrit les yeux sur un soleil matinal frais. Billy, James et Cristal se trouvaient près d’elle. Elle soupira d’aise. Elle avait survécu au premier dimanche du mois. Elle avait réussi à leurrer le guide Bern. Elle se permit un petit sourire victorieux. Un jour de perdu par mois n’était pas cher payé pour sa liberté.
- Tu vas nous expliquer ? gronda James.
- Non, papa, répondit Isabelle. Sache simplement que je ferai ça le premier dimanche de chaque mois.
James resta complètement muet. « Papa » l’avait stupéfié.
- Pourquoi ? gronda Billy qui reprenait la main.
- Bon, on s’entraîne ? proposa Isabelle à son père.
- Avec plaisir, Isabelle, répondit-il, les yeux mouillés.
Lorsqu’Isabelle fut fatiguée de trop utiliser la magie, elle prit son téléphone portable et se mit à dessiner dessus à l’aide d’un stylo à peinture blanche. Elle dut gratter pour corriger des imperfections et se reprendre plusieurs fois mais finalement, le résultat fut à la hauteur.
- Billy ? Tu veux bien activer cet objet magique, s’il te plaît ? C’est de la sorcellerie niveau 2 : objet et dessin, se justifia-t-elle.
- Une feuille de papier aussi est un objet, répliqua James.
- Sauf que le fait qu’il s’agisse d’une feuille n’implique rien. C’est juste un support. Ici, pour simplifier mon schéma et donc le sort allant avec, j’ai utilisé le support téléphonique.
Billy toucha le téléphone qui s’activa.
- Qui espères-tu joindre ?
- Ça ne te regarde pas, répondit-elle avant de toucher un dessin sur son bras.
Autour d’elle, une bulle de silence venait de se monter. Ni Billy ni James ne pourrait entendre l’échange qui suivrait.
- Charles-Hubert de Ranti, j’écoute, dit la voix à l’autre bout du téléphone.
- Merci, de tout mon cœur, merci.
- Tu es folle de m’appeler ! répondit-il d’une voix terrifiée. Attends un instant…
Quelques secondes passèrent.
- C’est bon, nous pouvons parler.
- Tu m’as tellement manqué ! dit Isabelle. Tu es guide de la lumière, alors ? Cercle 3 ? Bravo ! Toutes mes félicitations !
Il rit à l’autre bout du fil.
- Avec le père que j’ai, ce n’est guère difficile. Toutes les portes me sont ouvertes. Je lui dois ma progression fulgurante.
- Je suis très heureuse pour toi, assura Isabelle.
Seul le silence lui répondit.
- Tu n’es pas content d’être guide de la lumière ? demanda-t-elle.
En même temps, il venait de trahir les siens en secourant une mage noire. Cela dénotait un souci.
- Je l’étais, au début. Aider les gens, secourir les opprimés un peu partout sur la planète, prévenir les catastrophes, sauver des blessés… J’aime beaucoup faire cela. C’est le reste que je supporte mal.
- Le reste ? demanda Isabelle.
- Plus on monte en grade et plus on accède à des secrets bien gardés. La confrérie s’ouvre un peu plus mais comme je suis le fils du célèbre et adoré de Ranti, j’ai un peu plus que ce que je devrais. En fait, tout. Et ce n’est pas reluisant. J’ai découvert les mensonges, les crimes, les atrocités commises et cachées, mises sur le dos d’un pauvre type qui n’a rien demandé de plus que le droit de vivre. Je suis désolé, Isabelle. Je n’ai pas eu le cran de MacTry. Je n’ai pas osé affronter Dan. Ce mec est cercle 9. MacTry a eu des couilles, à n’en pas douter. Putain, il a morflé.
- Comment ça ? dit Isabelle.
- Il t’a remplacée, indiqua Hubert. Dan s’en fout du sexe de son jouet. Il lui a fait subir la même chose qu’à toi.
- Il faut le libérer ! s’exclama Isabelle, soudain nauséeuse.
- Il est mort, Isabelle, précisa Hubert. Il n’a pas tenu dix jours.
La jeune femme blêmit tandis qu’une larme coulait sur sa joue. Cet homme avait donné sa vie pour qu’elle soit libre.
- Prends soin de toi, Hubert, je t’en prie ! souffla Isabelle, soudain très inquiète.
- Fais en sorte d’être malade chaque premier dimanche du mois et tout ira bien. Je ne sais pas comment tu as fait mais tu as complètement berné Dan.
Un silence suivit cette phrase.
- Je dois te laisser, indiqua Hubert.
- Hubert ! Tu me manques. J’aimerais te voir ! indiqua Isabelle.
- 27 rue Courteline à Rouen, appartement 254.
La communication coupa. Isabelle n’en revint pas. Il venait de lui donner son adresse. Elle rit tout en pleurant. Trop d’émotions la traversaient en même temps. Elle coupa la bulle de silence.
- Isabelle ? Avec qui étais-tu en communication ? demanda James.
- Ça ne te regarde pas, insista-t-elle.
Elle prit de la pâte fimo et la modela en forme de spirale.
- Que vas-tu faire avec ça ? demanda James.
- Des téléporteurs, indiqua Isabelle.
- Pourquoi faire ? Tu sais te téléporter maintenant.
- Bien sûr, mais chaque téléportation requière du temps et de la magie. Ce truc, une fois ensorcelé, permettra une téléportation immédiate sans besoin de récupérer des cristaux. J’ai utilisé ça pour m’enfuir de l’école de sorcellerie alors que la police venait à mes trousses. Crois-moi, c’est très utile.
- Mais un magicien peut te voler les cristaux dont elle est composée.
- Tout ou en partie oui. C’est pour ça que je vais en faire plusieurs. Enfin, Billy va me les faire. Autant ne pas utiliser les cristaux présents dans l’air dont nous pourrions avoir besoin un jour. D’ailleurs, si tu pouvais créer des objets magiques toute la journée, ça serait cool. Comme ça, on aurait des cristaux à utiliser en cas de pépin.
- Tu proposes que nous portions des objets magiques sur nous pas pour les utiliser mais pour voler leurs composants ?
- Exactement.
- C’est malin, admit James.
- Merci, papa.
James sourit à cette réplique.
- Tu crois que ça brise la loi de non interférence ? demanda Isabelle.
- Ils ne peuvent pas prouver que ces objets ont été ensorcelés par Billy. Si j’ai bien compris, n’importe qui peut ensorceler un symbole. C’est juste la manière de le faire qui change entre un mage et un sorcier.
- C’est ça, confirma Isabelle.
- Il doit bien y avoir une raison pour que cette loi existe, insista Isabelle.
- Les mages consomment de toute manière, à longueur de journée, la magie créée par les sorciers. Que nous le fassions volontairement ne change rien.
Isabelle dut admettre que l’argument se tenait.
- Cette loi existe afin que chaque groupe ne craigne pas l’autre, poursuivit James. Les sans-pouvoirs savent qu’aucun magicien ou sorcier n’utilise la magie pour influer sur les décisions de leurs dirigeants. En revanche, il y a forcément interférence lors d’un crime par exemple, car les trois unités de police se réunissent afin de déterminer l’origine du crime.
- S’il est magique, les guides de la lumière s’en chargent, comprit Isabelle.
- S’il est lié à la sorcellerie, les polices sorciers s’en occupent.
- Et la police classique sinon, je vois. Nous pouvons donc agir de cette manière sans risque de briser une loi importante.
James acquiesça. Billy accepta de créer des objets et une certaine effervescence régna dans la maison abandonnée.
La maison abandonnée sur la colline – Mercredi 26 mars 2008
Après des mois de dépression, chacun reprenait un peu espoir. Isabelle et James s’entraînaient beaucoup tandis que Billy ensorcelait des objets sans s’intéresser vraiment à leur effet. Seuls les pendentifs de téléportation furent ensorcelés dans un but utilitaire direct.
- Essaye de lancer un sort plus vite que moi, proposa James.
Isabelle plissa les yeux. Elle voyait les cristaux et lui pas. Sauf qu’à force de l’aider à les situer, Isabelle avait rendu son père très sensible à la magie. Il avait sacrément gagné en rapidité et en rentabilité, pour son plus grand plaisir.
- D’accord, accepta Isabelle.
- Téléportation vers le lac voisin, proposa-t-il. Interdiction d’utiliser les cristaux des objets magiques, évidemment.
- Naturellement, répliqua Isabelle.
Elle observa son environnement. Pour se téléporter, il fallait un cristal particulier, légèrement violet. Isabelle en repéra trois, deux que ses yeux virent devant elle et un troisième qu’elle sentit derrière elle.
Dès que son père se mit à assembler son sort, au lieu d’essayer d’en monter un elle-même, elle attrapa l’améthyste la plus proche de James, puis la deuxième pour terminer par celle derrière elle.
Elle garda les cristaux près d’elle, les coupant du reste du monde en les enfermant dans une boule de vide, ce qui demandait à Isabelle de sans cesse repousser l’environnement neutre et transparent autour mais cela ne la dérangea pas outre mesure. La boule était relativement petite.
James plissa les paupières. Il perdait de l’énergie à maintenir les cristaux déjà récupérés ensemble tandis qu’il cherchait, en vain, la pièce finale. Isabelle sourit en le regardant s’échiner, haleter, pulsant autour de lui à la recherche de l’élément manquant.
Finalement, tout en conservant sa concentration, il leva les yeux sur sa fille et lança :
- Tu as détruit la magie pour m’empêcher de lancer mon sort ?
- Je n’ai rien détruit du tout ! se défendit-elle, outrée qu’il puisse penser une telle chose. Je garde juste précieusement avec moi les cristaux nécessaires à lancer ton sort. Sans, tu ne peux pas finaliser. De ce fait, il m’est aisé de lancer ce sort avant toi, puisque tu ne peux pas le lancer du tout.
Tout en conservant les trois améthystes avec elle, elle partit à la pêche aux autres éléments, les réunit et se téléporta à l’étang. Son père apparut un instant après elle, ayant récupéré une des deux restantes. Ils retournèrent à la maison, trouvant quelques améthystes dans l’air, ici, loin de la maison.
- Combien as-tu trouvé de cristaux de téléportation ? demanda James.
- Trois, répondit Isabelle.
James blêmit.
- Cela signifie que si nous avions été plus que trois à vouloir partir en même temps, ça n’aurait pas été possible ?
- En effet, répondit Isabelle. Mais mes talismans de téléportation contiennent tous une améthyste. Nous ne serons jamais en manque. J’en porte toujours une dizaine sur moi.
- Je le sais. Je les sens. Il faut absolument que Billy continue à nous créer des objets magiques. C’est un sacré avantage de faire ça. Comment m’as-tu empêché de prendre celles dans l’air ?
- En les mettant dans une bulle de vide après les avoir aspirées.
- Hum, cette méthode n’est pas utilisable sur soi-même.
- Pourquoi veux-tu faire cela sur toi-même ?
- Pour me protéger.
- De la magie ? Ça ne marchera pas. Une fois les cristaux récupérés et l’assemblage monté, la couleur disparaît et le sort se lance. Je ne vois alors rien, rien du tout. Les cristaux ne bronchent pas. L’énergie du sort m’est invisible. La conséquence se produit ailleurs ou en dehors de ma capacité visuelle étrange à relier vue et magie. En tout cas, te mettre dans une bulle t’empêchera seulement de lancer des sorts ou de ressentir la magie, pas que des sorts t’atteignent.
- Essaye pour voir. Fais-moi un petit éclair sur le bras.
- Je ne sais pas faire ça. Montre-moi d’abord l’assemblage requis.
- Est-ce que je peux le faire et te le donner pour éviter de gaspiller de la magie pour rien ?
- Oui, mais pour ça, il faut l’attacher à quelque chose capable de le retenir. Sinon, il va s’étioler car les cristaux colorés n’aiment pas naturellement être proches les uns des autres.
- Quelque chose capable de le retenir ? répéta James.
- Dans ce cas, un fil de cuivre peut faire l’affaire, ou une pile ou le symbole correspondant sur une feuille de papier.
- Dessine-moi un mouton, dit James en souriant.
Isabelle traça le symbole correspondant à l’électricité et James activa ses pouvoirs. La jeune femme observa attentivement l’assemblage de son père. Certes, elle n’aurait pas à le faire elle-même puisqu’il lui offrait l’objet terminé, mais savoir le faire l’intéressait énormément.
James se recula une fois la feuille ensorcelée, se concentra puis hocha la tête. Isabelle activa ses pouvoirs, récupéra le montage, le ramena vers elle, le fit toucher son torse puis visa vers son père. Il cria en se massant le bras.
- D’accord, ça ne marche pas, j’en conviens.
Isabelle sourit.
- Il faut empêcher nos adversaires de lancer des sorts. Soit. Sauf que moi, les cristaux, je ne les vois pas.
- Je ne me sers pas seulement de mes yeux. Il y en avait dans mon dos dont j’ai senti la présence. Avec de l’entraînement, tu pourras peut-être le faire aussi.
- Tu as sûrement raison. Hé Billy ! Oh ! Ça ne va pas, toi. Un problème ? demanda James.
Il gronda, ronchonna, secoua la tête, soupira puis annonça :
- Ça me fait chier parce qu’Isabelle a raison. Le mot pour lancer le sort ne sert à rien. Et dire que je me suis fais chier à apprendre des listes de mots en suédois. Tout ça pour que dalle !
Pour preuve, il sortit sa baguette qui s’illumina sans que Billy n’ait besoin de dire quoi que ce soit.
- Tu devrais arrêter, dit Isabelle. Tu uses ta baguette pour rien.
- Je peux la recharger, précisa-t-il.
- Certes, mais là, c’est toi qui perds de l’énergie. Or nous préférerions que tu l’utilises à autre chose, si ce n’est pas trop demander.
- Je fais des objets magiques, ça va. Tiens.
Isabelle attrapa le petit sac qu’il lui tendait. Inutile d’en préciser le contenu. Isabelle le sentait. Ses médaillons de téléportation étaient prêts. Une bonne vingtaine pour le moment mais d’autres suivraient, ensorcelés pour une téléportation aléatoire dans un rayon de un kilomètre. Idéal pour une fuite rapide.
- Merci beaucoup, Billy. Je suis fatiguée. J’ai besoin d’être un peu seule. Je vous laisse entre hommes.
Isabelle s’éloigna à l’autre bout du jardin. Son père la regardait, prêt à intervenir en cas de problème. Il ne la quittait plus des yeux et n’aimait pas qu’elle se trouve trop loin de lui. Isabelle appréciait d’être protégée mais cette proximité permanente lui pesait.
Elle pensa à Hubert. Elle avait envie de lui parler, de le voir. Hors de question d’aller chez lui immédiatement. C’était trop dangereux. Après tout, cela pouvait tout aussi bien être un piège. Elle n’irait qu’une fois entraînée. Et surtout, elle allait devoir faire en sorte que son père accepte de la laisser s’éloigner un peu.
27 rue Courteline à Rouen, appartement 254 – Mardi 23 septembre 2008
Isabelle apparut dans un salon de taille moyenne bien agencé. Les fenêtres offraient une belle luminosité. Tout était rangé et propre. Pas un objet ne dépassait. Isabelle sourit. On aurait dit un appartement témoin, exactement la même impression que dans l’immense demeure familiale des de Ranti. Tel père, tel fils.
Isabelle ressentit l’onde dans la magie avant qu’elle ne vît apparaître Hubert devant ses yeux. Elle attendit une seconde et comme il ne se passait rien, elle se permit de sourire.
- Bonjour, Hubert, dit-elle, les larmes aux yeux.
Le revoir lui faisait tellement de bien.
- Bonjour, Isabelle.
- C’est joli chez toi.
- Tu veux boire quelque chose ?
- Volontiers.
- Installe-toi. Je reviens vite.
Elle s’assit sur le canapé tandis qu’Hubert disparaissait dans un couloir proche. Isabelle ne ressentit aucun trouble dans la magie. Il ne semblait pas vouloir la piéger. Isabelle restait méfiante mais elle sentit sa prudence disparaître doucement. Hubert revint avec des verres, deux bouteilles de jus de fruits, des biscuits apéritifs et quelques crudités à croquer.
Isabelle le dévora des yeux. Il rayonnait dans sa tunique blanche de guide de la lumière. Était-il déjà aussi beau à l’époque ? Isabelle se mordit la lèvre inférieure. Oui, sans aucun doute, ce physique, il l’avait déjà avant. Nul doute que si Isabelle était restée au lycée de Fairview, ils seraient rapidement sortis ensemble.
Hubert s’assit sur le canapé, à une distance convenable d’Isabelle. Il servit les deux verres et en tendit un à son invitée. Elle s’en saisit et ils trinquèrent.
- À nos retrouvailles, proposa Hubert.
- À nos retrouvailles, répéta Isabelle dont la voix tremblait d’émotions.
- Mon père t’a cherchée, indiqua Hubert. Après ta disparition au lycée…
- C’est normal. Je suis une mage noire et c’est un guide de la lumière. C’est son travail. S’il apprend ce que tu fais…
- Ce n’est pas lui qui me fera le plus de mal.
Isabelle leva un regard interrogatif.
- La confrérie me massacrera. J’ai déjà assisté à des commémorations. C’est comme ça qu’ils l’appellent. Quand un membre du groupe s’écarte du droit chemin, agit en opposition avec la volonté du roi – Vive le roi, dirent-ils en même temps - ou les règles du groupe, il se retrouve au centre d’une arène, sous collier de souffrance et tous les membres de la communauté le blessent avec la magie, peu importe comment. Les derniers membres à s’être retrouvés dans cette position commencent. Les autres suivent. Si le coupable en meurt, tant pis. S’il survit, il devient très loyal et fidèle, crois-moi.
Isabelle en frémit.
- Ne les laisse jamais te prendre, supplia Isabelle en lui prenant la main.
Il la serra tendrement en retour mais son visage resta grave.
- Tu devrais plutôt t’inquiéter pour toi.
- Moi ? répondit Isabelle. Je sais me défendre !
Hubert rit. Isabelle le regarda.
- Je m’entraîne avec mon père et je suis d’une curiosité immense alors, tu veux bien faire quelque chose pour moi ?
Hubert hocha la tête. Isabelle posa son verre sur la table.
- Déplace ce verre, s’il te plaît, demanda Isabelle.
Hubert se pencha pour le toucher.
- Avec la magie, précisa Isabelle en secouant la tête.
Hubert se redressa, soupira puis hocha la tête. Isabelle ouvrit de grands yeux. Rien ne l’avait préparé à ça. Tellement de mouvements ! Tout bougea. Les cristaux se déplacèrent un peu partout. C’était beau. Isabelle profita du spectacle comme une gamine devant son premier feu d’artifice et soudain, tout cessa.
- Oh ! Continue, s’il te plaît !
Hubert fronça les sourcils.
- Tu es bizarre, Isabelle, indiqua-t-il.
- Ta manière de manier la magie est magnifique !
- Je ne suis que cercle 3, répliqua-t-il.
- Recommence ! supplia-t-elle.
Il rit franchement et les cristaux se remirent à bouger. Il n’arrêta plus. Isabelle sentit son regard sur elle tandis qu’elle observait avec bonheur son environnement bouger. Elle avait pris la peine de protéger ses objets magiques à sa ceinture en les plaçant dans une bulle de vide avant même de se téléporter. Elle agissait toujours de la sorte. Ainsi, Hubert put utiliser la magie tout son saoul sans risquer de voler ses précieux cristaux personnels.
Après un moment, Isabelle se décida à arrêter de s’amuser comme une gamine. Elle redevint sérieuse et tenta de comprendre comment Hubert s’y prenait. Tout bougeait en tout sens. Impossible de saisir le début d’un commencement d’explication.
Elle décida de s’approcher d’Hubert pour tenter de comprendre et finalement, elle se retrouva dans ses bras, dos contre son torse et de là, ce fut clair. Tout prit sens. Hubert avait placé un bras sur les hanches d’Isabelle qui ne le repoussa certainement pas. Il déposa un petit bisou dans son cou et Isabelle gloussa en retour.
- Tu crées des tourbillons, dit-elle.
- Quoi ? répondit-il.
- Tu insuffles un mouvement au premier cristal près de toi qui se transmet de proche en proche. Tu vises une couleur et par effet boomerang, le tourbillon te le ramène. Par contre, il t’arrive souvent de ne pas insuffler la bonne quantité d’énergie. Certains de tes tourbillons poussent le cristal voulu avant de le ramener. Le jaune, là, tu l’as envoyé presque deux fois plus loin avant de le ramener.
- Un cristal jaune ? De quoi parles-tu ?
Isabelle se releva tandis qu’Hubert avait, vu la critique, cessé d’utiliser ses pouvoirs.
- Il y a un jaune là, juste là, dit-elle. Pas besoin d’aller plus loin que ça, dit-elle avec sa main. Tu retiens ?
Hubert la regarda d’un air éberlué.
- Là, un autre jaune, juste là, je te montre les plus proches de toi. Là le rouge et là le bleu. Fais bouger le verre en prenant les quatre cristaux que je viens de te désigner.
Hubert fronça les sourcils. Le monde bougea.
- Tu es allé trop loin ! s’exclama Isabelle. J’avais dit là et là ! s’insurgea-t-elle.
Hubert n’en revenait pas de se faire rabrouer de la sorte. Il choisit d’en rire.
- Quoi ? s’écria Isabelle.
- Recommence, demanda-t-il, les yeux brillants.
- Jaune, jaune, rouge, bleu, dit Isabelle en désignant les cristaux correspondants.
Cette fois, Hubert fut bien plus performant.
- Ce n’est pas mal, admit Isabelle.
- Je n’ai jamais lancé un sort aussi vite et en utilisant aussi peu d’énergie, reconnut Hubert. Si j’arrive à refaire ça, j’estime gagner au moins deux cercles, peut-être même trois. Comment fais-tu ça ?
Isabelle lui raconta comment elle voyait la magie. Hubert en fut subjugué. Elle n’omit rien, ni de la manière dont les mages noirs usaient de la magie, ni de comment tous les mages retiraient leurs couleurs aux cristaux que les sorciers peignaient, offrant les éléments de base aux magiciens qui, pourtant, les méprisaient.
Hubert écouta avec grand intérêt. Il ne la coupa pas, la dévorant des yeux, subjugué par la jeune femme. Enfin, Isabelle s’arrêta et Hubert sourit.
- Tu es belle, dit-il.
Isabelle sourit puis rétorqua :
- T’es pas mal non plus. Elle te va bien, cette toge blanche.
Il rit. Elle s’approcha de lui, comblant l’espace qui les séparait dans le canapé. Sur la table basse, les verres avaient été vidés plusieurs fois durant la conférence d’Isabelle et presque toute la nourriture avait disparu.
Hubert ne broncha pas. Il laissa Isabelle gérer ce moment. Leurs lèvres se joignant réchauffèrent leurs corps. Hubert posa ses mains sur les hanches d’Isabelle et le baiser se fit ardent. Il finit par cesser et leurs regards rieurs se croisèrent. Ils s’étaient enfin retrouvés, conquis, joints.
Hubert se redressa pour embrasser Isabelle qui accepta la prise de décision avec joie. Hubert se fit un peu plus entreprenant, posant une main sur une hanche et remonta. Lorsque son geste effleura un sein, elle le repoussa avant de se mettre à balbutier :
- Excuse-moi, je…
Il la prit tout de suite dans les bras pour un câlin rassurant.
- Ne t’excuse pas ! ordonna-t-il. Ne te force pas. C’est ma faute. Je suis allé trop vite. Je te laisserai faire à partir de maintenant. Et si tu ne veux jamais, eh bien qu’il en soit ainsi. Je me contenterai de tes baisers et de ta présence.
Isabelle se blottit contre lui, rassurée, en confiance, en sécurité, protégée. Il ne lui ferait jamais de mal. Il prendrait soin d’elle, ne réclamerait rien. Soudain, dans ce cocon doux, Isabelle fondit en larmes, laissant toute sa peine et sa souffrance ressortir. Hubert ne dit rien. Il se contenta de recevoir cette douleur en silence.
- Il faut que j’y aille. Ma fille me réclame, indiqua Isabelle en essuyant ses larmes.
- Ta fille ? répéta Hubert.
- Et celle du guide Bern, répondit Isabelle le visage crispé.
Les yeux d’Hubert lancèrent du feu.
- Elle te réclame ?
- Mes seins me tirent, indiqua Isabelle. C’est l’heure de la tétée.
- Oh ! Tu veux dire que tes seins ne resteront pas toujours aussi gros ? Quel dommage !
Isabelle rit.
- Reviens vite que je puisse les mater avant qu’ils ne redeviennent de taille normale.
- Je te le promets, répondit Isabelle.
- Où souhaites-tu que je te téléporte ? demanda Hubert.
- Je peux le faire moi-même, répondit-elle.
- Tu ne dois surtout pas utiliser la magie noire ici. Le risque qu’un magicien blanc vivant dans l’immeuble ressente la déchirure et appelle un guide de la lumière est trop grand.
- Je n’utiliserai pas la magie noire, promis, indiqua Isabelle. Je reviendrai.
Elle déposa un doux baiser sur les lèvres de son compagnon puis toucha un téléporteur pointant vers la maison, tatoué directement sur sa peau, sorcellerie difficile mais très pratique au demeurant.
La maison sur la colline – Mardi 23 septembre 2008
Billy berçait Cristal qui hurlait de faim. Il hésitait à lui donner un biberon. Isabelle allait revenir, il en était certain. James était devenu fou en constatant la disparition de sa fille. Billy l’avait rassuré : aucune pulsation dans la magie. La sorcellerie était à l’œuvre. Isabelle avait sûrement utilisé un téléporteur.
Billy avait cherché et de fait, il avait trouvé. James s’était proposé de le toucher pour rejoindre Isabelle. Billy l’en avait dissuadé. En effet, le téléporteur décidait de la destination en fonction de l’utilisateur. Une magie merveilleuse et très bien pensée, à n’en pas douter. James avait serré les dents de rage en apprenant que le dessin amenait simplement l’utilisateur vers son bien-aimé. James se serait retrouvé sous terre, près du cadavre d’Elizabeth s’il l’avait touché.
Billy trouva Isabelle très maline. En réalisant ce dessin, elle cachait merveilleusement bien sa destination aux deux hommes. Billy était gêné. Qui pouvait bien être son amoureux ? Probablement un sorcier, en conclut le maître des morts. Elle avait passé plus de trois ans dans une école de sorcellerie. Il y avait sûrement eu rapprochement.
- Isabelle ! s’exclama James.
Billy soupira d’aise. Elle revenait enfin. Il donna Cristal à sa mère qui la mit immédiatement au sein, visiblement avec soulagement.
- Où étais-tu ? s’écria James.
- Cela ne te regarde pas, cingla Isabelle. Je suis une adulte, papa. J’ai le droit d’aller où je veux.
- J’ai eu terriblement peur pour toi ! s’insurgea James. Je t’ai crue…
- Tout va bien, indiqua Isabelle mais le regard de James sur elle fut accusateur. Je te dis que ça va. Lâche-moi un peu.
James ouvrit la bouche pour crier. Billy secoua la tête vers lui. James comprit le message. Il serra les dents de rage puis s’éloigna, acceptant de laisser son ami gérer.
- C’est difficile pour lui. Essaye de le comprendre, murmura Billy en se plaçant près d’elle.
- Ça ne l’est pas pour moi ? répliqua Isabelle. J’ai besoin d’un peu d’air. J’ai ma vie à vivre.
- Il a cru que Bern t’avait reprise. Préviens-nous la prochaine fois.
- Si je vous avais prévenus, vous ne m’auriez pas laissée partir ou bien vous auriez essayé de me suivre.
Billy ne put contrer ses arguments. Isabelle avait raison.
- Je sais que tu rejoins quelqu’un qui compte pour toi.
Isabelle lui lança un regard noir.
- Je ne suis pas doué en symbologie mais j’ai des notions quand même, précisa Billy.
Isabelle sourit.
- Tu as déjà beaucoup souffert, Isabelle. Plus que de raison. Les peines de cœur sont les pires.
- Il ne me fera jamais de mal, répondit la jeune femme.
- L’amour rend aveugle. Méfie-toi, Isabelle. Je serais ravi que tu sois heureuse. Je te supplie juste d’être prudente.
Il sentit qu’Isabelle l’avait entendu. Il avait fait passer son message. Cela lui suffisait. Il avait confiance en la jeune femme.
- Combler ton cœur est important mais que cela ne t’empêche pas de t’entraîner. Tu ne leurreras pas Bern indéfiniment, prévint Billy.
- Je compte bien m’entraîner avec mon copain, ne t’inquiète pas. J’ai commencé par donner mais je compte bien recevoir. Il acceptera, sans aucun doute. Nous irons au fin fond de la forêt histoire d’être sûrs de ne croiser personne. Ne t’inquiète pas, mon oncle, mon entraînement avec lui est ce qui m’apportera le plus pour me défendre un jour face aux guides de la lumière.
Billy plissa les paupières. Mais qui rejoignait-elle ? Billy parvint à convaincre James de laisser sa fille partir. Isabelle cessa ainsi de disparaître sans prévenir. James dut admettre que la maîtrise de la magie de sa fille augmentait considérablement lorsqu’elle revenait de chez cet inconnu. Il accepta bon gré mal gré, ronchonnant tout de même, comme tout père perdant sa fille contre un autre homme.