Mathurin était à présent dans un grand tas d'ordures alimentaires. Il y avait là tout ce que les clients avaient laissé de leur dîner. Mais honnêtement, rien ne ressemblait à du bon poisson frais.
- Les rats viendront peut-être récupérer toutes ces victuailles ? se demanda le pingouin.
Mathurin attendit un bon moment, mais aucun rat ne vint. Il se décida alors à explorer les alentours afin de trouver une sortie. C'était une pièce tout en longueur avec d'un côté le tunnel qui s'ouvrait du plafond avec le tas d'ordures en dessous et de l'autre côté un petit courant d'eau qui allait d'un mur à l'autre. Ce cours d'eau semblait d'ailleurs être le seul moyen d'aller ailleurs.
Malheureusement, Mathurin était un pingouin un peu particulier. De tous ceux de son espèce, il était le seul à ne pas savoir nager. Aller dans une pièce pleines de chats ne lui faisait pas peur, mais l'eau, cela le terrifiait.
Notre petit pingouin regarda longuement l'eau en se disant qu'il faudrait bien y aller à un moment ou à un autre. Il plongea une de ses petites pattes dans l'eau. Il ne touchait pas le fond. L'eau était froide et semblait très sale. Il la ressortit aussitôt. Il avait la mauvaise impression que quelque chose sous l'eau se cachait.
Mathurin regarda à nouveau longuement l'eau. Tout semblait perdu pour lui. Il n'avait plus sa carte de Paris, il n'avait plus la plume du prince des rats pour être accueilli, il n'avait plus de pelotes de laine pour se défendre contre les chats. Pour couronner le tout, il était enfermé dans une grande cave tandis que des milliers de félins l'attendaient à la surface. C'était décidément mal parti…
Non ! L'honneur des pingouins et de l'esprit de Noël étaient en jeu. Il fallait se reprendre.
Mathurin sauta les deux pattes en avant dans l'eau. A sa grande surprise, l'eau n'était pas très profonde. A peine au-dessus des pattes. Et d'ailleurs maintenant, à peine au-dessus de ses petits genoux mignons de pingouin. L'eau semblait baisser. L'eau ? Non, non, c'était le sol qui remontait. Le sol ? Non, non, non, c'était tout autre chose ! À sa grande surprise, Mathurin se retrouva debout... sur un immense dragon qui émergeait doucement de l'eau.
- Qui donc se tient sur mes grandes écailles ? gronda une voix très grave.
Le reptile ouvrit doucement de petits yeux jaunes perçants.
- Bon... bonjour, balbutia le pingouin. Je suis juste un innocent petit voyageur qui vient visiter votre charmant endroit.
- Et vous le visitez en marchant sur ma tête ?
- Milles pardons, reprit bien vite le pingouin. C'est que votre tête est si confortable avec ses grandes écailles...
Des grandes écailles qui paraissaient bien grandes aux yeux de Mathurin. Bien plus grandes que celles d'un gecko. C'est sûr, ce devait être un dragon.
- Si je puis me permettre, reprit le pingouin, vous êtes bien un dragon ?
- Un dragon ? Non ! Non, je suis un crocodile, un crocodile de Paris, répondit la voix dans la pénombre. Et toi, quel type d'oiseau es-tu ? Es-tu comestible ?
- Je suis un pingouin, répondit fièrement Mathurin . Mais non je ne suis pas du tout comestible, je vous assure. Vous êtes donc un crocodile ? Et c'est dangereux un crocodile ?
- Et comment que c'est dangereux un crocodile !
Il remonta sur la berge et Marthurin vit son immense corps recouvert d'écailles et de piques. Il était terrifiant !
- Je peux manger n'importe quel animal ! dit-il d'un ton menaçant. Je peux même manger un homme.
- Oh, s'exclama le pingouin en reculant d'un pas, puis en essayant de se reprendre, et vous en mangez beaucoup ?
- De moins en moins, la viande n'est pas assez tendre, soupira le crocodile. Ils sont trop tendus là-haut !
- Oh comme c'est dommage, répondit le pingouin en essayant faussement de compatir. Et des rats ?
- Ah non ! Je ne les supporte pas, ils sont sales, petits et ils courent partout, alors dans mon assiette, encore moins.
- Je vous comprends bien. Mais par hasard, vous ne savez pas où se trouve leur royaume ?
- Ce n'est pas très loin, il faut passer trois tunnels.
- Formidable, répondit le pingouin ravi. Vous pourriez m'y emmener ? C'est que voyez-vous, je ne sais pas nager. Je sais, c'est assez cocasse pour un pingouin, mais bon c'est comme ça depuis tout petit et…
- Pourquoi t'emmènerais-je ? répondit soudainement le crocodile. Tu ne m'es d'aucune utilité.
Le pingouin fut tout décontenancé par cette réponse.
- Et bien, que puis-je faire pour vous en échange ?
- Tu sais frotter le pingouin ?
- Et bien oui je suppose. Nous frottons les écailles des poissons avant de les manger, et j'étais un des meilleurs frotteurs de la colonie…
- Bien ! Tu seras mon vallet, coupa le crocodile. J'ai besoin que quelqu'un nettoie mes écailles du dos.
- Monsieur le crocodile, répondit le pingouin ennuyé, c'est que malheureusement je n'ai pas le temps, je dois…
- Regarde mes grandes dents ! rugit le crocodile en lui montrant d'immenses canines.
- Pingouito sursauta d'un petit pas.
- A... à.. à votre service monsieur le crocodile. Par quelle écaille voulez-vous commencer ?
- Commence par celle en haut à droite de mon dos. Je n'arrive jamais à l'atteindre. Prends donc la brosse, là.
Le pingouin s'exécuta et s'évertua à frotter les écailles d'un véritable crocodile des égouts de Paris, écailles bien sales il faut le dire - c'est à se demander où les crocodiles de Paris passent leur temps. Pendant qu'il était bien pris en charge, notre gros reptile, qui n'était finalement pas un dragon, avançait en nageant le long des tunnels qui serpentaient sous Paris.
Au bout d'une bonne demi-heure, le crocodile et le pingouin arrivèrent dans un canal un peu plus grand où se déchargeait une partie des petits canaux.
- Bienvenue aux Champs Egoutiers ! lança le crocodile. C'est la grande voie des égouts de Paris.
Le pingouin distingua de nombreuses petites huttes en bordure du canal.
- Comme tu le vois, repris le crocodile, content de faire visiter les lieux, on y trouve toute sorte de magasins : des petits boutiques de restes de nourritures de restaurants, des échoppes de jouets et de peluches abandonnées et même des magasins de sacs plastiques usagés ou de canettes vides afin de se construire un abri. En sommes tout ce qui est récupéré de la surface !
- Vraiment ? répondit le pingouin. C'est intéressant ! Ils ont peut-être une carte de Paris !
Puis, devant le silence du crocodile.
- Et qui tient les magasins ?
- La plupart des huttes sont tenues par les rats. De vrais chapardeurs ceux-là.
- Formidable ! Et... ils ne sont pas là ? demanda le pingouin, les cherchant des yeux.
- Ils ne sont pas encore arrivés. Ils sont dans leur royaume un peu plus loin. Il se murmure qu'ils sont en plein banquet.
- Dommage…
- Mais il y a d'autres échoppes bien plus recommandables. Voici celle de Monkie, le célèbre gorille échappé du zoo de Vincenne. Il y vend des cacahuètes. Et il y a celle de notre nouvel ami à écaille. D'ailleurs il sera content qu'on vienne frotter les siennes aussi.
- A écaille ?... ne peut-on pas aller voir les rats avant ?
- Non, j'ai bien envie d'aller le voir. Lui saura me dire si tu es comestible.
Cela n'était pas du tout pour rassurer notre pingouin. Et qui était donc cet ami à écaille ? Un crocodile de plus ? A moins que ce ne soit un immense serpent… Et il frissonna à cette idée.
Le crocodile nagea jusqu'à la berge et sortit de l'eau.
- Tu peux descendre ici.
Le pingouin s'exécuta aussi et ses pieds touchèrent le bitume humide.
- Suis-moi.
Le crocodile s'engouffra à l'intérieur. Notre ami à plume eut une hésitation. N'était-ce pas plutôt le moment de fuire ? Mais fuire où ? Il regarda sur le côté. Monky le gorille semblait le regarder de façon menaçante. Il valait sans doute mieux rester avec le crocodile pour l'instant.
Mathurin rentra donc dans le hütte. La boutique semblait récente, il y avait assez peu d'objets en comparaison des autres. Mais sur une petite étagère, il y reconnut un des pingouins en peluche de la boutique de farces et attrapes La Vadrouille.
Le crocodile était au fond, en pleine discussion avec un autre reptile. Mathurin ne le voyait pas très bien. Il semblait plus petit que le crocodile.
- Mathurin ! s'écria le petit reptile.
Le pingouin reconnu avec bonheur son compagnon d'infortune, le gecko qui s'était échappé de l'animalerie.
Juste une petite inattention je crois:
- Pingouito sursauta d'un petit pas.
Ce passage laisse penser que c'est un dialogue avec le tiret, c'est trois fois rien hein.