Quelques jours s’étaient écoulés, et chacun commençait à prendre ses marques dans la maison de Mira.
Ayra avait hérité d’une chambre spacieuse et confortable, dont la décoration s’accordait parfaitement à l’atmosphère générale du lieu. Le parquet brillait légèrement sous la lumière, exhalant une douce odeur de cire. Le lit, douillet, possédait une tête en bois de saule tortueux. Les teintes beige et vert pastel apaisaient instantanément, comme si sa tante avait su, d’instinct, ce qui lui conviendrait. Comme si elle avait deviné les personnalités de chacun et leur avait préparé un espace sur mesure. Ayra effleura la tête de lit du bout des doigts. Tout semblait pensé pour elle. Trop, peut-être. Une petite voix lui souffla que rien de tout cela n'était permanent, et qu'elle ferait mieux de ne pas trop s'attacher. Mais pour une fois… elle décida d'ignorer cette voix.
Elle avait eu un aperçu des autres chambres. Celle de Lucas, plus masculine, baignait dans des tons de bleu. Celle de Dahlia arborait un tapis mural brodé de fleurs aux couleurs vives. La pièce partagée par Elenor et Riven était plus vaste, bien organisée pour deux : une grande fenêtre y laissait entrer la lumière, illuminant une table de dessin et un coin bibliothèque soigneusement aménagé.
Quant à la chambre d’Élika, elle était plus sobre, décorée dans des tons de bois brut, à son image.
Le petit déjeuner était devenu un moment attendu de tous.
Chaque matin, les ingrédients étaient déjà installés avant même qu’ils ne mettent un pied dans la cuisine : pain grillé encore tiède, fruits frais découpés avec soin, pâtisseries moelleuses aux parfums gourmands. L’odeur d’oranges fraîchement pressées flottait dans l’air, se mêlant à celle du beurre fondu et du sucre chaud.
La table, généreusement garnie, débordait de bonnes choses, comme si Mira prévoyait toujours trop, au cas où.
La cuisine, dans les tons crème et bois clair, respirait la tranquillité. Une large fenêtre aux bords arrondis s’ouvrait sur le verger, dont les arbres s’habillaient lentement de leurs couleurs d’automne, comme un tableau vivant derrière la vitre.
La grande table en bois brut surplombait la pièce, imposante et chaleureuse, véritable cœur de la maison. Le carrelage crème, parfaitement entretenu, reflétait la lumière du matin et ajoutait à l’éclat apaisant de l’endroit.
Installée à l’une des extrémités de la table, Ayra avait étalé plusieurs livres représentant des œuvres d’art. Sa tante les lui avait offerts dès son arrivée, et elle s’y plongeait désormais avec hâte. Une tartine grillée à la main, elle feuilletait les pages tout en lisant les interprétations, l’esprit absorbé par les couleurs et les récits des artistes.
Elle jeta un œil à Lucas, à moitié réveillé, accoudé sur la table.Il fixait avec une concentration extrême ce que Mira avait appelé un grille-pain. Quand les tranches de pain sautèrent brusquement, il sursauta comme s’il ne s’y attendait pas le moins du monde.
— Tous les matins, tu te fais surprendre exactement de la même manière… fit remarquer Riven, une pomme à la main, un sourire moqueur aux lèvres.
— C’est de la magie, grogna Lucas d’une voix pâteuse.
— Non, simplement de l’ingéniosité mêlée à l’électricité, corrigea Mira, de bonne humeur.
Ayra étira un sourire discret, avant de replonger dans sa lecture. Les échanges de ses deux amis la faisaient toujours rire — c’était le genre de petits moments simples qui réchauffaient les matins.
D’un geste distrait, elle remit derrière son oreille une mèche noire, échappée de sa coupe au carré.
Élika arriva toute fraîche, un parfum fleuri accompagnant son entrée. Elle n’aimait pas se montrer aux autres tout juste sortie du lit — elle trouvait que cela la rendait vulnérable. Elle jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule d’Elenor qui était concentrée sur son carnet ,dessinait la scène tout en picorant son omelette. Une boucle argentée glissa devant son visage, et elle pointa du doigt ce qui était censé être Lucas sur le dessin.
— Tu ne lui as pas fait l’air niais qu’il a en ce moment.
Elenor éclata de rire, tandis que Lucas tourna la tête vers elles, la bouche grande ouverte — l’air encore plus niais qu’il ne l’avait été juste avant.
Elika aperçut sa tante lui adresser un petit clin d'œil, tout en gardant sa tasse bien chaude entre les mains. Elle lui répondit par un large sourire.
Elle s’installa à table, rejoignant les autres. Son ventre gargouilla : elle avait besoin de reprendre des forces. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas fait d’exercice, et son corps commençait à le lui rappeler.
Tout en tartinant une tranche de pain, elle se tourna vers sa tante, un sourire en coin :
— Au fait, Mira… tu saurais où je pourrais m’entraîner un peu ? demanda-t-elle d’un ton léger, avant d’ajouter, malicieusement, en désignant du doigt les autres attablés : mais de préférence, un endroit où je ne risque pas d’être interrompue par ces individus.
Sa remarque fit rire sa tante.
— Oui, bien entendu… Bien que ce soit aussi ouvert aux « individus », ajouta-t-elle avec un sourire taquin. - Mais je dispose d’une salle d’entraînement, tu pourras l’utiliser quand tu voudras.
Élika haussa un sourcil, surprise. La maison était grande, certes, mais rien dans son agencement paisible ne laissait supposer qu’elle dissimulait une salle d’entraînement.
— Une salle d’entraînement ? répéta-t-elle, intriguée. Tu veux dire… genre avec des tapis, des sacs de frappe et tout ça ?
— Tu verras par toi-même, répondit Mira en se levant pour remplir sa tasse. J’ai mes petits secrets.
-ça c'est de la magie- rétorqua Riven ,qui semblait réfléchir à l'agencement de la maison.
peut-être bien. Conclut Mila avec son large sourire .
Des pas légers résonnèrent dans le couloir. Dahlia fit son entrée en s'étirant, une robe ample lui tombant jusqu’aux genoux, les cheveux en bataille. Elle avait visiblement quitté son lit à peine quelques minutes plus tôt.
Tout en baillant :
— Cette odeur… je pense que je ne m’y ferai jamais. Trop alléchante.
Elle s’installa à table d’un pas encore ensommeillé.
— C’est comme ça que tu comptes étudier ? En lambinant le matin ? lança Elika d’un ton faussement sévère.
— Les cours ne commencent que dans une semaine. Laisse-moi profiter un peu.
D’un geste nonchalant, elle se servit des œufs battus et quelques tranches de lard fumé à l’aide de la grande cuillère en bois. Dahlia laissa son regard glisser sur la table dressée, les tasses fumantes, le pain encore tiède… et Georges, installé près d’elle, qui grignotait un morceau de fruit qu’elle lui avait tendu sans même y penser.
"Ayra avait déjà levé les yeux de ses bouquins depuis un moment et observait la scène en silence. Elle ne put s’empêcher de penser qu’elle avait déjà connu de nombreux déjeuners comme celui-ci à Aetheris. Pourtant, ceux-ci avaient un goût différent. Celui de la normalité. D’un objectif enfin atteint. Un sentiment de plénitude l’envahit, et elle espérait pouvoir en vivre encore beaucoup d’autres.
Mira se leva de sa chaise, épousseta doucement ses mains et lança un regard circulaire à la tablée.
— Bon, si vous êtes rassasiés… je vais vous montrer quelque chose d’un peu spécial.
Dahlia leva un sourcil, intriguée.
— Un autre coin de la maison ? Sérieusement ? Tu nous caches encore des pièces ?
Mira ne répondit pas. Un simple sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle leur faisait signe de la suivre.
Ils traversèrent un couloir qu’ils n’avaient encore jamais emprunté. Les murs y étaient couverts de tableaux anciens, tous semblant vibrer de souvenirs lointains. Elle s’arrêta devant une portion de mur en bois lisse, sans poignée, ni fente visible.
— Là, dit-elle simplement.
Elle leva la main et la posa contre le mur. Un instant se suspendit. Puis, dans un léger grincement, comme si le bois retenait son souffle, les lignes du mur se mirent à trembler. Une esquisse de porte apparut lentement, sculptée dans la matière même. Un déclic discret résonna, et la porte s’ouvrit dans un souffle.
Derrière, une vaste salle s'étendait, baignée par une lumière douce filtrée par une verrière installée en hauteur. Le sol, recouvert de tatamis clairs, dégageait une sensation de calme maîtrisé. Sur les côtés, des mannequins d'entraînement, un sac de frappe suspendu, des tapis de sol, et même quelques poids soigneusement rangés attendaient leur utilisation. Un coin plus calme, aménagé avec des coussins et un encensoir, semblait réservé à la méditation ou à la concentration.
Mais ce qui attira particulièrement l’attention d’Élika, ce furent les cibles.
De grandes cibles circulaires, fixées au fond de la pièce sur un mur renforcé. D'autres, plus petites, étaient installées sur des socles mobiles, comme si elles pouvaient être déplacées pour des exercices de précision. Certaines avaient déjà des impacts visibles, comme si Mira les utilisait régulièrement.
— Tu t’entraînes vraiment ici ? souffla Ayra, un peu abasourdie.
— Quand j’en ai le temps, oui, répondit Mira en s’avançant dans la pièce. Chacun y trouve son utilité. Que ce soit pour s’apaiser… ou se défouler.
— C’est comme ça que tu restes aussi calme tout le temps ? demanda Elika en s’approchant des cibles, les doigts picotant déjà d’envie.
Mira sourit.
— Disons que ça aide.
— Tu as vu ça ? fit Élika en tapotant l'épaule de sa sœur. C'est magnifique.
— Oui, vraiment. Ayra sourit, mais ajouta, un brin songeuse : Je n’aurai sans doute pas beaucoup de temps pour venir ici.
Et intérieurement : Je ne suis pas venue pour ça.
— Ça, c’est techniquement de la magie ! lança Riven, les bras croisés. L’architecture extérieure ne permet pas de contenir une salle de cette envergure.
Il se tourna vers Mira, comme pour chercher son approbation.
Elle se contenta de sourire, une étincelle amusée dans le regard.
— Il faut parfois laisser un peu de place à l’inexplicable, répondit-elle simplement.
Élika balaya la pièce du regard. Les cibles criblées de marques, les armes suspendues qui tintaient doucement sous la brise d’un vasistas entrouvert, les mannequins de bois figés dans leur éternel silence. Tout ici appelait au mouvement, à la discipline… à l’ancienne elle. L’odeur familière du cuir usé, du métal froid et de la poussière soulevée par les pas lui piqua doucement les narines. Cela lui manquait plus qu’elle ne l’aurait admis.
Ses doigts glissèrent sur les arcs et les lames, jusqu’à s’arrêter sur une arbalète accrochée au mur. Elle la décrocha avec naturel, caressant brièvement la crosse comme on retrouve une vieille alliée. Le bois était lisse sous sa paume, patiné par l’usage.
D’un mouvement souple, presque dansant, elle se tourna vers l’une des cibles. Ses bottes crissèrent légèrement sur le sol de pierre. Sans réfléchir, elle s’élança, son corps glissant entre les colonnes de lumière qui tombaient des fenêtres hautes. Elle pivota, l’élan précis, contrôlé, et dans un enchaînement maîtrisé, décocha son trait en pleine course.
La flèche fusa dans un sifflement net, arrachant un éclat de bois au cœur de la cible. Le bruit résonna un instant, comme un écho à son propre souffle.
Elle redressa l’arbalète sur son épaule, le bois calé contre sa nuque, et laissa un sourire fin glisser sur ses lèvres. Dans cette salle, dans ce geste, elle avait retrouvé un fragment de ce qu’elle croyait perdu.
— Pas si rouillée que ça, finalement, souffla-t-elle, plus pour elle-même que pour les autres.
Elle faisait toujours en sorte d’être prête. De ne jamais perdre le rythme. Car une seule erreur, elle le savait, pouvait coûter bien plus que du temps.
Le sifflement admiratif de Lucas la tira de sa concentration. Elle se retourna : tous les regards étaient braqués sur elle.
Mira fut la première à applaudir, un sourire approbateur aux lèvres.
Un frisson de fierté parcourut Élika. Elle savait ce que valait Mira. Et recevoir son approbation… c’était loin d’être anodin.
Mira en profita pour annoncer :
— Cette pièce est ouverte à tous. Vous pouvez y venir quand vous le souhaitez.
Elle les regarda à tour de rôle, un sourire bienveillant aux lèvres.
— Puisque vous avez mon autorisation, l’accès vous sera désormais possible comme je viens de le faire.
Plus tard, alors que les autres s’étaient éparpillés dans la maison, chacun retournant à ses occupations, Ayra était restée un moment seule dans la salle d’entraînement. Pas pour s’exercer.
Elle n’aurait même pas su dire pourquoi elle était là, en vérité.
Elle ne mettait jamais les pieds dans la salle d’entraînement d’Aetheris. Ce genre d’endroit ne l’avait jamais attirée.
Et pourtant, ici, quelque chose l’incitait à rester encore un peu.
Elle marcha lentement, absorbée par ses pensées, effleurant du bout des doigts les étuis à épées alignés sur les murs, avant de dériver vers d’autres objets sans vraiment y prêter attention.
Un pressentiment diffus, difficile à formuler.
Elle se surprit à se demander si la décision de son père — celle de la laisser venir ici — n’était pas, au fond, liée à cet endroit.
Était-il au courant de son existence ? Si oui, ça ne faisait aucun doute.
C'était le soir. Eren venait de manger. Il était installé dans un petit fauteuil de cuir noir, placé face à une porte-fenêtre entrouverte, laissant passer l’air tiède de la nuit. Une tasse fumante de thé à la menthe entre les mains, il observait les ombres onduler au-dehors, paisible.
Leur installation s’était déroulée sans accroc. Prévoyant, il avait pris soin d’emporter quelques pièces anciennes et des objets de valeur, sachant qu’ils pourraient servir. Il les avait échangés dans une boutique discrète, nichée au fond d’une ruelle sombre. L’endroit semblait presque hors du monde, comme si le marchand tenait à rester invisible aux yeux de la foule.
Dès son entrée, l’odeur d’ancien et de poussière lui avait chatouillé les narines. Sur les étagères, de l’or, des pierres aux reflets changeants, des artefacts usés par le temps. Les yeux du vendeur s’étaient allumés à la vue des pièces qu’Eren avait sorties. Il resta professionnel, mais ne cacha pas son intérêt. L’offre fut bonne, largement suffisante pour couvrir leurs dépenses pour un moment.
Au moment de partir, le marchand l’avait accompagné du regard et, d’une voix basse, presque complice, lui avait glissé :
— Si vous avez d’autres merveilles de ce genre… n’hésitez pas.
Eren sourit en repensant au marchand. L’appât du gain, c’était universel. Peu importait le monde dans lequel on se trouvait, il y avait toujours quelqu’un prêt à céder pour un peu d’or ou une promesse. Et dans ce cas précis, ça avait facilité les choses plus qu’il ne l’aurait cru. Un simple échange, quelques pièces anciennes et voilà, le marchand avait mordu à l’hameçon. Ça ne l’avait même pas dérangé. Après tout, l'argent, c’était le langage commun dans n’importe quel coin de l’univers.
Il haussait les épaules intérieurement, presque amusé par cette simplicité. C’était si facile. À chaque fois qu’il pensait que l’on pouvait tout acheter, cela lui paraissait plus évident. Les gens se vendaient à bon prix, certains sans même s’en rendre compte. Et dans son cas, cela simplifiait beaucoup de choses.
Il entendit la porte s’ouvrir derrière lui. Kael était parti plus tôt, prétextant qu’il avait besoin de s’aérer l’esprit. Eren ne se retourna pas. Il laissa le bruit des pas se rapprocher, puis le grincement de la chaise lorsqu’elle fut tirée.
Un silence s’installa. Pour Eren, ce n’était jamais inconfortable. Il savait qu’il pouvait attendre encore quelques minutes. Le silence était son allié.
Il laissa le temps s’étirer, les yeux posés sur les ombres dansantes au-dehors. Il connaissait son frère. Kael avançait à son propre rythme. S’il avait quelque chose d’important à dire, il finirait par le faire, à sa manière. Et dans ce genre de moment, mieux valait ne rien bousculer.
Eren l’entendit respirer. Un souffle presque imperceptible, mais suffisant pour qu’il comprenne : Kael était en train de réfléchir. Cela ne l’étonnait pas. Il pesait toujours chaque mot, laissait les pensées se heurter dans son esprit avant de les laisser sortir. Il va parler. Et ce qu’il s’apprête à dire va sûrement me plomber la soirée, pensa-t-il, sans colère, juste avec ce soupçon de lassitude qu’il ne s’autorisait que le soir, quand le jour touchait à sa fin.
— Tu sais… à propos de l’ange, lança Kael, la voix posée mais sans détour.
Eren ferma brièvement les yeux, déjà las de cette direction.
— Je t’écoute, répondit-il d’un ton neutre, sans tourner la tête.
— J’étais sérieux, reprit Kael, un peu plus bas. Quand je t’ai dit que si je devais en venir à la tuer… je le ferais.
Un silence épais tomba. Seule la rumeur lointaine de la ville filtrait à travers la fenêtre entrouverte.
Eren inspira lentement, comme pour se donner le temps d’avaler ses propres pensées. Il ne se retourna toujours pas.
— Si j’arrive à mettre fin à tout ça, murmura-t-il enfin, le père me laissera tranquille.
Kael tiqua, ses doigts serrant légèrement le bord de la table.
— Ah oui ? Tu penses vraiment ça ? demanda-t-il, tentant de garder un ton calme. Un peu trop calme.
— Une fois l’envoyée vaincue, tu sais ce qu’il fera ? reprit Eren, plus dur, toujours sans se retourner.
Il marqua une pause, ses mains crispées sur l'accoudoir.
— Il t’utilisera. Toi. Il fera de toi son bras droit, son pion. Il te mènera à Aetheris comme on mène un chien enragé à l’abattage, et tu fonceras tête baissée.
Il se redressa enfin, pivotant vers Kael, les yeux brillants d’une colère contenue.
— Il te laissera croire que tu as le contrôle. Mais tu deviendras son arme, celle qu’il brandira pour écraser les villages quand il le voudra. Et tu le feras. Parce que tu crois encore que tout ça t’appartient.
Eren entendit Kael serrer les dents.
— Impossible ! Je ne le laisserai jamais m’utiliser, lâcha-t-il d’un ton sec, presque animal.
Eren le fixa, sans hausser la voix.
— Il le fait déjà, dit-il simplement. Et avec moi aussi.
Un silence pesant s’étira, plus lourd encore qu’au début. Ce n’était pas une provocation. C’était un constat. Froid. Implacable.
Eren savait que son frère cherchait une réponse. Quelque chose pour se défendre. Pour ne pas laisser entrer le doute.
Il l’entendit finalement reprendre, plus acerbe cette fois :
— Et toi ? Tu penses qu’en retrouvant l’envoyée, elle te sautera dans les bras en pleurant « mon frère adoré, tu m’as tellement manqué, viens, on va faire le bien ensemble ! »
Il se leva d’un bond, la chaise raclant le sol dans un bruit sec.
— Ben NON ! cracha-t-il. Non, Eren ! Elle te tuerait sûrement, tu le sais très bien ! Parce qu’elle n’aura aucun souvenir de toi. Lien de sang ou pas !
Ses joues étaient rouges, son souffle court. La colère, cette fois, n’était plus contenue.
— Tu n’en sais rien ! lâcha Eren, plus fort qu’il ne l’aurait voulu.
Le silence qui suivit fut différent. Tranchant. Chargé de tout ce qu’ils ne disaient pas.
Il se leva à son tour, mais sans brutalité. Son regard était planté dans celui de Kael, dur, blessé, lucide.
— Tu ne sais rien d’elle, Kael. Et encore moins de ce qu’elle est capable de ressentir.
— Toi non plus, répondit Kael, plus bas. C’est ça que tu as du mal à comprendre.
Son ton avait chuté, comme si la colère, retombée, laissait place à quelque chose de plus brut. Plus honnête. Pas une attaque. Juste un fait.
Eren ne répondit pas tout de suite. Le silence, cette fois, n’était ni un allié, ni un refuge. Il pesait.
Kael baissa légèrement les yeux, puis ajouta simplement :
— Je t’ai prévenu.
Sans un mot de plus, il tourna les talons et se dirigea vers sa chambre, les pas lourds, mais déterminés.
Eren resta seul, debout dans la pièce désormais silencieuse.
Et si Kael avait raison ?
Il n’avait aucune certitude. Rien, sauf cette conviction tenace qu’il ne pouvait pas abandonner. Pas encore.