Max dévala l’escalier, prêt à aller à l’école. Il empoigna son cartable et son vélo.
— Déjà ? s’écria sa mère. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es tombé du lit, aujourd’hui ?
Aube, tout aussi surprise, releva la tête de son petit-déjeuner. Ce n’était effectivement pas dans les habitudes de son grand frère de partir le premier, lui qui détestait se lever le matin. Elle tendit l’oreille. Que mijotait-il ?
— Ne t’inquiète pas, maman, répondit-il en ouvrant la porte. J’avais juste envie d’arriver tôt aujourd’hui.
— Ah ! constata leur mère à la fois étonnée et ravie.
Mais Aube n’était pas dupe, son frère manigançait quelque chose. Elle n’avait pas eu le temps de découvrir tout ce qu’il avait en tête, mais assez pour comprendre que Max avait un plan. Un plan qui concernait l’antenne. Aube se dépêcha de terminer son bol de céréales.
Leur école se situait sur un autre versant de la colline. C’était un petit établissement de quartier dont la cour de récréation donnait sur le parc du grand hôpital de la ville. Aube s’y rendait tous les matins à pied, accompagnée par sa mère qui la déposait devant l’entrée, avant d’aller travailler.
Quand elles arrivèrent, elles découvrirent Max sur le trottoir en train d’essayer de faire signer des exemplaires de la pétition de Jeanne. Quelques parents curieux s’arrêtaient. Mais, dans l’ensemble, Max avait peu de succès.
— Comment est-ce que tu as eu toutes ces pétitions ? demanda Aube.
Elle avait remarqué le paquet de feuilles de son frère alors que, la veille, Jeanne n’en avait que trois ou quatre maximum avec elle.
— Qu’est-ce que tu fais là ? s’énerva sa mère qui voyait l’initiative de son fils d’un mauvais œil.
— Je voulais aider Jeanne, lui répondit-il.
« J’ai utilisé l’imprimante de papa pour faire des copies » ne put-il s’empêcher d’ajouter à l’adresse de sa sœur.
« Oh ! Tu as réussi ! Je voulais te le demander hier soir, mais je me suis endormie avant que tu ne rentres. » Voilà ce que Aube pensait et aurait aimé dire à Max si leur mère ne se tenait pas entre eux. Celle-ci les poussa à l’intérieur de l’école de son air le plus sévère.
« Je sais » crut saisir Aube parmi les réflexions qui agitaient son frère. Était-ce possible qu'il la comprenne enfin ? Qu’il accepte l’idée qu’on puisse entendre les pensées des gens ?
« Oui ! Tu vois, c’est ça l’intuition ! » exulta-t-il malgré la tournure que prenait la situation. Leur mère ne comptait pas en rester là. Elle s’était emparée du paquet de pétitions.
— Tu aurais au moins pu m’en parler, plaidait-elle. Est-ce que c’est une idée de Jeanne ? Mais enfin, on ne laisse pas un enfant seul faire signer une pétition. Ce sont des démarches d’adultes.
« Oui ? Alors que font les adultes pour aider Jeanne ? » n’osa pas répondre Max. Aube se retint de sourire pour ne pas donner l’impression à leur mère qu’elle se moquait.
— Je ne veux plus te voir prendre ce genre d’initiatives sans demander la permission. Est-ce pour ça que tu venais plus tôt à l’école ? On aura tout vu. Et dire que je dois vous forcer à faire vos devoirs.
« Mais pourquoi se force-t-elle à nous forcer ? » pensa Aube à l’intention de son frère qui ne put s’empêcher de pouffer.
— Et ça te fait rire ? Je rendrai ceci à Madame Jeanne. Je ne veux plus que tu amènes cette pétition à l’école. Est-ce que tu m’entends ? Non, mais... Qu’est-ce que ton instituteur pourrait en dire ? Et Monsieur le Directeur ? Allez, promets-moi que cela ne se reproduira plus. Sois sage. Et que je ne te surprenne plus !
La tornade de récriminations maternelles les avait laissés secoués et refroidis au milieu du hall d’entrée. Aube et Max se regardèrent et éclatèrent de rire. Leur maman était partie travailler.
— Ah ! Ça m’énerve, s’exclama Max. J’avais récolté une dizaine de signatures. Je suis sûr que j’aurais pu faire mieux, mais maman m’a confisqué tous mes exemplaires.
— Non, le détrompa Aube.
— Comment ça « non » ?
Aube exhiba celui que Jeanne avait laissé pour leur père la veille au soir.
— Je l’ai pris avec moi, triompha-t-elle. On peut en refaire des photocopies.
La sonnerie annonçant le début des cours coupa net leur conversation. Chacun partit vers sa classe.
— On se retrouve à la récréation, cria Max.
Noémie entra en retard dans le local et se dépêcha de s’installer à côté de son amie. Aube se mit à chuchoter pour raconter tout ce qu’elle venait de vivre sans être entendue par leur institutrice qui commençait une leçon de lecture. Tout aurait été plus facile si elle parvenait aussi à dialoguer par la pensée avec Noémie.
— J’ai rencontré quelqu’un que je veux absolument te présenter, entama Aube tout excitée. Il s’appelle Éfflam.
— Éfflam ? répéta Noémie. Quel drôle de nom !
— C’est un très vieux prénom, je crois.
— D’où il vient ce nouvel ami ?
— Il habite sur la colline, s’emballa Aube. Personne ne peut le voir, car il vit caché avec sa famille dans un terrier. Mais je l’ai vu danser et chanter derrière chez Jeanne. Et je peux communiquer avec lui dans ma tête ! C’est un enfant-chat !
— Quoi ? s’exclama son amie.
— Noémie ! s’interrompit leur institutrice. Que se passe-t-il ? Tu as une question à poser ?
La petite fille se ressaisit et se redressa sur sa chaise.
— Non, madame, répondit-elle.
— Alors, si tu es prête, tu peux peut-être lire la première !
L’institutrice montrait au tableau le dessin grand format de deux héros de bande dessinée accompagné d’un dialogue. Sa main se posa sous le premier mot de la première phrase.
— Boule est l’ami de Bill, ânonna Noémie.
— Très bien ! Et la suivante ? la pressa l’institutrice.
Sa main avait glissé au tableau pour suivre les lettres que son élève égrenait et l’attendait maintenant sous le premier mot de la deuxième phrase.
— Bill est l’ami de Boule, continua l’enfant en soupirant.
Aube souffla avec elle. L’alerte était passée. Elle trouvait plutôt drôle d’apprendre à lire dans des bandes dessinées. Même si les images suffisaient à comprendre l’histoire et que les seuls mots qu’elle avait réussi à déchiffrer d’elle-même étaient « Grrr ! Waf ! Wouf ! ». Les aboiements de Bill lui semblaient plus faciles à comprendre que les paroles de Boule. Ce n’est pas ça qui l’aiderait à lire le texte de la pétition ou le livre d’histoires que lui avait offert son père. Leur institutrice satisfaite interrogeait à présent un autre élève. Aube se pencha à nouveau à l’oreille de Noémie.
— Si tu viens dimanche à la maison, on pourra aller le voir, reprit-elle. Puis, on a rendez-vous chez Jeanne. Elle a un plan contre l’antenne. On va faire signer une pétition. Regarde !
Aube sortit la feuille couverte de caractères d’imprimerie de son cartable. Elle était bien moins belle que les dessins de Boule et Bill, mais pour le moment beaucoup plus intéressante aux yeux des deux amies impatientes de la déchiffrer.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Noémie.
— C’est pour protéger la colline, commença Aube en retrouvant le mot qu’elle savait lire à présent.
— Aube, Noémie ! intervint une fois de plus leur institutrice. Est-ce que vous écoutez ce que je dis ?
Cette fois, elle s’était approchée de leur banc. Elle aperçut la pétition sur laquelle étaient penchées les deux fillettes.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Aube comprit tout de suite qu’elle risquait de se voir confisquer le précieux exemplaire de Jeanne. Son institutrice n’était pas disposée à se laisser déranger. Elle était toujours prête à prendre des mesures radicales pour faire disparaître toute trace de distraction et ramener le calme dans sa classe. Aube eut une intuition. Il fallait tenter le tout pour le tout. Elle devait sauver la pétition.
— C’est pour mon père, dit-elle. Une voisine l’a apportée et je dois lui donner ce soir.
— Et alors ? Comment ceci se retrouve-t-il sur votre banc ?
L’introduction de Aube avait été trop longue. Son institutrice s’impatientait. Il fallait en venir aux faits.
— Je voulais apprendre à la lire, se lança-t-elle. J’ai déjà déchiffré la première phrase.
— Ah oui ?
L’adulte mordait à l’hameçon. Aube le sentit et continua sur sa lancée.
— « Pétition. Non à l’antenne-relais sur notre colline », répéta Aube de mémoire.
- « Pétition contre l’antenne-relais », corrigea son institutrice.
Comme pour « Boule » et « Bill », Aube se rendit compte que les mots « contre » et « colline » commençaient par les mêmes lettres sans comporter les mêmes sons. « Pétition contre ». Tout lui semblait évident à présent. La suite lui paraissait enfin accessible.
— Mais je n’arrive pas à lire le reste, continua-t-elle pour appâter l’adulte qui se prenait au jeu.
— « Qu’y a-t-il de plus beau que deux personnes qui se parlent ? » enchaîna l’institutrice. « Les télécommunications modernes permettent d’appeler à l’autre bout de la planète pourtant nous y perdons la présence de notre interlocuteur et leurs ondes perturbent l’équilibre de la terre. Pour préserver nos relations entre voisins et nos liens avec la nature, nous n’avons pas besoin d’antenne mobile sur notre belle colline. Faites entendre votre voix ! Signez ici ! »
Aube était ravie. Son institutrice sceptique.
— Voilà une bien drôle de littérature, commenta celle-ci. Je n’ai jamais rien lu d’aussi farfelu.
Aube sentit qu’en face d’elle l’adulte cherchait son propre portable dans sa poche. Claire se rassurait en se disant qu’il lui était bien utile. Elle qui habitait loin de chez ses parents, son mobile lui permettait de rester en contact avec sa famille. Comment pouvait-on rejeter les bienfaits de la modernité ? Aube comprit qu’elle ne parviendrait pas à la faire changer d’avis. Au contraire, elle risquait de la contrarier plus encore. Pourtant, il fallait sauver la pétition. Pour Jeanne, pour Éfflam, pour les animaux de la colline.
— Madame ? Comment est-ce que ça fonctionne les ondes d’un mobile ?
Elle tentait une diversion, mais elle était sincère. Aube voulait vraiment savoir.
— C’est compliqué !
L’enseignante prit l’ensemble de sa classe à témoin.
— Vous savez, continua-t-elle. Il y a en permanence des ondes dans l’espace autour de nous. Les ondes des téléphones portables, les ondes radio. C’est comme de l’électricité qui passe dans un fil, comme un caillou qui fait des vagues dans l’eau. Ce sont d’infimes petites vibrations dans l’air qui peuvent transporter des informations. C’est naturel. C’est cette merveille qui permet de faire fonctionner bien des appareils comme les téléphones.
Elle déposa la pétition devant Aube.
— Tu sais, conclut-elle. Il y a des ondes bien plus dangereuses pour la santé que celles des mobiles. Les plus mauvaises sont celles des téléphones sans fil. Heureusement, grâce aux mobiles, il y en a de moins en moins, mais les téléphones sans fil sont de vraies petites centrales téléphoniques domestiques, de gros producteurs d’ondes dans les maisons. Allez ! Range-moi ça ! Tu la rendras à ton père. Mais, si tu veux mon avis, cette pétition ne sert à rien !
— Merci, madame !
Aube s’était forcée à se taire, mais les réactions de son professeur avaient provoqué des tremblements en elle. Elle avait su pêcher de nouvelles informations pourtant, plus que jamais, tout s’embrouillait. Elle n’avait rien dit, car l’essentiel était sauvé, elle avait récupéré la pétition qu’elle remit rapidement à l’abri dans son cartable.
— Si vous voulez faire quelque chose pour la nature, continuait l’institutrice, ce matin après la récréation, nous allons avec d’autres classes en sortie au parc et nous en profiterons pour ramasser les déchets que nous trouverons par terre. Pensez à la propreté, c’est important pour l’environnement.
Noémie poussa Aube du coude.
— Chouette, lui glissa-t-elle en douce. Si on sort, on pourra peut-être voir ton ami Éfflam sur la colline.
— Oh oui ! sourit Aube.
— Silence ! s’emporta leur institutrice. Nous reprenons notre leçon de lecture. Au tableau, Boule et Bill, toujours amis, les attendaient impassibles. Un enfant et un chien qui parle, Aube y voyait un signe. Ils lui faisaient un clin d’œil pour l’encourager à continuer.
Il me semble qu'on est plusieurs à se poser des questions sur le retard de lecture d'Aube. Visiblement c'est important. Tu pourrais sans doute en toucher quelques mots dans les premiers chapitres, même si ça ne gêne en rien la lecture.
A bientôt :)
Oui vous êtes plusieurs à me faire cette réflexion. Je crois que je vais introduire un dialogue entre Aube et son père où il tente de rassurer sa fille sur ce retard de lecture : tout le monde n'apprend pas exactement tout au même âge et le déclic viendra quand elle sera prête ! Ce qui est le cas !
Merci de ton retour et à bientôt !
- pourquoi se force-t-elle à nous forcer ? => belle question, posée comme de biais aux adultes qui lisent derrière l'épaule de leur enfant (ou qui lisent des livres pour enfants, ce qui arrive à des gens très bien)
Je chipouille sur :
-avant que tu ne rentres. => ce "ne" qui ne sert à peu près à rien et qui fait trop écrit, est-ce qu'il est à sa place dans la bouche d'une petite fille qui ne sait pas bien lire ? :)
Parlons maintenant pédagogie avec l'institutrice qui a l'air de s'appeler Claire :D Je pense que Claire passe beaucoup de temps à échanger avec seulement la petite Aube et sa pétition, laissant tous les autres loulous livrés à eux-mêmes. Ceci ne peut durer qu'une minute trente-deux au grand maximum, car les autres loulous, à moins d'être des enfants extraordinairement exceptionnels et sages, grimpent aux rideaux et se cachent sous leurs chaises au moment où Madame Claire choisit de ne s'adresser qu'à un enfant, et pas à toute la classe. D'autant que dans ses déplacement, comme je l'imaginais, elle s'est avancée vers Aube ! Elle tourne donc le dos à une partie de la classe pour s'occuper d'Aube ! Tout cela n'est pas recommandé par la Haute Autorité de l'Inspection Académique... Je m'amuse. Naturellement les petits camarades font les zouaves. Ce qui peut modifier l'état d'esprit de madame par rapport à Aube, et faire monter la tension entre elle et la fillette.
Je file voir la suite !
Merci pour le "ne" trop littéraire ! En optant pour un style écrit plutôt que oral, j'ai parfois forcé un trop le trait !
Ah Claire n'est pas un exemple de pédagogie, c'est certain ! Mais je n'avais pas pensé exploiter le potentiel chahut de la classe ! Merci pour la suggestion ! Je note ! Je note !