À la récréation, Aube retrouva son frère.
— Donne-moi la feuille, lui demanda-t-il. Mon instituteur est d’accord de la photocopier. Il dit que des antennes aussi près d’une école et d’un hôpital, c’est inadmissible, que c’est inutile et qu’il y en a déjà assez. D’ailleurs les mobiles fonctionnent très bien par ici. Il veut voir la pétition et proposer à ses collègues de la signer.
— Bonne chance avec notre instit, rigola Noémie.
— Fais gaffe, Max, ajouta Aube. Elle a failli me la confisquer.
Son frère s’empara du texte avec détermination. Il était tout excité.
— On s’en fout des adultes qui ne sont pas d’accord. De toute façon, ils n’écoutent jamais les enfants. Mon instituteur, il pense comme papa. Il m’a dit que si on n’écoute pas ceux qui ne pensent pas comme tout le monde, on fonce droit dans le mur.
— Il n’a pas son permis de conduire ? continua à se moquer Noémie.
— Oh ! Papa, j’espère qu’on pourra le voir, la coupa Aube. On va en sortie dans le parc de l’hôpital et parfois il monte lui-même chercher des groupes de malades avec qui il travaille. Peut-être qu’on va le croiser !
Son frère tirait la tête. Elle comprit qu’il n’y croyait pas. Aube fut surprise de se rendre compte que Max était aussi triste et inquiet qu’elle de savoir leur père ainsi occupé et si souvent absent de la maison.
— De toute façon, on le verra ce soir et on pourra lui montrer la pétition, tenta-t-elle de le réconforter.
— S’il ne rentre pas trop tard...
— Bah ! S’il n’est pas là, tu me liras une de ses histoires.
— Tu es sure ? s’étonna Max.
— Oui. Au moins, ce sera un peu comme s’il était avec nous, ajouta Aube.
Noémie resta stupéfaite devant le frère et la sœur. Ils étaient muets, mais donnaient le sentiment de se remercier en silence.
— Votre père vous lit parfois des histoires ? dit-elle. Vous en avez de la chance ! Moi, le mien, il ne lit jamais rien.
Une cinquantaine d’enfants s’égaillèrent dans le parc. Ils avaient pour consignes de ramasser tous les déchets qu’ils trouveraient et de les ramener dans les poubelles publiques ou dans les sachets plastiques que tenaient leurs institutrices. Aube et Noémie firent semblant de partir en mission avec autant d’entrain que le reste de leurs condisciples, mais leurs préoccupations étaient tout autres.
— On n’est pas au bon endroit, expliqua Aube à son amie.
— Tu crois ?
— Oui. Le parc continue plus bas en dessous de l’hôpital, vers la ville. Nos parents nous interdisent d’y jouer. C’est là que se trouvent les malades qui vont parfois dans l’association de mon père.
— Qu’est-ce qu’ils ont comme maladie ? voulut savoir Noémie tout en examinant attentivement les bâtiments et les personnes alentour.
— Ils sont drogués, répondit son amie.
— Drogués ? C’est une maladie ?
— Oui. Et c’est dangereux.
— Et ton père il s’occupe d’eux ?
— Ils prennent un produit qui les rend malades, expliqua Aube. Mais ils ne peuvent plus s’en passer. Mon père essaie de les aider en leur apprenant à cultiver un potager pour qu’ils n’aient plus envie de reprendre de la drogue.
— Un potager ? C’est bizarre comme idée, s’étonna Noémie. Et ça marche ?
Aube hésita avant de répondre. Ce qu’elle en savait la tracassait. Cela inquiétait sa mère aussi. Mais le plus préoccupé était son père qui se forçait à persévérer tout en doutant chaque jour.
— Je ne sais pas, résuma-t-elle. Mon père a toujours plus de travail et il n’a jamais l’air content de comment ça se passe.
— En tout cas, il est vachement courageux.
La réflexion de Noémie rendit le sourire à son amie. Aube cessa d’observer les allées et venues autour de l’hôpital. Elle aurait aimé y découvrir son père, mais c’était fort peu probable. Et même si elles le croisaient, il n’aurait pas le temps de les rejoindre et de discuter avec les filles. Aube se détourna et tenta d’apercevoir les bois sur la colline derrière les chênes, les saules et les marronniers, les grands arbres bien entretenus du parc.
— Je me demande si Éfflam vient parfois jusqu’ici, reprit-elle.
Son amie la regardait sans comprendre.
« Explique-moi. Je voudrais savoir de quoi tu parles. »
Ces pensées, Aube se dit que n’importe qui aurait pu les lire dans les yeux silencieux de son amie.
— Tu te souviens que tu as réussi à voir mes chats au loin dans le jardin de Jeanne ? continua-t-elle. Eh bien, moi, c’est la même chose avec Éfflam. Je l’ai senti et je l’ai entendu chanter sur la colline.
— Tu crois que je pourrais le voir ?
— Je ne sais pas. Il est brun et vert comme de la terre et des feuilles. Et quand il se déplace, on dirait un coup de vent.
— Ah, ça va être facile, tiens ! conclut Noémie.
Sans plus un mot, les deux amies scrutèrent la nature autour d’elles. Elles ne prêtaient aucune attention aux enfants qui criaient un peu plus loin. Des chercheurs de trésors, heureux de découvrir des déchets qu’ils exhibaient fièrement avant de les ramener à leurs institutrices. Même s’il s’agissait de l’emballage du biscuit qui venait de tomber de la poche de leur copain. Les filles guettaient chaque mouvement dans les ramures des arbres, l’envol des oiseaux, les traces d’autres animaux. Mais elles n’en aperçurent aucun, encore moins d’enfant-chat. Elles s’étaient éloignées du groupe. Noémie avançait le nez en l’air, déterminée à enfin rencontrer Éfflam, lorsque ses pieds heurtèrent de petits objets en verre.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? dit-elle en se penchant pour ramasser ce qui l’avait surprise.
— Ne touche pas à ça ! l’arrêta Aube. C’est dangereux. Ce sont des seringues de drogue.
— C’est quoi ?
— C’est avec ça que les drogués se rendent malades, continua-t-elle. Mon père m’a interdit d’y toucher si j’en trouvais.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
— Dans ce cas-là, il dit qu’il faut prévenir un adulte.
— Tu en es sûre ? s’inquiéta Noémie en regardant en direction du reste du groupe et des institutrices à l’entrée du parc.
À bien y réfléchir, Aube crut entendre ce qu’en penserait leur professeur si elles allaient la trouver.
— Tu as raison, reconnut-elle. Ça ferait toute une histoire. Un sacré scandale.
— Mais on ne peut pas laisser ça.
— Non, c'est vrai.
Elle regardait les seringues usagées devant les chaussures de Noémie. C’était fou d'imaginer que ces petits morceaux de verre étaient si dangereux. Une idée lui traversa l’esprit.
— J’en parle à maman dès que je rentre à la maison, proposa-t-elle comme solution.
— Bonne idée, répondit son amie. On rejoint les autres.
— Oui, filons !
Une deuxième intuition tentait de rattraper la première impression dans l’esprit de Aube. Et si c’était une mauvaise idée ? Mais la fillette la chassa, trop pressée d’en être débarrassée et de suivre Noémie pour rejoindre sa classe et retourner à l’école.
Je trouve ça très intéressant de parler de drogue, même si ça interpelle un peu dans un roman jeunesse, Aube à 8 ans je crois donc le public destiné sera à peu près du même âge. En tout cas à voir où cela nous mène.
Pour chipouiller encore, ce n'est pas du tout en terme littéraire, mais :
- on fonce droit dans le mur.
— Il n’a pas son permis de conduire ? => Noémie, si elle a 8 ans et n'est pas haut potentiel intellectuel et encore, ne peut pas bien comprendre le second degré ni la pensée métaphorique (cela ne devient clair qu'aux alentours de 14 ans !) Donc je ne sais pas si c'est crédible de lui faire faire ce genre de blague, à moins qu'elle la fasse naïvement sans avoir compris que ce n'était pas à prendre au pied de la lettre, ce qui peut amener une situation cocasse parce que Max, à coup sûr, répète l'expression en se donnant l'air de comprendre, mais bon, c'est encore une phrase d'adulte...
- dans l’esprit de Aube. => dans l'esprit d'Aube ?
A très vite !
Alors pour l'élision devant Aube, je ne sais pas pourquoi j'ai choisi de ne jamais en faire dans mon histoire (plutôt par goût personnel je dirais, mais je ne pourrais pas l'expliquer). Maintenant, je n'ai pas été vérifier si c'était grammaticalement possible ou pas...
Merci encore pour tes retours et à bientôt pour la suite !