C’est ainsi que Viviane Dubois se retrouva s’assis dans un fauteuil, les yeux rougis, un mouchoir aplati entre les mains. J’avais pris place en face d’elle, tandis que Sharp était resté debout derrière moi, les bras croisés.
- Madame Dubois, commençai-je, nous aimerions vous poser quelques questions.
- Encore ? Ironisa-t-elle avec un triste sourire. Allez-y, je vous en prie...
- Avant tout, nous aimerions que vous nous racontiez votre point de vue sur ce qu’il vient de se produire.
- J’étais en train de discuter avec un agent de police, dans le hall. Je lui parlais de l’histoire de la Mésange. C’est alors que j’ai entendu le hurlement de Jade. Je suis montée voir ce qu’il se passait, et là... Oh, la pauvre Anne, quel malheur ! Assassinée de la sorte, c’est effroyable...
- Y avait-il une raison particulière, à votre avis, pour que quelqu’un veuille l’assassiner ?
- Qu’en sais-je ? Elle a peut-être vu le voleur, qui aura décidé de la faire taire avant qu’elle ne donne l’alerte. C’était une femme gentille, charmante...
- Que faisait-elle avec la Mésange ? Et pourquoi monsieur Argyre ne surveillait-il pas l’entrée ?
- Je l’ignore. J’ignore tout. Nous n’avions rien prévu de particulier avec la Mésange, personne n’avait de raison d’aller la voir. J’ignore pourquoi Anne est entrée dans cette pièce, tout comme j’ignore pourquoi le vigile ne surveillait pas la porte. C’est atroce... Non seulement une femme innocente est morte, mais en plus de cela un objet d’une valeur historique a été volé... Quel cauchemar !
- Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les membres de votre équipe ? Comment vous les avez rencontrés, recrutés...
- Tout cela a pu se faire grâce à Jade Fleury. C’est elle qui est venu me voir à l’université où j’enseignais l’Histoire, afin de me convaincre que la Mésange d’Ambre n’avait pas disparu, comme beaucoup d’historiens l’avaient pensés. A force de discours, elle est parvenue à entreprendre des recherches sur des sites historiques dans le sud du pays, là où l’on avait découvert les derniers écrits sur la Mésange. C’est en déterrant des trésors ensevelis que l’on a retrouvés la Mésange. Cette découverte a fait beaucoup de bruits, et c’est de cette façon qu’Octave Leroy est venu nous trouver. C’est un grand collectionneur, et un généreux mécène. Il a offert d’importantes sommes pour que nous puissions obtenir que la Mésange soit exposée dans son propre manoir, afin d’attirer le plus de mécènes et autres donateurs possibles. Nous avons pu recueillir des dons importants pour continuer d’entreprendre nos recherches.
- Monsieur Leroy était-il déjà fiancé à madame Prillé, lorsque vous l’avez rencontré ?
- Oui, ils étaient ensemble depuis quelques mois déjà. Anne est aussi une grande passionnée d’Histoire. Etant la femme de notre plus généreux donateur, elle a reçu l’autorisation exceptionnelle de pouvoir se rendre dans la pièce de la Mésange à sa guise, quand bien même elle ne possède aucun diplôme d’Histoire.
- Quant aux trois autres hommes qui composent votre équipe, comment les avez-vous recrutés ?
- Je travaillais avec Killian Faure depuis de nombreuses années déjà. C’est tout naturellement que je l’ai choisi pour être le secrétaire de notre équipe de recherche. Pour Calixte Argyre, il m’a été présenté par Jade. C’est un homme fort qui a déjà exercer le métier de garde du corps. Il est grand et imposant, je me suis donc dis que c’était une bonne idée de le prendre comme vigile pour la Mésange.
- Et en ce qui concerne Laurent Lecomte ?
Un sourire chaleureux passa sur le visage de Dubois.
- Ce garçon adorable est venu me rencontrer un jour, une lettre à la main. Il avait déjà écrit tout un argumentaire pour me convaincre de l’engager comme apprenti historien. Il est fasciné par l’Histoire, et voulait voir la Mésange de ses propres yeux.
- Comme c’est curieux, grommela Sharp.
Viviane le regarda d’un air offusqué.
- Ce garçon est innocent, je peux m’en porter garante ! Je ne connais pas de jeune homme plus doux et plus gentil que Laurent. Il est toujours disposé à aider les autres. Son handicap l’a empêché de suivre des études correctement. Il a arrêté l’école très tôt, subissant sans cesse des moqueries de la part de ses camarades. Il a été rejeté par ses parents alors qu’il n’était encore qu’un adolescent. Il est parvenu à survivre en essuyant les souliers des riches passants qui voulaient se décrotter.
- D’où tenez-vous toutes ces informations ? Demandai-je.
- De Laurent et de sa fameuse lettre, bien évidemment. Mais, après cela, Octave Leroy a lui-même mené une enquête, et a ainsi pu confirmer tous les dires du jeune Lecomte. Notre mécène n’allait pas accepter n’importe qui dans notre équipe, vous vous en doutez bien. Mais il a été ému par le témoignage de ce garçon, et l’a donc pris sous son aile.
- Vous en parlez comme si ces deux jeunes hommes n’avaient pas le même âge...
- Oui, c’est vrai qu’ils ont tous deux la trentaine. Mais Laurent paraît si jeune et si innocent, quand il vous regarde avec ses grands yeux attendris...
- Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions, madame.
- Mais je vous en prie. Il faut que vous trouviez le coupable, et que vous retrouviez ma précieuse Mésange...
Killian Faure entra à son tour dans le salon. La démarche affirmée, il semblait sûr de lui.
- Je vais tout vous dire, commença-t-il d’emblée.
- Nous vous écoutons, répondis-je en m’asseyant confortablement.
- J’étais dans mon bureau en train de m’assoupir, quand Laurent est arrivé en trombe. Il avait le visage rouge a force d’avoir couru, et le souffle court. Il semblait angoissé, et me faisait de grands gestes que je ne comprenais pas. Quand je lui ai dit de se calmer, il a pris une feuille et a écrit quelque chose. J’ai tout juste eu le temps de lire “Anne a été assassinée” quand le hurlement de Jade a retentit. Je suis directement monté pour aller voir ce qu’il se passait. Laurent me suivait de près. Quand on est arrivés, Calixte et Jade se tenaient près d’Anne. Des policiers étaient déjà sur place.
- Savez-vous pourquoi Anne a décidé d’aller voir la Mésange ?
- Non, je l’ignore. Je trouve cela suspect... Elle n’avait aucune raison de s’y rendre. Et c’est tout aussi suspect que Calixte n’était pas en train de surveiller la pièce.
- Quant à Laurent Lecomte, avez-vous une idée de ce qu’il faisait dans ladite pièce, au moment où il a découvert madame Prillé ?
- Non, ça aussi, je l’ignore... A moins... Peut-être que...
Killian fit mine de réfléchir. Impatient, Sharp pressa le témoin :
- “Peut-être que” quoi ? Aboya l’inspecteur.
- Eh bien, reprit le secrétaire, il y a quelques rumeurs qui circulaient, au sein de l’équipe. Anne était du genre... croqueuse d’hommes, vous voyez ?
- Elle avait un amant ? Questionnai-je.
- Oui et non... On ne sait plus trop, à force. Elle m’avait déjà fait des avances, à moi, mais je les ai refusé. Hors de question de coucher avec la femme d’Octave Leroy. Cet homme me fait bien trop peur...
- Pourquoi cela ?
- Je ne sais pas trop... Dès qu’on faisait mine de s’approcher un peu trop près d’Anne, il devenait très... jaloux. Il s’emportait facilement.
- A-t-il déjà fait preuve de violence ?
- Non, pas directement. Et jamais physiquement. Mais je l’ai déjà entendu se disputer avec Anne. Il lui reprochait de s’accoquiner avec tout le monde.
- S’est-elle déjà... accoquiné avec Laurent Lecomte ?
- Ce n’est pas impossible. Elle lui a déjà tourné autour, c’est certain. Mais s’il a accepté ou refusé ses avances, ça, je l’ignore...
- Avez-vous le moindre soupçon sur qui aurait pu vouloir assassiner Anne ? Ou voler la Mésange ?
- Non, aucun. On est assez soudés, dans l’équipe... Enfin, c’est ce que je croyais... Mais je n’ai pas le moindre soupçon. Si monsieur Leroy avait le plus de “raisons” d’en vouloir à Anne, ça n’explique pas la disparition de la Mésange. Monsieur Leroy est déjà un homme riche, alors pourquoi vouloir voler la Mésange ?
- Peut-être pour faire tourner les soupçons sur un vol qui a provoqué un meurtre, et ainsi écarter l’idée du meurtre passionnel, qui ne ferait que l’incriminer davantage.
- Oui, peut-être bien... Je suis désolé, mais je ne peux vous être d’aucun secours.
- Je vous remercie, monsieur Faure. Un agent va venir vous chercher.
Ce fut au tour de Calixte Argyre de venir s’installer en face de nous.
Grand et imposant, c’est en effet ce qu’il était. Ce colosse aux larges épaules vous faisait passer toute envie de discuter avec lui.
- Monsieur Argyre, commençai-je, est-ce que-
- Je suis innocent, me coupa-t-il.
Je décelai un léger accent dans sa voix, ce qui éveilla ma curiosité.
- D’où venez-vous, monsieur ? Demandai-je.
- De Grèce, monsieur le détective. Mais je ne vois pas en quoi cela a rapport avec l’enquête.
- Eh bien, monsieur Argyre, vous n’êtes pas sans savoir que celui qu’on appelle “Le Vicaire” peut être lié à cette enquête. Et nous savons de sources sûres que le Vicaire travaille avec des personnes de nationalité étrangère.
Dans mon dos, je sentis le regard pesant de Sharp, et je devinais aisément qu’il ne voulait pas que j’en dise plus.
- Peut-être bien, répliqua fermement Argyre. Mais moi, je suis innocent.
- Cela, c’est à nous d’en juger. Du moins pour l’enquête. Quand êtes-vous arrivé en France, monsieur ?
- Il y a quelques années.
- Et comment avez-vous rencontré madame Fleury ?
- Dans la salle d’attente d’un cabinet d’avocat.
- C’est un endroit curieux pour une rencontre.
- Et pourtant, c’est bien là qu’on s’est rencontré. On a discuté, elle a apprit que je cherchais un travail, et son équipe cherchait justement un gardien pour la Mésange. J’ai tout de suite accepté.
- Un gardien pour la Mésange, siffla Sharp. Pourtant, vous avez failli à votre devoir, ce soir. Non seulement la Mésange a été volé, mais en plus de cela une femme est morte. Tout cela aurait pu être évité si vous montiez la garde, ce pourquoi vous êtes payé.
Argyre s’empourpra, serra les poings.
- Calmez-vous, monsieur, ordonnai-je. Pouvons-nous savoir ce que vous faisiez, quand ce drame s’est produit ?
- J’étais avec madame Fleury. Nous discutions.
- Et vous ne pouviez pas discuter devant la porte ? Pesta encore Sharp. Pourquoi être partis aussi loin ?
- Vous m’accusez, c’est ça ? S’emporta Argyre en se levant.
- Calmez-vous, s’il vous plaît, dis-je en me levant à mon tour.
- Non ! S’exclama le vigile. Je refuse d’être accusé de la sorte ! Vous n’avez aucune preuve. Jusqu’à preuve du contraire, vous ne pouvez pas m’arrêter. Alors laissez-moi tranquille !
Il sortit, accompagné d’un officier de police.
Je me tournais vers Sharp, lui offrant un regard inquisiteur.
En retour, il m’offrit un sourire mesquin en haussant les épaules.
Jade Fleury arriva dans le salon.Tremblante, les yeux rougis, elle dû s’y reprendre à plusieurs fois pour réussir à parler sans sangloter.
- Je... je l’ai vu... La pauvre Anne...
- Que faisiez-vous, au moment du drame ?
- Je... je discutais avec monsieur Argyre. Nous nous étions un peu reculés, si bien que nous n’avons pas pu voir si quelqu’un entrait ou sortait de la pièce.
- “Discuter”, hein ? Se moqua Sharp.
Jade Fleury s’empourpra.
- Oui, nous discutions.
- Et de quoi ? Quelle conversation pouvait être assez intéressante pour que vous laissez seul un trésor d’une valeur inestimable ?
- Je... Nous... nous parlions du travail, tout simplement... Du nombre d’heures, des personnes qui-
- Arrêtez votre cinéma ! Cria Sharp. Vous étiez en train de forniquer avec le vigile, voilà ce que vous faisiez !
- Je ne vous permets pas de parler ainsi !
Sentant que la situation m’avait échappé, je pris mon visage entre les mains, défaitiste.
- Moi, je vais me permettre ! Répondit Sharp. Il ne faut pas être clairvoyant pour savoir que monsieur Argyre ne possède pas de documents légaux pour résider en France. Voilà pourquoi il est parti voir un avocat, et voilà ce qui vous a permis de le rencontrer. Mais, alors qu’un trésor historique n’attendait qu’à être volé, vous êtes tous les deux partis faire l’amour dans un recoin sombre. Vous vous êtes dépêchés de finir votre affaire, et quand vous êtes revenus, une femme était morte, et la Mésange avait disparu !
Jade Fleury éclata en sanglots.
J’appelais un officier pour qu’il vienne la chercher. Elle ne répondrait plus à aucune question, désormais, c’était certain.
Seuls, je me tournais une nouvelle fois vers le jeune inspecteur Anglais.
- Sérieusement ? Lui reprochai-je. Comment espérez-vous en tirer une quelconque information, avec ce comportement ?
- Tout cela ne mène à rien ! S’énerva-t-il. Nous n’avons rien appris qui puisse nous aider à débusquer le complice du Vicaire ! Ces interrogatoires ne mènent nul part !
- Arrêtez de vous emporter aussi facilement, ça ne nous aide pas du tout ! Il nous reste encore deux témoins, le mari et l’apprenti. Peut-être que l’un d’entre eux est notre coupable.
- Vous voulez qu’on les interroge ? Alors laissez-moi faire à ma façon.
Parlant ainsi, il releva légèrement son veston, me dévoilant un revolver accroché à un holster.
Je secouais la tête, le regardais avec effarement.
Son sourire carnassier s’étira un peu plus.
Je soupirai en fermant les yeux.
- Vous savez quoi ? Dis-je. Allez-y. Interrogez les deux derniers selon votre bon vouloir. Je suis curieux de voir les résultats que vous obtiendrez.