Quelques instants plus tard, le doyen des membres du Conseil rejoignit ses congénères qui l’attendaient dans une petite salle adjacente. Il s’installa entre les deux autres représentants de la troisième planète, alors que les hologrammes des quinze responsables des cinq planètes colonisées apparaissaient, un à un, autour de la table de réunion. Il prit la parole sans plus attendre :
— Je leur ai transmis notre message... Ils vont étudier les mesures qui devront être prises dans les villages et les pyramides afin de renforcer leur contrôle sur les nouvelles générations d’enfants.
— Avons-nous la moindre idée d’où proviennent ces tendances à contester l’autorité de la Fédération ? demanda l’un des représentants de la quatrième planète. Nous avions l’impression que l’éducation délivrée par les parents et les institutrices des villages suffisait à leur faire accepter les règles du Système Préparatoire.
— C’était effectivement le cas, répondit le doyen. Depuis que nous avons pris la décision de supprimer le concept de « noms », autant pour les individus que pour les vaisseaux, les villes, les planètes, les étoiles, et toutes les choses qui, jadis, en portaient un, il est devenu impossible pour nos travailleurs de parler des absents ou de se rallier à d’éventuels meneurs. Rien ni personne n’est plus « unique ». Cela nous a grandement aidé à faire passer l’intérêt général avant les besoins personnels… Néanmoins, certains nouveaux venus présentent, depuis peu, des signes d’indiscipline alarmants.
— C’est exact, reprit l’un des responsables de la sixième planète. De jeunes éléments perturbateurs, récemment arrivés au sein de nos colonies immergées, ont réussi à propager leur esprit contestataire à l’ensemble des équipes dont ils faisaient partie. Nous les avons immédiatement écartés ; mais rien ne nous assure que d’autres incidents similaires ne se représentent à l’avenir.
— D’où l’importance de trouver au plus vite une solution à la source même de ce problème : au sein des villages de reproduction et des pyramides du Système Préparatoire ! conclut le doyen… Comme vous le savez tous, depuis l’automatisation de nos cultures et élevages, le nombre des hommes affectés aux tâches de reproduction a grandement diminué. Nous allons à nouveau augmenter ce quota afin de rétablir une figure patriarcale au sein de chaque famille, dans un avenir assez proche. En attendant, il faudra nous montrer plus fermes dans notre processus de triage en éliminant les éléments perturbateurs, dès leur entrée dans les pyramides.
— Mais nos nouvelles colonies ont besoin de travailleurs ! s’exclamèrent d’un commun accord les trois représentants de la sixième planète.
Une nuée de murmures approbateurs envers cette dernière remarque s’installa dans la petite salle...
— Nous comprenons vos réactions, reprit le doyen afin de mettre fin au brouhaha de contestations que sa proposition venait de déclencher. Nous savons pertinemment que, vu le nombre inférieur de garçons actuellement présents dans les pyramides, un accroissement de leurs quotas envoyés vers les villages aurait des répercussions néfastes pour nos colonies. Ce changement s’effectuera donc graduellement. Notre politique des naissances devra tout d’abord être rééquilibrée… Mais permettez-moi de vous rappeler que l’histoire est un livre dont les différents chapitres ont tendance à se répéter. L’espèce humaine est, et restera éternellement, semblable à un cheval sauvage... Elle ne peut être contrôlée sans qu’une main de fer la maîtrise de façon continue. L’entropie qui règne dans l’univers ne peut être contrée que par le maintien d’une organisation parfaite. Nous avons enfin réussi à unifier l’humanité en supprimant les notions de race, d’ethnie, de tendances politiques et de religions. Les dômes que nous avons érigés sur les ruines des anciennes cités ont donné naissance à une civilisation interplanétaire qui s’est lancée, avec courage et panache, à la conquête de l’espace. Mais cela ne fut possible que grâce à la suppression des sentiments individualistes, en faveur de l’esprit de groupe que nous inculquons au sein de nos pyramides. Nos jeunes enfants doivent respecter la société qui les abrite, les protège et leur fournit tout ce dont ils ont besoin pour mener une existence heureuse et épanouie. À l'instar des multiples cellules de notre corps qui doivent impérativement travailler en réseau pour permettre à nos organismes de fonctionner efficacement, nos travailleurs ont le devoir absolu de s’intégrer aux rouages de notre Fédération… sous peine d’en être irrémédiablement exclus. Mais je suis certain que vous êtes, tous et toutes, convaincus de ce que je viens de vous dire. Inutile de répéter ce que nous savons déjà. Nous allons vous laisser retourner à vos tâches respectives afin de continuer à faire régner l’ordre et la discipline au sein de vos colonies…
Suite à cette remarque, les hologrammes des membres du Conseil, représentant les planètes colonisées, disparurent les uns après les autres ; laissant les représentants de la troisième planète seuls dans la salle.
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Pendant ce temps, au sein de la pyramide du dôme numéro 1, notre jeune garçon, bien loin de se douter de ce qu'il se passait au sommet de la haute tour dominant les autres bâtiments de sa cité, continuait de découvrir en quoi consistait la société qui venait de l'accueillir :
Notre prestigieux empire comportait six planètes, accompagnées de leurs nombreux satellites. Leurs colonies étaient principalement formées de couples, assignés aux tâches d’exploitation des ressources qu’elles abritaient.
Le chiffre « 6 » devint le véritable symbole de notre civilisation qui, pour cette raison, adopta comme emblème la forme de l’hexagone. Cette figure géométrique se retrouvait non seulement sur les implants qu’on nous avait greffés, mais aussi dans les nombreux objets qui faisaient partie de notre vie quotidienne… jusqu’à la base des pyramides du Système Préparatoire qui représentaient notre savoir et notre avenir.
Le drapeau de la Fédération flottait fièrement au-dessus de ces imposantes constructions, ainsi qu’au sommet de la plupart des bâtiments administratifs et militaires de nos dômes et de nos colonies. Il portait, en son centre, une étoile dont les rayons venaient créer six triangles équilatéraux ; chacun d’entre eux symbolisant l’une des planètes de l’empire…
Nous apprîmes alors que notre monde était dirigé par un groupe de dix-huit individus : les successeurs des membres de l’énigmatique diaspora qui, en ayant permis la survie de notre espèce après d’énormes cataclysmes nucléaires, fut à l’origine de notre nouvelle civilisation. Ils avaient plein pouvoir de décision quant à la destinée de la Fédération et, de ce fait, également quant à celle de chacun d’entre nous !
Ensemble, ils formaient, le « Conseil Suprême », composé de trois représentants de chaque planète. Chacun d’entre eux était à la tête d’un de leurs principaux départements. Il y avait le département des Ressources Matérielles, celui des Ressources Énergétiques et enfin, celui des Ressources Humaines.
On les appelait les « Intouchables » car rares étaient ceux qui avaient la permission de les approcher. Je ne savais pas comment, ni même quand ils avaient été désignés pour assumer leur fonction… Ils semblaient avoir toujours existés .
C’est par ce groupe d’individus que furent rédigés, puis dictés à tous, les Lois de la Fédération ainsi que ses « Six Commandements » : des règles, claires et strictes, qui géraient notre vie en communauté… Impossible d’y échapper ni de les oublier, puisqu’elles étaient affichées partout .
Une gigantesque sphère, située au sommet de la plus haute tour de la ville, et assemblée de façon symbolique à l’aide de surfaces hexagonales, abritait leurs réunions secrètes. On disait qu’on pouvait apercevoir à l’oeil nu cette imposante construction depuis l’espace ! C’était également de son sommet qu’émanait le faisceau qui se dirigeait vers les étoiles.
Le Conseil Suprême siégeait en cet endroit mystérieux. Nous avions fréquemment l’occasion de voir l’un ou l’autre de ses membres sur les écrans géants qui parsemaient les murs de notre métropole. Cela se produisait généralement lors de discours, hautement médiatisés, qui venaient nous annoncer la prise de telle ou telle décision importante et cela, bien évidemment, dans l’intérêt de tous .
Ces allocutions étaient précédées des usuels spots propagandistes que nous connaissions par cœur, à présent. Ils nous parlaient de nos projets d’expansion ainsi que des attentats perpétrés par les quelques vaisseaux pirates qui rôdaient encore aux confins de la Fédération.
Leur dernier message était encore tout frais dans ma mémoire. Le représentant du Consortium des Ressources Énergétiques de la Sixième Planète « CRE6 » nous avait expliqué pourquoi la Fédération avait abandonné ses rêves de colonisation d’autres systèmes solaires, au profit d’une meilleure exploitation de ses nappes gazeuses, à haute teneur énergétique.
La majorité de nos efforts allaient donc être consacrés au développement des techniques d’extraction, de stockage et de transport de ces nouvelles sources d’énergie. Celles-ci permettraient à la Fédération d’augmenter la cadence de ses navettes et le nombre des vaisseaux de sa flottille : le véritable réseau sanguin de notre société !
En ce qui me concernait, j’étais destiné à devenir l’un des pilotes de cette légendaire « Flottille Spatiale ». Ma tâche m’avait déjà maintes fois été expliquée. J’aurais à transporter marchandises et passagers entre les différentes planètes et satellites colonisés. Et cela à bord de vaisseaux spatiaux de plus en plus performants et sophistiqués.
La Fédération me semblait pourtant inéluctablement entrer en contradiction avec les rêves de mon enfance passée dans ce village tellement proche de notre nature, si magique et si belle. Tout cela me manquait terriblement ! Mes parents, mes frères et mes sœurs faisaient néanmoins partie de cette société au sein de laquelle j’éprouvais tant de difficultés à m’intégrer.
Comment ces êtres que j’aimais si profondément avaient-ils pu se plier à de pareilles règles ? Et s’ils l’avaient fait, pourquoi ne le ferais-je pas à mon tour ? À quoi bon lutter s’il était si facile de se laisser contrôler et guider par les rouages d’un monde dont l’organisation, apparemment si parfaite, me destinait à un avenir aussi exaltant ?
Une intense camaraderie commença à m’unir à mes jeunes compagnons… Je me mis à les regarder d’un œil différent. Combien d’entre eux pouvaient s’avérer être mes demi-frères ou demi-sœurs ? Combien d’enfants mon père avait-il bien pu avoir avec d’autres femmes, durant les trois mois où vinrent au monde les membres de notre promotion ?
Ce retour en arrière me rappela soudain le cauchemar que j’avais l’habitude de faire lorsque j’étais jeune enfant, cette explosion suivie de mon agonie au fond du vide spatial… Mon affectation comme futur pilote de notre flottille interplanétaire était-elle vraiment une bonne nouvelle ?
Cependant, comme ma mère me l’avait conseillé, je mis tout simplement l’origine de ce rêve grotesque sur le compte de l’imagination fertile du jeune gamin que j’étais… J’espérais néanmoins qu’il n’allait plus venir me hanter. Il m’avait procuré assez de frissons dans le dos !
Le monologue du doyen évoque ce qui se passe actuellement sur Terre avec la mondialisation.
On a hâte que ton héros reçoive un nom, cela aiderait à s’attacher un peu plus à lui. Difficile effectivement de bien cerner le personnage dans ce monde où individualité est bannie !!
La description du fonctionnement de la cité est très bien réalisée.
Ici, « Il portait, en son centre, une étoile dont les rayons venaient créer six triangles équilatéraux ; chacun d’entre eux symbolisant l’une des planètes de l’empire… »
Les points de suspensions ici ne sont pas utiles je pense 😊 (Côté ponctuation tu utilises correctement tes virgules, c’est parfait)
Je ne sais pas si je mettrai un point d’exclamation à la fin de ce paragraphe
« Cela se produisait généralement lors de discours, hautement médiatisés, qui venaient nous annoncer la prise de telle ou telle décision importante et cela, bien évidemment, dans l’intérêt de tous ! »
Tu en mets pas mal dans ce chapitre, mais ici, soit je mettrais un point, soit, pour une fois, j’utiliserais les points de suspensions 😉 ^^