- Lysandre Coligny vient de tout avouer, nous apprit Jacques Barnet. Mais, je suppose que notre détective ici présent sait déjà ce que l’avocat a confesser, n’est-ce pas ?
- Oui, répondit Gallant.
Nous étions assis dans le bureau du commissaire.
Un avis de recherche avait été publié pour retrouver Maxime Rolland. Nous patientions donc, attendant de nouvelles informations.
Entre temps, Alice Durand nous avait appris que le rapport du médecin légiste n’était connu que par la famille Durand, et qu’en aucun cas il n’était possible que Lysandre Coligny ait appris que l’arme du crime était de l’arsenic. Ceci avait conduit à l’arrestation de l’avocat qui, comme venait de nous le confirmer Jacques Barnet, avait craqué sous la pression.
- L’affaire William Rapin commence le soir où sa famille a été massacré, commença Gallant. Suite à une dispute, comme l’avaient constaté leurs voisins à plusieurs reprises, William Rapin sort de chez lui en début de soirée. Albin Nozière, qui avait prévu depuis quelques temps de cambrioler la maison de campagne, voit sortir le mari. Une aubaine pour lui. Il attend un peu, prévoit de pénétrer la demeure, quand il voit quelqu’un d’autre entrer dans la maison. Il doit à nouveau attendre. Mais, quand cette personne ressort, elle est couverte de sang. Par crainte de ce qui pourrait lui arriver, le gamin ne prévient pas la police. Mais, les jours qui suivent, il voit William Rapin jugé et condamné à la prison à perpétuité alors qu’il est innocent. Il ne peut pas rester silencieux plus longtemps. C’est là que, sans le savoir, il commet une erreur. Tout naturellement, il a voulu faire part de son témoignage à l’avocat de Rapin : Lysandre Coligny.
Jacques Barnet hocha la tête, le visage grave.
- Maître Coligny, reprit Gallant, était depuis le début le complice de Maxime Rolland. J’ignore d’où ils se connaissent. Toujours est-il, alors que Rolland venait de commettre un massacre, pour une raison que j’ignore également, il a demandé à Coligny de louer ses services auprès de Rapin. Tout cela pour une modique somme, afin que la famille Durand accepte plus facilement de soutenir leur beau-fils avec cet avocat, ce qu’ils ont fait. Ne restait donc plus qu’à Coligny d’offrir une médiocre performance, persuadé que Rapin serait condamné à la peine capitale, offrant ainsi la toute liberté à Rolland. Manque de chance pour eux, Rapin a sauvé sa tête, au prix d’une prison à perpétuité. Donc, quand Albin Nozière vient trouver l’avocat en affirmant que son témoignage peut permettre de réhabiliter Rapin, Coligny et Rolland voient rouge. Rolland ne peut pas simplement tuer Nozière. Ce serait trop risqué, un troisième meurtre sur les bras. Alors ils trouvent mieux : ils le font enfermer dans la même prison que Rapin, afin de l’avoir sous surveillance. Peut-être s’amusent-ils même de voir Rapin en face de celui qui pourrait prouver son innocence, mais qui se retrouve enfermé à son tour. Sauf qu’arrive le moment où Rapin parle trop. Il clame son innocence un peu trop fort, ce qui doit commencer à alerter les autres surveillants, ainsi que les autres détenus. C’est là qu’ils décident de faire séparer les deux hommes. Ils prévoient d’assassiner Rapin, en camouflant cela en suicide. Quant à Albin Nozière, il suffit de le laisser pourrir au sous-sol. Après tout, qui s’inquièterait de son sort ?
Je vis la colère naître sur les traits de Gallant. Décidément, cette journée était propice à la haine, et à raison. Le détective reprit :
- Cela a dû être un jeu d’enfant de convaincre Caron et Guerin de les laisser emprunter quelques poisons. Mais Coligny a commis une première erreur : il n’a pas prévenu qu’il comptait tout particulièrement leur prendre de l’arsenic. Personne à part nos meurtriers, le légiste et la famille n’étaient au courant du poison utilisé. Au cours de leurs sessions avec Rapin, ils le forcent à avaler l’arsenic. Je ne pense pas qu’il attendaient patiemment que le jeune homme avale son café. A mon avis, ils lui forçaient à ouvrir le gosier pour lui faire prendre de force. Au cours de ces réunions, Rapin était parfaitement au courant de la culpabilité de son avocat et du surveillant. Il devait donc certainement refuser tout cadeau venant de leur part, incluant le fameux café dont Rolland nous parlait. Rapin est donc mort avec lenteur et souffrance, victime de vomissements, de douleurs abdominales, de crampes musculaires... Un supplice qui a duré plusieurs jours, jusqu’à son décès. Quand Victor Morel lui a annoncé que Rolland l’emmènerait voir madame Guerin, ce n’est pas tant la serre qui a provoqué le désespoir de Rapin. Il avait l’habitude de la craindre. Ce qui l’angoissait, c’était l’idée d’y aller avec Rolland. Il a dû penser que, cette fois-ci, c’est sa mise à mort qui s’enclencherait.
- Pourquoi Rapin n’en a-t-il jamais parlé à Victor Morel ? Demandai-je. Il aurait pu dénoncer Coligny et Rolland. Il aurait même pu en parler à Alice Durand lors de leurs quelques rencontres.
- Il aura certainement suffi que Rolland lui fasse croire de la complicité de Morel pour réduire au silence les suppliques de Rapin. Quant à sa belle-sœur, je pense qu’il ne voulait pas la mettre en danger. Il ne voulait pas risquer la vie de la sœur de feue sa femme.
- Coligny et Rolland se connaissent depuis l’enfance, expliqua Jacques Barnet. Ils habitaient le même quartier, fréquentaient la même école. Mais, plus important, ils ont fréquenter la même fille : Anabelle Durand. Elle a rejeté toute leurs demandes pour choisir la main d’un simple serveur. Rolland n’a pas pu le supporter. Ils ont dû choisir de plonger dans le crime ensemble, et ont donc assassinés cette pauvre femme ainsi que son bébé. Rolland a porté le coup fatal, et Coligny a incriminé un innocent pour sauver son complice. Pour ce qui est d’Albin Nozière, il va être relâché. Nous avons appris que Rolland et Coligny, avec l’aide du directeur Caron, ont fait enfermés ce gamin sans aucun procès. Le pauvre n’avait absolument rien commis, si ce n’est de ne pas avoir témoigné plus tôt. Aucune charge n’a été retenu contre lui. Il redevient un homme libre.
- Il a de la famille ? Demandai-je.
- Non, aucune. Quand il a choisi de cambrioler la maison des Rapin, il était à la rue. Il a seulement 18 ans, et sa famille a choisi de le déshériter. Ils ne veulent plus rien à voir à faire avec lui.
- Pourquoi cela ?
- Je l’ignore, répondit Barnet en haussant les épaules.
- Vous pourrez peut-être lui poser la question lorsque nous l’hébergerons, sourit Gallant.
- Très bien, dis-je en lui rendant son sourire. Je serai heureux d’accueillir ce pauvre garçon sous notre toit.
- Pour ce qui est des abus commis par Caron et Guerin, reprit Jacques Barnet, nous avons ouvert une enquête. Ce ne sera pas de tout repos, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour les faire tomber.
Gallant ouvrit la bouche pour répondre, quand la porte du bureau s’ouvrit à la volée. Un policer passa la tête par l’entrebâillement, tout sourire.
- Nous l’avons trouvé, monsieur ! S’exclama-t-il. Il s’apprêtait à prendre le train en direction du sud. Maxime Rolland est entre nos mains.
- Parfait, s’extasia le commissaire. Messieurs, c’est une nouvelle affaire que vous avez rondement bouclé. Je ne regrette pas de vous avoir offert un laissez-passer pour cette prison maudite. Toutes mes félicitations. Grâce à vous, la mémoire de William Rapin va être réhabilité.
Gallant et moi sortîmes du bureau, la joie d’avoir résolu cette affaire faisant rapidement place à une certaine tristesse. Nous avions arrêté deux criminels, mais il y avait tout de même eu trois victimes innocentes dans cette sordide histoire...
Gallant, qui marchait devant moi, traînait des pieds, gardait les yeux rivés au sol, tout plongé dans ses pensées. Doutant qu’il ne devait pas s’agir d’élucubrations joyeuses, je me décidai à alléger l’atmosphère déjà trop pesante.
- Rentrons chez nous, dis-je. Capitaine a peut-être déjà mangé Sergent.
Gallant tourna des yeux horrifiés vers moi, puis éclata de rire.
- Certainement pas ! S’exclama-t-il. Sergent ne ferait qu’une bouchée de votre boule de poil.
- Bien, nous allons découvrir qui est le champion dans quelques instants.
Dans la nuit noire et froide, nos pas nous menèrent à la maison.