Chapitre 8 : L'injonction

Kurtis respira les senteurs florales de son Sanctuaire. Le soleil chaleureux caressa sa peau, loin de la rigueur de la saison froide. Un papillon voleta devant ses yeux.

Ce lieu n’avait jamais été aussi réel. Aussi tangible. Maig lui avait apporté un vrai miracle.

Il se tourna vers le chêne. Entre ses racines sommeillait le petit lynx.

— Viens, souffla-t-il.

Il saisit délicatement le félin. Ce dernier remua, pâteux.

— Qui es-tu ? s’enquit Kurtis.

Il n’eut aucune forme de réponse. Le lynx glissa de ses bras pour aller se percher sur une racine. Ses prunelles ambrées le perçaient. Le jeune garçon détourna le regard. Il aperçut alors une surface pâle et lisse au fond du trou où le félin dormait un instant auparavant. Il se pencha et dégagea l’objet. Il eut un sursaut en se rendant compte qu’il s’agissait de l’Embryon. L’apparence de l’œuf géant était parfaitement identique, jusqu’à la pulsation douce transmise à la pulpe de ses doigts. Kurtis étala sa main dessus, fasciné.

Il y eut un éclat. Il cingla ses yeux, brûlant sa rétine. Un vent puissant projeta ses cheveux en arrière. En face de lui, il vit une silhouette qui se découpait sur la lumière intense. Une petite silhouette qui touchait l’Embryon. La fillette se tourna vers lui alors que l’éclat décroissait. Ses iris bleus se plantèrent dans les siens.

Kurtis frémit. La vision disparut. L’Embryon, au fond du creux, en était réduit à quelques morceaux de coquille. Le petit lynx s’approcha de lui. Il ronronnait.

L’Arsalaï se redressa en le dévisageant.

— L’Embryon est un Esprit… comprit-il. Mais c’est impossible, les Esprits ne ne peuvent pas s’incarner dans le monde tangible…

L’animal lui renvoya ses interrogations de son air indéchiffrable.

— Je dois en parler à Hênora !

 

Il regagna Bibracte avec regret. Il ouvrit les yeux devant la maison de Dâlan où il vivait. Le cercle de méditation était toujours couvert de givre.

Kurtis eut à peine le temps de se lever. Il sentit soudain l’inquiétude de Maig fuser vers lui.

— Viens ! lui cria-t-elle en pensée. Ils ont trouvé le parchemin !

Il sut ce que cela signifiait. Il ne perdit pas de temps et courut jusqu’à la hutte des Arsalaïs. Un attroupement congestionné s’y était formé. Au centre, Padraig et Isbail déchiffraient un morceau de tissu. Le jeune garçon n’entendit pas ce qu’ils disaient au milieu du brouhaha. Il dut se frayer un chemin à coup d’épaules dans la cohue. Isbail se jeta dans ses bras en l’apercevant.

— Tu avais… raison… sanglota-t-elle. L’enchantement du désespoir existe… Saoirse a tué sa sœur…

Il avait beau le savoir, il sentit ses jambes s’affaiblir. Il ne savait pas ce qu’il préférait. Que Daïré ou Saoirse soient des meurtrières. Dans les faits, les deux l’étaient.

— Ce n’est pas tout, gronda Padraig dont les yeux nerveux couraient sur les caractères. Ce parchemin contient nombre d’enchantements immoraux. Contrôler les gens, leur implanter de faux souvenirs…

Des exclamations indignées agitèrent la foule.

— Qui a écrit cette immondice ?! s’exclama quelqu’un.

— Le parchemin n’est pas signé.

Kurtis inspira un grand coup devant la fureurs des Arsalaïs. Il s’avança jusqu’au centre.

— À la lumière de cette preuve, je demande un nouveau Conseil !

Un silence incisif suivit sa déclaration. Il croulait sous les œillades hostiles. Mais ce qu’il demandait était censé, aussi tout le monde acquiesça. Ils se réunirent dans les huttes où ils s’assirent en tailleur. Hênora ne vint pas. Elle restait dans sa demeure en suivant par le Silh les débats qui se produisaient.

— Certes, l’accusée avait un motif solide, commença quelqu’un. Mais ça n’en fait pas moins une criminelle !

— La peine doit être moins lourde, tenta Kurtis. Qu’auriez-vous fait à sa place ?

Padraig le foudroya du regard.

— Ce n’est pas parce que nous comprenons que nous devons excuser.

— Mais Daïré n’aurait pas tué Saoirse, c’était un mouvement de défense !

— Nie-tu qu’elle est allée la voir avec un poignard en main ?

— Dans l’écho…

— L’écho n’est pas une preuve, tu avais interdiction de le lire !

Kurtis serra les poings et les dents. Mais un rapide regard sur l’assemblée lui fit comprendre que la majorité était du côté de Padraig.

— Je pense que nous n’aurons pas de nouveaux éléments pour cette affaire, enchaîna ce dernier. Cette histoire traine depuis trop longtemps. Nous devons désormais voter la sentence.

Un silence lourd s’installa.

— Daïré du Renard Volant a tué sa moïa, il n’y a qu’un châtiment qui soit à la hauteur de cet acte : l’Expiation suivi d’un bannissement.

— Non ! protesta Kurtis.

Tous les regards se vrillèrent sur lui.

— Le… le bannissement, osa-t-il, est largement suffisant. Elle n’est même pas sûre de survivre hors de notre monde…

— Que ceux qui sont pour la proposition du Lynx lèvent la main, tonna Padraig.

Maig dressa des doigts tremblants. Une autre main jaillit de l’assistance. Celle d’Oanell. Elle hocha la tête en direction de Kurtis. Il lui rendit le geste en levant un bras lourd.

— Que ceux qui souhaitent l’Expiation et le bannissement votent, continua le doyen.

Une forêt de paumes apparut. Le jeune garçon se mordit les lèvres jusqu’au sang.

— La sentence est prononcée. Elle sera exécutée à la prochaine lune.

Non, fut la résolution de Kurtis.

 

*

 

Lorsque Wilhelm vit la lumière se faufiler par une meurtrière, il sentit son cœur battre plus vite. Il se pressa vers l’ouverture, captant avidement les quelques rayons qui lui parvenaient. Le soleil, enfin. Voilà plus d’un mois qu’ils ne l’avaient pas vu. Les nuages s’en allaient, soudain plus légers, l’astre du jour reprenait ses droits. Le printemps était entre loin, mais Wilhelm se prit à savourer le peu de chaleur qui caressait son épiderme. Il en avait besoin.

Dans ses mains crispée, une lettre du Wiccan. L’ordre était tombé, accompagné d’un ultimatum. Soit Adhara mourait, soit son amant perdait le trône.

— C’est un vrai bonheur, n’est-ce pas ?

Wilhelm sursauta et se tourna vers Eldrid. La reine avança doucement vers lui, une main sur son ventre arrondi.

— La lumière de la Mère nous bénit à nouveau.

— C’est vrai.

Il chassa sa crispation pour lui offrir un sourire sincère.

— Je vais faire la lecture à notre enfant, poursuivit la souveraine, souhaitez-vous venir ?

— Lui faire la lecture ?

Eldrid hocha la tête, le regard vague.

— Je sais que je parle peu, or on m’a dit que ma voix était importante pour le bébé. Alors je lis à voix haute pour qu’il l’entende.

— Je vois. Je vous accompagne, j’ai besoin de me changer les idées.

— Qu’est-ce qui vous inquiète ?

Il chemina à ses côtés dans les couloirs rocheux qu’il connaissait désormais par cœur.

— Mes adelphes me manquent. Mon palais, aussi.

— Oh, je vois, vous avez le mal du pays.

— C’est exact.

— J’en suis désolée.

Elle effleura son bras de la main, dans une tentative touchante et maladroite de le réconforter.

— Comment se porte votre frère, Lydéric ? enchaina-t-elle, gênée. Il parait qu’il cause beaucoup de soucis à votre mère.

— Oh, il lui en cause, c’est vrai, mais lui se porte très bien. Il tente de mener sa vie comme il l’entend.

Cette remarque plongea le couple dans un silence presque lourd. Wilhelm se sentit le devoir de le briser.

— Dagmar, lui, poursuit ses leçons et se montre très assidu. Il veut devenir diplomate.

— Je suis sûre qu’il le deviendra, on m’a beaucoup vanté sa finesse d’esprit et son verbe.

— Et Lorelei a écrit des poèmes qu’elle m’a envoyés, ils sont élégants.

— C’est un passe-temps étrange, mais je serais curieuse de les lire. Moi je suis bien incapable de faire de la poésie.

— Peut-être, mais vous êtes une excellente chasseresse !

Eldrid tourna la tête pour cacher le rouge de ses joues. Ils arrivèrent alors devant sa chambre. Elle lui ouvrit en fuyant ses iris.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Il s’exécuta alors qu’elle-même prenait place et se saisissait d’un ouvrage.

— De quoi s’agit-il ?

— Des contes traditionnels elvarriens.

— Je serais curieux d’entendre ça.

Elle lui sourit et s’installa, avant d’ouvrir les pages. Elle prit une grande inspiration.

— Saviez-vous que le soleil n’a pas toujours été au-dessus de la terre ? Avant, les hommes vivaient dans le noir. Ils n’avaient ni lumière, ni même de feu. Ils devaient sans cesse lutter contre le froid. Ils étaient plongés dans une nuit éternelle.

Sa voix n’était ni chaude, ni mélodieuse. Elle ne racontait pas très bien, butant sur les mots. Pourtant, il sentit ses muscles se détendre.

— Un jour, un vieillard montant un renne blanc vint voir le peuple de la nuit. Il leur révéla l’existence du soleil, alors enfoui derrière les montagnes. Il demanda l’aide d’un jeune homme pour l’aider à le dégager. Il désigna tout naturellement le fils du roi. Mais le peuple ne le croyait pas et déconseilla au prince de partir.

Wilhelm se laissa bercer par ces paroles d’un autre temps.

— Le prince hésita, mais il finit par accepter la proposition du vieillard. Il était convaincu que c’était pour le bien de son peuple. Alors, il le suivit par-delà les montagnes, là où personne n’était jamais allé. Ensembles, ils…

Le livre tomba par terre. Eldrid s’était figée.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta son mari.

— Le bébé, je le sens bouger. C’est la première fois.

Elle tremblait. De peur, de joie ? Impossible de le dire. Wilhelm tendit la main.

— Je peux… ?

Elle hocha la tête. Il posa sa paume contre son ventre. Il ne sentit d’abord rien, avant qu’une très faible vibration ne parvienne jusqu’à ses doigts. Il s’esclaffa nerveusement. Il échangea un sourire avec sa femme. Son cœur lui, balançait pourtant vers les larmes.

 

 

 

Adhara, sous les traits de Trürig, pénétra dans sa chambre à son levé. Il ne perdit pas de temps et se planta face à elle.

— Je dois te dire quelque chose.

Elle haussa un sourcil, attendant la suite. Il alla fermer la porte, ils étaient seuls dans la pièce.

— Tu connais le Wiccan ?

— Bien sûr, pour qui me prends-tu ?

— Je suis en contact avec lui.

— J’espère bien, puisqu’il doit te nommer roi.

— Le Wiccan est acquis à la rébellion.

— Arrête de tourner autour du pot.

— Il a demandé que tu sois tuée.

Elle frémit à peine. Ses espions avaient déjà du la mettre au courant. C’était un miracle que Wilhelm soit encore en vie.

— Ils n’ont toujours pas digéré ma victoire, hein ? Et donc, tu es obligé de leur obéir sinon tu perdras le trône ?

— Je ne veux pas leur obéir. Tu es importante pour la cause, bien plus que n’importe qui d’autre. Mais si je ne deviens pas roi, le plan s’effondrera…

— Je vois.

Elle tapota son menton.

— Je vais trouver une solution.

— Tu es sûre ?

Elle lui servit un sourire confiant.

— Depuis quand doutes-tu de moi ?

— Jamais. Je n’ai jamais douté de toi.

Elle se rapprocha de lui jusqu’à ce que leur souffle se mêlent.

— Merci, murmura-t-elle, je sais maintenant que tu es dans mon camp.

— Je suis dans le camp du plus grand bien. Je fais ce qui me semble juste.

Elle s’esclaffa et l’embrassa.

 

*

 

— Alors, tu pars ?

Valerio ne put cacher sa tristesse. Adhara sentit une douce chaleur se répandre sur sa déception. Elle n’aurait jamais cru regretter à ce point de quitter l’austère château d’Elvett.

— Je dois m’occuper du Wiccan, et de la rébellion. Maintenant que le réseau est mis en place, vous n’avez plus besoin de moi ici. Bénen et Verrès, au contraire, ont de plus en plus de mal à gérer les choses.

— Je comprends.

— Tu restes jusqu’à la naissance ?

— Bien sûr, je dois baptiser l’enfant.

— Tu me diras si le bébé est en bonne santé, histoire que j’empoisonne la mère.

— Certainement.

Elle haussa un sourcil, examinant le visage lisse de son frère.

— Tu ne t’y opposes pas ? demanda-t-elle.

— Pourquoi donc ? Parce que c’est horrible ? Dois-je te rappeler ce que j’ai fait à Heddish ?

Il y avait tant d’amertume dans sa voix. Elle resta muette un instant.

— C’est vrai.

Elle tendit une main pour effleurer la joue de Valerio.

— Ne t’en fais pas, je compte faire pire que toi, lança-t-elle.

— Fais le mieux, plutôt.

— L’un ne va pas s’en l’autre.

Il haussa les épaules.

— On ne se reverra pas avant longtemps, donc, reprit-il.

— C’est probable.

Il l’étreignit brusquement.

— Prends soin de toi, souffla-t-il.

D’abord prise de court, elle lui rendit son étreinte.

— Toi aussi.

Ils se séparèrent à regrets. Adhara revêtit de nouveau le voile d’une prêtresse-servante et sortit de la chambre de l’Artrê. Les marches de la tour lui parurent interminables.

Une fois arrivée dans le bâtiment principal du château, elle changea de déguisement. Elle reprit les traits familiers de Trürig.

Une carriole l’attendait dans la cour, remplie de villageois qui descendaient la montagne pour s’occuper de leurs champs et de leurs bêtes. L’hiver les rendait presque désœuvrés, aussi travaillaient-ils au château une partie de leur temps. Adhara s’accrocha au rebord de bois pour ne pas tomber. La chariot tressautait sur le chemin pavé et pentu. Plutôt que de pâlir devant l’abîme qui jouxtait la route, elle préféra fixer son regard vers la fenêtre de la chambre de Valerio.

Puis, les murailles l’avalèrent.

Lorsque la carriole parvint en bas du pic d’Elvett, Adhara avait chassé la pensée de son frère.

Le plan, suivre le plan. Rien d’autre ne comptait.

Il était l’heure de préparer un feu de joie.

 

*

 

Feolan claqua la porte de la remise, le visage froid. Il alla se planter devant le brasero en se frottant nerveusement les mains.

— Aquila ne veut toujours pas que tu reviennes ? s’enquit Conan.

Le Sylvien ne répondit pas, fixant le mur.

— C’est à cause de moi…

— J’ai acheté du pain.

Le rouquin se redresser pour déchirer une miche dont il tendit un bout à son prisonnier. Conan réussit à l’attraper et à la porter à sa bouche grâce à ses liens lâches. Elle était encore chaude.

— C’est pas à cause de toi, reprit Feolan. C’est à cause de moi. Je suis responsable de mes actes, et j’en assume les conséquences.

Le captif ne répondit pas. Il se sentait lourd, toujours plus lourd. Et vide.

Il mâchonna le pain sans plus de conviction malgré sa tiédeur rassurante. Il n’avait pas très bon goût.

— Bon, ça suffit.

Feolan avala le reste de sa miche d’un coup et marcha d’un grand pas jusqu’au jeune homme. Il sortit sa dague de sa ceinture. Conan fixa la lame, ses reflets pâles. Elle était belle. Mais elle ne vint pas étreindre sa chair.

Ses liens tombèrent.

— Je vois bien que tu ne représentes plus de danger. Alors enlève moi ça que ta peau puisse respirer et cicatriser, et fais un peu d’exercice.

Il ne répondit pas, ne remua pas. Il se sentait soudain nu. Feolan le dévisagea un instant avant de hausser les épaules.

— Prends ton temps, moi je vais faire quelques courses dignes de ce nom.

Il s’emmitoufla de nouveau dans son manteau et sortit de la mansarde. Le vent siffla entre le mur et le battant, avant de se taire brusquement. Un silence solitaire s’abattit sur Conan. Il n’était brisé que par les crépitements du brasero.

Le jeune homme se redressa, lentement. Il mit un pied au sol, puis l’autre. La terre battue était gelée. Il se mit debout, tremblant sous l’effort. Tous ses muscles avaient fondu. Il réussit à se trainer jusqu’au feu. Les flammes dansaient, ondulantes, indolentes. Il tendit les paumes qui accueillirent leur chaleur.  Les flammes se secouaient, se pavanaient. Il les fixait. Elles le narguaient.

D’un coup, Conan attrapa les bords métalliques du brasero. Ses mains hurlèrent de douleur.

Il les ignora.

Il plongea la tête dans les flammes.

 

*

 

Le feu ronronnait au centre de la maisonnette, doux et rassurant. Tout comme la peau de Pazo qui se pressait contre la sienne. Amaya en oublia la douleur de sa tété avide et ferma les yeux. Elle inspira profondément tandis qu’il se nourrissait à son sein. Elle s’était rarement sentie aussi légère. Sereine.

Clervie, Eryn et Asha dormaient, enroulées dans des fourrures. Les pieds de cette dernière sortaient des couvertures pour effleurer la cuisse de la jeune mère. Sa demeure se montrait bien étroite pour trois adultes et deux enfants.

Pazo cessa de téter. Il s’était endormi soudainement, la bouche entourant encore le mamelon. Amaya sourit et l’essuya tendrement. Alors qu’elle s’apprêtait à se recoucher, un bruit sourd retentit dans la maison.

Des coups.

Des coups sur les murs.

La porte, couches successives de peau accrochées renforcées de nattes d’osier, s’ébranla. On essayait d’ouvrir. Amaya eut à peine le temps de reculer que déjà Asha passait devant elle. Son expression froide la surprit. Agile, féline, la fée se saisit d’un couteau de chasse et se plaça devant l’entrée.

— Entrez et vous mourrez, tonna-t-elle.

Sa voix devait être étouffée par le battant. Néanmoins la porte cessa de bouger. Un son en émergea, suppliant. Des mots se formèrent, à peine articulés. Amaya se raidit, réveillant Pazo qui se mit à gémir. Son vagissement retentit comme un coup de tonnerre.

— C’est Angelus, souffla sa mère.

Asha avait compris. Elle s’était ramassée sur elle-même, sa main serrée autour du pommeau.

— Attends, souffla son amie.

La prêtresse déglutit et se leva. Elle posa le nourrisson dans les bras de Clervie qui s’était réveillée. Elle enfila un manteau.

— Tu ne devrais pas, gronda Asha.

— Il faut que je lui parle.

Amaya ouvrit la porte. Le froid la fouetta aussitôt. Mais ce n’était rien comparé au regard d’Angelus, à moitié caché sous des couches de vêtements. Sa femme referma derrière elle, tremblante. Elle se composa comme elle put un air impassible.

— Que viens-tu faire ?

— Bébé…

— Il est né. Il est en bonne santé.

Elle crut entendre un soupir de soulagement, mais rien n’était sur au milieu des sifflements du vent, d’autant que la bouche de son interlocuteur était masquée par une écharpe.

— Toi…

Il s’avança, une moufle hésitante tenue vers elle.

— Quoi, moi ?

— Bien… ?

— Oui, et ce n’est pas grâce à toi. Je serais morte si Asha ne m’avait pas sauvée.

Les yeux d’Angelus se plissèrent, des larmes apparurent. Il s’approcha encore, mais elle recula.

— Pa… pardon… articula-t-il.

Il eut un hoquet.

— Eu… tellement… peur…

Elle déglutit encore, retenant ses propres sanglots. Le vent hurlait toujours.

— Pa… don…. Pardon…

— Tu… tu m’as rejeté, je ne peux pas te pardonner comme ça. Tu m’as enfermée pour tuer mon amie, celle-là même qui vient de me sauver la vie. Et tu m’as reniée.

— Sais…

— Tu as préféré ta foi aveugle à moi…

— Non…

Il inspira difficilement, laissant apparaître sa bouche et l’angle étrange que sa mâchoire avait prise suite au coup de poing d’Asha.

— Plus foi… plus dieux… Toi… seul… seulement…

Les larmes coulaient sur les joues d’Amaya. Angelus recula lentement.

— Vivante… suis heureux…

Il se détourna.

— Attends.

Amaya posa une main gelée sur son épaule.

— Tu as le droit de le voir. Attends moi.

Elle rouvrit la porte, effrénée. Elle alla prendre Pazo que Clervie tenait toujours.

— Tu es sûre… ? s’enquit cette dernière.

— Laisse-moi faire.

Asha, toujours implacable, la fixait d’un air lourd.

La villageoise ressortit avec son enfant dans les bras. Ce dernier s’était calmée, mais reprit aussitôt ses cris face à la rigueur de l’hiver.

— Il s’appelle Pazo.

Angelus tendit son gant couvert de neige. Il effleura le nourrisson qui se débattaient. Il hocha la tête.

— Un jour peut-être, reprit Amaya, il s’appellera Pazo Sulpicius Lulla. Mais il me faut du temps.

Son mari opina de nouveau, souriant au milieu de ses lames gelées.

— Je vais rester ici, souffla-t-elle. Au moins encore un peu. Et lui aussi.

Le prêtre fit un geste vague vers elle, comme s’il voulait lui caresser la joue. Mais il ne l’atteignit pas. Il retira sa main et, après une hésitation, se détourna. Amaya fixa sa silhouette rendue épaisse par les vêtements. Elle disparut bientôt derrière un rideau blanc.

La jeune femme alla retrouver la chaleur du foyer. Mais avant, elle glissa un mot à son fils.

— Tu as vu ? C’est ton père.

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