Chapitre 8 : Mariam - Doutes

Le lendemain matin, Sam et Mariam laissaient libre cours à leurs montures. Ils s'arrêtèrent dans une clairière pour admirer le paysage.

- Savais-tu qu'au moyen-âge, un champignon parasitait le seigle ? lança Sam. Les paysans, ignorant son existence, fauchaient les champs, réduisaient le céréale en poudre avant d'en faire du pain. Sa consommation leur donnait des hallucinations.

- Et alors ? dit Mariam, qui ne voyait pas où son ami voulait en venir.

- Les femmes s'imaginaient en train de voler sur les balais dont elles se servaient toute la journée. Les hommes rêvaient qu'ils se transformaient la nuit en les loups qu'ils chassaient la journée.

- Où veux-tu en venir ?

- Le mythe des sorcières et des loups-garous vient de là. Ces gens croyaient dur comme fer qu'ils vivaient ces expériences. Interrogés par l'inquisition, ils le confessaient et étaient brûlés vifs. À l'époque, cela passait pour de la magie. Aujourd'hui, la science a révélé…

- Qu'il s'agissait d'affabulations ! finit Mariam. La science n'explique pas la magie. Elle prouve qu'elle n'existe pas ! J'ai vu un documentaire à la télévision sur les plaies de l'Égypte. Des recoupements ont permis de toutes les expliquer à partir de l'explosion d'un volcan géant à des milliers de kilomètres de là. Les égyptiens de l'époque ont cru à une manifestation divine là où il n'y avait que la nature et ses phénomènes parfaitement explicables.

- Et si la science permet d'expliquer un phénomène surnaturel ?

- Alors ce phénomène n'a plus rien de surnaturel ! répliqua Mariam.

- Si la science permettait d'expliquer, je ne sais pas… le vampirisme ?

- La science l'a déjà expliqué, contra Mariam. J'ai aussi vu un reportage à la télévision. Il y a cette maladie…

- La porphyrie, intervint Sam.

- Tu en as entendu parler ! s'exclama Mariam. Ça rendait les gens blancs, allergiques au soleil et à l'ail et leur donnait une forte gingivite faisant ressortir leurs dents.

- Cette théorie est contestée, fit remarquer Sam.

- Peut-être, mais elle peut expliquer énormément de choses. La science n'explique pas le vampirisme. Elle prouve qu'il n'existe pas ! Tu crois vraiment au surnaturel ?

- Je crois qu'il y a des choses que la science n'est pas encore en mesure d'expliquer et d'autres, qu'elle explique, mais qui sortent du cadre naturel auquel les humains sont habitués.

- Les humains ? répéta Mariam.

- Les gens, se corrigea Sam.

- Les humains ? murmura de nouveau Mariam. Bref… Quoi par exemple ?

- Je pense que des gens sont capables de voir l'avenir ou de léviter. Je pense qu'il y a une explication scientifique mais ça n'enlève pas le cadre surnaturel de ces actes. Que ça soit explicable ne contredit pas que ça soit surnaturel.

Mariam réfléchit à cette étrange façon de concevoir les choses. Elle décida de l'accepter. Si elle ne pouvait ni la comprendre, ni la partager, elle choisit de concéder à son ami le droit à ses croyances personnelles.

 

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Ixchel suivit son mentor mais peu de temps après le départ de la marche, il ressentit une envie, un désir irrépressible de sang frais. Améyatl l'avait emmené dans la forêt, loin de la civilisation mais même aussi loin, le jeune homme parvenait à sentir l'odeur des hommes, des femmes et des enfants vivant leur petite vie tranquille.

- C'est normal d'avoir envie de sang. Ça fait partie des choses que tu dois apprendre à contrôler.

- Pourquoi ai-je ces envies ?

- La vie éternelle contre un peu de sang, c'est le pacte.

- Pourquoi répandre le sang est-il nécessaire ?

- Répandre ? répéta Améyatl. Non, non ! Il ne faut pas en perdre une goutte. Le but est de le boire ! Si tu veux t'amuser après, libre à toi, mais dans un premier temps, tu vas devoir apprendre à ne pas gaspiller.

- Boire du sang ?

Ixchel sourit à cette idée. Elle lui plaisait carrément.

- J'ai soif, continua-t-il.

- Ce n'est pas étonnant. Allons chasser.

L'enfant était seul. Il ramassait des herbes, choisissant avec attention la plante. Ixchel ne lui laissa pas la moindre chance. Instinctivement, il l'attrapa par derrière et enfonça ses dents dans la chair tendre de sa nuque. Le prédateur ne prêta aucune attention aux hurlements de sa victime. Il sentit le liquide chaud monter dans son visage au lieu de descendre dans sa gorge. C'était bizarre. Tout son visage se réchauffa, du bas de ses yeux à son front. Avait-il de la fièvre ? Non, c'était beaucoup trop agréable pour ça ! L'enfant cessa de remuer et de crier mais il conserva ses dents en lui. Il ne pouvait pas les ôter. C'était trop bon. La chaleur disparut et un liquide froid passa de sa bouche au cou de la proie inanimée, faisant frissonner le tueur.

- Tu peux le lâcher, dit Améyatl. Il est mort.

Ixchel obtempéra. Il vit son mentor enfoncer sa main dans la poitrine du cadavre et lui retirer son cœur. L’acte lui déplut. Quelque chose en lui hurla sa désapprobation mais il ne s’opposa pas à son mentor.

Le cadavre disparut en fumée. Pour avoir tué de nombreuses personnes, Ixchel savait que ça n'était pas normal.

- Que vient-il de se passer ? interrogea Ixchel.

- Tu as pris ton premier repas d'immortel, dit le haut prêtre en souriant.

- C'était… bizarre... Pourquoi lui avez-vous retiré son cœur ?

- Tu lui as fait don de l'immortalité. Je ne peux pas le permettre. Un seul apprenti à la fois. Quand tu seras au contrôle, alors seulement je pourrai en créer un autre. Quant à toi, tu devras attendre d'être vieux et compétent pour espérer faire ce don à ton tour.

- Je transmets le don à chaque fois que je me nourris ?

- Tant que tu n'es pas au contrôle, oui.

Ixchel comprit que si un jour on lui retirait son cœur, lui aussi disparaîtrait en fumée. Il comptait bien que cela ne se produise jamais.

- Apprenez-moi.

- C'est mon intention.

 

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Mariam ne sut si elle devait hurler de rire ou pleurer face à ce texte pathétique. "Un seul apprenti", relut-elle. Il ne manquait plus que "Je suis ton père" et c'était le parfait remake de Starwars. Et puis, pourquoi l'auteur n'utilisait-il pas clairement le terme de "Vampire" alors que c'était tellement évident ? Autant appeler un chat, un chat ! Quel besoin de tourner ainsi autour du pot ?

 

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- Première leçon : contrôler sa soif, commença Améyatl. Tu vas essayer de mordre sans drainer ta victime de son sang.

- J'avais la sensation de ne pas pouvoir le faire, répondit Ixchel.

- C'est pourquoi tu dois t'entraîner. On peut très bien mordre sans boire une goutte de sang, ce que j'ai fait quand je t'ai crée.

Ixchel rassembla ses souvenirs de ce moment proche et pourtant tellement lointain dans sa mémoire. Il était à l'agonie. Se rappeler lui était pénible. Tout était vague. Il ne se souvenait même pas avoir été mordu. En revanche, ses premiers souvenirs en temps qu'immortel étaient parfaitement clairs, limpides.

- L'immortalité te confère une mémoire parfaite. Attention à ne pas t'y perdre, prévint Améyatl. Vis dans le présent, pas dans le passé.

Ixchel hocha la tête.

- Vous n'avez pas bu mon sang, continua le jeune homme.

- Je ne t'ai pas mordu parce que j'avais soif, mais parce que je voulais faire de toi un immortel. J'aurais pu te vider de ton sang sans te transformer. J'ai choisi de te transformer sans boire ton sang. Tu dois acquérir cette compétence.

Ixchel acquiesça. Il voulait être au contrôle. La victime suivante ne fut pas drainée de son sang. Ixchel avait réussi à s'arrêter avant. Améyatl lui fit attaquer une autre immédiatement, alors qu'il n'avait pas soif et Ixchel parvint à ne pas avaler une goutte de sang. En revanche, ses victimes se transformaient toujours en immortel, obligeant Ixchel à la tuer sur les directives de son mentor, acte répugnant mais nécessaire.

- C'est le plus difficile, annonça Améyatl.

Ixchel haussa un sourcil interrogateur.

- Ne pas transmettre le don, précisa Améyatl. Ça sera la dernière chose que tu seras capable de faire. Cela peut prendre des siècles.

- Des siècles ? répéta Ixchel, abasourdi par une telle durée.

- En attendant, retournons à la ville. Tu dois apprendre à gérer ta soif, à ne pas attaquer tout ce qui bouge. Le mieux est encore de le faire en ville car si tu as soif, il y a toujours des centaines de prisonniers que tu peux tuer sans que cela ne se remarque.

- Ça sent le vécu, fit remarquer le jeune homme.

Améyatl sourit. Lorsqu'ils arrivèrent en ville, ils surent tous deux qu'il y avait un problème. Les rues étaient vides, parsemées de fruits et de paniers, probablement tombés dans une bousculade. En un battement de cil, ils furent au grand temple et tombèrent en plein milieu d'un combat. Ixchel vit un prêtre se faire trancher la tête. Son agresseur lui enfonça une lance dans le cœur et le croyant disparut en poussière. Ixchel se figea. Il y avait d'autres immortels en ville et ils étaient en train de se faire massacrer.

Ixchel constata que les humains qui attaquaient voyaient leurs rangs se vider à une vitesse hallucinante. Les cadavres s'amoncelaient mais d'autres agresseurs arrivaient en une vague apparemment interminable.

Il entendit le vrombissement de la lame avant de la voir. Il l'évita en vitesse surnaturelle. Cela lui donna soif. Il sut qu'il venait de perdre le contrôle. Son instinct reprenait le dessus. Il sauta sur son adversaire et le vida de son sang. Son cœur fut transpercé alors qu'il n'avait pas fini. Il n'était pas capable de s'arrêter. Il se sut mort. Pourtant, l'agresseur, derrière lui, ne lui trancha pas la tête. Sa victime enfin drainée, il put se retourner pour voir Améyatl sur le corps sans vie du lancier. Ixchel le remercia d'un geste de tête avant de retirer la lame de son corps.

Ixchel ne sut ce qui se passa après. Lorsqu'il reprit conscience, il était entouré de cadavres et le combat durait toujours. Combien de temps s'était-il écoulé et pourquoi Ixchel n'avait-il aucun souvenir ?

- Tu as perdu le contrôle. Au bord de la mort, le prédateur en toi a pris le dessus, expliqua rapidement Améyatl. J'ai surveillé tes arrières mais c'est trop dangereux. Te protéger me demande trop d'énergie. Va t-en !

- Et vous ?

- Je reste pour aider mes compagnons. Je ne laisserai pas ces humains détruire ce que nous avons mis tant de temps à créer !

- Je veux aider ! s'exclama Ixchel.

- Tu n'es pas en mesure de le faire ! répliqua Améyatl. Tu es plus un poids qu'autre chose. Va en forêt. Je te rejoindrai.

Ixchel secoua la tête puis obéit. En quelques clignements d’œil, il fut au milieu des arbres. Utiliser sa vitesse surnaturelle lui avait coûté car il avait de nouveau soif. Il eut peur de perdre de nouveau le contrôle. Si chaque utilisation de ses capacités extraordinaires lui demandait de vider quelqu'un de son sang, les humains allaient tomber comme des mouches. Il devait apprendre à s'économiser.

Ixchel resta dans les bois. Les heures passèrent, puis les jours et les lunes. Tout ce temps, Ixchel n'avait mordu que deux personnes et les avaient drainées de leur sang à dessein. Son mentor l'avait-il abandonné ? Ixchel retourna avec prudence et en vitesse humaine à la grande cité fleurissante… désormais vide et abandonnée. Tout le monde était parti. Ixchel se rendit au temple où il trouva des milliers de cadavres humains. La puanteur était insupportable.

Ixchel ne pouvait supporter de voir le temple ainsi profané. Il creusa un immense trou et y déposa les corps. Un trou ne fut pas suffisant. Il en était à son dixième lorsqu’il fut dérangé par des gens qu'il n'avait pas entendu arriver.

- Que s'est-il passé ici ?

Ixchel se retourna en sursautant pour voir un homme et une petite fille. Il ne les connaissait pas. Ils formaient un couple étrange et surprenant. L'homme aux cheveux bruns portait l'habit des hauts prêtres mais Ixchel ne l'avait jamais vu. Il se serait souvenu de ce visage très ovale, cette bouche fine et ses yeux marron pénétrant. La fillette était terrifiante car dans ses yeux bleus, on lisait une sagesse normalement inaccessible à une enfant de quatre ans. Ses cheveux roux ondulaient de chaque côté de sa douce tête ronde, accentuant encore l’effet « gamine » en opposition avec sa posture droite et fière. Elle portait une longue robe bleue et son visage maquillé à outrance dérangea beaucoup Ixchel.

- Qui êtes-vous ? interrogea Ixchel.

- Que s'est-il passé ici ? répéta l'homme calmement.

- Pourquoi devrais-je répondre à vos questions quand vous ne répondez pas à la mienne ? interrogea Ixchel, sur la défensive.

Ixchel n'eut pas le temps de réagir que la fillette était dans son dos, la main dans son corps, enserrant son cœur.

- Les humains ont attaqué, dit rapidement Ixchel. Mon mentor m'a dit de fuir alors j'ai obéi. Je suis revenu ici il y a quelques jours pour ne trouver que le vide et la mort.

- Ton mentor ? répéta l'homme.

- Le haut prêtre Améyatl, précisa Ixchel. Il m'avait promis de m'apprendre à me contrôler. Je suppose que ça ne se produira plus.

L'homme bougea doucement la tête comme s'il écoutait une voix que lui seul entendait puis disparut. Ixchel, toujours à la merci de la fillette, resta immobile.

- Qui êtes-vous ? répéta Ixchel.

- Je suis Ju et lui s’appelle Gi. Nous sommes les premiers.

- Que voulez-vous dire ?

- Que tous les immortels viennent de nous.

Il s'en voulut immédiatement. Il aurait dû s'agenouiller devant eux, pas leur tenir tête.

- Vous pouvez me lâcher, précisa Ixchel. Je n'irai nulle part.

Ju retira sa main au moment où Gi réapparut. Ixchel fut admiratif devant cet homme. L'immortel ne faisait aucun bruit. Il ne semblait pas affamé après avoir utilisé ses pouvoirs alors que Ixchel sentait la soif poindre à cause de la blessure refermée par magie.

Ixchel mit un genou à terre.

- Pardonnez-moi pour mon comportement. J'ignorais qui vous étiez.

- Tu es pardonné, annonça Gi. Ceci dit, nous ne sommes pas les premiers immortels.

Ju gronda. Visiblement, elle était mécontente que son compagnon parle ainsi.

- Tu es le premier de tous les immortels de ce monde, murmura Ju.

- Les puissants étaient là avant moi, rappela Gi.

- Ils sont loin.

D'un geste, Gi mit un terme à la conversation. Ixchel ne changea pas de position malgré l'échange. L'immortel devant lui était très vieux et très fort. Cela lui suffisait pour se soumettre. Mieux valait être à ses ordres que contre lui.

- Je n'ai trouvé personne, annonça Gi.

- Ils sont tous morts ? s'exclama Ju. Presque tous nos meilleurs étaient ici ! C'est impossible !

- Les humains se sont sacrifiés par milliers. Ça a été un bain de sang. Comme quoi... Nous avions tort de les sous-estimer. Les humains peuvent être dangereux. Il va falloir tout refaire.

- Ça va prendre des siècles !

- Nous avons tout notre temps, fit remarquer Gi.

- Où irons-nous ?

- Ici. Que ce lieu soit notre refuge. Cela nous obligera à chaque instant à nous rappeler notre erreur de jugement. Comment t'appelles-tu ? demanda Gi à Ixchel, toujours agenouillé devant lui.

- Stiny, répondit le jeune immortel.

Il ne serait plus jamais Ixchel. Ixchel avait fui, laissant son mentor mourir. Stiny était fort, courageux, à la maîtrise de lui. Voilà l'homme qu'il voulait devenir.

- Continue à enterrer les valeureux humains qui se sont sacrifiés pour leurs idées puis rejoins-moi. Je te formerai.

Stiny n'en revint pas. Le premier des immortels venait-il vraiment de le prendre comme apprenti ?

- À moins que tu ne le souhaites pas, finit Gi.

- Je suis honoré, dit Stiny.

Gi sourit avant de disparaître avec sa compagne.

 

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Mariam avait du mal à se détacher de l'histoire. Finalement, ça n'était pas si mal écrit. Le scénario se tenait. C'était logique, quand on acceptait le précepte de départ des immortels toujours pas appelés Vampires.

Elle sortit de la bibliothèque pour aller mettre la table et faire le service.

- Alors ? Où en es-tu dans ta lecture ? interrogea monsieur Lawzi. C'est toujours aussi mal écrit ?

- Anthony ! gronda le seigneur Kervey.

Monsieur Lawzi haussa les épaules et sourit.

- Ixchel – ou Stiny, je ne sais pas trop comment l'appeler – vient de rencontrer le premier Vampire.

- Et ça te convient ? dit le palefrenier.

- Disons qu'une fois qu'on a accepté que les Vampires seront toujours appelés immortels, le reste se tient. J'aime assez le fait qu'être un Vampire n'est pas si simple et que ça demande une formation.

Les hommes sourirent.

- Trouves-tu toujours aussi dommage qu'Ixchel ne soit pas mort en martyre ? interrogea le seigneur Kervey.

- L'histoire aurait été très différente mais finalement, la suite n'est pas mal non plus.

L'assemblée sourit.

- J'espère que la suite te plaira tout autant, finit le seigneur Kervey.

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