Chapitre 8 : Orage ! O Désespoir ! O jeunesse ennemie !

Par Fenkys

À la tombée de la nuit, Saalyn n’avait pas rattrapé la caravane, ce qui ne manqua pas d’inquiéter Rifar. Cependant, une brève réflexion le rassura. Meghare et Dercros avaient chevauché à bride abattue pour les rejoindre. Jamais Saalyn ne maltraiterait ainsi sa monture. Surtout dans un pays comme la Nayt où l’on pouvait voyager dans une relative sécurité.

Le lendemain, alors qu’ils venaient juste de repartir, les cloches d’alerte se mirent à sonner. Une tempête se levait. Le vent du nord allait envoyer les mortelles poussières de feu depuis le désert empoisonné. Ils s’arrêtèrent le temps de se préparer. Ils sortirent les tenues étanches des coffres. Les caravaniers étalèrent sur les chevaux des couvertures qui leur permettraient de marcher sans être gênés dans leurs mouvements. Même la tête était protégée, ce qui les obligeait à avancer en aveugle. Les chevaux qui voyageaient en Nayt avaient été habitués à cela pendant leur entraînement. Les cavaliers revêtirent de grands manteaux qui leur masquaient le visage. Des visières constituées d’une plaque de verre leur permettaient d’y voir. Les conducteurs étaient équipés à l’identique. Tous les autres s’entassèrent dans le chariot d’intendance qui fut soigneusement calfeutré.

Rifar convoqua Meghare et Dercros. Les deux jeunes gens se sentaient mal à l’aise.

— Vous transportiez très peu de bagages en arrivant. Je suppose que les tenues contre les poussières de feu n’en faisaient pas partie.

Ils regardèrent leurs pieds de façon éloquente.

— Je m’en doutais.

Il croisa les bras sur sa poitrine, essayant d’adopter une attitude sévère. Devant l’air contrit de Meghare, il n’était pas sûr de paraître crédible.

— Heureusement, nous disposons de quoi protéger vos chevaux. Vous les attacherez à l’arrière puis vous voyagerez dans le chariot avec les autres.

Les deux jeunes gens s’exécutèrent, ravis de ne pas être davantage punis. En regardant Meghare s’éloigner, Rifar se ravisa.

— Meghare, allez tout de suite dans la voiture. Inutile de forcer sur la cheville, sinon elle guérira mal.

— Et mon cheval ! protesta-t-elle.

— Dercros s’en chargera.

De mauvaise grâce, elle obéit. Pendant qu’elle marchait, il observa sa jambe blessée. À la façon dont son boitement s’était accentué en atteignant le véhicule, il sut qu’il avait pris la bonne décision. D’ailleurs, sans l’aide de Nillac, elle ne serait jamais arrivée à monter à bord.

Enfin, tous les préparatifs furent achevés. Dercros grimpa dans le chariot, il rabattit la bâche sur l’ouverture et la referma soigneusement derrière lui. Un caravanier vérifia l’opération. Au moins, le jeune stoltzen connaissait son affaire. Rifar jeta un coup d’œil à la garde de Bayne. Le capitaine Acron inspectait une dernière fois l’équipement de ses hommes. Leur démarche s’avéra plus simple. Leur uniforme, une robe à manche longue munie d’une capuche, constituait déjà une protection efficace contre les poussières. Ils n’avaient eu qu’à relever la capuche et à fermer le rabat qui masquait le bas du visage. Leurs yeux étaient protégés par une sorte de paire de lunettes composée d’une plaque de verre fixée sur une monture en latex parfaitement étanche. Acron leva le bras, signifiant qu’il était prêt. Le caravanier put enfin donner le signal du départ.

La tempête arriva quelques calsihons plus tard. Comme la plupart d’entre elles, elle fut brutale. Elle ne présentait rien de commun avec les cyclones du sud qui enflaient progressivement sur journée et n’atteignaient leur maximum que longtemps après les premiers mouvements d’air. Les vents de la Nayt semblaient dévaler de la montagne telle une avalanche puis s’élancer à travers le désert où ils se chargeaient en poussière avant de toucher la zone civilisée.

Sous la force du vent, les structures des chariots gémirent, les toiles claquèrent, mais aucune particule empoisonnée ne put contaminer un passager. En plus, la route allant vers le sud, il les poussait au lieu de les ralentir.

Rifar était penché en avant sur son cheval pour résister aux rafales. Incapable de voir très loin, il se contentait de suivre les balises qui bordaient la chaussée. Ses espoirs de découvrir les lumières d’une auberge, voire d’un simple refuge demeurèrent vains. Heureusement, il n’y avait vraiment pas cru. Cette route était trop récente, la Nayt n’avait pas eu le temps de l’aménager. Ils n’avaient accompli que l’essentiel avant de l’ouvrir à la circulation. Finalement, Saalyn avait peut-être raison. Passer par Ambes afin de joindre Lynn par des voies larges et bien équipées aurait constitué un meilleur choix.

Le soir, le bivouac fut des plus simples. Les chariots restèrent en ligne sur la route. Les cavaliers mirent pied à terre. Il n’était pas question de se mettre à l’abri dans l’un eux. Ouvrir les toiles étanches le temps de les laisser entrer aurait exposé l’intérieur aux poussières de feu. Ils ne pouvaient pas non plus boire ou manger sans risquer de respirer ces dangereuses particules. Heureusement, ces vents ne duraient pas.

Et de fait, moins d’un monsihon après le lever du soleil, la tempête retomba aussi rapidement qu’il s’était levé. Rifar envoya un éclaireur chercher un point d’eau. Ils devaient éliminer les poussières avant d’ôter leur équipement. Il trouva un refuge à deux calsihons de trajet. Il n’était pas achevé, mais les douches et la pompe étaient fonctionnelles. Les cavaliers, les premiers à arriver, mirent pied à terre et commencèrent par nettoyer les chevaux qu’ils purent libérer de leur harnachement. Puis ils s’occupèrent des chariots qui les avaient rejoints. Enfin, ils terminèrent en se rinçant à leur tour. Ils purent enlever leur lourde houppelande qu’ils mirent à sécher. Les soldats naytains ôtèrent leur uniforme et le remplacèrent par un propre.

Le futur bâtiment des voyageurs n’était pas encore sorti de terre, ils préférèrent pourtant camper là où il se dresserait. Après cette journée épuisante, ils ne veilleraient pas longtemps. D’ailleurs les trois plus jeunes, Daisuren, Dercros et Meghare, s’étaient assoupis dans un coin. Rifar hésita à les réveiller pour qu’ils s’occupent de leurs chevaux. Il renonça. Il estima qu’ils avaient été assez punis comme cela. Il désigna deux personnes qui s’exécutèrent sans rechigner. Le côté fragile de Meghare, ainsi endormi, devait beaucoup y contribuer.

 

Le lendemain, ils compensèrent l’arrêt précoce de la veille en repartant tôt. Ce fut au milieu du mitan, alors que Fenkys venait tout juste de dépasser le zénith, que Saalyn les rattrapa. Contrairement aux deux adolescents, elle n’avait pas poussé sa monture à ses limites. Rifar comptait l’accueillir comme il se devait. Quand il vit l’expression de colère plaquée sur son visage, il renonça, se contentant d’un simple salut lorsqu’elle passa à sa hauteur. Elle se dirigea droit vers Dercros qui chevauchait parmi les soldats naytains.

— Dercros ! viens ici ! ordonna-t-elle d’une voix furieuse.

Le capitaine Acron se retourna. En tant que garde épiscopal, estimer la menace envers son éparque était devenu une seconde nature. Il la trouva bien trop élevée à son goût pour qu’il intervînt en personne. Il incita donc à ses hommes à laisser la voie à la stoltzin.

Saalyn arriva face à son frère. Elle ne jeta qu’un bref coup d’œil sur Meghare, il suffit pour que la jeune femme sentît ses os se liquéfier.

— Viens ici ! répéta-t-elle.

Avant qu’il ne puisse réagit, elle empoigna les rênes de son cheval et l’entraîna à l’écart. De son point de vue, Rifar pouvait entendre les éclats de voix. Il ne maîtrisait malheureusement pas assez la langue, les détails lui échappaient. Il était question de folie, d’inconscience, de colère. Quand elle ponctua son discours d’une paire de gifles, il serra les dents.

Ksaten arriva à son tour. Elle se dirigea droit vers Meghare.

— Meghare, attaqua-t-elle directement, que vous a-t-il pris de nous fausser compagnie ainsi, sans prévenir.

— J’avais laissé un mot, se justifia la Naytaine.

— Encore heureux.

Ksaten n’éleva pas la voix, le ton sec qu’elle employait paraissait presque pire. Tout en elle rappelait la bombe sur le point d’exploser. Seule Meghare ne s’en rendit pas compte, occupée comme elle l’était à défendre ses droits.

— J’ai quatorze ans, je suis libre d’aller où je veux.

— En effet, confirma Ksaten. Et moi je suis libre de voyager avec qui je veux. C’est pourquoi après que nous vous aurons remis entre les mains de votre père, je n’accepterais plus de vous conduire nulle part.

L’annonce de Ksaten laissa Meghare stupéfiée. La stoltzin en profita pour clore la discussion. Elle rejoignit Rifar.

— Je vous remercie d’avoir accueilli ces deux imbéciles le temps que nous vous rattrapions.

— C’était normal, répondit Rifar. Montrez-vous indulgente, ils sont jeunes.

— La jeunesse n’excuse pas tout. Je n’ai jamais fait ce genre de chose à leur âge. À leur âge, j’étais…

Le visage de la guerrière libre s’assombrit soudain.

— Je préfère ne pas en parler, murmura-t-elle.

— J’en conclus qu’on ne vous a pas laissé l’occasion de commettre des bêtises.

— Je préfère ne pas en parler.

Rifar respecta son choix et changea de sujet. Le souvenir avait l’air de lui peser.

— Maintenant que vous êtes ici, rejoindre Burgil par la route de l’est ou par Lynn ne fera pas une grande différence.

— En effet, confirma Ksaten. Vous accepteriez que nous voyagions en votre compagnie.

— Bien sûr.

Il lui adressa un sourire amusé.

— Il semblerait que vous allez voir Lynn sans tarder.

— Il semblerait.

Un éclat de voix attira leur attention vers le couple formé de Saalyn et Dercros.

— J’aurais dû m’en occuper moi-même, déplora Ksaten.

— Pourquoi ? Vous croyez qu’elle va le frapper ?

— Je pense qu’il va retourner la situation. Elle l’adore et il sait en jouer. Dans un instant, elle va lui manger dans la main.

— Estimez-vous que vous vous seriez mieux débrouillée ? demanda Rifar.

Il avait pu remarquer que le charme du jeune stoltzen agissait aussi sur Ksaten, ainsi que sur Meghare et Arda. Seule Daisuren semblait immunisée contre lui.

— Je n’en suis pas sûre, avoua-t-elle, vous avez raison.

Et ce qu’ils attendaient tous finit par se produire. Saalyn prit son frère dans ses bras. Pour un peu, elle se serait excusée d’avoir crié contre lui.

— J’ai pu remarquer que Meghare s’en était moins bien tirée, reprit Ksaten.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

— Elle est blessée au pied gauche, il me semble.

— Une simple foulure. Ils avaient poussé leurs chevaux à leurs limites. Je les ai fait marcher pendant un monsihon en tête de la caravane.

Ksaten ne put réprimer un sourire.

Finalement, Saalyn et Dercros rejoignirent les deux chefs de groupe en tenant leurs montures par la bride.

— Vous avez réglé vos problèmes ? s’enquit Rifar.

— Totalement, répondit Saalyn.

— Alors on repart. On a perdu assez de temps. Et comme dirait Posasten, le temps c’est de l’argent.

Saalyn se remit en selle. Une fois, elle et son frère furent prêts, Rifar reprit la tête de la caravane afin de donner le signal du départ.

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Fleur de Marie
Posté le 26/12/2023
Tu peux même prévoir des sortes de lunettes pour les chevaux :
https://www.1stdibs.com/fr/meubles/d%C3%A9corations-murales/art-d%C3%A9coratif/mod%C3%A8le-de-t%C3%AAte-de-cheval-portant-un-masque-%C3%A0-gaz-pendant-la-premi%C3%A8re-guerre-mondiale/id-f_25166072/
Ça laisse le cheval semi aveugle par rapport à son champ de vision habituel mais il peut voir à peu près où il marche.
'monture en latex' ils sont modernes ! Les feythas ont ramené des hévéas ?
Quelle est la taille des citernes pour avoir assez d'eau pour rincer une caravane ? Et pour les remplir ? Les sources d'eau sont contaminées par les pluies de feu. Reste les rivières ou une nappe phréatique.
Il n'y a pas de risques à dormir sur le sol ou être exposé à la poussière après une tempête ?
'Meghare, ainsi endormi' féminin : 'Meghare, ainsi endormie'.
21 ans, ce n'est plus adolescent.
'que vous a-t-il pris de nous fausser compagnie ainsi, sans prévenir.' ponctuation : 'que vous a-t-il pris de nous fausser compagnie ainsi, sans prévenir ?'.
'Vous accepteriez que nous voyagions en votre compagnie.' ponctuation : 'Vous accepteriez que nous voyagions en votre compagnie ?'.
'Une fois, elle et son frère furent prêts' ou plutôt : 'Une fois qu'elle et son frère furent prêts'.
Fleur de Marie
Posté le 27/12/2023
Un bilan sur ton intrigue et tes personnages :
Je te conseille de retravailler Meghare. Elle a 21 ans humains, tu la présente au début comme une jeune femme réservée (elle ne danse qu'à la fin), draguable, qui sait bien s'habiller et de tenir durant les repas. Puis dans les deux derniers chapitres, on dirait une sale ado en pleine crise. Tu la rabaisses au statut d'enfant qu' il faut punir, puis qui s'emporte. Punie par son chéri potentiel. Là les chances de séduction sont à 0. Il y a aussi qu'on la prenne pour une domestique alors que tu la décris comme Saalyn ou Ksaten.
Ce que je te conseille : la décrire un peu à part du trio Saalyn Ksaten Dercros, en retrait. Lui donner des habits plus simples, d'apparence moins onéreuse. Une attitude plus humble. Supprime le passage où elle dit qu'elle n'est plus vierge et s'est déjà tappé des mecs , c'est un bon tue l'amour.
Pour l'escapade et le côté gamin, prends Deirusen. Ce n'est pas logique que la caravane soit ravie de récupérer une gamine. Ils se débrouillaient pour la cuisine et les corvées sans elle. Elle doit avoir un côté rebelle pour s'être enfuie de chez elle. Et tu redonnes naturellement la responsabilité de l'escapade à Dercos.
Y a t-il du racisme dans le fait de prendre Meghare pour une servante ?
Côté romance, ce n'est pas ton style. Tu décris ce que font les personnages, avec une mentalité masculine. La romance sont les sentiments, les je te tourne autour, les préliminaires. Rifar est un peu trop entreprenant avec Meghare durant la danse, je ne me laisserais pas dégrafer comme ça en public, dès la première danse. Il peut très bien se contenter de ce qui est accessible. Décrit plus les sentiments de tes personnages, notamment les féminins.

Côté intrigue, tu étais parti sur une nouvelle qui se transforme en livre. Il faut que tu titilles le lecteur sur ce qui va se passer. Tu peux raccourcir certaines scènes de voyage, certains dialogues un peu plats (comme le fromage). Axer sur un fil rouge sentimental. Montre une part d'ombre, de mystère à Rifar. Et introduit le fil rouge de tes futures actions et enquêtes. Un peu de piment dans le plat en somme.
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