Chapitre 9 : Les Portes du pénitencier.

Par Fenkys

À mesure que la caravane descendait vers le sud, le paysage changeait. La végétation se développait. Et au bout de deux jours, ils avaient atteint une plaine vallonnée couverte de champs et parsemée de hameaux. Aussi près du désert, les paysans ne cultivaient que du blé, seule plante comestible résistante aux pluies de feu.

Quelques jours plus tard, ils arrivèrent dans un village bordant la route qui abritait une auberge de construction récente. Rifar choisit d’y faire halte. Cela allait permettre aux hommes de dormir dans un vrai lit et de bénéficier d’un bon repas. Peut-être, certains se trouveraient-ils une femme cette nuit.

Rifar se rapprocha de Meghare.

— Êtes vous déjà entré dans une auberge ? demanda-t-il.

— Bien sûr, répliqua-t-elle. Je ne suis pas une ingénue qui n’est jamais sortie de chez elle.

— Bien. Vous savez que ces endroits peuvent être dangereux. J’y rentrerai le premier afin d’estimer la situation.

— Je viens aussi.

— Je rentrerai le premier, répéta Rifar d’un ton plus ferme.

— Je vous accompagne, intervint Acron. Je dois déterminer si ma dame court un risque.

— Bien sûr, répondit Rifar. Bien que je n’imagine pas qu’un Naytain puisse lever la main sur une prêtresse.

— Il n’y a pas que des Naytains dans ce genre d’endroit, fit remarquer Acron. Les étrangers ne sont pas toujours au fait de nos coutumes.

— C’est exact.

— Moi aussi je vous accompagne, ajouta Ksaten.

Encadré de ses deux comparses, Rifar devança la caravane en direction du bâtiment. Meghare allait s’élancer à leur poursuite quand Saalyn la retint par le bras. Elle ne dit rien tout en affichant un air sévère. La jeune femme préféra renoncer. Elle venait de faire prendre des risques à son frère. Elle estimait maintenant inutile de tester la capacité de la chanteuse à garder son calme.

Rifar, Ksaten et Acron poussèrent la porte de l’auberge. Comme beaucoup de bâtiments du pays, elle donnait sur un sas qui évitait aux poussières de feu d’entrer dans les pièces principales quand on ouvrait la porte. La seconde porte révéla une salle semblable à toutes les autres du continent : sombre, de longues tables au centre, d’autres plus petites d’un côté et déjà des clients avinés. Les lieux étaient bruyants et enfumés. D’un coup d’œil, Rifar estima la situation. À l’accent, il les identifia comme originaires de Sernos, la capitale de l’Yrian. Il invita ses compagnons à le suivre.

Les deux colosses escortant une jeune femme plus menue impressionnèrent quelques buveurs qui se retournèrent à leur entrée. En réalité, Ksaten n’était pas menue, elle était même un peu plus grande que la moyenne des Helariaseny. Mais la taille des deux hommes l’écrasait. Quelques-uns reconnurent une stoltzin. Cependant la plupart ne s’en rendirent pas compte.

— Vous désirez, nobles voyageurs, s’enquit le tenancier.

— Nous sommes trente, dont quatre femmes, annonça Rifar. Avez-vous de quoi nous loger ?

— Je suis désolé, je ne possède pas de chambres adaptées aux besoins de ces dames. Je ne dispose que de dortoirs. Il faudrait voir en ville…

— Nous préférons ne pas être séparés, intervint Ksaten. Le dortoir fera l’affaire.

— Ce ne serait pas convenable, protesta l’aubergiste.

— N’ayez crainte, dit Acron. Meisos nous donnera la force de protéger leur vertu.

Le tenancier hésita un moment. Devant le mutisme intransigeant de ses interlocuteurs, il céda.

— Je dois pouvoir libérer les combles, proposa-t-il. Vous y serez à l’aise.

Rifar hocha la tête.

— Je veux le voir d’abord.

— Nobles voyageurs. Vous êtes dans un établissement sérieux, s’offusqua l’aubergiste. Il n’y a aucune fuite dans le toit.

— Je n’en doute pas. Mais je préfère visiter les endroits où je dors. C’est une question de principe.

— Bien entendu. Suivez-moi.

L’hôte entraîna ses futurs clients vers un escalier.

Les combles se révélèrent propres et spacieux. Et très vides.

— Je ne vois ni paillasses ni lit, constata Rifar.

— Vous êtes censé apporter votre couchage, répliqua l’aubergiste.

Évidemment. Sur cette route encore inachevée, il n’avait pas de concurrence. Pourquoi faire des efforts ? Rifar était sûr que d’ici cinq ans, il y aurait des chambres de luxe dans cet établissement. Malgré tout, l’agencement était parfait. Les poutres horizontales de la charpente permettraient de tendre des couvertures qui procureraient un peu d’intimité aux femmes. Les combles n’ayant qu’un seul accès, il serait aisé de les protéger contre une intrusion en installant les hommes entre elles et l’escalier. Ce point résolu, il put procéder à l’examen d’étanchéité, crucial aussi haut dans le nord du pays. Il ne décela aucune auréole ou toute autre trace d’infiltration d’eau. Et en l’absence de fenêtre, il n’avait pas à se préoccuper des ouvertures.

Satisfait de ce qu’il voyait, Rifar se tourna vers leur hôte.

— Si mes compagnons sont d’accord, je la prends.

— Pas de problèmes, répondit Ksaten.

— Je me réfère à vos avis, ajouta Acron.

Rifar le regarda, intrigué. En tant que natif du pays, connaissant ses dangers, il aurait dû donner son opinion avant tous les autres. L’aubergiste aussi était surpris, mais il ne dit rien.

— Cela fera un écu par personne, annonça-t-il.

La somme, ridiculement basse, étonna Rifar. Acron se montra plus réactif.

— Cela inclut-il le repas ?

— Non, trois écus avec le repas.

Voilà qui changeait la donne.

— À ce prix, les assiettes sont en cuivre, plaisanta Rifar.

L’aubergiste s’éloigna en direction de l’escalier.

— Vous pouvez dormir dehors si vous préférez.

Rifar ne tint aucun compte de cette dernière intervention.

— Vous ferez monter une bassine que ces dames puissent se rafraîchir, réclama-t-il.

— Puisée dans le grand puits couvert, précisa Acron.

L’aubergiste prit une pose outrée, comme si son intégrité avait pu être mise en doute.

— Et vous ? s’interrogea Ksaten. Vous avez également besoin d’un bon nettoyage.

— Nous irons dans les thermes publics, la renseigna Rifar.

— Dans un aussi petit village, elles risquent d’être spartiates.

— Vu les prix pratiqués dans cet établissement, j’ai bien peur que mon budget soit insuffisant pour se permettre le luxe de me laver ici.

L’aubergiste prit une mine renfrognée. C’était la deuxième fois que son honnêteté était mise en doute en quelques instants. Son sourire revint vite quand il vit Rifar fouiller dans sa bourse d’où il tira l’argent demandé. Il s’en empara et le fit disparaître dans une poche de son tablier.

— Je vous souhaite un bon séjour, dit-il.

Puis il se prépara à sortir.

— Vous apportez le baquet séance tenante. Ces dames ne voudraient pas perdre trop de temps.

L’aubergiste se contenta d’un signe de la main avant de descendre l’escalier.

Quelques calsihons plus tard, les voyageurs s’étaient débarrassés des poussières de la route et habillés de frais. Loin du luxe du restaurant de Massil, ils n’avaient pas éprouvé le besoin de procéder à des effets de toilette. Hommes comme femmes, ils avaient tous choisi des tuniques écrues et des pantalons en cuirs pour les Yrianis et les Helariaseny ou les traditionnelles jupes longues pour les Naytains. Les deux groupes étaient chaussés des bottes noires, préférables vu l’état dans lequel serait le sol à la fin de la soirée ? Seule Daisuren avait revêtu une robe, ainsi qu’on l’attendait d’une jeune fille de son âge. Ils ne portaient aucun bijou non plus pour éviter d’attirer les convoitises, à l’exception de Bayne qui en tant que prêtresse affichait le pendentif symbolisant sa charge. En revanche, ils étaient tous armés. Ils cachaient tous au moins une dague sur eux, même Meghare. Et Rifar soupçonnait Ksaten d’en avoir plusieurs sur elle.

Rifar et Acron marchaient en tête, estimant le danger, avant de laisser entrer ceux dont ils étaient responsables.

Pendant qu’ils se préparaient, le tenancier avait réussi à dégager une grande table où la caravane au complet pourrait s’installer à condition de se serrer un peu. Les femmes se placèrent au centre des deux longs côtés de la table afin de rendre difficile de les atteindre. Les hommes se répartirent de part et d’autre pour leur servir de rempart. La facilité avec laque les Helariaseny, habituées à la liberté et à l’égalité que leur offrait leur pays, se soumirent à cette discipline, ne manqua pas de surprendre Rifar. Il était vrai que ces deux-là, habituées à se rendre partout dans le monde, savaient s’adapter aux conditions des contrées qu’elles traversaient. Dans le cas contraire, cela aurait fait longtemps que leur cadavre aurait été retrouvé au fond d’un fossé.

Une fois les voyageurs installés, le tenancier apporta les boissons. Bière pour tout le monde.

— Ça manque un peu de variété, fit remarquer Arda.

Elle avait l’air chagrinée. Son éparchie, productrice de vin réputée, se trouvait exclue des offres.

— C’est vrai. Heureusement elle est bonne, la consola Rifar.

— Vous croyez qu’il la brasse lui-même ? s’interrogea Saalyn.

— C’est possible.

Sans faire plus de cérémonie, l’aubergiste apporta des assiettes creuses, suivies de peu par une grande soupière qu’il déposa au centre de la table.

— L’odeur a l’air bien appétissante, lança à haute voix un caravanier.

Il allait se servir, passant sans vergogne devant les dames, quand une protestation s’éleva du fond de la salle.

— C’est bien trop bon pour un Milesite. Du lisier serait largement suffisant.

Rifar se retint de riposter. Il ne voulait pas céder à la provocation. L’Alminati, prenant cela pour de la faiblesse, continua.

— Aubergiste, amène la pisse de ta mule. Auprès de tous ces sudistes, elle sera considérée comme un nectar divin.

Sudiste ! Son insulte englobait également les Helariaseny, originaire du pays le plus méridional du continent, qu’il avait reconnu noyés dans la masse. Ni Saalyn ni Ksaten ne réagirent, mais Dercros tomba dans le piège.

— C’est facile de provoquer quand on est bien à l’abri au milieu de ses compagnons. Viens répéter ça face à face.

Rifar retint un gémissement. Comme il le prévoyait, l’Alminati s’approcha du stoltzen et se mit face à lui. Il le dominait de toute sa taille.

— Et maintenant, tu fais quoi ? ironisa-t-il.

Dercros ne s’attendait pas à ce que le malotru le rejoigne. Il ne se démonta pourtant pas.

— Vous êtes bien grand, fit-il remarquer.

Sans dire un mot, l’homme prit la choppe du jeune stoltzen et la lui renversa sur la tête. Rifar se leva.

— Veuillez retourner à votre place. Nous avons eu une journée fatigante. Nous voudrions manger tranquillement et aller nous reposer.

— Et si je ne veuille pas.

Sa répartie attira les rires de ses compagnons.

— Je vais où je veux et je fais ce qui me plaît, ajouta-t-il.

Il allait s’emparer de la choppe de Ksaten pour lui infliger le même sort qu’à Dercros. La guerrière libre réagit instantanément. Elle intercepta son poignet au vol.

— Toi la connasse, tu me lâches ! s’écria-t-il.

— Vous avez bu. Calmez-vous et retournez vous asseoir, ordonna-t-elle. Et tout se passera dans en douceur.

— Sinon ?

— Sinon, c’est moi qui vous calme.

L’homme balança un coup de poing vers le visage de la guerrière qu’elle esquiva en écartant juste la tête. Elle saisit son gobelet et le lui projeta son contenu au visage. Au lieu de reprendre ses esprits, l’Alminati devint rouge de colère. Visiblement, il n’aimait pas qu’on lui fasse ce qu’il infligeait aux autres. Il sortit son couteau.

— Je vais te planter ! Sale pute !

Elle esquiva l’attaque avec aisance.

Elle allait le désarmer quand son voisin, un cavalier aux mains larges comme des battoirs, l’assomma d’un coup de poing sur le crâne. Ce fut le signal. Les Alminatis se levèrent tous et se précipitèrent sur les Milesites et la bagarre s’engagea.

Les assiettes volaient, les coups pleuvaient. Rifar n’eut juste que le temps de cacher Meghare sous la table qu’un poing le heurta au menton. Il répliqua d’un coup de genoux dans l’entrejambe. Sans se préoccuper de s’il avait fait mouche, il passa au suivant qui arrivait déjà. Très vite, il ne sut plus qui il frappait. Il repéra Saalyn, apparemment en mauvaise posture, immobilisée par trois hommes. Mais elle se dégagea sans peine. Un coup de choppe sur le crâne le ramena à l’instant présent. Il se retourna pour se défendre.

Dercros retrouva Meghare sous la table.

— On fait quoi ? demanda-t-elle.

— On trouve Daisuren, et on sort d’ici.

Ils cherchèrent autour d’eux.

— Là ! s’écria Meghare.

Elle montra la fillette que l’aubergiste avait mise à l’abri derrière le comptoir.

— On la rejoint, ordonna Dercros.

C’était plus facile à dire qu’à faire. Atteindre la table suivante obligeait à traverser une zone de combat. Choisissant un moment où la densité de jambe semblait avoir diminué, ils s’élancèrent à quatre pattes à travers la zone dangereuse. Dercros entendit un cri derrière lui. Il se retourna. Meghare avait pris un coup de pied qui lui avait fait perdre l’équilibre. Elle allait se faire piétiner. Sans réfléchir, il l’attrapa par un bras et la tira à lui sans ménagement. La jeune femme poussa un cri de douleur, mais au moins elle était en sécurité.

— Merci, balbutia-t-elle.

Elle se massa l’épaule meurtrie, un rictus de douleur déforma son visage quand elle la toucha.

— J’ai tiré un peu fort, avoua Dercros.

— Au moins je suis entière.

La table se retourna brutalement et un homme immense se dressa au-dessus d’eux.

— Mais que voilà ! s’écria-t-il. Des resquilleurs !

Le Sernosi les attrapa par le col et les souleva à sa hauteur. Meghare paniqua. Les Yrianis étaient normalement plus petits que les Naytains. Pourquoi était-elle tombée sur le seul qui soit plus grand qu’elle ?

— Mais c’est une fille, remarqua-t-il, et pas un laideron. Je sens que l’on va bien s’amuser.

Il projeta nonchalamment Decros qui alla s’écraser un peu plus loin. De sa main libérée, il empoigna le bras de Meghare. La femme éprouva un instant de panique. Elle balança sa jambe entre celles de son agresseur.

— C’est qu’elle est hargneuse, la ribaude !

Brusquement ses yeux se révulsèrent, devinrent vitreux et il s’effondra, entraînant Meghare dans sa chute. Rifar posa le chaudron de fonte qu’il avait employé pour assommer l’agresseur. Puis il aida la jeune femme à se dégager du corps inerte, trop massif pour elle.

— Merci, dit-elle.

— Plus tard.

Il la fit passer par-dessus le comptoir, la retenant au dernier moment pour qu’elle ne s’écrase pas au sol. Il aurait bien laissé les mains s’attarder sur le jeune corps, cependant ce n’était ni le lieu ni le moment.

Soudain, la porte de l’auberge s’ouvrit brusquement. Un homme s’encadra dans l’ouverture, les mains sur les hanches. Sa tenue, une longue robe rouge à capuche serrée à la taille par une ceinture de cuir noir qui soutenait un glaive, et sa cape de même couleur le désignaient comme un officier de la garde du village.

— C’est quoi ce bordel ? rugit-il en Yriani.

Il pencha la tête pour éviter un projectile égaré.

— Au nom de Deimos, je vous somme de vous calmer ! ordonna-t-il d’une voix puissante.

Devant le manque de succès de sa démarche, il s’effaça au profit d’un garde tout de noir vêtu. Celui-ci tenait une petite trompe dans laquelle il souffla. La puissance du son vrilla les oreilles des combattants. Ils cessèrent de se battre pour se boucher les oreilles. Tous se tournèrent vers les arrivants. L’officier s’avança.

— Maintenant que j’ai toute votre attention, quelqu’un va-t-il m’expliquer ce qu’il se passe ici ?

Devant le silence qui lui répondit, il reprit.

— Comment deux groupes provenant du pays qui se targue d’être le plus civilisé du monde en arrivent-ils à se bagarrer comme des gosses dans la rue ?

Rifar regarda ses compagnons. Il se sentait bien ridicule de se faire remonter les bretelles ainsi, et sur le coup pas très civilisé.

Nillac s’avança. Il désigna un Alminati.

— C’est eux qui nous sont tombés dessus, se défendit-il. Nous, on voulait juste manger tranquillement.

En réponse, l’officier fit un signe à un individu hors de l’auberge. Il se dirigea vers le jeune homme.

— Un Naytain qui se comporte comme un païen. Vous faites honte à votre dieu et votre pays.

Le garde lui rabattit les bras dans le dos pour le ligoter.

— Hey ! s’écria Arda. Ne le touchez pas.

Saalyn posa une main sur le bras de la prêtresse pour la calmer. Ils allaient tous finir au poste où les gardes procéderaient au tri. Autant que cela se passe sans violence. Rifar l’entendit donner ses explications. Elle avait certainement raison, la surveillance du poste ne reposait certainement pas que sur ces trois gardes. Comme pour lui donner raison, toute une escouade entra et procéda aux arrestations, sans distinction de race, de sexe ou de peuple. Imitant Saalyn et Ksaten, Rifar se laissa entraver sans résistance. Arda toisa son garde un moment avant de mettre elle-même les mains dans son dos. La seule résistance vint de Meghare qui protesta quand l’un d’eux voulut s’occuper d’elle. Sans se démonter, il lui attrapa le bras et l’entrava. Puis il la poussa hors de l’auberge dévastée.

 

La porte de la cellule se referma sur Saalyn. Des yeux, elle chercha la banquette. Au milieu de cette foule, elle ne la trouva pas. D’habitude, elles étaient fixées à l’un des murs, en général le plus éloigné de la porte. Elle se faufila entre les corps pour atteindre le fond, sans se préoccuper des quelques mains baladeuses qui se pressèrent sur ses fesses au passage. Elle le trouva là où elle l’avait prévu. Assez large pour dormir, il occupait toute la longueur de la cellule, ce qui laissait la possibilité à une douzaine de personnes de s’asseoir. Malheureusement, il était déjà occupé. Elle s’approcha d’un Milesite et lui tapota l’épaule.

— Tu me fais une petite place ? demanda-t-elle.

L’homme regarda à sa droite. Ils étaient trop serrés, impossible de se pousser. À regret, il se leva, cédant sa place à la stoltzin. Son voisin fut moins courtois. Quand il vit cette beauté blonde prendre place à côté de lui, il se tourna vers elle.

— Voilà un beau petit lot ! s’écria-t-il. Cette captivité se révèle plus intéressante que prévu.

Elle avisa le regard de l’Alminati braqué sur son décolleté, pourtant peu révélateur.

— Ça te plaît, n’est-ce pas, lui susurra-t-elle.

— Il y a là de quoi remplir la main d’un homme.

— J’espère bien que cela arrivera bientôt. Les deux mains même. Et sa bouche aussi. Malheureusement pour toi, ce ne sera pas les tiennes. Mais si tu es sage, je te permettrais peut-être de regarder afin que tu apprennes comment doit se compter un homme.

Il hésitait. Il ne savait pas s’il devait se montrer furieux ou laisser tomber. Il avait compris qu’il venait d’essuyer une rebuffade. Il avait également senti comme un relent d’humiliation dans la dernière phrase. Il adopta finalement l’attitude qui lui parut la plus virile.

— Et qui va m’empêcher d’en profiter ?

Il tendit la main vers les formes tentatrices. Et il s’immobilisa quand il sentit la pointe d’un couteau s’enfoncer sous sa mâchoire.

— Es-tu sûr de vouloir terminer ton geste, le défia Saalyn.

Il regarda la stoltzin dans les yeux. Ce qu’il y lut l’incita à retirer sa main.

— Bien, constata-t-elle, maintenant dégage !

Il se leva et disparut dans la foule. Saalyn le regarda, un sourire sur les lèvres. Les hommes étaient si faciles à manipuler. Elle fit signe à Acron qu’elle avait localisé dans un coin en train d’essayer d’isoler Arda des autres prisonniers. Il guida sa maîtresse jusqu’à la place disponible où elle se laissa tomber avec reconnaissance.

La prêtresse était la seule femme du groupe à avoir revêtu une tenue habillée. Dans la bagarre, une bretelle de sa robe s’était cassée, l’obligeant à maintenir le pan de tissu en place pour éviter de se retrouver dépoitraillée.

— Attendez, je vais vous arranger ça, proposa Saalyn.
Elle sortit une lanière de silt de sa poche. En utilisant le tissu restant, elle bricola une bretelle acceptable.

— Merci, dit Arda.

Acron revint, accompagné de Daisuren. Il avait apparemment décidé de rassembler toutes les femmes en un seul endroit. Rifar, qui l’observait, trouva que c’était une bonne idée. Il se mit en quête de Meghare.

Un cri de douleur surmonta le brouhaha ambiant. L’homme qui avait manqué d’agresser Saalyn tenait son bras ensanglanté tout en regardant Ksaten d’un air terrorisé. Il faut dire que la stoltzin avait l’air inoffensive à première vue. Il était difficile de commettre une plus lourde erreur. Le pire était que Ksaten était célèbre. Il aurait utilisé une manœuvre d’approche plus normale, il aurait su son nom et compris ce qu’il risquait.

Rifar trouve finalement l’objet de sa recherche. Il la prit par le bras pour attirer son attention. De la main, il désigna Saalyn. Elle comprit et le suivit sans opposer de résistance. Autour de la chanteuse, un îlot de calme s’était formé, ce qui permet à Rifar de parler.

— Heureusement que les Naytains n’ont pas fait correctement leur boulot. Ça a permis à Ksaten de se défendre, fit-il remarquer.

— Au contraire, ils ont bien travaillé, le contredit Saalyn. Plus aucun homme n’a d’armes sur lui alors que les femmes ont gardé les leurs.

— Vraiment ?

Rifar avait été fouillé et sa dague confisquée alors que les femmes y avaient échappé. Il avait pensé que c’était par pudibonderie. Toutefois, la réputation de l’inquisition ne plaidait pas en ce sens. Elle n’hésitait pas à déshabiller leurs prisonniers lors des interrogatoires en cas de crime, les hommes aussi bien que les femmes. Alors une fouille ne leur poserait aucun cas de conscience.

Ksaten les rejoignit, son couteau toujours à la main. Il dégouttait encore de sang. Elle n’avait pas trouvé de tissu pour l’essuyer. Acron lui prêta obligeamment un mouchoir. Pendant toute l’opération, elle garda son visage fermé par la colère. Toutefois, Rifar doutait que seule la lourdeur d’un imbécile en soit la cause. Pendant un bref instant, un homme avait tenu les seins de Ksaten dans les mains. La riposte avait été brutale. Il se demanda si le jeu en valait la chandelle. L’homme écopait d’une longue estafilade au bras qui le handicaperait un bon moment. Lui-même, quand il l’avait vue nue dans le lac, ou avec sa robe si peu décente au restaurant, avait eu envie de poser les mains sur son corps superbe et de le caresser, voire de faire bien plus encore. Il porta son attention sur Meghare, plus grande, plus ronde, plus sombre de peau. Elle lui plaisait davantage que la stoltzin alors que cette dernière était bien plus belle. Plus belle que n’importe quelle femme qu’il avait connue ailleurs.

Les grincements de la porte qui s’ouvrait le tirèrent de sa réflexion. Un garde entra. Aussitôt, le silence se fit.

— Rohan, lança-t-il d’une voix forte.

— Ici ! répondit Meghare.

Elle se leva.

— Rohan ? s’étonna Rifar.

— C’est le nom de ma famille, expliqua-t-elle. Vous n’avez pas de nom de famille en Yrian ?

— Si, répondit-il piteusement.

— Alors quoi ?

Elle se tourna vers Saalyn.

— Je dois faire quelque chose ?

— Si vous trouvez une légation helarieal, dites-leur où nous sommes.

— Dans ce trou ?

— J’ai comme un doute aussi.

Meghare rejoignit le garde près de la porte.

— Meghare Rohan ? s’enquit-il.

— En personne.

— Toutes les charges sont abandonnées contre vous. Vous sortez.

Elle lança un dernier regard à ses compagnons et quitta la cellule.

— Et nous ! s’écria Ksaten, on sort quand de ce trou puant.

Le garde afficha un air hostile avant de sortir en refermant la porte derrière lui. Ksaten fendit la foule qui s’écarta devant elle ; la leçon avait porté. De rage, elle donna un coup de pied dans la porte avant de revenir s’asseoir.

Même si Rifar comprenait l’origine de la colère de sa compagne de voyage, il estimait qu’elle devrait se calmer. Les Naytains n’étaient pas tendres avec les fortes têtes. Saalyn essaya de lui passer un bras autour des épaules, mais elle se dégagea brutalement. Une deuxième tentative rencontra plus de succès ?

La porte s’ouvrit de nouveau. Ce coup-ci, ce fut un officier qui entra.

— J’ai cru comprendre qu’Arda Harcourt, prêtresse de Nertali à Bayne est retenue ici.

Arda se leva.

— Je suis là, dit-elle en levant la main.

Saalyn la retint par le bras.

— Harcourt ? Vraiment ? releva-t-elle.

— Et pourquoi pas ? répondit-elle sur un ton de défi.

— Votre père est-il toujours vidame de Burgil ?

— Mon père est mort il y a trois ans. J’ai hérité de ses biens. Pas de son titre malheureusement, j’étais trop jeune.

— Je suis désolée. Toutes mes condoléances.

Saalyn libéra la Naytaine. Elle traversa la foule, suivie de son frère et d’Acron.

— Votre grandeur, j’ignorai qu’une prêtresse avait été arrêtée par mes hommes, s’excusa l’officier.

— Comment l’auriez-vous su ? Je ne me suis pas présentée.

— Les dieux auraient dû me le faire savoir.

— Lequel honorez-vous ?

— Deimos.

— Eh bien voilà. Pourquoi vous aurait-il averti pour la prêtresse d’une déesse aux valeurs totalement opposées aux siennes ?

Le visage de l’officier exprima un intense soulagement/

— Il est vrai que Deimos aime la guerre et Nertali la paix, fit-il remarquer.

— C’est exactement ça.

Elle fit passer son frère devant elle.

— Voici mon frère Nillac et mon capitaine Acron. Il y a aussi cinq gardes épiscopaux qui m’accompagnent.

L’officier regarda les six solides gaillards qui se tenaient bien raides derrière la prêtresse.

— Veuillez tous mes suivre, je vais vous faire sortir.

Arda et son escorte emboîtèrent le pas au garde. La porte se referma derrière eux.

De rage, Ksaten donna un coup de pied dans le battant. Il s’ouvrit, laissant la place à un soldat.

— Calmez-vous maintenant, sinon c’est moi qui vais vous calmer, la menaça-t-il.

Il referma la porte. Saalyn rejoignit sa compagne. Elle essaya de la prendre par les épaules, mais Ksaten se dégagea. Elle n’alla pas loin cependant.

— Vous devriez la calmer, conseilla un Alminati. Les Naytains ne sont pas tendres avec les fortes têtes.

— Si vous ne nous aviez pas agressés comme ça, nous ne serions pas enfermés ici, protesta Rifar.

— Vous n’aviez qu’à pas nous provoquer, riposta l’Alminati.

— Ça suffit ! cria Saalyn.

Son éclat coupa court à la dispute entre les deux hommes.

— Autrefois, mon amie a vécu des moments très pénibles dans une cellule semblable. Vraiment pénible. Depuis, elle ne supporte plus d’être enfermée. Elle fait une crise d’angoisse. Alors maintenant vous allez la fermer sinon je vais m’énerver pour de bon, les rabroua-t-elle.

— Je vous présente mes excuses, dit Rifar.

L’Alminati maugréa quelque chose que l’on pouvait considérer comme des excuses. Satisfaite, Saalyn put se consacrer à Ksaten. Dercros, pendant l’altercation, l’avait prise en charge. Elle s’était laissé entraîner dans un coin. Deux hommes avaient libéré une place sur le banc où ils avaient pu s’installer. Ksaten avait posé sa tête sur les cuisses du jeune homme et se laissait bercer.

Rifar se pencha sur l’oreille de Saalyn.

— Ces événements pénibles que vous avez évoqués incluent-ils des sévices … Vous voyez ce que je veux dire ?

— Je vois oui, répondit Saalyn. Je ne sais pas, elle n’en parle jamais. Mais sachant de quoi sont capables les hommes, je n’en serais pas surprise. Ce dont je suis sûre, c’est qu’elle a été torturée. Là non, plus je ne connais pas les détails. Elle était indisciplinée, ils ont dû la mettre au pas. Quand je l’ai trouvée, elle ne pesait que la moitié de son poids actuel et son corps était couvert d’escarres. Si je n’étais arrivée que quelques douzains plus tard, elle serait certainement morte, soit des mauvais traitements, soit d’une infection.

— Deux femmes et une enfant enfermées au milieu de tous ces hommes, ce serait de base une situation bien angoissante. Si on ajoute ce qu’elle a subi, je comprends mieux sa réaction. Je vais me charger de sa protection, ça devrait la rassurer.

— Dans une prison naytaine, on ne risque pas grand-chose.

— C’est vrai.

Le départ des gardes de Bayne avait nettement rééquilibré les forces en présence en faveur des Alminatis tous en retirant des combattants efficaces. On pouvait comprendre que malgré tous ses talents, Ksaten se sentit menacée. Pourtant, ce ne semblait pas être le cas de Saalyn. Le traumatisme qu’évoquait la chanteuse avait dû être violent autrefois si elle réagissait ainsi.

La porte s’ouvrit, interrompant les réflexions de Rifar. Le même officier que celui qui avait fait sortir Bayne entra.

— Botris ! annonça-t-il de sa forte voix.

Dalbo s’avança.

— C’est moi, répondit-il.

Il avança de quelques pas.

— Vous sortez, ordonna le garde.

Pendant qu’il traversait la salle, un Alminati le suivit du regard. Quand il passa devant lui, il l’interpella.

— Vous êtes le comte du Than ! s’écria-t-il.

— Pas moi. Mon père, le corrigea Dalbo. Je suis son troisième fils, même pas l’héritier d’une chevalerie.

— Je constate que ce cher Hapars est toujours aussi efficace, fit remarquer Saalyn. Vous faire sortir d’une prison dans un trou paumé de la Nayt. Ne peut-il rien pour nous ?

— Mon père est plein de surprise. Je vais voir ce que je peux faire.

Il sortit à la suite de l’officier naytain.

— Je constate que je suis enfermé dans la cellule la plus huppée du monde, ironisa Saalyn. Et vous Rifar, êtes-vous héritier vous aussi ?

— Une maison à la campagne, répondit-il distraitement.

Rifar surveillait le caravanier Alminati qui avait pris la parole. Il prenait conscience d’avoir levé la main sur un noble et des risques qu’il aurait encourus si ces événements s’étaient déroulés en Yrian. En réalité, il ne risquait pas grand-chose. Dalbo n’était pas contre une bonne bagarre de temps à autre et cet enfermement ne devait constituer qu’un contretemps à ses yeux.

— Je me doutais bien que Posasten ne disposait pas d’assez de fonds pour monter cette caravane. De là à imaginer le plus puissant comte milesite derrière, ça, c’est une surprise, déclara Saalyn.

— Pardon ! Un tiers de la caravane m’appartient ! protesta l’intéressé.

Saalyn envoya un sourire engageant au chef de la caravane. Elle comprenait mieux pourquoi Rifar prenait souvent l’avis de Dalbo. C’était ce dernier qui commandait en réalité. Mais pourquoi voyageait-il incognito ? Pour sa sécurité ? Si les Alminatis avaient su que le fils du puissant comte du Than se trouvait parmi les caravaniers, jamais ils n’auraient déclenché la bagarre.

Dalbo avait tenu parole. Un instant plus tard, l’officier naytain venait libérer les Milesites. Mais pas Ksaten, Saalyn et Dercros.

— Et nous ! s’écria Ksaten.

— Vous êtes nobles vous aussi, s’enquit le Naytain.

Pour toute réponse, elle lui renvoya un doigt d’honneur.

Sous l’insulte, le garde s’immobilisa. Il poussa Rifar dehors, puis il ferma la porte, en restant l’intérieur. En constatant qu’il s’approchait d’elle, Ksaten se redressa.

— Je te conseille de te calmer fissa, gronda-t-il. Sinon…

— Sinon quoi ? le défia-t-elle. Vous allez passer vos nerfs sur une femme deux fois plus petite que vous ?

Écœuré, le garde renonça et sortit. Saalyn, soulagée que cela n’aille pas plus loin, relâcha sa respiration.

Malheureusement, le répit fut de courte durée. Quelques instants après, quatre solides gaillards entrèrent et se dirigèrent résolument vers Ksaten. Saalyn ressentit une intense panique.

— Qu’allez-vous lui faire ? s’écria-t-elle.

— Elle vient avec nous, répondit l’un d’eux.

— Où ?

Rifar entra à la suite des soldats.

— Messieurs, intervint-il, cette femme est en pleine crise d’angoisse.

Surpris, le garde se retourna.

— Que faites-vous ici ? Je vous croyais sorti.

— Soyez indulgent.

— Ne vous occupez pas de ça. On a ce qu’il faut pour la calmer.

— Elle est sous ma responsabilité ! Je ne vous laisserais pas l’emmener.

Le garde abaissa sa lance vers le caravanier. Saalyn dut être jugée plus dangereuse puisqu’elle eut droit à deux pointes de pierres qui s’enfoncèrent à la base du cou.

— Tu aurais dû sortir quand on te l’a proposé, dit-il.

Ksaten intervint.

— Merci à vous deux, déclara-t-elle. Je suis une grande fille. Je peux prendre soin de moi toute seule.

Puis elle s’adressa aux gardes.

— Je vous suis, dit-elle. Vous remarquerez que c’est sans résistance.

Elle se leva et se plaça entre les quatre gardes. Les lances se relevèrent. Saalyn en profita pour se mettre debout à son tour.

— Ça va aller, dit Ksaten en tendant la main pour l’inciter à se rasseoir. La Nayt est un pays civilisé. Je ne risque rien.

Ksaten avait raison. Saalyn éprouvait quand même de l’appréhension en se rasseyant. Même s’il avait quasiment disparu dans les villes, le racisme envers les stoltzt persistait dans les campagnes. Elle regarda le groupe de garde se reformer autour de son amie, puis dans un mouvement parfaitement coordonné, quitter la salle. En les voyant sortir, Rifar ne put qu’admirer leur ensemble. Il comprenait que la Nayt ait gagné toutes les guerres contre l’Osgard alors qu’à l’origine le rapport de force n’était pas en sa faveur.

La porte se referma derrière eux. Saalyn se rassit. Elle jeta un coup d’œil à Rifar.

— Vous revoilà prisonnier, ironisa-t-elle.

— On dirait bien. Dalbo et Posasten sont capables de s’occuper du convoi.

Derrière le ton plaisant, Rifar ressentit l’inquiétude de la stoltzin. Et l’avenir sembla lui donner raison. Des paroles provenant d’une discussion animée ne tardèrent pas à leur parvenir. Le niveau sonore devait être élevé pour qu’ils l’entendent aussi bien. Malgré tout, ils ne comprenaient pas les mots prononcés. Rifar allait faire une remarque ; Saalyn leva le doigt, lui intimant le silence. Elle voulait écouter ce qui se disait. Et elle était frustrée de ne pas y arriver.

Le silence se fit. Pendant un instant, ils n’entendirent plus rien. Pourtant Rifar doutait que la discussion fût terminée. Ils parlaient juste à un niveau sonore plus normal. Soudain, un cri leur parvint. Il exprimait une violence souffrance et sa hauteur, aiguë, le désignait comme certainement poussé par une femme. Saalyn se leva comme mue par un ressort. En un instant, elle atteignit la porte contre laquelle elle se mit à tambouriner.

— Ouvrez cette porte immédiatement ! hurla-t-elle.

Elle répéta son injonction jusqu’à ce que l’huis pivotât et qu’un garde se présentât dans l’encadrement. Avant qu’elle ait pu accomplir le moindre geste, la lance s’abaissa et s’appuya contre la poitrine de la stoltzin. Rifar, qui l’avait rejointe, doutait que la tranchante pointe de silex poli se soit posée là par hasard : sur le sternum, précisément où les deux bords du décolleté se rejoignaient. D’un simple geste, il pouvait la blesser gravement, voire la tuer. Saalyn avait pleinement pris conscience des risques puisqu’elle s’était figée.

Le garde choisit une troisième possibilité. Il remonta lentement son arme, tranchant la lanière qui maintenait la tunique fermée. Une fois son œuvre achevée, il écarta de la pointe les deux pans de tissu. Saalyn était mal à l’aise. Ce n’était pas tant le spectacle qu’elle offrait, modéré avec cette tunique malgré sa petite taille comparée au garde, que les implications de ce geste. Elle ne valait rien à ses yeux. Il devait faire partie de ces gens qui déniaient aux stoltzt la dignité d’êtres pensants, les ravalant au rang d’animaux qui ne méritaient aucune considération.

Quelles que soient les raisons de cet homme, Rifar était outré. Et il n’était pas le seul s’il en jugeait par le brouhaha qu’émettaient les prisonniers. Pour une fois, l’avis des Alminatis rejoignait celui des Milesites. Enfin du seul qui restait dans la cellule. Quant à Dercros, d’habitude si joyeux, il avait cessé de rire. La colère avait remplacé son éternel sourire. Mais ce n’était qu’un enfant ; il ne pouvait rien faire.

— Il paraît que tout ce qu’on coupe à un stoltz repousse, menaça le garde, j’ai bien envie de vérifier.

D’une main légère, elle repoussa la lance sur le côté.

— Allons, susurra-t-elle, je suis sûr qu’un bel homme tel que vous doit trouver plus intéressant à faire avec tout ceci que des expériences de découpage.

En passant sur le sein, la pointe acérée avait laissé une estafilade à laquelle Saalyn n’avait pris garde. En revanche, le garde ne perdait pas une miette du spectacle.

L’arme se retrouva bientôt dans une direction inoffensive. Soudain, Saalyn attaqua. Empoignant la hampe, elle tira d’un coup sec déséquilibrant son adversaire. Puis elle lança un coup de genou dans l’entrejambe. Le garde, en proie à l’excitation, ne put réagir à temps. Il tomba au sol. Saalyn était cependant trop petite pour que son coup ait porté correctement. Furieux, il se redressa, prêt à donner une correction à la stoltzin. La lance, que Saalyn maniait avec plus de dextérité que lui, lui ôta toute velléité de résistance. Il jeta un regard assassin à cette femme qu’il croyait inoffensive.

— Soldat ! Garde à vous ! rugit une voix dans son dos.

Saalyn leva son arme pour permettre au garde d’obéir à son supérieur. Le commandant de la caserne se plaça face à lui.

— Soldat, comment se fait-il qu’armé comme vous l’étiez, vous ayez pu être neutralisé aussi facilement par une femme plus petite et moins musclée.

— Ce n’était qu’une chanteuse, mon commandant, se défendit-il. J’ignorais qu’elle savait se battre.

— Ce n’est pas un secret que maître Saalyn a été guerrière autrefois. Un membre de l’inquisition naytaine, même aussi pitoyable que vous, n’aurait pas dû l’ignorer. Seraient-ce les charmes de notre pensionnaire qui vous a distrait ? Par ailleurs, votre comportement est inqualifiable et jette l’opprobre sur la Nayt tout entière. L’inquisition est censée lutter contre ce genre d’actes, pas de les provoquer. Vous êtes consigné dans vos quartiers jusqu’à ce que je le décide. Rompez !

Le soldat, l’air penaud, salua puis quitta le couloir en direction du dortoir.

 

Le commandant se tourna alors vers Saalyn. Il s’inclina poliment vers elle.

— Je vous prie d’accepter mes excuses. Le comportement de mon soldat était indigne.

— Ce n’est pas à vous de me présenter vos excuses, répondit Saalyn, vous n’êtes pas responsable.

— Il se trouve que, l’interrompit-il. Je suis responsable de l’agissement de tous mes soldats.

— Je croirais entendre ma pentarque.

— Un soldat remarquable.

Tout en discutant, il avait détaché une lanière de cuir de sa ceinture. Il la tendit à Saalyn.

— Je vous prie d’accepter ceci en dédommagement de la vôtre.

Alors que la lanière brisée était en cuir, celle que lui tendait l’officier était une tresse en fibre végétale – en coton certainement – aux bouts cerclés de métal pour éviter de s’effilocher. C’était un objet de valeur, bien plus que celui détruit, qu’il lui offrait. Toutefois, Saalyn ne le prit pas tout de suite.

— Où est la femme qui m’accompagnait ? demanda-t-elle.

— Elle va bientôt vous rejoindre, répondit l’officier. Je comprends qu’une guerrière habituée à remplir les prisons éprouve des difficultés à s’y retrouver à son tour. Mais son comportement était inadmissible. Elle n’est pas au-dessus des lois.

Les paroles du Naytain ne rassurèrent Saalyn qu’à moitié. Elle avait entendu Ksaten crier sous la douleur. Elle prit néanmoins le cadeau pour rajuster sa tenue. Pendant l’opération, le garde, très fair-play, détourna le regard. Saalyn revint à l’attaque.

— Alors, Ksaten, quand va-t-elle revenir ?

— Mais… maintenant.

En effet, une porte s’ouvrit. Un soldat en sortit, il portait la guerrière libre dans les bras. Saalyn se poussa du passage. À l’entrée dans la cellule, Ksaten se débattit. Le garde la déposa alors là où ils se trouvaient. En boitant, elle se dirigea vers un coin de la pièce. Rifar proposa son aide, elle le repoussa vivement. Puis elle s’assit, bien calée contre l’angle de deux murs. Elle n’avait encore prononcé le moindre mot.

— Que lui avez-vous fait ? s’écria Saalyn.

— Mais rien, se défendit le garde. Maintenant, si vous voulez bien vous pousser.

Saalyn s’écarta, pas pour obéir à l’ordre, mais pour rejoindre son amie. Elle s’assit juste à côté d’elle. Ksaten posa la tête sur son épaule. Saalyn l’enlaça d’un bras protecteur.

— Vous, le Milesite, ordonna l’officier, vous sortez.

Rifar jeta un dernier coup d’œil à Saalyn.

— Allez-y, lui intima cette dernière.

— Vous êtes sûre.

— Barrez-vous, et faites-nous sortir d’ici.

Rifar hocha la tête et obéit à l’ordre du commandant de la caserne.

— Et nous ? demanda un Alminati.

— Vous aussi connaissez le comte du Than ? demanda sarcastiquement le garde.

Devant l’air dépité de l’Yriani, il sourit.

— Dégagez ! ordonna-t-il. Si j’entends encore parler de vous, je ne me montrerai plus aussi généreux.

Les Alminatis n’hésitèrent pas et se lancèrent sur les traces de Rifar. En un instant, il ne resta que Saalyn, Ksaten, Dercros et l’officier. Ce dernier les salua avant de sortir à son tour, mais il ne ferma pas la porte derrière lui.

Saalyn était abasourdie. Elle ne comprenait pas le comportement du Naytain. Pourtant, sa plus grande surprise vint de Ksaten.

— Aide-moi à me lever, requit-elle.

— Que t’ont-ils fait ? demanda Saalyn.

— Rien du tout.

— Je t’ai entendu crier. Et tu boites.

— Le bureau du commandant a des angles très vifs.

— Et toi des cuisses bien tendres, plaisanta Dercros.

Ksaten le foudroya du regard, mais sa bouche démentait sa sévérité.

— Ne t’occupe pas de mes cuisses, riposta-t-elle.

— J’en ai vu plein ici qui auraient voulu s’en occuper.

— Ça suffit vous deux ! les rabroua Saalyn, amusée. Il faudrait penser à trouver un moyen de sortir d’ici.

— La porte est ouverte, fit remarquer Ksaten.

Elle se dirigea vers la sortie en boitant fortement.

— L’idée de Dercros n’est pas si mauvaise en fin de compte, bougonna-t-elle.

Obligeamment, Decros vint aider Ksaten à se tenir debout, ne précédant sa sœur que d’un bref instant.

— Merci, dit-elle.

Elle s’appuya largement sur la solide épaule du jeune homme.

— Je ne me suis pas ratée, maugréa-t-elle.

— Finalement, qu’as-tu fait dans le bureau si tu n’as pas été interrogée ?

Ksaten se retourna vers sa consœur. Son sourire aurait été intrigant sur la douleur ne lui avait arraché un petit cri.

— Les affaires reprennent. On m’a proposé un travail. Nous avons une mission.

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Fleur de Marie
Posté le 27/12/2023
'Les deux groupes étaient chaussés des bottes noires, préférables vu l’état dans lequel serait le sol à la fin de la soirée ?' ponctuation : ' à la fin de la soirée.'
Les tenues prennent de la place et pèsent. Tu devrais les réduire et les axer du le fonctionnel. Idem pour le restaurant. Surtout pour la caravane, dont c'est le métier.
Je réfléchis aussi pour sortir des clichés de l'héroïque fantasy médiéval. Tu pourrais décrire un carnavaserail historique, avec écuries et magasins en rez de chaussée. On garde le dortoir à l'étage.
Il y a des raisons pour soupçonner l'auberge d'être plus dangereuse que l'extérieur ? Lors des bivouacs, il faudraitque les gardes se relaient pour équilibrer.
'La facilité avec laque les Helariaseny,' faute de frappe : 'La facilité avec laquelle les Helariaseny,'.
Fleur de Marie
Posté le 27/12/2023
'et le lui projeta son contenu au visage.' faute de frappe : 'et lui projeta son contenu au visage.'.
'Elle intercepta son poignet au vol.' Ksaten doit tout miser sur la technique. Elle pare ce coup en tapant sur l'avant bras, perpendiculairement :
https://m.youtube.com/watch?v=kJ7NTRkJ0-0&list=PLTNNz5HvSbXA75jxDmQaQnA3qkqEzTKEv&index=2&pp=iAQB
En retravaillant la scène avec des sources historiques et techniques tu peux sortir des clichés. Et si tu arrives à caser un brin d'humour, ça serait top ! Je sais que tu es capable de sortir quelques pépites.
'Ne le touchez pas.' ponctuation : 'Ne le touchez pas !'.
'Rifar trouve finalement l’objet de sa recherche. ' temps : 'Rifar trouva finalement l’objet de sa recherche.'.
Fleur de Marie
Posté le 27/12/2023
'— Et nous ! s’écria Ksaten, on sort quand de ce trou puant.' ponctuation : '— Et nous ! s’écria Ksaten, on sort quand de ce trou puant ?'.
'Une deuxième tentative rencontra plus de succès ?' ponctuation : 'Une deuxième tentative rencontra plus de succès.'.
'Le visage de l’officier exprima un intense soulagement/' faute de frappe : 'Le visage de l’officier exprima un intense soulagement.'.
'Vraiment pénible.' pluriel : 'Vraiment pénibles.'.
Si Ksaten a été agressée par des hommes en cellule, il faudrait une femme ou une fille pour l'aider à se calmer.
'tous en retirant des combattants efficaces' faute de frappe : 'tout en retirant des combattants efficaces'.
'— Vous êtes nobles vous aussi, s’enquit le Naytain.' ponctuation : '— Vous êtes nobles vous aussi ? s’enquit le Naytain.'.
'Saalyn était cependant trop petite pour que son coup ait porté correctement. ' plus que ça, ça serait qu'elle n'était pas à la bonne distance/bon angle. On a deux petites au krav, mais elles n'ont pas de mal à atteindre l'entrejambe.
'— Soldat, comment se fait-il qu’armé comme vous l’étiez, vous ayez pu être neutralisé aussi facilement par une femme plus petite et moins musclée.' ponctuation : 'plus petite et moins musclée ?.
'— Il se trouve que, l’interrompit-il.' faute de frappe : '— Il se trouve que oui, l’interrompit-il.'.
'— Vous êtes sûre.' ponctuation : '— Vous êtes sûre ?'.
'Son sourire aurait été intrigant sur la douleur ne lui avait arraché un petit cri.' faute de frappe : 'Son sourire aurait été intrigant si la douleur ne lui avait arraché un petit cri.'.
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