Chapitre 8 - Pire que des gosses

Notes de l’auteur : TW : Crise d'angoisse

Corentin laisse le volant à Pixie pour naviguer dans les quartiers périphériques de Strasbourg. C'est plein de travaux, de rues à sens unique, et vraiment autant laisser ça à quelqu'un qui a passé son permis en Île-de-France et pas dans la campagne bretonne.

La soirée de la veille a été plutôt agréable, à son grand étonnement. Même voir Samuel et Alexandre se bécoter entre deux tranches de pizza ne lui a pas fait si mal que ça. Bon ok, il aurait préféré sans les démonstrations de câlins en public. Mais Pixie l'a sans doute suffisamment occupé pour qu'il n'y pense plus trop.

Voilà, deux couples. Pas de problème.

Le fourgon s'engage dans une rue étroite bordée de maisons mitoyennes.

— C'est le numéro 5bis, fait Samuel.

La précision n'est pas nécessaire, Alex les attend devant un portail qui a vu des jours meilleurs, un masque sur le visage.

— C'est pas forcément pour vous, mais ma mère est toujours un peu parano, explique-t-il une fois qu'ils se sont garés devant le garage.

— Tu leur as dit quoi, du coup ? demande Pixie, toujours pragmatique.

— Le minimum. Samuel est mon petit copain, et vous l'accompagnez pour un road trip. Je savais pas si vous aviez envie d'être outés ou pas, je préfère vous laisser le choix.

— Ça poserait un problème ?

Corentin reste très suspicieux. Au regard que lui lance Pixie, il n'est pas le seul à vouloir jouer la sécurité.

— Avec ma mère je pense pas. Mon père fait attention, mais de toute façon il ne parle pas beaucoup. Mathieu risque de faire des blagues de merde par contre.

À ce moment-là un mec immense sort de la maison. Enfin immense, non. Quand il s'avance et se place à côté d'Alex, Corentin se rend compte qu'ils ont à peu près la même taille. Mais il a les épaules plus larges, un visage plus rond, et porte une barbe et des cheveux presque frisés.

Corentin attend la blague homophobe, mais celle-ci ne vient pas.

Au contraire, Mathieu, le petit-frère d'Alex donc, est plutôt sympa et presque timide face à eux. Il les salue avec le coude, ce qui serait presque mignon s'il ne transpirait pas autant l'hétérosexualité.

Malgré leurs tests négatifs, ils doivent passer par le garage pour se laver consciencieusement les mains, puis ressortent dans le jardin où a été dressée une table

— C'est ma faute, explique Mathieu. J'ai des signes de covid long, du coup on a pas vraiment alléger nos mesures sanitaires.

— C'est à dire ? demande Pixie.

Le jeune homme se gratte la tête.

— Ben, j'ai des insomnies, je m'essouffle facilement. Je ne peux plus boire d'alcool non plus. J'ai quelques soucis aussi de coordination, surtout quand je joue de la guitare. Mais là ça s'améliore un peu.

Corentin observe leur environnement.

Le jardin est bien entretenu, avec un potager et des pieds de tomates, des poireaux, et même des courgettes. Il y a un cabanon, sans doute pour les outils de jardin, et un arbre fruitier leur offre de l'ombre. La maison n'est pas grande, juste très haute. La terrasse demanderait un peu de rénovation, mais elle est propre. Et si le mobilier semble daté, tout est bien conservé.

Pas riche donc, mais ils font attention.

Corentin se souvient de ce qu'Alex a dû leur avouer la veille. Qu'il n'avait pas osé dire à Samuel parce que le sujet n'était jamais tombé sur la table, surtout pas entre deux bécots et une tournée de bière.

Ils ont du rendre le bail du studio à Paris.

Et sont à la recherche d'une solution moins chère pour qu'Alex puisse finir ses études. L'unique pour l'instant serait pour le jeune homme de rester chez ses parents et de faire l'aller-retour en TGV deux fois par mois.

— Vous êtes Corentin, c'est ça ?

La mère d'Alex vient de sortir pour poser des bols de petits gâteaux sur la table. Elle a l'air enjoué bien qu'un peu fatigué. Corentin se rend compte que sa mère lui manque un peu aussi.

— Oui. C'est moi le Breton.

— Oh, on aime beaucoup passer les vacances chez vous avec mon mari. C'est une très jolie région.

La conversation s'engage. C'est léger, moins gênant que ce à quoi Corentin s'attendait, surtout quand le père arrive avec l'alcool. Mathieu regarde les bières s'ouvrir avec une telle tristesse que Corentin décide de l'accompagner avec un jus de pomme.

— Nous avons nettoyé la chambre de Mathieu, au grenier. Vous pourrez dormir en haut les deux prochaines nuits. Mathieu et Alex dormiront en bas.

— Ah, merci ! J'avoue je ne suis vraiment pas faite pour dormir sous une tente, fait Pixie.

— Faite ?

— Fait. Pardon, ma langue a fourché.

Le père lea regarde d'un air suspicieux, mais sans aller plus loin.

Malaise 1 - Ambiance 0.

Mais ça aurait pu être pire.

 

#

 

— Ils sont cools tes parents.

Samuel a été embauché pour dessiner le jardin, pour l'offrir au grand-père d'Alex. Pixie quant à iel teste la basse de Mathieu sur la terrasse.  Très étrangement, ces deux-là s'entendent visiblement bien.

Alex lui tend une bouteille d'eau. Ils ont migré vers l'avant de la maison, au départ pour vider le fourgon, mais la flemme les a rattrapés avant.

— Ouais. Enfin j'ai eu une heure de blabla pour me signifier qu'il était impossible de dormir avec Samuel cette nuit. Et ma mère a glissé je ne sais combien de boîte de préservatifs dans mon sac, et elle croit que je ne l'ai pas vue.

— C'est cool quand même. Avec ma mère on en parle pas trop. 

— Elle est contre ?

— Oh non. Pas du tout. Juste, on en parle pas. C'est pas la peine.

Alex penche la tête sur le côté.

— Ouais, mais des fois t'aimerait bien, c'est ça ?

— Aujourd'hui ça va, explique Corentin, qui ne sait pas pourquoi c'est à Alex qu'il raconte tout ça. Mais y'a eu une période où je sortais beaucoup, presque tout le week-end, et jamais elle ne m'a demandé ce que je faisais, ou elle s'est inquiétée. Genre elle me fait beaucoup trop confiance.

Alex ne répond pas tout de suite. Puis :

— Au moins elle était au courant. J'ai passé quasiment tous mes week-ends à Paris en boîte. 

— Mais c'est pas hors de prix ?

— Pas si tu te fais inviter. Et j'y arrivais assez souvent.

La mère d'Alex ouvre la porte du garage à ce moment-là :

— Si vous voulez que je fasse votre lessive avant ce soir, dépêchez-vous un peu !

 

#

 

Pixie prend le lit queen-size pour iel.

— Viens, mon canard, je te fais de la place.

Et visiblement pour Sam.

Cela dit le matelas sur lequel s'allonge Corentin est tout à fait correct, même si ses pieds dépassent un peu de la couverture.

— Arrête, je suis pas un gosse non plus, fait Samuel tout en remontant les couvertures jusque sous son nez.

L'air s'est un peu rafraîchi en soirée, mais Corentin ne comprend pas comment il peut supporter de se couvrir comme ça. Ils sont sous les toits, il doit faire bien plus de vingt degrés ! Même en laissant la fenêtre ouverte.

— Je suis plus vieille que toi de trois ou quatre ans, j'ai le droit de t'appeler mon canard. Tu peux m'appeler sempai d'ailleurs, comme marque de respect.

— Chut...

— Quoi.

— Fais pas trop de bruit, ils doivent dormir en bas...

Corentin sourit dans l'obscurité. On dirait vraiment des mômes.

 

#

 

Ce sont des gémissements qui le réveillent. Corentin regarde vite fait son portable : il est deux heures du matin à peine. Et le bruit vient du lit. Un nouveau gémissement puis un sanglot. Alarmé, le jeune homme se lève, la lumière de son portable tendue devant lui.

La place de Samuel est vide mais il n'a pas le temps de s'en inquiéter. De l'autre côté du matelas, Pixie est repliée sur iel-même, tremblant, les muscles complètement tendus.

Corentin allume la petite lampe de chevet et s'assoit sur le bord du matelas. Son ami est en plein cauchemar peut-être. Est-ce qu'il doit le réveiller ? Et puis pourquoi Samuel n'est pas là ?

— Hey, Pixie ?

— Pardon...

Iel était réveillée.

— Je ne voulais pas faire de bruit.

Dit entre deux sanglots. 

Corentin s'agenouille pour être à sa hauteur et passe une main sur son visage mouillé.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Pixie cherche à répondre, mais sa respiration se fait de plus en plus rapide. Et ça, Corentin connaît. C'est le même genre de truc que faisait Sam quand il est arrivé de Paris. Une putain de crise de panique.

Sans hésiter, Corentin s'installe contre Pixie et lea force à se redresser. Il lea sert entre ses bras pour lea balancer doucement d'avant en arrière. Il s'écoule trois, cinq, dix minutes avant que la respiration de Pixie retrouve son rythme normal.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Corentin tourne la tête vers la porte. Samuel est là debout, les joues rouges et les lèvres gonflées. Eh bien forcément tiens ! Ça l'aurait étonné que les deux imbéciles restent sages plus de deux minutes ! Une subite colère envahit Corentin mais Pixie doit le sentir, car iel tremble à nouveau. Le Breton essaie de se calmer et de parler le plus diplomatiquement possible.

— Est-ce que tu peux demander à Alex de remonter quelque chose pour calmer Pixie ? Et va me chercher un gant de toilette humide et une serviette.

Samuel s'exécute sans poser de questions.

Il revient vite avec ce que Corentin lui a demandé. Pixie ne veut pas le lâcher, alors c'est Sam qui lui nettoie doucement le visage.

— Tu veux te changer ? Mettre un autre tee-shirt ? Aller aux toilettes ?

Iel secoue la tête.

Alex arrive à ce moment-là avec bien plus que ce que Corentin attendait : un plateau avec de l'eau chaude, des tasses, de la tisane, du miel, et un cachet de Lexomil.

— Ma mère m'a entendu, fait-il en déposant son barda sur le bureau de Mathieu. 

— Tu lui as dit quoi ? demande Sam.

— Ce que tu m'as dit : que Pixie se sentait pas bien, qu'il faisait une crise d'angoisse.

— Iel, putain.

— Quoi ?

— Utilise...

— Ça suffit !

Pixie, déjà à moitié endormi, a glissé dans les bras de Sam. Ce dernier regarde les deux autres avec dureté.

— Si vous êtes pas capable de parler calmement, allez dormir ailleurs.

— Pardon.

— Ouais, pardon Sam. Pardon Pixie.

Après ça l'atmosphère se détend. Alexandre leur donne chacun une tasse de tisane agrémentée d'une bonne rasade de miel. Pixie vide la sienne en trois gorgées avant d'en demander à nouveau. 

— Tu veux prendre quelque chose pour dormir ?

Pixie regarde Alex puis le cachet de Lexomil qu'il a dans la main.

— Non, ça va aller. Merci.

— Ok.

— Tu peux rester ici ?

— Euh, oui bien sûr.

Installer quatre mecs dans un lit, même double, n'est pas particulièrement facile, mais ils finissent par y arriver. Pixie a de nouveau pris Samuel contre iel. Corentin se glisse derrière iel en cuillère, ce qui l'aurait passablement excité en toute autre circonstance. Alex fait de même de l'autre côté avec Sam.

C'est Alex qui brise une dernière fois le silence.

— Pixie ? T'as arrêté les anti-dépresseurs ?

— Je... J'en avais plus.

Le corps de Pixie se colle un peu plus à Corentin. Par réflexe il lea sert un peu plus aussi contre lui.

— Tu n'as pas pu avoir de prescription ? demande Samuel, la voix endormie.

— Mon médecin est transphobe. Et raciste aussi je crois. Ça... Ça va pas du tout.

— Shhh... On trouvera une solution demain, finit par dire Corentin.

— On peut rester quelques jours de plus ici, ajoute Alex. Le temps de trouver quelque chose. Je suis sûr que notre médecin de famille pourra faire quelque chose.

— Merci.

Corentin met longtemps à se rendormir.

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