Chapitre 9 : Stalker, hacking et accident de la route.

[ 1 ]

Yerin avait d'abord cru à une erreur. Elle avait ensuite cru à une mauvaise blague. Elle pensait que les messages venaient de Hye-ji. Qu'elle essayait de lui faire peur. Elle l'avait confrontée à ce sujet, mais Hye-ji avait nié en bloc.

— Tu crois que j'ai ton temps ? J'ai pas que ça à faire.

— T'as bien le temps d'embêter Min-ji.

— Tu sais pourquoi c'est elle que j'embête et pas toi ? Parce que c'est ce que t'aimerais. Tu préférerais que ce soit toi, parce que tu détestes voir tes amis souffrir. T'es tellement prévisible, c'est pathétique. Mais tu sais quoi ? Min-ji est comme toi. Elle préfère que ce soit elle, parce qu'elle veut pas que tu sois prise pour cible. C'est vraiment trop drôle !

— T'es vraiment qu'une connasse...

— Pardon ? Qu'est-ce que t'as dit ? Répète un peu, pour voir !

— J'ai dit que t'étais une connasse ! Tu veux te battre ?

Peut-être que Jong-goo commençait à déteindre sur elle, car Yerin avait empoigné son ennemie jurée par les cheveux. Elle tirait fort et n'avait pas l'intention de lâcher.

— Aïe ! Lâche-moi, salope ! Mes cheveux ! Aidez-moi, vous ! Arrêtez-là !

Seori et Ga-eul s'étaient jetées dans la mêlée, toutes griffes dehors. Yerin en avait mordu une au poignet et elle avait donné un coup de coude dans les côtes de l'autre. Finalement, c'était un professeur qui passait par là qui les avait séparées. Elles avaient été immédiatement envoyées dans le bureau des professeurs pour rendre des comptes à M. Lee. Personne ne voulait parler de ce qui avait déclenché la dispute. Face à leur mutisme obstiné, M. Lee leur avait fait rédiger une lettre d'excuse formelle et elles seraient de corvée de classe pendant une semaine.

Yerin avait fait de son mieux pour se recoiffer et gommer les signes de bagarre, mais elle ne pouvait pas cacher les marques de griffures au visage et sur ses mains. Hye-ji et ses fichus ongles de sorcière.

— Qu'est-ce qui t'est arrivé ? demanda Jong-goo en la regardant de haut en bas.

— Je me suis battu avec Hye-ji, avoua-t-elle en bougonnant.

— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle t'a fait ? demanda Min-ji avec inquiétude.

— Rien. Elle m'a énervée. Comme d'habitude. Bref, on ferait mieux de rentrer. Je suis fatiguée.

[ 2 ]

Yerin avait été étrangement silencieuse dans le métro. En rentrant, elle avait demandé à sa mère d'annuler son cours particulier. Elle n'était pas d'humeur à travailler. Elle ne voulait pas parler de la raison de sa dispute avec Hye-ji, malgré les sollicitations de sa mère. Elle s'était enfermée dans sa chambre et ne voulait plus en sortir. Elle avait même sauté le dîner.

— Jong-goo, tu ne veux pas essayer de lui parler ? demanda Mme Kim en le suppliant du regard. Ça ne lui ressemble pas de se comporter comme ça. Ça m'inquiète.

— Je vais essayer.

Il avait frappé à sa porte plusieurs fois. Pas de réponse. Il avait essayé d'ouvrir la porte, mais elle l'avait fermée à clé. Il avait essayé de l'appeler sur son téléphone, mais elle avait ignoré ses appels. En dernier recours, il avait décidé de la spammer de messages.

Ce qu'il ne savait pas, c'est que Yerin ne supportait plus les vibrations de son téléphone. Chaque nouvelle notification l'emplissait d'une indicible angoisse. Elle n'osait même plus regarder son écran de peur de voir s'afficher les messages insistants de celui qu'elle soupçonnait être un stalker. Comment il avait eu son numéro et comment il savait toutes ces choses sur elle, elle n'en savait rien. Il lui envoyait même des photos qu'il avait prises d'elle à son insu. La plupart des photos avaient été prises à l'école, mais sur d'autres, on la voyait près de chez elle, alors qu'elle entrait dans son immeuble.

Tous les soirs, il la harcelait de messages. Il disait être son admirateur secret, qu'elle était jolie, qu'il avait hâte qu'elle grandisse et qu'elle devienne encore plus belle. Il voulait en faire sa femme, la couvrir de cadeaux et la combler de bonheur. Il lui demandait de répondre par des emojis en forme de cœur ou qu'elle lui envoie des selfies en prenant des poses mignonnes. Son obsession dérangeante se muait en menaces cruelles si elle ne répondait pas à ses messages.

Au début, elle avait bloqué le numéro, mais à peine deux minutes plus tard, elle avait reçu de nouveaux messages du même genre provenant d'un numéro différent. Elle avait essayé de le bloquer deux ou trois fois de plus, puis avait abandonné. Il finissait toujours par revenir et il devenait agressif si elle n'allait pas dans son sens.

La seule solution, c'était de faire changer son propre numéro, mais pour cela il fallait être titulaire de la ligne. Et le titulaire du contrat, c'était sa mère. Elle avait donc pris sur elle pour ignorer les messages. Elle avait tout fait pour ne pas se laisser intimider. C'est là qu'elle avait commencé à recevoir des messages directement dans son casier, au collège. Elle en avait même trouvés dans son sac de cours.

Les enveloppes contenaient des photos d'elle et des messages menaçants, tapés à l'ordinateur. Il y avait aussi des photos de sa mère au salon de coiffure et de Jong-goo qui, sans grande surprise, avait été pris en flagrant délit de bagarre. Il y avait même des photos de Min-ji devant le restaurant de ses parents et de Min-jun à l'entraînement de taekwondo.

Les messages étaient tous à peu près les mêmes. Si elle ne voulait pas qu'il arrive malheur à sa famille et à ses amis, elle n'avait pas intérêt à l'ignorer. Elle devait faire tout ce qu'il lui demandait. Il n'avait encore rien exigé d'indécent, mais elle savait que ce n'était qu'une question de temps.

Hye-ji affirmait que ce n'était pas elle, et Yerin la croyait. Non pas qu'elle n'était pas capable de ce genre de chose, mais tout cela semblait bien trop élaboré pour quelqu'un d'aussi mesquin. Quelqu'un faisait suivre sa mère, Jong-goo, et même Min-ji et Min-jun. On aurait presque dit l'œuvre de plusieurs personnes.

Cela faisait à peine une semaine que ça durait, mais Yerin était déjà à bout de nerfs. Elle avait perdu l'appétit. Elle ne dormait plus. Elle avait peur de sortir de chez elle. Elle ne voulait pas retourner à l'école. Pourtant, elle ne pouvait pas se résoudre à en parler. Elle avait peur pour elle, mais surtout, elle avait peur pour sa famille et ses amis. Elle ne pouvait pas prendre ces menaces à la légère.

[ 3 ]

Jong-goo avait attendu une réponse, en vain. Il avait hésité à forcer la serrure de sa porte, mais même s'il arrivait à rentrer dans sa chambre, que pouvait-il bien lui dire ? Ce n'est pas comme s'il pouvait la frapper pour la faire parler. À la place, il avait appelé Min-ji pour savoir si elle avait remarqué quelque chose d'anormal.

— Hm... c'est vrai qu'elle avait l'air un peu déprimée, mais elle m'a dit qu'elle était juste fatiguée. Elle a du mal à dormir à cause du stress des sélections.

— T'es sûr que c'est tout ? Tu n'as rien remarqué d'autre ?

— Non, mais pourquoi tu me demandes ça ? Tu vis avec elle, tu la vois tous les jours, tu la connais mieux que moi, non ?

Elle marquait un point. Il n'avait pas été assez attentif.

— Tu pourras essayer de lui parler demain ? demanda-t-il. Elle ne répond pas à mes messages.

— D'accord. J'espère vraiment que ce n'est rien de grave. Il est tard, faut que je dorme. À plus !

Jong-goo avait pensé à appeler Min-jun, puis il s'était souvenu qu'il faisait bande à part depuis quelque temps. Il n'en savait sans doute pas plus que Min-ji.

[ 4 ]

Le petit-déjeuner de ce vendredi matin était maussade. Yerin broyait du noir. Sa mère lui avait préparé un repas de compétition en prévision des sélections de l'après-midi, mais elle y avait à peine touché.

— Yerin, il te faut de l'énergie. Si tu ne manges rien, tu vas t'évanouir.

— Je n'ai pas faim, répondit-elle. Je mangerai ce midi à la cantine.

Sur le chemin de l'école, Jong-goo avait essayé de lui tirer les vers du nez. Sans succès.

— Tu ne veux vraiment pas me dire ce qui va pas ?

— Tout va bien. Je suis juste stressée à cause des sélections.

— Je m'appelle pas Min-ji. Ton excuse bidon marche peut-être avec elle, mais je suis pas con. Tu surréagis un peu trop pour un peu de stress.

— Je te dis que ça va. Tu ferais mieux de t'occuper de toi. T'es en inclusion jusqu'à mercredi prochain et t'as déjà trouvé le moyen de te battre. Tu veux vraiment te faire renvoyer ?

— Ne change pas de sujet. C'est de toi qu'on parle.

— Eh bien, j'ai pas envie d'en parler. Laisse-moi tranquille.

Jong-goo commençait à être sérieusement irrité par son refus obstiné de lui dire ce qui la tracassait.

— Très bien. Comme tu veux. Mais faudra pas venir pleurer plus tard. Je t'ai donné une chance, après c'est trop tard. Compte pas sur moi pour t'aider.

[ 5 ]

Un vendredi maudit. Et ce n'était même pas un vendredi treize. Yerin avait raté la barre. Elle était trop épuisée, physiquement et mentalement, pour rester concentrée et mobiliser son énergie. Sa vision s'était troublée un bref moment, elle avait perdu sa force, et ses doigts n'avaient fait qu'effleurer la barre. Elle était tombée lourdement sur le matelas de réception.

Elle ne s'était pas fait mal, mais quand elle avait essayé de se relever, elle avait été prise de violents vertiges. Elle avait fini par perdre connaissance. Elle avait été évacuée directement aux urgences. De son côté, Min-ji n'avait pas fait mieux. Sa cheville avait lâché avant qu'elle n'atteigne la ligne d'arrivée et elle avait été disqualifiée.

Jong-goo était monté dans l'ambulance avec Yerin. Il avait immédiatement contacté le secrétaire Park qui en avait informé Mme Kim. Les médecins avaient parlé de surmenage, de stress aigu, et d'hypoglycémie. Ils l'avaient mise sous perfusion et lui avaient prescrit du repos. Elle avait repris connaissance un peu plus tard dans la soirée.

— Yerin, dit doucement sa mère qui veillait à son chevet. Tu es réveillée ? Ça va ? Tu veux que j'appelle une infirmière ?

— Ça va... dit-elle d'une voix pâteuse. Maman, mon téléphone, il est où ?

— Il est là. Je l'ai éteint, pour que tu sois tranquille.

Yerin ferma les yeux un instant.

— Il est quelle heure ?

— Hm. Vingt-et-une heures dix.

— Je peux avoir mon téléphone, s'il te plaît ?

— Oui, tiens. Mais tu devrais te reposer.

— Je veux juste dire à mes amis de ne pas s'inquiéter. Maman, tu peux aller m'acheter une bouteille d'eau s'il te plaît ? J'ai soif.

— Bien sûr, ma chérie. Je reviens vite.

Profitant de la brève absence de sa mère, Yerin avait consulté ses messages. Il y avait quelques messages de Jong-goo et Min-ji, mais ceux qui la préoccupaient vraiment étaient ceux du stalker. Il voulait savoir pourquoi elle n'était pas rentrée chez elle et pourquoi elle ne répondait pas à ses messages.

"Je suis à l'hôpital" tapa-t-elle nerveusement.

"Vraiment ? Prouve-le."

Elle lui envoya un selfie et une photo de sa chambre d'hôpital.

"Je devrais te rendre visite. Une si jolie fille doit prendre soin de sa santé. Je t'apporterai des fleurs."

Yerin avait envie de vomir. Elle ne savait même pas ce qu'elle était supposée répondre à cela.

"Merci. Je suis fatiguée, je vais dormir." Elle avait rajouté un cœur pour adoucir un peu le ton du message. Elle espérait que cela suffirait à le satisfaire, du moins pour le moment. Elle sentait l'angoisse montait en elle. Est-ce qu'il comptait vraiment venir ici ? Est-ce qu'il essayait juste de lui faire peur ?

Dès que sa mère était revenue, elle lui avait dit qu'elle se sentait mieux et qu'elle voulait rentrer à la maison. C'était le seul endroit où elle se sentait en sécurité.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu viens tout juste de te réveiller. Le médecin a dit qu'il devait te garder en observation jusqu'à demain. Je vais rester avec toi, alors ne t'inquiète pas.

— Tu es sûre ? Tu ne vas nulle part, hein ?

— Je vais rester là, juste à côté de toi. Mais tu m'inquiètes vraiment. Le médecin a parlé de crise de stress aigu. C'est l'école qui te stresse autant ? Tu as des problèmes avec tes camarades ?

— Non, ce n'est pas ça. Je me suis juste mis la pression pour les sélections, mais je me suis quand même ratée. C'est pas grave, je ne voulais pas vraiment participer aux championnats régionaux de toute façon. C'est le coach qui a insisté. Ça ira mieux avec un peu de repos.

Depuis quand arrivait-elle à mentir aussi naturellement ? Elle ne se reconnaissait même plus. Elle perdait complètement pied.

[ 6 ]

— Tu as de la visite, annonça sa mère.

— C'est Jong-goo ?

— Non. C'est le Dr Ahn, ton médecin scolaire. Il a entendu parler de ton malaise, il voulait te rendre visite.

— Yerin ! la salua-t-il avec un sourire chaleureux. J'espère que ça va mieux. Tiens, je t'ai apporté des fleurs.

Il posa le bouquet de gardénias blancs et rouges sur sa table de chevet.

— Merci, c'est gentil, mais ce n'était pas nécessaire.

— Ne t'en fais pas, je ne suis pas venu juste pour toi. J'avais rendez-vous avec un ancien collègue qui travaille ici. Et il se trouve justement que tu étais aussi hospitalisée ici. Le hasard fait bien les choses, n'est-ce pas ?

— Oui, je suppose... dit-elle en forçant un sourire poli.

Elle appréciait le Dr Ahn, il avait toujours été très gentil et attentionné envers elle, mais même sa bonne humeur et son positivisme n'arrivaient pas à lui remonter le moral.

— J'ai entendu dire que Min-ji avait été disqualifiée. Elle s'est blessée avant la ligne d'arrivée. Je savais que c'était risqué, je n'aurais pas dû l'encourager.

— Ce n'est pas votre faute. Elle voulait vraiment courir, elle l'aurait fait quoi qu'il arrive.

— C'est vrai. Tu es vraiment gentille, Yerin. Tu fais toujours passer les autres avant toi. C'est très admirable, mais tu devrais aussi penser à toi. Ta maman m'a dit qu'elle s'inquiétait pour toi. Elle pense que tu te fais harceler. Elle m'a dit que ça t'était déjà arrivé au primaire. En tant que médecin scolaire, c'est mon travail de veilleur sur la santé physique et mentale des élèves. Tu sais que tu peux tout me dire.

Yerin se crispa. Elle avait hésité quelques secondes, mais s'était aussitôt ravisée. Elle ne voulait pas impliquer le Dr Ahn dans cette histoire.

— Merci, mais ça va. Ma mère s'inquiète pour rien.

— Je vois. Si jamais tu changes d'avis, je suis là. Je te laisse te reposer. À bientôt.

Il posa une main compatissante sur son épaule, puis se leva pour quitter la pièce. Dans le couloir, Yerin aperçut le visage soucieux de sa mère alors qu'elle échangeait quelques mots avec le médecin scolaire. Elle devait avoir demandé au Dr Ahn de lui parler, mais lui non plus n'avait pas réussi à lui faire cracher le morceau.

[ 7 ]

Jong-goo était occupé ailleurs. Il n'avait pas envie de demander de l'aide à ce petit morveux de Kouji, mais il était à court d'idées. Hacker de génie âgé de onze ans seulement, Kouji était un des prodiges que M. Choi avait récemment recruté. Il avait un autre point commun avec Jong-goo : il adorait l'argent et ne faisait jamais rien gratuitement.

Il habitait tout seul dans un studio au-dessus d'un cybercafé. Il se nourrissait de nouilles instantanées et de sucreries Son contrat avec M. Choi l'obligeait à aller à l'école tous les jours, mais le reste du temps, il restait enfermé dans son taudis à programmer des logiciels et à essayer de hacker tout ce qu'il pouvait.

— Tu veux que je trouve des informations sur ce Dr Ahn ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

— Rien pour l'instant, mais je le sens pas.

— Et qu'est-ce que j'y gagne ?

— Je te paierai, mais seulement si tu trouves quelque chose d'utile.

— Je vais voir ce que je trouve, dit-il en s'étirant les doigts.

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour mettre la main sur toutes les informations qu'internet avait à régurgiter sur le sujet. Et c'était peu de choses. Tout d'abord, Ahn Gi-eun était un ancien élève de la KGS. Il avait obtenu son diplôme dix ans plus tôt. Il avait même été président du conseil des élèves pendant trois ans. C'était un élève modèle avec une conduite irréprochable et des notes exceptionnelles.

L'autre information était plus intéressante. Trois ans plus tôt, une élève en dixième année s'était suicidée dans le lycée où il travaillait. Elle s'était jetée du toit de l'école. Il avait démissionné peu de temps après, car il se sentait responsable de ce qui était arrivé à cette malheureuse jeune fille. Il n'avait pas été assez attentif et n'avait pas remarqué sa détresse.

Du moins, c'était la version relatée par les quelques articles de presse publiés à l'époque. En dehors de cela, l'affaire avait fait assez peu de bruit. Des cas de suicides chez les jeunes, il y en avait des dizaines tous les jours. Ce n'était pas vraiment un scoop digne de faire la une des journaux.

— Tu peux trouver plus d'informations sur le suicide de cette fille ?

— Je vais fouiller du côté des réseaux, mais je garantis rien. Le plus rapide, ce serait d'avoir accès à son téléphone, mais pour ça faudrait installer un logiciel espion. Si j'avais son numéro, je pourrai lui envoyer un spam, mais faut qu'il clique sur le lien pour que ça marche. Sinon, faut le faire manuellement.

— Je peux le faire.

— Dans ce cas, prends-ça, lui dit Kouji en lui tendant une clé USB. Tu branches ça directement sur son téléphone. Ça devrait prendre une ou deux minutes maximum. Je te contacterai si je trouve autre chose.

[ 8 ]

Les jours suivants avaient été plutôt calmes. Yerin avait pris une semaine de repos. Min-ji lui envoyait les cours pour qu'elle ne prenne pas trop de retard. Mais la raison pour laquelle elle se sentait beaucoup mieux, c'est qu'elle n'avait pas reçu de message de la part de son stalker depuis quelques jours. Puis mardi soir, les messages avaient repris. Cette fois-ci, Yerin sentait que les choses étaient différentes. Elle était au pied du mur.

"On devrait se voir."

Elle ne voulait pas le voir. Elle voulait qu'il disparaisse. Elle voulait disparaître.

"Non. Je ne dirai rien, alors arrête. Mais si t'arrêtes pas, je te dénonce à la police. Je suis sérieuse. Je vais vraiment le faire."

Ses mains tremblaient alors qu'elle tapait le message. Elle avait l'impression de signer son propre arrêt de mort. Pourtant, si elle ne se libérait pas de son emprise, elle avait le sentiment qu'elle allait vraiment mourir. Elle hésita un long moment, puis pressa le bouton envoyer.

Pas de réponse. Ce silence était étrangement inquiétant. Ou peut-être qu'il avait vraiment peur qu'elle le dénonce ? Elle se donnait quelques jours, mais s'il la recontactait, elle irait voir la police.

[ 9 ]

Ce lundi matin, les garçons de la 7ème3 avaient été réunis dans une salle et les filles dans une autre. L'infirmière, Mlle Suk Min-ah, dispensait l'heure d'éducation sexuelle au groupe de filles, tandis que le Dr Ahn prenait en charge celui des garçons.

Jong-goo avait été exceptionnellement relevé de ses obligations ménagères. C'était un cours d'utilité publique, il était donc sommé d'y assister. Et puisque c'était le Dr Ahn qui allait éclairer leurs lanternes sur ce sujet sensible, il ne voulait rater ça pour rien au monde.

Le Dr Ahn commença par leur lire un extrait du texte de prévention contre les agressions sexuelles commises à l'encontre des femmes. Le contenu de ce texte rédigé par le ministère de l'Éducation nationale était pour le moins inattendu.

— "Le désir masculin est imprévisible. Il est naturel pour les hommes de vouloir être remerciés pour l'argent qu'ils ont dépensé lors d'un rendez-vous amoureux ou autres situations équivoques et qu'en conséquence, des viols puissent arriver. Les femmes doivent prendre leurs précautions pour éviter ces situations."

Les élèves échangèrent un regard perplexe. L'un d'entre eux leva la main.

— Docteur, c'est vraiment un texte officiel du gouvernement ?

— Oui. Qu'est-ce que vous en pensez ? Ceux qui sont d'accord avec ces affirmations, levez la main.

Les élèves échangèrent de nouveau un regard confus. Puis quelques mains se levèrent. Cinq ou six tout au plus, ce qui représentait tout de même la moitié des garçons de la classe.

— Ceux qui ont levé la main, expliquez-moi votre raisonnement. Pourquoi êtes-vous d'accord avec cette idée ? Oui, toi. Je t'écoute.

— Ben, des fois, les filles c'est un peu des chaudasses. Elles sont là avec leur mini-jupes et leur maquillage, à montrer leur cul et à danser sur TikTok pour faire des vues. Elles veulent de l'attention, mais quand on leur en donne, elles nous traitent comme si on était des gros pervers.

— Les filles elles ne savent pas ce qu'elles veulent de toute façon, renchérit un autre. Quand elles disent non, ça veut dire oui. Quand elles disent oui, ça veut dire non. Faut laisser les hommes prendre les décisions.

— C'est... une façon de voir les choses, répondit le Dr Ahn. Les autres, ceux qui n'ont pas levé la main, qu'avez-vous à dire sur le sujet ?

Min-jun leva la main.

— Ce n'est pas juste de blâmer les filles. Elles n'ont même pas le choix, elles sont obligées de porter des jupes à l'école. Certaines portent des leggings ou des shorts en dessous parce que ça les met mal à l'aise et qu'elles ne veulent pas attirer l'attention des garçons. C'est le gouvernement qui impose cette tenue aux filles, et après ils les accusent de provoquer les hommes. C'est n'importe quoi.

— Je vois. Et tu as tout à fait raison. Le vrai problème, c'est l'hypocrisie de notre société et le rôle qu'on exige des femmes. On essaye de concilier traditions et modernité, et cela mène à ce genre de dérives. On rejette la faute sur l'individu, alors qu'on devrait prendre nos responsabilité en tant que collectivité. Et toi, Jong-goo, qu'est-ce que tu en penses ?

— J'en pense qu'un homme fort doit apprendre à se contrôler. Ceux qui ne savent pas se contrôler sont des bêtes. Mais vous voyez, M. Ahn, moi je suis fort, mais j'ai du mal à me contrôler. Des fois j'ai des pulsions meurtrières, et c'est vraiment dur de me retenir.

Il avait dit cela en regardant le médecin bien droit dans les yeux. Le Dr Ahn avait perdu son sourire, l'espace d'un instant, puis il avait balayé le commentaire de Jong-goo sous le tapis comme s'il s'agissait d'une simple plaisanterie de mauvais goût.

— Ce n'est pas le moment de faire des blagues, dit le médecin en prenant un air sévère. Je laisse passer pour cette fois, mais j'attends de vous le plus grand sérieux. Ce n'est pas un sujet à prendre à la légère. Ce qu'il faut retenir de tout cela, c'est que quoi qu'il arrive et quelles que soient les circonstances ou ce qu'en dit le gouvernement, le plus important, c'est la notion de consentement. Je n'ai pas besoin de vous expliquer ce qu'est le consentement, si ?

Les élèves secouèrent la tête.

— Et pour ceux qui ont levé la main en faveur du texte de loi, continua-t-il, vous devrez me soumettre une dissertation sur la notion de consentement avant la fin de la semaine. Faites ça bien, ce sera noté. C'est compris ?

Les élèves concernés avaient vivement protesté à la mention de devoirs supplémentaires, mais ce n'était pas négociable. La suite du cours portait sur les différents modes de protection et de contraception. Dr Ahn avait une nouvelle fois insisté sur le fait que les femmes étaient celles qui prenaient le plus de risque lors des rapports sexuels. Il était donc de la responsabilité des hommes d'être prudents et de ne pas faire courir de risque inconsidéré à leur partenaire.

— Mais docteur, fit un élève en levant la main. Si une fille tombe enceinte, elle peut toujours avorter. C'est pas vraiment notre problème.

— T'es con ou quoi ? lui lança Min-jun, l'air sidéré. Tu crois que c'est comme couler un bronze ? Et puis comment ça, c'est pas ton problème ? Elle est pas tombée enceinte toute seule.

— Calmez-vous, les enfants ! s'exclama Dr Ahn en haussant le ton. On ne se dispute pas en classe. On peut en débattre calmement. Jong-goo ? Qu'est-ce que tu fais ? Retourne à ta place !

Jong-goo ignora l'avertissement solennel du médecin. Il s'avança jusqu'au bureau du garçon qui avait tenu ce propos totalement débile. Il l'attrapa par son blouson et l'obligea à se lever. Avant que son camarade ne puisse protester, il lui asséna un violent coup de genou dans les parties intimes. Son camarade s'effondra par terre en se tenant l'entrejambes.

— T'es complètement taré, gémit-il en se roulant de douleur par terre. Pourquoi t'as fait ça ? Putain, mes couilles...

— J'ai réglé ton problème. Le meilleur moyen de ne pas avoir de gosses, c'est de ne pas pouvoir en faire. Ne me remercie pas. Tout le plaisir est pour moi.

— Espèce de... Tu vas me le payer !

Le Dr Ahn avait assisté à la scène sans intervenir. Il avait l'air plus amusé que scandalisé par le geste de Jong-goo.

— Bon, je pense qu'on va arrêter le cours là pour aujourd'hui. Jeune homme, vous devriez aller à l'infirmerie. Et vous M. Kim Jong-goo, vous irez vous expliquer dans le bureau du principal. Les autres, vous êtes libérés. Vous pouvez retourner dans votre salle habituelle en attendant le prochain cours.

[ 10 ]

Jong-goo s'était fait passer un savon par le principal qui en perdait ses cheveux, sa calvitie de plus en plus apparente depuis que ce fauteur de trouble sévissait dans son établissement. Sa punition, qui devait se terminer aujourd'hui, avait été prolongée jusqu'à la fin de la semaine.

Dans l'après-midi, Jong-goo avait utilisé les deux kékés pour faire diversion pendant qu'il installait le logiciel espion sur le téléphone du Dr Ahn. L'analyse de Kouji était formelle : il n'y avait absolument rien de suspect sur son téléphone.

— Je dirais que le truc le plus suspect c'est justement qu'il n'y a rien sur son téléphone, lui dit-il à l'autre bout du fil. Pas une seule photo et pas un seul morceau de musique. Après, si c'est son téléphone professionnel, ça s'explique. Tous ses contacts sont liés à son travail. Il n'y a rien de personnel dessus, mais j'ai rarement vu un téléphone aussi clean. Il doit avoir un autre téléphone.

— Et concernant la fille qui s'est suicidée, t'as trouvé quelque chose ?

— Oui, j'ai retrouvé des trucs sur les réseaux et j'ai mis la main sur une de ses amies. Je lui ai dit que tu travaillais sur un projet pour l'école et que tu avais des questions à lui poser. Quand je lui ai montré ta photo, elle a accepté de te voir.

— T'as fait quoi ? En fait, laisse tomber. Quand est-ce que je peux la voir ?

— Mercredi soir à 18h30. Je t'envoie l'adresse.

Jong-goo s'était mis sur son trente-et-un. Il voulait faire bonne impression. Assis à une table du café, il attendait patiemment que son rencard se pointe. Elle avait quinze minutes de retard.

— Kim Jong-goo, c'est toi ? demanda-t-elle en s'arrêtant à sa table.

— Oui.

— Tu as quel âge ?

— Treize ans.

— Sérieux ?! Je pensais que tu étais plus vieux.

Elle avait l'air déçue.

— Enfin, puisque je suis là...

La jeune étudiante prit place en poussant un soupir résigné.

— Je suis Baek Sa-na. On m'a dit que tu avais des questions à me poser.

— Oui. Ton amie qui s'est suicidée, j'aimerais savoir ce qui s'est passé exactement.

— J'aimerai bien le savoir aussi... Ju-ri allait mal, ça se voyait, mais elle ne voulait rien dire. Elle était moitié parano, elle faisait des crises de nerfs et pleurait tout le temps. Elle était très sensible et émotive. Elle a fini par s'isoler complètement. Puis un jour, elle a sauté du toit... Mais il y a une chose que je suis la seule à savoir.

— Quoi donc ?

— Quand Ju-ri s'est suicidée, elle était enceinte. Mais elle n'avait pas de copain. Pas à ma connaissance du moins.

— Et comment tu sais ça ?

— J'ai fouillé dans ses affaires. Je voulais savoir ce qui n'allait pas avec elle, et j'ai trouvé un test de grossesse positif. Après sa mort, j'en ai parlé à la police. Le test de grossesse avait disparu, mais l'autopsie a confirmé qu'elle était bien enceinte.

— Le test a disparu ?

— Oui. Peut-être qu'elle voulait cacher sa grossesse et qu'elle l'a jeté.

— La police est sûre que c'était un suicide ?

— Ils ont envisagé le fait que quelqu'un ait pu la pousser, mais il n'y avait aucune preuve, donc ils ont conclu à un suicide.

— Et le Dr Ahn ? Il était comment ?

— Le Dr Ahn ? fit Sa-na avec étonnement. Qu'est-ce qu'il a à voir là-dedans ?

— J'ai entendu dire qu'il avait démissionné peu de temps après. Qu'il se sentait coupable.

— C'est vrai. Il était vraiment bouleversé. Il pleurait toutes les larmes de son corps à son enterrement.

C'était tout ce qu'elle avait à dire. Jong-goo avait remercié Sa-na et lui avait payé sa boisson. Plus il creusait cette affaire, plus tout cela lui semblait très suspect. Il ne croyait pas aux coïncidences. Il n'y avait pas de fumée sans feu. Il y avait forcément un lien entre le suicide de cette lycéenne et le Dr Ahn, mais comment le prouver ?

Il ne trouverait rien de plus aujourd'hui, il ne lui restait plus qu'à rentrer chez lui. Le feu piéton venait de passer au rouge et les voitures avaient redémarré dans un vrombissement de moteurs. Quelqu'un le poussa violemment dans le dos. Pris dans les phares de la voiture qui prenait de la vitesse, il avait eu une demi-seconde pour réagir. Il avait agi par réflexe. Il pouvait remercier Lee Do-gyu et ses arnaques à l'assurance. Se faire renverser par des voitures au feu rouge en minimisant les dégâts, c'était sa spécialité.

D'une main, il prit appui sur le capot de la voiture pour se propulser dans les airs et protéger ses jambes. Il heurta le pare-brise de plein fouet et fut projeté quelques mètres plus loin. Il avait enchaîné avec une roulade pour amortir sa chute, mais son bras heurta le bitume plus fort que prévu. Il serra les dents alors qu'une douleur aiguë se diffusait dans son bras.

Jong-goo s'était relevé malgré son bras cassé. Il avait mal partout et tenait à peine debout, mais ses blessures étaient superficielles. Il cherchait le coupable parmi la foule massée autour de lui. Il était là, un peu en retrait. Un homme vêtu d'un blouson noir. Téléphone à la main, il filmait la scène. Il portait un masque, une casquette et des gants en cuir noir, mais ce qui avait attiré l'attention de Jong-goo, c'était le bracelet qu'il portait au poignet. Un bracelet en cuir tressé serti d'une perle. Une perle noire. Cho Do-yun.

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