C’était de la folie, Hétaïre le savait, mais elle avait le sentiment d’être coincée dans une pièce dont les quatre murs se rapprochaient inexorablement d’elle. Le temps du choix était révolu, il fallait trouver la sortie, même si, elle en avait conscience, il s’agissait d’une solution à court-terme. Que faire une fois dehors, avec un sujet super-fécond sur les bras dont l’image figurerait nécessairement sur un avis de recherche diffusé dans les Etats du Nord. Elle avait exigé de 735 qu’il reste auprès d’elle durant les premiers temps de leur cavale et il s’y était engagé : ils ne partiraient chacun de leur côté qu’une fois qu’elle aurait pu analyser les conséquences du virus sur l’organisme du sujet. Elle ne lui avait pas encore révélé qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle pourrait poursuivre ses recherches : le laboratoire universitaire dans lequel elle travaillait serait certainement bien surveillé. Par ailleurs, il n’était pas sûr que la parole de 735 vaille bien cher, mais il semblait à Hétaïre avoir entraperçu chez lui les signes d’un remords sincère. Une fois de plus, ce n’est pas comme si elle avait eu le choix de lui faire confiance.
La dernière semaine qu’elle passa au Centre fut à la fois des plus étranges et des plus intenses. Hétaïre échappait, enfin, à l’horreur d’un protocole d’analyse qui la révulsait, maintenant qu’elle savait ce qui avait pu quitter son laboratoire à son insu. Il lui semblait jouer dans une pièce de théâtre particulièrement absurde, dans laquelle elle aurait fait mine de maintenir l’illusion de la normalité alors que le quatrième mur s’était déjà écroulé depuis longtemps et que la scène s’ouvrait sur une ville démolie par une apocalypse qui serait passée inaperçue. Face aux caméras, 735 et sa Testiguard vaquaient à leurs occupations habituelles, échangeant peu de peur de rien laisser paraître. L’essentiel de leur plan s’établissait dans la salle de bains de 735 – où personne ne les surveillait – ou lorsqu’ils pouvaient demeurer dos à l’objectif sans éveiller les soupçons. Hétaïre retrouvait, avec une certaine volupté, l’excitation que pouvait ressentir son esprit face à la recherche : chaque problème trouvait une résolution qui soulevait un nouvel obstacle. La nuit, elle se réveillait en sueur, épouvantée à l’idée de ce qu’ils prévoyaient, persuadée qu’ils seraient rattrapés avant même d’avoir pu attendre le hall d’entée.
Il lui fut impossible de trouver le sommeil dans la nuit du jeudi au vendredi, jour du départ. Elle se sentait fiévreuse au moment de quitter son lit pour aller réveiller 735. Il répondit au premier coup qu’elle donna sur la porte : 735 n’avait pas dormi, lui non plus.
« C’est l’heure, lui dit-elle en tentant de ne pas laisser entendre qu’elle avait la gorge nouée. Récupérons vos affaires. »
Ils se dirigèrent vers le tableau qui abritait la cache située dans le mur : Hétaïre se plaça de manière à faire écran entre la caméra et les bras de 735 qui fouillaient la cloison. Cela manquait franchement de discrétion, mais la probabilité qu’ils soient observés à cet instant précis était faible et leur départ imminent.
735 rangea les liasses de billets et ses faux-papiers dans le sac que lui avait passé Hétaïre. Ils ne désactivèrent la caméra qu’au tout dernier moment, afin que 735 puisse passer la porte du sas pour rejoindre le laboratoire sans éveiller les soupçons. Ils avaient désormais au moins une demi-heure devant eux pour vider les lieux.
Ils demeurèrent dans le sas d’entrée de la cellule jusqu’à 7h55 précises, moment où Hétaïre sortit dans le couloir pour rejoindre le local technique où étaient rangées les dessertes dans lesquelles la Testiguard de service récupérait les échantillons de ses collègues. Hétaïre n’était pas en charge de la moisson cette semaine-là, mais elle avait calculé qu’en sortant cinq minutes avant l’heure à laquelle la procédure devait commencer, elle pourrait discrètement remplacer la fille désignée pour cette semaine. Une fois dans le local technique elle choisit la desserte la plus large et la recouvrit d’un drap qui dissimulait les côtés du meuble. Ce qui serait posé sur l’étagère du bas passerait normalement inaperçu. Le procédé était grossier, mais il fallait compter sur le fait que le Centre ne s’attendait pas à ce que leur sujet le plus efficace mette les voiles en plein jour. Hétaïre quitta le local technique et retourna rapidement à sa cellule, apparemment sous prétexte de charger ses propres échantillons.
La caméra du couloir pouvait ensuite attester qu’elle avait quitté sa cellule et récupéré les échantillons auprès de ses collègues, remontant ainsi lentement le couloir jusqu’au local technique le plus proche du hall d’entrée. Elles la montraient ensuite qui rejoignait ce local précis. Deux minutes plus tard, une silhouette aux larges épaules en sortait, vêtue d’une blouse blanche les cheveux retenus dans une charlotte blanche également. Cinq minutes plus tard, une seconde Testiguard pénétrait dans le local. Elle en ressortit presque immédiatement, débarrassée de sa combinaison dorée. La caméra la vit verrouiller la porte et effectuer les quelques enjambées nécessaires pour rejoindre la sortie, environ une minute avant que l’alerte ne soit donnée, suite aux coups frappés vigoureusement depuis l’intérieur du local technique.