Après son entrevue avec M. Cowen, Thalion avait rejoint ses amis qui l’attendaient au réfectoire. Aglaé étant présente avec eux, ils se contenta de les rassurer en expliquant que le proviseur s’était seulement inquiété pour lui, les informant du lien avec son père. Quand elle s’éloigna discuter avec des connaissances à elle, Thalion saisit l’occasion pour préciser son récit. Si Nohan et Cally furent choqués par le serment de M. Cowen, son interdiction pour le camp ne provoqua pas la moindre indignation. Au contraire, ils étaient du même avis, au grand désarroi du maudit.
Mis à part cet évènement, les garçons retrouvèrent leur dortoir à Sombrécorce, à l’image des filles dans l’arbre Pluie rouge, et une routine s’installa. Les cours reprirent. Thalion prenait toujours autant de plaisir à suivre les cours de magie verte, surtout ceux d’alchimie avec M. Bobignon. La plupart de ses professeurs étaient les mêmes que l’année dernière, ce qui lui évita des crises d’hystérie et des évanouissements. Habitués, ils agissaient de la même façon qu’en première année.
Le quotidien suivait son cours, les magériens retrouvaient leurs marques, tout se déroulait comme à son habitude, en somme.
— Thalion ? l’interpella Aglaé.
Le jeune homme bailla en décochant un regard interrogateur à la magérienne. Elle marchait avec eux en direction de leur prochain cours. Elle aussi s’était rapprochée de Nohan et Cally ces derniers mois, si bien que sa compagnie lui était devenue familière. Si leur relation n’était pas pétrie de rires et de complicité, Thalion appréciait sa simplicité. Quand il discutait avec elle, elle ne passait pas par quatre chemins.
— Pourquoi Zéphire te suit partout ? demanda-t-elle en pointant la fenêtre.
Thalion tourna la tête vers la direction désignée. Les élèves qui discutaient près de la vitre sursautèrent quand un balai surgit derrière les carreaux, virevoltant gaiement comme pour les saluer. Thalion esquissa un sourire malgré la tristesse de la situation.
— Ne pas pouvoir me secourir parce qu’il était coincé dans la cage à balais l’a traumatisé. Il ne supporte plus d’être enfermé loin de moi.
La peine adoucit les traits d’Aglaé. Thalion avait fait de son mieux pour rassurer Zéphire. Même Nohan et Cally, en compagnie d’Azrel et Via, ne parvinrent à l’apaiser. À la vue de son balai tremblant à la simple idée d’être retenu dans une pièce, Thalion avait senti son cœur se déchirer. Il céda et lui accorda une certaine liberté, à condition qu’il se fasse discret, ce qu’il respect à la lettre, évidemment.
— S’il ne fait pas de vague, je ne pense pas que Mme Luciphella te le reprochera, supposa Nohan.
— Elle a plus important à gérer, en plus, souligna Cally.
— Ah ! Aglaé ! Je te cherchais !
Un garçon à la peau noir foncé et aux cheveux tressés slaloma entre les élèves dispersés dans le couloir. Une cicatrice brune lézardait la partie gauche de son visage. Thalion reconnut Léosus, un élève de leur classe. Quand ses yeux noirs se posèrent sur lui, Léosus se figea. Thalion se rembrunit. En la côtoyant, il avait découvert qu’Aglaé était une fille qui sympathisait facilement avec les autres. Son altruisme faisait d’elle une personne appréciée. De ce fait, il était courant que des élèves viennent converser avec elle. Cependant, à l’instant où ils remarquaient Thalion, ils s’empressaient de faire demi-tour. Aglaé ne pouvait s’empêcher de leur tirer les oreilles pour leur comportement, rendant la situation d’autant plus gênante.
Léosus recula, mais le regard d’Aglaé le défia de fuir. Il prit son courage à deux mains et s’avança vers eux, faisant fi de la grimace mécontente du maudit.
— Tiens… Salut Tha…
— Appelle-moi Corvus.
— Okay… donc euh… Salut Corvus…
Ils se dévisagèrent dans un silence embarrassant. Léosus se gratta la nuque en dansant un pied sur l’autre. Ses amis échangèrent un regard avant de s’esclaffer.
— Il n’y a rien de drôle, bougonna Thalion.
— Pardon, s’excusa Nohan. C’est juste rare de voir Léosus aussi mal à l’aise…
— Il ne va pas te manger, tu sais ? se moqua gentiment Cally.
Léosus afficha une moue dubitative.
— Vu le regard qu’il m’adresse, j’ai quelques doutes. Enfin bon, Aglaé, j’ai besoin de ton aide pour un devoir !
La fin du trajet fut rythmée par les négociations entre Léosus et Aglaé qui refusait de lui prêter main forte. La dernière fois, sous prétexte d’aide, elle aurait fini par faire entièrement son devoir en Faune et flore magique à sa place. En entrant dans la classe, chacun rejoignit sa place. Quand tout le monde fut installé, le cours de magie blanche avec M. Vandré débuta.
— Avant tout, il est temps que vous choisissiez vos options. Vous connaissez déjà les matières et je vous ai laissé un peu de temps pour y réfléchir, alors j’aimerais ne pas y passer des heures.
Thalion saisit la feuille qui s’était déposée devant lui, stylo à la main. Il n’avait pas besoin d’y réfléchir, il comptait prendre les mêmes options que l’année précédente.
Il cocha l’option astronomie, mais quand il s’apprêta à faire de même pour Mythe et légende, sa main se bloqua. La voix d’Apocryphos résonna dans sa tête :
— Mortel, cette option ne sert à rien. Si tu as besoin d’en savoir plus sur mes pairs, je t’éclairerai. Prends plutôt runes.
Thalion souffla, excédé. C’était la première fois que le dieu tentait de contrôler ses mouvements, tout ça pour protester contre une option.
— Les runes sont la langue originelle des dieux. Nous utilisons notre magie avec ce langage. Avec ma compagnie, ça te sera utile.
— Je ne compte pas manipuler la magie du dieu de la mort et crever avant l’heure donc laisse-moi tranquille ! contesta mentalement Thalion.
Il lutta pour reprendre le contrôle de sa main, mais Apocryphos résista. Sa main tremblante, tiraillée entre deux volontés différentes, attira l’attention de Nohan qui le guettait d’un œil inquiet. Thalion l’ignora, concentré sur la pointe du stylo qui s’approchait de la feuille. Il refusait de prendre runes. D’une part, parce que ça l’ennuyait. D’autres part, car il ne voulait pas suivre les traces d’Eris et penser à elle. Cette pensée énerva Apocryphos qui changea de tactique. Il cessa subitement de résister, prenant Thalion de court. Avant d’avoir pu s’opposer, sa main lança le stylo qui vola dans les airs pour atterrir sur Camille. Le magérien râla en se frottant la tête. Tous les visages se tournèrent vers Thalion qui jura intérieurement. M. Vandré ramassa le stylo.
— M. Connor, vous avez quelque chose à dire à M. Regan ?
Ce dernier arqua un sourcil sans quitter Thalion des yeux.
— Non, répondit le maudit en cachant sa main sous sa table. Mon stylo m’a juste… glissé des doigts.
La classe s’agita, aussi sceptique que Camille. Son excuse n’était pas la meilleure, mais comment leur justifier qu’un dieu avait pris le contrôle de sa main ? M. Vandré déposa le stylo sur la table de Thalion, la mine suspicieuse.
— Avant de faire le pitre, tâchez de trouver une excuse plus convaincante que ça.
Thalion baissa la tête. Un élève interpella le professeur pour demander conseil, détournant son attention. Il fit comprendre à ses amis soucieux qu’il leur expliquerait plus tard et se reconcentra sur la feuille. La voix d’Apocryphos gronda de nouveau, menaçante.
— Je ne vais jamais à l’encontre de ta volonté car il s’agit de ton corps et qu’en posséder un aussi faible ne m’intéresse pas. Mais obstine-toi et je ferai de chacun de tes mouvements un calvaire, et ma voix gâchera chaque instant de ta vie.
Thalion soupira, abandonnant face au chantage. Si le dieu de la mort insistait pour qu’il soit en capacité de maitriser la magie divine, autant obéir. Que ce soit pour avoir la paix ou tirer un avantage à cette possession.
M. Vandré récupéra les formulaires et les entassa sur son bureau.
— Si tout le monde m’a rendu sa feuille, on va pouvoir commencer le cours. Cette année, vous allez apprendre à lancer des sorts sans incantation. Cette technique est moins naturelle, même pour un magérien adulte et expérimenté. Néanmoins, elle est très utile, bien que la concentration nécessaire…
Les mains jointes derrière son dos, M. Vandré circulait dans la classe pendant que les élèves notaient le cours. Thalion ne faisait pas exception. La mine sombre, il écrivait ces mots qui le démoralisaient. Il était en deuxième année, et toujours incapable de se passer de baguette. Maintenant, il en connaissait la raison, mais s’il était bloqué à ce palier, comment parviendrait-il à lancer des sorts sans incantation ?
— Avant de commencer à vous entraîner, vérifions que vous n’avez pas oublié ce que je vous ai appris l’année dernière. M. Connor, vous qui semblez avoir envie d’attirer l’attention, venez réaliser le sortilège d’invisibilité sur mon bureau.
Le sourire de M. Vandré s’étira en un sourire mesquin. Thalion pesta intérieurement. Ça faisait longtemps qu’il n’avait pas subi une humiliation publique. N’ayant pas d’autres choix que d’obtempérer, il se leva. En avançant vers M. Vandré, debout devant son bureau, il sentit le regard anxieux de ses amis dans son dos, et ceux des autres élèves qui se moquaient en voyant la baguette dans sa main. Le bourdonnement des chuchotements lui irritait les oreilles et un ricanement perça les murmures. Un coup d’œil lui informa qu’il s’agissait d’Ayden. Visiblement, il avait hâte de railler son incapacité à tenir un sort plus de cinq minutes avant que ses migraines gâchent sa concentration.
— Des migraines ? Encore ? s’effara Apocryphos. Il est hors de question que je subisse le même enfer migraineux qu’en cours de magie rouge !
— T’avais qu’à y réfléchir avant d’attirer l’attention du prof, répliqua Thalion. Si t’es pas content, trouve une solution.
— Justement, dit le dieu à sa grande surprise, j’y ai réfléchi, et j’ai une idée. J’aimerais qu’on la mette en pratique.
Le rythme cardiaque de Thalion s’emballa. Apocryphos avait trouvé une solution pour arrêter ses maux de tête ? Il déglutit en arrivant devant le bureau, sa main serrant sa baguette. Il percevait à peine les regards portés sur lui, ni même M. Vandré qui tapotait du pied avec impatience. Son attention était uniquement tournée vers Apocryphos. Que devait-il faire pour que ça fonctionne ?
— Rien, répondit la déité. Contente-toi de lancer le sort sans baguette. La magie divine qui circule en toi, j’en fais mon affaire. Après tout, elle m’appartient.
Thalion sentait le bois de son auxiliaire de magie glisser dans sa main moite. S’il essayait et ratait malgré tout, son humiliation serait cataclysmique pour son égo. Toutefois, l’espoir qui gonflait dans sa poitrine le poussa à poser l’outil sur la table et à tendre sa main vide vers le bureau. Il n’entendait plus les chuchotements bruissant autour de lui. Il inspira profondément avant de se lancer :
— Involio !
La sensation familière de la magie fourmillant dans ses veines l’envahi, mais Thalion perçut la différence. L’énergie qui rampait jusqu’au bout de ses doigts était plus légère, plus stable. C’était de la magie humaine, dépossédée des particules de magie divine qui l’alourdissaient et provoquaient cette sensation d’inconstance. Thalion avait envie d’hurler de joie. Il sentit ses lèvres se courber. C’était sa magie. La sienne. Et elle était normale.
Énivrer par cette sensation qu’il n’espérait plus ressentir, il mit du temps à réaliser que sa baguette était posée sur du vide. Ou plutôt, le bureau était devenu complètement invisible, et ce, depuis plusieurs minutes, sans qu’aucune migraine ne pointe le bout de son nez ! Il constata qu’un silence stupéfait accueillait son exploit. Les élèves l’observaient, ahuris par cette soudaine réussite qui, pourtant, n’avait rien d’extraordinaire. Ayden fulminait en grinçant des dents et Thalion surprit le sourire en coin de Camille. Au fond, ses amis bondissaient pratiquement de joie.
M. Vandré se racla la gorge pour retrouver l’attention des élèves.
— Eh bien, il vous en a fallu du temps, M. Connor. Le sort est bien exécuté, retournez vous assoir.
Thalion s’exécuta sans se départir de son sourire. Nohan le félicita chaleureusement, à l’image de Cally et d’Aglaé devant sa table. Les congratulations se poursuivirent à la fin du cours, dans le couloir. Nohan était aussi heureux que lui, si ce n’était plus.
— C’est génial ! Tu as enfin réussi !
— Oui ! s’exalta Thalion. Et je n’ai pas eu de migraine !
— Comment ça se fait que tu y sois soudainement arrivé ? s’enquit Cally, curieuse.
— J’ai eu… une illumination.
Nohan et elle semblèrent comprendre le sous-entendu.
— Tu es guérie, alors ? demanda Aglaé.
— Je suis capable de limiter la circulation de ma magie, mais pas indéfiniment non plus. Soumis au sort, mon action à ses limites. Mais tes cours te seront plus agréables… et à moi aussi.
— Partiellement, disons, répondit Thalion suite à l’explication du dieu.
— C’est bizarre, ton histoire, remarqua-t-elle, dubitative. M’enfin, tant mieux. Par contre, ma mère s’est cassée la tête pour rien, du coup…
— Eh, Corvus !
Le groupe se figea au son de la voix. Ils se mirent sur le côté pour ne pas bloquer le passage pendant que Camille les rejoignait à pas de course.
— Tu veux quoi ? se braqua Thalion.
— Comprendre pourquoi tu m’as jeté ton stylo dans la tronche.
— J’ai eu peur en voyant ta sale tête, répliqua-t-il du tac-au-tac.
Étrangement, il avait plus d’inspiration pour trouver une excuse devant lui que face à M. Vandré. Nohan et Cally lui firent les gros yeux, lui reprochant silencieusement de chercher les ennuis. Aglaé secoua la tête, dépassée par son insolence.
— C’est ça, ouais, ricana Camille, nullement blessé. Si tu souhaites me parler, tu n’as pas besoin d’utiliser la violence, tu sais ?
— Ce que je souhaite surtout, c’est de te noyer dans les chiottes. Allez, ouste, le moucheron !
Camille lui adressa son majeur avant de s’en aller. Les magériens quittèrent les couloirs bondés pour se poser dans un des salons de l’académie. Thalion se sentait léger, comme libérer d’un poids. Les migraines n’étaient que la partie émergée de ses problèmes, mais cela suffisait à lui procurer un peu de bonheur et d’espoir pour la suite.
En attendant, c’est chouette de voir Apopo aider Thalion a utiliser la magie sans subir de migraine. Il fait un pas en avant mine de rien ! C’est un progrès non négligeable !
Les scènes avec Camille sont vraiment sympa. On sent qu’ils sont plus amis qu’ennemi maintenant, mais qu’ils jouent à faire semblant pour maintenir les apparences. En tout cas Camille m’est devenu assez sympathique.
Très chouette chapitre !
Ouiii il faut bien qu'il progresse un peu, notre petit Thalion !
J'essaye de faire évoluer Camille et leur relation par la même occasion, sans pour autant tout oublier ou pardonner ce qu'il a fait. Mais je l'aime bien aussi, Camille, surtout dans ce tome 2 !
Merci beaucoup pour ton commentaire !