Chapitre 9 - L’île des délices mystérieux

Par vefree
Notes de l’auteur : C'est dit dans le titre : mystère et délices à la fois. A l'histoire des rencontres s'ajoute d'incroyables sensations. Si vous aimez, vous en aurez des frissons partout, sinon, les plaintes seront à déposer sur mon JdB.<br />
Bonne lecture.
 
 

 

                  Sur la plage de la petite île mystérieuse que son parchemin nomme l’île des Météors, Jack lève les yeux vers le sommet de la haute falaise de grès blanche. De loin, en arrivant, il a vu une habitation perchée tout en haut.

 

    C’est probablement là que vivent les initiés. Mais, comment monter ? La falaise est abrupte et aucun escalier n’est sculpté dans la roche. Il a échoué le Black Pearl sur la plage, à la faveur de la marée basse. Personne ne viendra ici le déloger. Escalader cette falaise est parfaitement insurmontable pour un marin tel que lui. La montagne, ce n’est pas tout à fait comme les haubans de son navire. Et puis, s’ils ont construit là-haut, c’est bien qu’il y a un accès quelque part. Jack imagine les scénarios les plus loufoques. Non, les initiés ne sont pas des demis humains avec des ailes et tout ça, non ! Il y a forcément un accès pratique. Que nenni ! Et puis si. En scrutant un peu mieux la végétation qui tapisse le bas de la falaise, il aperçoit une sorte de nacelle de bois suspendue. Plusieurs cordages viennent d’en haut, dissimulés dans les feuillages. En tous cas, c’est le seul moyen pour atteindre le sommet. Il grimpe dedans et tire sur un cordage. La nacelle se met à monter le long de la roche. Il s’élève...

 

Une fois dans la place, personne. Pas âme qui vive. Il se trouve sur une sorte d’esplanade assez vaste, pavée de grosses pierres plates chauffées par le soleil et bordée de végétation diverse. L’ensemble est harmonieux, soigné, reposant. Au fond, et en face de lui, se trouve un toit, soutenu par deux colonnes de pierres, sous lequel coule une grande fontaine circulaire à bassin au centre de laquelle trône une coupe de pierre sculptée avec deux anses de chaque côté. Elle ressemble étrangement à celle de la carte nautique. ... La Fontaine de Jouvence !!

 

Fasciné, sans se méfier aucunement, il s’avance vers elle en la fixant les yeux plein d’envie. L’eau qui coule en débordant de la coupe de pierre est fraîche et vivifiante. Il est sculpté dessus les lettres « ejus vitam »(1). Il tend une main en coupe sous l’eau et en recueille un peu, l’approche de son nez et sent.

 

 

- Le rhum est tout de même meilleur à l’odeur ! songe-t-il. Mais, si cette eau...

 

- ... donnait la vie éternelle ? termine une voix féminine qui surgit près de lui.

 

 

Le pirate sursaute en se retournant vers celle qui est arrivée comme un chat sans prévenir.

 

- Encore une qui lit dans les pensées, se dit-il, agacé.

 

 

Il découvre une femme splendide, jeune et mature à la fois. Rousse, les cheveux très longs, flamboyants et lisses, coiffés en une tresse posée sur son épaule droite, le visage oblong, la peau satinée, des bras fins, elle a les yeux verts perçants de quelqu’un d’affirmé et curieux de tout. Son corps ceint d’un long chiton(2) de lin blanc et ceinturé d’une cordelette écrue, est mince et ses courbes prometteuses.

 

 

- Je ne pensais pas à ça ! dément Jack, pris dans un trouble étrange.

 

 

- Oh, si peu ! Et quelle autre vertu aurait cette eau, selon vous ? réplique la femme avec un sourire éclatant.

 

 

- Je... je n’en sais rien, répond-t-il, en secouant sa main d’où l’eau s’est échappée. Moi, ma spécialité, c’est plutôt le rhum. Alors, cette eau n’est que fraîche et désaltérante ? se risque-t-il encore, déçu.

 

- Elle n’est que ça et c’est déjà beaucoup, dit-elle en reprenant un peu de sérieux. Vous n’imaginez pas que sur une île aussi haut perchée, il soit facile de se procurer une eau douce et désaltérante ? Rien que pour ça, elle doit être magique, non ?...

 

 

Scrutant le nouvel arrivé avec intensité, elle laisse un silence étrange s’installer entre eux. Puis, comme Jack persiste aussi à la darder de ses prunelles sombres sans lui répondre, elle préfère enfouir au plus profond le trouble qui lui fait battre le cœur plus vite et elle poursuit :

 

 

- Vous avez le parchemin ?

- Le parchemin ? ... ah .. heu... oui, dit-il en fouillant dans la poche interne de sa veste. Le voici.

 

 

Elle le saisit de ses doigts fins et l’ouvre immédiatement. Elle fait une rapide lecture et elle porte à nouveau son regard sur l’homme au tricorne et aux cheveux improbables.

 

 

- C’est Anna qui vous envoie, donc... dit-elle. Vous êtes un pirate des Caraïbes... Il va y avoir du travail, alors !

 

 

- Du travail ? ... pourquoi du travail ?

 

 

- Anna ne vous a-t-elle pas dit que vous auriez des expériences à vivre pour atteindre votre trésor ? demande-t-elle en roulant de nouveau le parchemin.

 

 

- Si. Mais, je n’ai pas compris un traître mot de ce qu’elle a voulu me dire. Quel est ce trésor que l’on doit autant mériter ?

 

 

- Si vous êtes arrivé jusqu’ici au péril de votre vie c’est que vous tenez fermement à le savoir... n’est-ce pas ? Vous avez laissé tomber tout autre objet clinquant, toute autre convoitise pour ne vous préoccuper que de celui-ci ? Pourquoi ? ... Pourquoi, d’après vous ?

 

 

- Parce que la légende dit qu’elle apporte la vie éternelle, dit Jack en roulant des yeux. N’est-ce pas une bonne raison ?

- ... Mmh .... en quelque sorte, répond-t-elle en inclinant la tête sur le côté, le regard en coin. Je crois que vous n’avez pas idée de la portée de sa signification.

 

 

- Quelle est-elle, alors ? demande Jack désespéré de ne pas comprendre.

 

 

- Je ne peux vous expliquer maintenant. Et même une explication ne suffit pas. Il faut le vivre dans son corps.

 

 

Il la fixe alors intensément sans rien dire, cherchant désespérément la réponse dans ses yeux verts. Il lui sourit d’une façon énigmatique, cherchant par là à lui soutirer un brin de révélation ou, au moins, à l’amener à plus de proximité.

 

 

- Quel est votre nom, ma jolie ? demande-t-il soudain, sans la lâcher des yeux et en la gratifiant de son sourire séducteur.

 

 

Cet homme, emprunt d’une forte attraction possessive, trouble la jeune femme. Faisant un gros effort pour sortir de sa fascination pour ses yeux intenses bordés de khôl, elle répond cachant son trouble derrière un sourire :

 

 

- Pardon, j’en oubliais de me présenter. Je m’appelle Antinea.

 

 

Alors, il tend la main, saisit la sienne et la porte à ses lèvres pour déposer un chaste baiser tout en gardant ses yeux dans les siens. Elle aurait bien voulu retirer sa main, reculer plus loin, tant ses gestes sont horriblement troublants et déplacés. Mais, elle ne bouge pas, saisie de surprise et d’un léger frisson. Elle n’arrive seulement qu’à protester faiblement :

 

 

- Sachez aussi que je suis une initiée de la Fontaine... et que... ce geste que vous venez de faire, là... est ... particulièrement... enfin... ça ne se fait pas.

 

 

- Ah ?!... dit-il, espiègle, je ne pensais pas que... un simple baisemain puisse gêner à ce point une initiée, bien au contraire.

 

 

- Non... enfin... fait-elle, en mettant les mains hors d’atteinte dans son dos... ici, les codes gestuels sont très significatifs, et ...

 

 

- Et ? ...

 

 

- ... et vous avez des gestes particulièrement ...

 

 

- ... Oui ?...

 

 

- ... particulièrement inadéquats, termine-t-elle précipitée et le cœur battant la chamade.

 

 

- Je pensais pourtant être poli, s’étonne-t-il un sourcil levé de déception.

 

 

- Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, dit-elle de plus en plus troublée. Je... ce n’est pas vous... enfin... c’est votre geste... je n’ai pas l’habitude.

 

 

- N’avez-vous jamais vécu ailleurs qu’ici, alors ?

 

 

- Non. Je suis née ici. Je suppose que l’on pratique ce genre de geste dans la société d’où vous venez ? ...

 

 

- Heu... oui... enfin... oui, presque. Dans mon monde bien éduqué, oui. En fait, c’est surtout chez les perruques poudrées que ça se pratique. Mais, je leur ai piqué le style, ajoute-t-il, narquois et plein de petits mouvements avec ses mains.

 

 

- Si je comprends bien, un pirate bien éduqué fait cela...

 

 

- En quelque sorte, oui, répond-t-il avec un sourire jusqu’aux oreilles estimant futile de préciser le genre d’éducation et son origine.

 

 

- Venez, dit-elle en se retournant pour se diriger au-delà des colonnes de pierres, je vais vous montrer le lieu où vous ferez vos expériences.

 

 

Jack la suit de bon gré, même si un réflexe inné de méfiance lui intime d’être sur ses gardes. Un peu plus loin, derrière, se trouve un bâtiment de pierres bordé, de colonnes imposantes auquelles des plantes grimpantes et fleuries s’accrochent et agrémentent l’harmonie de l’ensemble. Elle l’y fait entrer par une porte imposante, elle aussi. Le lieu est quelque peu solennel, emprunt de recueillement et dépouillé de tout décors ostentatoire. Quelques icônes religieuses décorent les murs. Ils sont les seuls signes de l’esprit de l’endroit. D’immenses tapis aux couleurs chaudes juxtaposés jonchent le sol et une série de vitraux figuratifs laissent passer le soleil qui joue de ses rayons multicolores sur les tapis, les bancs et les immenses coussins disposés le long des murs.

 

 

Jack observe le décor et s’interroge tout haut :

 

 

- Et... que se passe-t-il dans cet endroit ? demande-t-il à Antinea près de lui.

 

 

- Nous y ferons des structures.

- Des structures ?

 

 

- Oui. Vous verrez. C’est très intéressant. Je suis sûre que ça vous plaira à la longue...

 

 

- Et qui ça, nous ? .... nous deux ?

 

 

- Vous, moi et une partie de la communauté.

 

 

- Ah ... parce que vous n’êtes pas seule, ici...

 

 

- Bien sûr que non ! Nous sommes une vingtaine d’hommes et de femmes à vivre ici.

 

 

- Parce qu’il y a des hommes aussi ? J’imaginais un endroit où ne vivaient que des femmes…

 

 

- Il y a aussi des hommes, en effet. Ici, les femmes gèrent le lieu et gardent précieusement les intérêts de la Fontaine. Les hommes, eux, gèrent la question des cultes et des autres pratiques. Vous verrez.

 

 

- Pourquoi avez-vous dit à la longue ?

 

 

- Parce qu’il vous faudra un petit peu de temps pour accepter le changement.

 

 

Et encore une couche de mystère ! Elle aussi a le don de mettre les sentiments du pirate à rude épreuve. Une petite moue contrariée lui tord la bouche à ce moment-là.

 

 

- Vous savez que je commence à bouillir d’impatience, là, s’exaspère-t-il en se penchant vers elle. Quand est-ce qu’on commence, qu’on en finisse ?

 

 

Antinea éclate de rire, amusée par cet homme aussi improbable que séducteur en diable.

 

 

- Je vous préviens, fait-elle en riant, votre principale épreuve sera de contrôler votre impatience et vos gestes, cher monsieur Sparrow.

 

 

- Capitaine, s’il-vous-plaît ! la corrige-t-il en la perçant du regard.

 

 

- ... Capitaine... répète-t-elle, d’un ton amusé, comme vous voudrez.

 

 

- J’y tiens !

 

 

- Ow ! ... c’est vrai... j’oubliais... la légende, n’est-ce pas ? ...

 

 

Pour toute réponse, il lui fait un large sourire d’approbation, lèvres fermées.

 

 

A ce moment-là, plusieurs hommes et femmes entrent dans la grande salle où ils se trouvent, tous vêtus de chitons comme celui d’Antinea. Silencieux, ils les saluent d’une inclinaison de la tête et s’avancent à l’intérieur et, comme une scène de nombreuses fois répétée, ils prennent chacun position dans la salle. Certains, ont ouvert les coffres et sorti des instruments de musique, d’autres étalent les coussins sur les grands tapis en forme de cercle et s’assoient dessus.

 

 

Se penchant vers lui pour parler doucement, Antinea dit à Jack :

 

 

- Il est temps d’entrer dans le grand bain, capitaine. Venez. Nous allons commencer. Et ... heu... il faudrait laisser vos effets et vos bottes à l’entrée. Ici, nos armes sont toutes autres...

 

 

- Eh bien, ce n’est pas si tôt, finalement, se dit-il, son impatience enfin comblée. Je vais enfin savoir de quoi il retourne...

 

 

Il s’exécute en silence, posant son tricorne, son fourreau et son sabre, son pistolet, sa veste sur le sol, retirant ses bottes près de la porte. Puis, elle guide Jack jusqu’à un grand coussin et lui intime de s’asseoir. Elle fait de même sur celui d’à-côté. A peine installés, un autre homme entre dans la salle, celui-ci vêtu d’un chiton pourpre, ceinturé d’une cordelette dorée. Jack le suit du regard en se demandant dans quoi il a mis les pieds. Il s’avance tout en observant l’assistance et s’installe au fond de la pièce, sur un banc, près des musiciens qui se sont rassemblés. D’un signe de sa part, ils commencent à jouer de plusieurs tambours au son très grave, dans un rythme très lent accompagné d’une flûte légère et ténue. Chacun s’observe humblement, respectueusement. Mais, Jack ne comprend rien et attend la suite, toujours méfiant. Le son des tambours emplit la pièce et fait vibrer l’air à la même cadence. Au signal, l’homme au chiton pourpre, il se met à osciller du bassin et du buste d’avant en arrière en fermant les yeux. Tous les autres font de même. Le temps s’étire longuement et les mouvements continuent, longtemps, longtemps, comme une transe. Eberlué, Jack observe, mais il n’arrive pas à se mettre dans le rythme.

 

 

- Mais dans quoi je me suis fourré ? se demande-t-il intérieurement. J’étais loin d’imaginer un truc aussi ridicule. Ça rime à quoi, ces oscillations, ces tortillages débiles ? Le plus intriguant, c’est qu’ils ont l’air d’apprécier, eux... leurs visages béats, les yeux fermés... qu’est-ce qu’on peut trouver de génial là-dedans ?

 

 

Mais, les minutes défilent et le rythme est le même.  Les initiés semblent complètement emportés.

 

 

- Bof... si ça s’éternise, autant essayer. C’est peut-être amusant après tout, se dit-il en fermant les yeux. Balançons, balançons !...

 

 

Et il se met à faire comme les autres.

 

 

- Me voilà seul avec moi-même... se dit-il derrière ses paupières closes. C’est bien ma veine. Encore confronté à mes sensations. On ressent tout ce qu’on a à l’intérieur quand on a les yeux fermés. C’est étrange !

 

 

Tout en persistant dans le mouvement, balançant d’un sentiment de mal-être à une douce chaleur excitante, ses pensées s’étiolent et se réduisent à la simple écoute d’une vibration sourde qui monte en lui, venant de son sacrum. Perdant toute notion du temps, il continue toujours, trouvant là, en fin de compte, un plaisir nouveau et totalement étrange.

 

 

Une pulsation monte de son corps à son esprit. Des émotions fusent, restent, s’effacent, explosent, s’installent... Toutes sont des images de son passé, des flashs à la fois violents et doux. La caresse d’une femme sur ses reins... la froideur du canon de son pistolet...  le toucher soyeux des cheveux d’une fille... La bouche du canon chaud après un tir... la lame de son sabre traversant le ventre d’un ennemi... le crissement de la chair qui s’ouvre sous un couteau... la chaleur du sang et son onctuosité... la douceur d’un téton à sucer... le ventre frémissant d’une femme... le vent dans sa chemise, son torse offert à l’horizon, près de la figure de proue... Les oscillations diffusent en lui une énergie incroyable, venant de son bassin. Ses émotions semblent l’alimenter plus que ça ne devrait. Il se laisse emporter par une vague intense, partagé entre la joie et l’envie de pleurer. C’est presque insupportable et pourtant plus rien d’autre n’a d’importance. Ça pourrait durer toujours. C’est bien ainsi. A l’intérieur de son être la sensation de chaleur est de plus en plus intense et vibrante, le poussant à éprouver le besoin d’intensifier ses oscillations. ... tempête... déferlante... coup de canon... baiser... saisir le corps d’une femme contre le sien... sa cambrure... son sexe dans le sien... chaleur... fourrure animale... rugissement... mourant... cri... serpent... yeux froids... chasse... mordre... mordre dans la chair... faim... hurlement... Emporté dans son énergie, il se met à hurler dans un mouvement frénétique semblant ne jamais s’arrêter. Il n’est plus vraiment là, saisit à l’intérieur de ses sensations.

 

 

Lorsque les tambours s’arrêtent de battre, son corps, lancé telle une locomotive à pleine vapeur, persiste dans son élan. Et, soudain, comme lâché en roue libre, ayant perdu son énergie, ses tremblements diminuent. Progressivement, il reprend conscience de lui-même et de son environnement. Il ouvre les yeux. Tout le monde le regarde. Il semble qu’il soit le dernier à être sorti de son expérience.

 

 

- Quoi ?… demande-t-il à l’assemblée, pris d’une gêne. J’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ?

 

 

- Pas du tout, le rassure l’homme au chiton pourpre en lui souriant. Vous avez simplement mis plus de temps que les autres, mais c’est bien normal. Pour une première fois, il semble que vous y ayez mis tout votre cœur...

 

 

- Il s’est passé quoi, en fait, là ? demande Jack, toujours perdu.

 

 

- Vous êtes allé voir les tréfonds de votre être, l’animal et vos instincts les plus primaires.

 

 

Eberlué, les yeux agrandis par la surprise, il fixe l’homme qui lui a répondu. Et puis, il grimace :

 

 

- Mais, c’est dégueu’, là dedans ! Ça ne peut pas être moi.

 

 

- Nous avons tous une face cachée particulièrement repoussante, le rassure-t-il, et d’un mouvement circulaire de la main, il désigne l’assistance : nous tous, ici, avons notre côté animal et il doit s’exprimer comme doit aussi le faire notre côté spirituel. Cette séance était là pour faire s’exprimer notre partie la plus basique de nous-même, celle sans qui nous ne pourrions vivre ici, sur cette terre.

 

 

- Ah ! dit simplement Jack, abasourdi. Et il faut en passer par là pour atteindre la Fontaine de Jouvence ?

 

 

- Oui. C’est une des conditions.

 

 

- Mais... vous ... vous tous, vous l’avez déjà vue la Fontaine ? demande-t-il à l’assistance.

 

 

- En quelque sorte... répond l’homme au chiton pourpre, pour confirmer les signes des têtes approbateurs des autres participants.

 

 

- Et.... vous ne m’en direz pas plus, c’est ça ? dit Jack, précédant le silence énigmatique de sa réponse.

 

 

- En effet. Dans ce domaine, il est des choses qu’il vaut mieux connaître dans sa chair plutôt que dans sa tête. Et vous comprendrez pourquoi dans quelques temps, si l’expérience vous tente toujours.

 

 

Se redressant de toute sa hauteur, l’homme regarde toujours le pirate resté assis sur son coussin.

 

 

- Je m’appelle Antios, se présente-t-il en inclinant légèrement la tête en signe de salut. Je suis le père supérieur de la congrégation de la Fontaine. Et voici mes condisciples : Alexandre, Apolline, Iris, Iola, Ulysse, Euridice, Ewan, Joris, Daphné, Darius et Barbara. Ils sont tous des initiés entièrement dévoués à notre culte.

 

 

- Je ne suis pas croyant, réplique Jack, sur la défensive. Et je dois aussi vous préciser que je ne suis pas venu ici pour y rester. Je compte bien repartir avec mon trésor, dussè-je le voler...

 

 

- C’est bien comme ça que nous l’entendions, répond Antios. Mais, vous n’aurez rien à voler, cher monsieur Sparrow, sinon vous voler vous-même. Ce qui reviendrait à vous spolier spirituellement parlant....

 

 

Jack le salue de la tête, accusant ses paroles :

 

 

- Capitaine, s’il-vous-plaît, le corrige-t-il.

 

 

- Capitaine... se reprend Antios avec un demi-sourire. Ici, vous constaterez très vite que, quel que soit le rang que nous occupons pour notre vie propre, il n’a plus aucune signification pour personne alors que nous sommes ensemble...

 

 

Jack lui répond par un sourire entendu.

 

 

- Poursuivons la séance, maintenant, dit Antios en se rasseyant.

 

 

- Quoi, nous n’avons pas terminé ? demande Jack étonné.

 

 

- Loin de là, cher Jack. Ce n’est que le début d’une grande aventure intérieure...

 

 

Le pirate grimace d’impatience, mais ne dit rien. Il donnerait sa vie pour obtenir cette Fontaine tant désirée. Mais, il semble que ce soit bien plus long qu’il ne l’avait imaginé.

 

 

Antios demande à tous les participants de s’aligner en un rang de femmes et un rang d’hommes tous devant se tourner le dos pour ne pas se voir. Il pose une main sur l’épaule d’Appoline, première du rang près de lui et demande aux hommes lequel d’entre eux choisit cette femme. Plusieurs mains se lèvent, mais le plus rapide est choisi. C’est Darius qui la rejoint. Antios pose sa main sur l’épaule de la suivante, Iola, et appelle les hommes à choisir. Joris lève la main le plus vite. C’est le tour d’Euridice. Ulysse est désigné. Ensuite, Antinea, et c’est Jack le plus rapide. Il la rejoint comme l’ont fait les autres, partagé entre l’envie de s’enfuir et une curiosité exacerbée. Antios pose ensuite sa main sur l’épaule de Barbara et Ewan lève le bras. Pour Iris, ce sera Alexandre et il reste Daphné qui ira avec Antios lui-même. Les couples ainsi formés vont rejoindre chacun un grand coussin sous les consignes du maître de séance. Là, les couples s’allongent et s’enlacent chastement, face à face, les yeux dans les yeux.

 

 

- Encore !!! s’écrie Jack. Je vous avertis, s’il faut encore regarder une donzelle dans le blanc des yeux sans la toucher, je ne réponds plus de rien !

 

 

- Mais... vous devrez la toucher, Jack et même, l’enlacer, la tenir dans vos bras et de tout votre corps, réplique Antios. Ça ne vous suffit pas ?

 

 

- Pas vraiment, non ! Je crains que mes pulsions ne me trahissent. Et ... devant tout le monde, je ... enfin... je n’ai pas l’habitude, vous savez. Je crains que ça ne convienne pas à ce..., dit-il en montrant la scène qui se met en place avec une mine inquiète.

 

 

- Si ce sont de vos pulsions sexuelles dont vous parlez, Jack, sachez qu’elles seront tout à fait comprises, lui répond le maître de séance calmement. Maintenant, il est hors de question que vous tentiez quoi que ce soit pour déstabiliser votre partenaire. Cette structure est faite pour éprouver AVEC l’autre les énergies universelles, et donc, les échanges énergétiques qui se produisent lorsqu’on communie avec l’autre.

 

 

- Hein ?!... dit Jack, le sourcil froncé et interrogateur. C’est quoi, ce charabia, encore ?

 

 

- Jack, intervient Antinea déjà allongée sur le grand coussin, venez et laissez vous aller. Vous n’avez rien à faire d’autre que d’être dans mes bras et me regarder dans les yeux. N’ayez pas peur.

 

 

- Mais...

 

 

Voulant protester, Jack, perdu, regarde alentour les autres couples qui s’installent et attendent. Voilà qu’après deux mois de mer sans femme, on lui demande d’en toucher une sans la toucher. C’est le pompon !

 

 

- Rassurez-moi, là, continue-t-il, on va faire l’amour ou pas ? Pourquoi, doit-on s’enlacer pour se regarder dans les yeux ?

 

 

- Je vous ai répondu, Jack, dit Antios. Vivez cette structure sans vous poser de question. Ensuite, nous en reparlerons si vous voulez. Vous n’avez rien à faire. Votre partenaire va vous guider.

 

 

La musique reprend en douceur. Chacun prend position et le silence se fait parmi les couples. Jack suit les consignes mais de mauvais gré. L’impatience le ronge toujours autant. Sa partenaire est bien trop jolie pour rester insensible et immobile. Ses yeux sont beaux, mais ça ne suffit pas. La tenir dans ses bras, non plus. Cette séance est une torture pour ses sens. Antinea a toutes les peines du monde à le calmer, qu’elle bouge ou ne bouge pas. Lui, un bras sous sa tête, l’autre posé sur son côté, leurs jambes emboîtées, leurs bustes l’un contre l’autre, leurs visages tout proches, leurs souffles qui se mélangent, il ne peut résister à éprouver du désir pour cette fille. Après avoir passé des minutes à scruter son visage, le souffle court, cherchant une faille dans le jeu et revenant sans cesse vers ses yeux qui le regardent fixement presque sans ciller, le renoncement arrive. Comme avec Anna, en plongeant dans le regard de l’autre, le tréfonds de son être refait surface, à la fois effrayant et plaisant. Plus il plonge dans son regard, plus il respire au rythme inversé de sa partenaire, plus son esprit se calme et son corps s’embrase de l’intérieur. Une sorte de doux foyer intense lui monte le long de la colonne vertébrale. Comment est-ce possible ? Sans érection, les sensations du plaisir montent crescendo. Ces pétillements dans le corps sont un délice. Alors que dans les yeux d’Antinea, il voit un plaisir partagé mais silencieux, il ne peut réprimer un grand étonnement. Comment deux corps peuvent-ils ainsi échanger de telles sensations sans pour autant se pénétrer ? Jack renonce à comprendre. Le plaisir est si agréable que, finalement, peu importe.

 

 

Soudain, Antios donne le signal de fin. La séance est terminée. Chaque partenaires se remercient. Antinea serre Jack très fort dans ses bras et lui dit :

 

 

- Merci, Jack. Vous avez joué le jeu jusqu’au bout et vous vous êtes très bien débrouillé, lui dit-elle reconnaissante et affectueuse.

 

 

- C’est vrai ?! fait-il, encore dans son petit nuage. Je ... je dois avouer que je n’ai rien compris à ce qui est arrivé.

 

 

- C’est nouveau pour vous, n’est-ce pas ? lui demande-t-elle tout en connaissant déjà la réponse et en s’écartant de lui pour se lever.

 

 

- Ce n’est rien de le dire ! confirme Jack qui reste assis en croisant les bras sur ses genoux.

 

 

Pendant que les autres rangent les coussins le long des murs tout en discutant entre eux, Antinea lui tend une main pour l’aider à se lever.

 

 

- Venez. La séance est terminée. Je vais vous montrer votre cellule.

 

 

- Ma quoi ? ... Là ? Comme ça ? Maintenant ? Mais...

 

 

- Oui, là, maintenant... fait Antinea avec un petit rire amusé. Quoi ?... Je vous rappelle que nous sommes ici dans un monastère et qu’une chambre s’appelle une cellule. N’ayez pas peur, je ne vais pas vous enfermer...

 

 

- Ow ! finit par comprendre Jack... Non, mais, c’est pas ça, mais j’aurais aimé comprendre ce qu’il s’est passé...

 

 

- Oui, mais plus tard. Le dîner sera bientôt servi. Nous en parlerons après une bonne nuit de sommeil.

 

 

Résigné à devoir encore patienter pour en savoir plus, il saisit donc sa main qu’elle lui tend et elle donne une impulsion sur son bras pour l’aider à se relever, plus par gentillesse que véritable difficulté physique, ce que le pirate prend pour une complicité tacite. En sortant, Jack reprend ses effets laissés près de la porte, renfile ses bottes et sort dans la grande cour pavée et fleurie baignée des rayons du soleil couchant.

 

 

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dominosama
Posté le 22/12/2012
Les interlignes entre les phrases de dialogues m'ont un peu perturbé c'est étrange d'en mettre autant.
Sinon j'ai du mal à imaginer que Jack reste ainsi bien sagement sans tripoter sa partenaire, il doit y avoir une drôle de magie là dedans. Juste une question, il est sur une île grecque? N'est-ce pas ? ça doit être rare une rousse là bas.
Bon alors après il va rencontrer le cyclope ? Ou bien les dieux de l'olympe ? :p
Il devrait bien s'entendre avec Ulisse c'était un navigateur aussi (enfin je doute qu'il s'agisse du même c'est juste un prénom commun non ?)
vefree
Posté le 22/12/2012
J'ai eu moi aussi quelques soucis avec la mise en page de PA. Les gros interlignages ne sont pas volontaires. J'en suis désolée.
On peut dire que l'endroit est magique, en effet. Ou si on a quelques explications ésotériques on peut comprendre le bienfondé de la situation. Elle n'est pas commune, c'est certain. On est bien sur une île grecque. Dans ce lieu, culturellement très riche, on peut imaginer qu'il existe une bulle, un lieu secret où la richesse spirituelle se trouve sublimée à la fois par les croyances multithéiste que monothéiste. C'est ainsi que je voulais l'imaginer. Trouver une rousse en grèce ce n'est pas si rare, non, je ne crois pas. Et puis il fallait bien que cette femme soit aussi exceptionnelle que le lieu, non ? Une fille banale aurait fait tache dans le décor. Enfin, voilà comment je le vois, quoi.
Quant au Cyclope ou aux dieux de l'olympe, non. Huhu ! Nous sommes dans un monastère orthodoxe, qui, même si les habitants sont plutôt très ouverts spirituellement, n'abrite pas les grands de l'antiquité. Et l'Ulysse de mon histoire n'a rien à voir avec le célèbre navigateur. Il n'est pas contemporain de Jack, hélas, sinon, je me serais peut-être amusée à les faire se rencontrer. Je me demande ce que ça aurait donné !! loool !
Biz Vef' 
Sati
Posté le 17/05/2009
Ok, ce chapitre était particulièrement intéressant. Je ne dis pas que j'ai tout aimé, mais la partie sur notre face cachée très laide m'a fait réfléchir, et ça c'est déjà un bon point ! Et celle sur le câlin empathique à la fin était adorable ! Maintenant je sais que je peux continuer à lire, et à défaut d'accrocher à l'histoire, la substance même de cette aventure ne manque pas d'intérêt d'un point de vue spirituel. Bref, je te félicite Vefree, tu fais du bon travail. <br />
<br />
Au plaisir de revenir te lire ! <br />
<br />
Enjoy, Spilou ^_-
vefree
Posté le 17/05/2009
Alors, là, tu ne peux pas me faire plus plaisir, Spilou ! Si le passage de la face monstrueuse cachée t'a fait réfléchir, c'est vraiment un point de gagné. Et si l'intérêt pour le côté spirituel est là aussi, tu m'en vois doublement ravie.
Je te dis à bientôt, donc...
Vef'
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