Chapitre 84 : À la croisée des mondes

Par Kieren

Après quelques parties de pétanque, nous avions décidé d'aller manger au bistrot de Don et de Papa, là où se ressourçaient les pétanqueurs.

« C'est la première fois que vous entrez dans un restaurant les Gamins ? »

« Pour nous, c'est la première fois pour beaucoup de choses aujourd'hui » me confia la Gamine « … Et c'est la première fois que je vois une rivière dans un bâtiment encore habité. Et puis il est coupé en deux votre truc ! »

En effet, le bistrot du Don et de Papa se voulait accueillant pour tout le monde. Il s'agissait d'une seule grande salle avec deux atmosphères diamétralement opposées.

La partie de gauche, si on avait le goût du luxe, nous proposait des tables avec des nappes, des chaises en cuir, des bouquets de fleurs très distingués, un carrelage en marbre, le tout dans des couleurs sobres passant du noir au marron et au blanc.

La partie de droite en revanche était réservée aux explorateurs : de grosses pierres plates servaient de tables, et des troncs taillés faisaient office de bancs, le sol était composé de galets et un ruisseau traversait la salle de part en part, quelques plantes aquatiques y poussaient et des poissons rouges y faisaient des bulles.

Au fond de la salle trônait un comptoir avec moult boissons, à cheval sur les deux atmosphères, derrière lequel présidaient le Don et Papa. Il s'agissait de deux frères, le Don était chauve, joufflu, avec des taches de rousseur et une longue barbichette, il était habillé en costume cravate. Papa avait une grosse tête qui commençait à se dégarnir, des lunettes, et une moustache qui s'enroulait de chaque côtés, il était habillé en baskets, T-shirt, short. Ils approchaient tous les deux la soixantaine.

« Tiens ! Voilà de nouveaux clients. » annonça le Don.

« Et un ancien ami. » rajouta Papa.

« Le Don, Papa, je vous présente les Gamins. Faites gaffe, la sœur mord et le frère est attachant. »

« Ooh ! Enchanté ! »

« Ravi. » dirent-ils en posant leur main sur leur poitrine. Le Gamin retourna le geste, tandis que la Gamine les jugeait du regard. Le Don et Papa parlèrent.

« Frère et sœur, hein ? »

« Ils ne se ressemblent pas. »

« N'est ce pas ? Et j'ai l’œil ! »

« Il a toujours le bon. »

« Mais nous manquons à tous nos devoirs ! »

« En effet, c'est honteux. »

« Voudriez-vous prendre une place ? »

« À droite, ou à gauche ? »

« Faites à votre convenance. »

« Dans tous les cas, vous êtes les bienvenus. »

Et ils repartirent derrière leur comptoir.

Les gosses étaient un peu sonnés, mais c'est le Gamin qui récupéra en premier et il alla directement vers le ruisseau pour observer les poissons.

« Ils parlent toujours comme ça, les deux là ? Me demanda la fillette.

« Seulement lorsqu'ils sont ensembles. Ils aiment bien ce jeu, ils déconcertent souvent les nouveaux clients, mais ils sont sympas. »

La gamine fit une grimace. « Je ne les aime pas. »

« Ah bon ? Pourquoi ? »

« Pour rien. Allons manger. » Et elle partit rejoindre son frère.

Nous nous installâmes sur un des bancs en bois et Papa vint déposer les cartes avant de disparaître.

« Allez les enfants, un peu de lecture, qu'est ce que vous voulez boire ? »

Le Gamin se pencha sur le menu, chercha quelques secondes, et pointa du doigt le jus d'abricot.

« Tu es sûr de ton choix Gamin ? Montre moi de quelle couleur c'est. »

Celui-ci me regarda dans les yeux et pointa ses propres cheveux roux.

De son côté, la Gamine fixait les lettres avec colère, puis elle souffla de lassitude. « Je veux une limonade. »

« Tu es sûr qu'ils en ont ? Où est-ce que c'est marqué dans le menu ? »

« Euh... Là ? »

« Non, ça c'est de l'alcool. »

« Là ? »

« Non, ça c'est à manger. Prends un truc que tu peux lire . »

« … De l'eau ? »

« Montre moi. » Et elle pointa du doigt l'eau pétillante. « Très bien » dis-je en faisant signe à Papa qu'il pouvait prendre notre commande. Il vint nous voir avec un petit calepin.

« Que désirez-vous Messieurs Dames ? »

« On va prendre un jus d'abricot pour le frère, de l'eau pétillante pour la sœur et une limonade pour moi. »

« Tout de suite ! » Et il repartit en cuisine. La fillette, elle, me fusilla du regard, mais elle ne dit rien, elle me montra juste le menu et je lui indiquais où était marqué la limonade. Elle fixa alors le mot et le grava au fer rouge dans son cerveau.

« Technique malsaine de manipulation pour nous apprendre à lire. Je devrais savoir depuis le temps que l'on en peut pas vous faire confiance. » marmonna t-elle.

« Tu devrais surtout savoir que si je vous apprends quelque chose, je m'attends à des résultats, ou au moins à de l'attention pendant mes cours. »

« Et si j'arrête d'apprendre ? Juste pour voir ? »

« Et bien tu devras laisser ton frère faire tout le boulot à ta place. Tu ne sera jamais adaptée à ce monde et tu seras une assistée, donc un boulet pour ton frère. Donc tu vas apprendre, c'est tout. »

Tous les deux avalèrent leur salive bruyamment.

« Vous êtes méchant parfois, Vieil Homme. » me dit la Gamine d'une petite voix.

« Il ne faut pas me tenter. »

Et nos verres arrivèrent à point nommé. Je commençais à siroter ma limonade, quand la Gamine me demanda :  « Et ça, en haut de la liste, ça veut dire quoi ? »

Aaaah … Faire peur à la Gamine, ça fait du bien parfois.

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