Chapitre 85 : Regards et masque blanc

Par Kieren

L'eau du ruisseau nous reposait. J'étais couché sur le banc en bois après un très bon repas. Le Gamin avait commander une salade et la Gamine du poisson. Son frère l'avait aidé à choisir discrètement. Je crois qu'il y eut un jeu de regard. Papa avait déposé en plus trois coquelicots, moi et le gosse leur en avons donné un chacun, en les laissant sur la table.

Les enfants jouaient dans le restaurant, tandis que moi j'écoutais Papy Pétard et ses compagnons de pétanque s'engueuler, puis rire, puis rejouer. Je me voyais à leur place, d'ici dix ans, peut être moins. Aurai-je encore le courage de rire ? La volonté de gueuler ? La patience de continuer à jouer ?

Peut-être, je ne sais pas.

Je ne sais pas …

« Salut Berger. Te laisse pas t'endormir, tu vas te perdre après. »

J'ouvris les yeux, et je vis un masque blanc qui se penchait vers moi avec un sourire disproportionné. L'homme qui le portait était large d'épaule, grand, portant une veste noire, un pantalon noir, des chaussures et des gants de cuir blancs, un tissu rouge noué à son crâne. Il avait trente-deux ans.

« Bonjour Souffleur de Verre. Tu survis ? » lui dis-je.

Il haussa les épaules. « Et toi ? »

« Ça reste honnête. » Cela le fit rire.

« Bien ! C'est déjà mieux qu'avant. Au fait, ils sont à toi les deux gosses ? » me demanda t-il en les désignant du pouce.

« … Oui. »

« Aaah … Ils ont l'air joyeux … Tu les aimes ? »

«  … Bien sûr. »

«  Vraiment ? » Le masque était vraiment près de mon visage. J'étais mal à l'aise.

« Oui, vraiment. »

« Mmmmh … » Les yeux du masque me fixèrent encore quelques secondes, des yeux noirs, graves. « Surprenant de ta part Berger, surprenant... »

« Éloignez vous du Vieux Gamin, l’Étranger. Vous sentez la haine. » dit la Gamine, un couteau pointé en direction de l'artère fémorale du souffleur de verre.

« Ah oui ? Et toi, que sens-tu ? » souffla t-il en précipitant son visage devant celui de la fillette, en se tordant de toute sa hauteur, afin d'être au niveau de ses yeux, sa main sur la lame, le cuir assez épais pour que rien ne puisse le traverser.

La fillette ne le lâcha pas du regard, elle commença à cracher tel un chat et saisit la gorge du masque et le colla contre son front.

Moi je ne fis rien, j'attendais juste, un couteau sous la main.

« Drôle de scène que voilà. » intervint le Don.

« Triste scène en effet. » rajouta Papa, accompagné du Gamin.

« Essayes-tu de mourir Aïdan ? »

« Oui Aïdan, arrête de te mettre en danger. »

« Tu vois bien. »

« Tu as toute son attention. »

«  Et la notre aussi. »

« Et toi petite ? Veux-tu vraiment faire ça? »

« Tuer, pour protéger ? »

« Devant nous ? »

« Devant ton frère ? »

Aïdan pencha sa tête, sonda la Gamine, comme elle le sondait.

Le ruisseau coulait, la pétanque s'était stoppée, tout le monde regardait. Et moi, dans tout cela, je les laissais se regarder, peureux et triste comme un roi.

Puis le masque décréta : « Tu sens la haine, tu sens comme moi, mais aussi l'amour et la joie. » Il se redressa, dégageant son cou, d'un simple geste de la main. Il tourna des talons, lâcha le couteau et s'installa à une table un peu plus loin. Il commanda un verre d'eau, puis il tourna la tête, et s'adressa à la fillette, encore une fois : « Aimes-tu le Berger ? L'homme qui veille sur toi ? »

La Gamine rangea son couteau, et me prit par la main. Elle ne dit absolument rien, mais son regard suffisait, et son frère nous rejoignit. Nous étions trois, indivisibles et invincibles, et je me sentis fort et fragile à la fois.

Aïdan gloussa, et décréta que cela était bien. Puis il se mura dans un silence et nous laissa dans une atmosphère de confidence.

« Les enfants, voici Aïdan, notre souffleur de verre.

Le Gamin éloigna nos coquelicots de cet homme, fronçant les sourcils.

« Tu ne veux pas lui en donner Gamin ? » Il secoua la tête. « Tu as bien raison. Il n'en voudrait pas de toute façon. »

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