Le village était en effervescence. Dans les rues on s'échangeait des sourires, des poignets de main, des baisers, des coquelicots. Le rire ressortait de ce brouhaha par moments, mais il ne venait pas de notre côté. Nous marchions en silence tous les trois, le Gamin me tenant la main, sa sœur marchant à ses côtés. Moi je soufflais doucement.
« Vous savez les enfants, Aïdan est … » mais la Gamine me coupa, sans me regarder.
« Ça ne nous intéresse pas. »
« … Vous ne voulez rien savoir de lui ? »
Le Gamin ne dit rien, sa sœur parla fort « Absolument rien. Vous nous avez dit de nous fier à vous pour les villageois. J'ai vu qu'il vous agressait, j'ai vu le couteau sous votre main. Vous ne l'aimez pas. Alors c'est une ordure pour moi. C'est tout. »
Son frère ne disait toujours rien.
« … Aïdan n'est pas toujours comme ça, il est cordial d'habitude, mais il n'aime pas le jour des coquelicots. Il a ses raisons. »
« Mais il est dangereux. J'ai vu que vous aviez peur de lui. »
« J'avais surtout peur pour toi. » Cela fit réagir la Gamine, elle me regarda. « Le problème avec Aïdan, c'est qu'il est imprévisible. On ne sait pas ce qu'il se passe dans sa tête. On ne sait pas comment il va réagir... Lui non plus d'ailleurs. Et j'avais peur que tu réagisses mal, toi aussi. »
« Merci pour votre considération Vieux Gamin. Mais je suis un animal sauvage, pas un être humain. » me dit-elle avec fierté. « Je sais me tenir. »
Son frère me serra un peu plus fort la main. Il ne disait toujours rien.
Je vis du mouvement derrière un baril qui servait à recueillir l'eau de pluie. Un enfant essayait de se cacher de nous. Je ne fis mine de rien. Un deuxième se trouvait dans l'ombre d'un coin de rue, et le troisième...
« On nous observe du toit, Vieux Gamin » me signala la fillette.
« Merci Gamine. Protégez vos têtes. »
Ils eurent à peine le temps de se mettre en position que déjà on nous bombardait avec des œufs pourris. Je servais de couverture pour le Gamin tandis que sa sœur défendait nos arrières.
« À l'assaut ! » criaient nos assaillants. « Pas de quartier ! »
« Pas de quartier alors. » marmonnais-je en attrapant les projectiles, sans les casser, avant de les renvoyer à la figure des gosses qui nous attaquaient.
« L'effet de surprise n'a pas marché Ams ! Il nous attaque !» cria celui dans la ruelle. Il était court sur patte, les dents et le menton en avant, cheveux courts et bruns, lunettes carrées. Il s'agissait de Tram.
« Oui Ams ! Rentrons ! J'ai plein d’œufs dans les cheveux ! Ça pue ! » pleurnicha le petit gros derrière le baril. Il avait un foulard bleu qui lui couvrait le crâne, un peu mat de peau, cheveux châtains. C'était Gram.
« Vous n'êtes que des mauviettes les gars ! » hurla le blond sur le toit. Plus grand mais plus fin que les autres, Ams avait un regard mauvais pour des yeux bleu ciel. « Vous ne savez pas vous battre ! »
C'est alors qu'il reçu un œuf en plein dans la figure, de la part de la Gamine, qui n'était plus très propre elle non plus. Mais, déséquilibré, Ams chancela, hurla et chuta du toit. Je me précipitai et réussi à l'attraper juste avant qu'il ne heurte le sol.
Il y eut un instant de flottement, il me regarda avec peur, puis ses yeux s'assombrirent et il me frappa au visage en hurlant : « Lâche moi espèce de vieille merde ! Je t'interdis de me toucher ! »
Je ne réagis pas. Il continua à se débattre, alors je soupirai et le posai sur le sol. Mais déjà la Gamine se jeta sur lui et ils roulèrent par terre. Elle réussit sans mal à le dominer et à la maintenir au sol. Elle lui cracha dessus et ponctua chacune de ses phrases par un coup au visage.
« Tu touches pas au Vieux Gamin ! Tu touches pas à mon frère ! Tu touches pas à ma famille ! »
Tram et Gram avaient arrêté l'assaut, mais ils n'osaient pas approcher. Le Gamin était le seul à être intact et il pleurait.
Je finis par prendre le poing de sa sœur et la souleva pour la remettre sur ses pieds. « Ça suffit Gamine. Il a eu son compte. »
« Personne ne touche à ma famille ! Personne ! » hurla t-elle, elle aussi pleurait. « Qu'est ce que c'est tous ces humains qui s'en prennent à vous Vieux Gamin ? Vous n'avez rien fait de mal ! Rien ! »
Ams se tenait le nez, il pissait le sang ; ses amis vinrent le prendre sous le bras, et même s'il les traitait de lâches, il avait besoin d'eux pour se remettre debout. Il se retourna une dernière fois pour m'adresser un regard rouge de haine et cracha une boule de sang à mes pieds.
« Sale assassin. Va crever. » me dit-il aussi fort qu'il le pouvait, il ne put que le souffler, mais cela me suffit pour avoir mal.
La Gamine répliqua : « Si le Vieux Gamin a déjà tué, c'est que l'autre le méritait ! » Mais je lui collai la main sur la bouche, lui adressa un regard et cela suffit à la faire taire.
Ams ne dit rien d'autre, et il s'en alla avec ses deux compères dans la foule qui s'était rapprochée. Tous nous regardaient, avec des expressions très variées : de la colère, de la compréhension, de la peine... et surtout de la honte.
Et par dessus ce silence, on entendait Aïdan lâcher un gros : « Ah ! Je vois que vous aimez toujours bien regarder ! »
Cela provoqua comme un choc électrique, et tout le monde se dispersa. Certains allèrent vers Ams, Tram et Gram, pour les disputer, et les soigner. D'autres nous regardèrent, mais ils ne s'approchèrent pas. Le Gamin pleurait toujours. Sa sœur, une fois à terre, shoota dans un caillou et se mordit le bras pour ne pas crier.
« Aller venez. On se casse. » leur dis-je. Ils approuvèrent.
Je pris le Gamin dans mes bras, toujours en pleurs, tandis que sa sœur me prit la main, se collant à moi quand nous traversâmes la foule en direction de la rivière.