« N'empêche, ils sont tous cinglés dans votre village, Vieux Gamin. »
« Tous, Gamine ? »
« Bon, peut être pas tous, mais ça ne fait pas une journée qu'on le visite, et on a déjà été agressé par un étranger masqué, bombardé d’œufs pourris par une troupe de clowns et entraîné de force à une partie de ''lancer de grosses boules sur une petite boule'' … ''avec des boules vivantes'' ! »
« Elles ont été faites pour ça, c'est ce qu'elles aiment être. »
« On leur a déjà demandé ? »
« Oui, on leur a offert la liberté plusieurs fois, elles finissaient par revenir devant la maison de Papi Pétard. »
« Les imagos sont étranges. » dit-elle avec un air renfrogné.
« Les humains aussi. Tu disais que tous les habitants du village étaient cinglés, j'ai tendance à penser pareil. Laissez leur du temps, ils vous le prouveront, et sans doute qu'entre temps vous aurez appris à les apprécier pour ce qu'ils sont. »
« … Et si ce n'est pas le cas ? »
« Alors dites vous que vous n'êtes pas irréprochables non plus. »
Nous étions toujours à la rivière, entrain de manger un casse croûte devant le concert improvisé de Simon et de Vanessa. D'autres personnes avaient eu la même idée, alors nous n'étions plus aussi seuls qu'au début.
La Gamine nageait à côté de moi tandis que je portais son frère sur mes épaules. Celui-ci se reposait sur ma tête, jusqu'à ce qu'il fit signe à Billy qui se promenait dans le coin. Il nous remarqua et vint nous rejoindre à son rythme.
« Tiens tiens, l'Amazone et son petit frère sont sortis pour la fête des coquelicots, ça fait plaisir. C'est votre première fois dans le village alors ? Qu'est ce que vous en pensez ? »
Le Gamin parut incertain, puis sourit en haussant les épaules.
« Vous êtes tous fous dans ce village. » affirma la Gamine.
« Tous ? Même moi ? » demanda Billy.
« Le Vieux Gamin nous a dit de te laisser du temps pour nous le prouver ». Cela le fit rire.
« Si le Monsieur à la longue barbe le dit, je ne vais pas le contrarier à le contredire. Vous passez quant même un moment agréable ? »
« J'ai déjà connu pire » feignit la Gamine. « Au fait, tu as un coquelicot qui t'attend sur la berge, va le prendre, c'est cadeau, quoi que cela puisse bien vouloir dire... »
« Quelle désinvolture, l'Amazone. Personne ne vous a raconté leur signification ? »
« Non. Le Vieux Gamin nous disait que quelqu'un nous le dirait si on allait au village. »
« Je me demandais si vous auriez eu l'esprit assez fin pour le deviner. On dirait que je me suis trompé. » avouai-je, ce qui me valu une gerbe de flotte à la figure.
Billy se frotta la tête. « Bon, et bien, on dirait que l'honneur me revient, qu'il en soit ainsi. Moi, Billy, fils de Tess et de Andrée, je m'en vais vous raconter ce qui uni tous les villageois en ce jour solennel des ... »
« Oh ferme ta gueule, le Dalmatien, viens en aux faits » bailla la Gamine, mais elle sourit discrètement en voyant que Billy ne se démontait pas.
« Sauvage ! Jamais de ma vie n'ai-je connu pareil affront ! Puisque ma verve vous horripile à ce point, je m'en vais vous ensevelir sous une montagne de mots, de points et de virgules, si éloignés du début de ma phrase que, voilà t'y pas, je ne sais déjà plus de quoi que je cause... Ah oui ! Le jour des coquelicots.
Il s'agit d'un jour où l'on lutte contre la solitude et l'égoïsme. Il ne vous a point échappé que nous échangeons des coquelicots dans des coquilles d'escargot ? Je tiens à préciser, il n'existe point deux gastéropodes qui partagent la même maison. »
« C'est faux ! » s'insurgea la Gamine.
« Ah oui ? Et où avez vous vu cela ? »
La Gamine leva la main droite sans dire « je le jure » et se frotta la panse en se léchant les babines.
« Évidemment si nous comptons les colocations imposées la métaphore ne va plus. Mais ce qui compte, c'est ce que nous faisons de notre vivant, l'important n'est pas d'avoir un tombeau commun, mais d'avoir des vies entremêlées. Une fois mort, l'escargot n'a que faire de sa coquille, et celle-ci finit par disparaître dans les affres de l'oubli de la Terre. Mais chez nous, cette maison sert à abriter une nouvelle vie, et nous nous les offrons, pour nous rappeler que l'on peut compter les uns sur les autres. »
« Ça a l'air très fleur bleue votre truc. » ajouta la Gamine avec un sourire narquois.
« C'est ce qui nous unit, comme ce qui vous unit, toi et ton frère. C'est un rappel qui dit que l'on n'est pas seul, parce qu'on pense aux autres, et que les autres pensent à nous. »
« Mais quelles sont les garanties pour que ça reste authentiques vos promesses ? »
« … Le village est assez isolé par rapport au reste de la République. Nous comptons beaucoup sur nous même, sur notre système de valeur, et sur notre sens de la protection. Nous sommes une grande famille, alors nous veillons les uns sur les autres, quel qu'en soit le prix. »
« Mais bien sûr » ajouta la Gamine en roulant les yeux. Billy la fixa, l'air désolé, cela intrigua la fillette.
« Je te le dis l'Amazone, quelque soit le prix. Vous êtes nouveaux ici, mais vous avez reçu des coquelicots, au moins de moi. Je ne vous laisserai pas tomber. On ne vous laissera pas tomber. J'attendrai un coquelicot de votre part quand vous serez prêts » ajouta Billy en rassemblant ses affaires.
« Prêts à quoi ? » demanda la Gamine à Billy.
« Prêts à me faire confiance » dit-il en nous saluant. Au loin il croisa d'autres villageois à qui il donna des coquelicots, avec le sourire. Il leur fut rendu.
La Gamine parut songeuse. « Il n'a pas tout dit, n'est ce pas ? »
« Non, en effet. »
« … Pourquoi faire une fête comme celle-ci ? »
… « Je vous montrerai ce soir. » leur dis-je en frottant les cheveux du Gamin, qui semblait aussi curieux que sa sœur. « Vous n'avez pas encore vu l'événement principal. »
« … Au fait …. Il était sincère ? »
« Billy ne ment pas. Il ne ment jamais. Vous verrez bien ce qu'en dit le futur. »
« De toutes façons je n'ai pas besoin de lui » dit-elle en croisant les bras, et elle commença à couler.