— Attendez-moi en bas, ordonna Leïla d’une voix tendue. Sofiane, tu te rappelles du numéro de mon garage ?
— Bien sûr.
— Je vous rejoins le plus vite possible.
Elle s’engagea dans les escaliers – ils pouvaient l’entendre avaler les marches jusqu’au troisième – tandis que Sofiane ouvrait la porte du sous-sol à Fatou. Il tenait Gros dans ses bras, qui se raccrochait de toutes ses griffes à ses avants-bras. Fatou marchait devant, la main glissant le long de la rampe. Le béton était glacé sous les chaussettes de Sofiane.
En bas, la lumière des néons prenait une teinte jaunâtre en se mêlant aux murs gris et à l’odeur froide des lieux. Sofiane les guida jusqu’à la porte numéro quatre, derrière laquelle Leïla entreposait sa vieille Citroën. Il ne leur restait plus qu’à attendre. Fatou croisa les bras sur sa poitrine, furetant les alentours comme une petite souris.
— T’as froid ? devina Sofiane. Prends-le une seconde.
Il lui confia Gros pour retirer son sweat et lui donner. Sous les poils de son chat, sa peau se hérissa de chair de poule.
— Merci, dit-elle en remontant la fermeture jusqu’à son nez.
Il hocha la tête, dansant d’un pied sur l’autre pour réveiller ses orteils frigorifiés.
— Tu vas bien ? finit-il par demander.
— Je veux ma maman.
Elle ne pleura pas, ne se mit pas à trembler. Elle l’énonça simplement, du bout des lèvres, presque honteuse, et ça lui brisa le cœur. Il fut lâchement rassuré d’entendre Leïla revenir, il reconnut sa démarche à l’oreille. Elle surgit à un angle, l’air décidé, un gros sac moche qu’il n’avait jamais vu au bout du bras. Elle avait troqué son uniforme contre un jean et un pull.
— Dépêchons-nous, dit-elle en jetant le sac dans les bras de Sofiane pour ouvrir la porte du garage.
— C’est nouveau ? demanda-t-il en étudiant le tissu fleuri.
— C’est un cadeau de Noël de ma grand-mère, répondit-elle. Je le cache au fond de ma penderie. Je me disais que ce serait plus pratique pour le Captain.
Ils s’installèrent en voiture. Elle sentait la poussière, mais Sofiane s’y sentit en sécurité. Ils étaient partis plus d’une fois en weekend à bord de ce véhicule.
— Regarde dans ta portière, indiqua-t-il à Fatou, il devrait y avoir un vieux Mickey Magazine. Je le relisais chaque fois qu’on partait en vacances avec Leïla.
— Un mystère que je l’ai pas jeté, grommela-t-elle. Attache-toi, qu’on nous arrête pas connement.
Il s’exécuta alors qu’elle manœuvrait la voiture pour quitter le sous-sol.
— J’ai mis des godasses dans le sac, informa-t-elle. C’est du 43.
— J’avais laissé des chaussures chez toi ? s’étonna-t-il.
Mais il ne reconnaissait pas cette paire de baskets.
— C’est à mon copain, précisa-t-elle un peu sèchement.
Il ne trouva qu’un pathétique « oh » à lui répondre, et les enfila la boule au ventre. C’était un sujet dont ils ne parlaient jamais – avant de ne plus se parler tout court – mais il était sûrement temps pour lui de passer à autre chose.
Comme de s’occuper des gens qui voulaient le tuer pour kidnapper une fillette arrachée à sa maison, sa famille et son pays. Il lui jeta un coup d’œil discret via le rétroviseur.
Fatou avait le magazine sur les genoux, mais ne le lisait pas. Le front appuyé contre la vitre, elle regardait la ville sans la voir. Son attention était lointaine, ses prunelles éteintes. Le sweat trop grand de Sofiane soulignait sa maigreur. D’une main absente, elle caressait Gros, couché en brioche dans le sac de Leïla.
Où avait-il pu rencontrer cette petite fille ? Qui pouvait-elle lui rappeler avec autant de force ? Plus il l’étudiait, plus la certitude de la connaître s’enfonçait dans son corps.
Il cilla et remarqua que Leïla l’observait à la dérobée.
— Je vais faire un détour jusqu’à une aire d’autoroute, informa-t-elle. Si personne ne nous suit d’ici là, je prendrai le chemin de chez ma mère.
— Ils savent que tu nous aides, ou ils le sauront bien assez tôt. Tu crois pas que c’est le premier endroit où ils iront chercher ?
Le sourire de Leïla lui creusait une fossette dans la joue droite.
— On ne va pas à son appartement. Elle a acheté une maison dans un coin paumé et y a trop peu de monde qui savent où c’est.
— Je l’ignorais.
— Elle avait fait les démarches sans m’en parler, avoua Leïla avec gêne, et puis ça s’est fait y a deux ou trois mois.
Le silence les empoigna au souvenir de leur relation fracturée.
— C’est vraiment paumé ? s’enquit-il pour briser la glace.
— Revest-les-brousses.
— Okay, ça se passe de commentaire.
{*} Bien aimé l'élément nouveau que Leïla ait un copain, et la suggestion qu'il y a eu possiblement quelque chose entre eux. Je pensais effectivement que tu voulais raconter une histoire d'amour entre eux. À voir si c'est finalement une histoire d'amitié, ou si le copain est un obstacle temporaire.
{*} Je trouve bizarre que le truc le plus important de tout, qui est le fait qu'ils se connaissent d'avant mais ils ne savent pas d'où, ne soit pas plus exploité déjà là. Si j'étais eux, j'ai l'impression que je me triturerais le cerveau, je poserais plein de questions à l'autre personne pour trouver.
Après, c'est tellement illogique qu'ils se connaissent que Sofiane se concentre sur la situation actuelle. Il lui est pénible de se pencher sur la question, aussi, mais j'en reparle plus tard.
Fatou, par contre, y pense davantage.
Biz !
J'aime comme Sofiane reste empoté face à Fatou qui demande sa mère. Il se sent lié et responsable d'elle, mais pour autant ça ne lui fait pas pousser un instinct paternel comme par magie, je trouve ça sympa (et c'est réaliste, mais ce n'est pas ce que beaucoup de fictions font...).
J'apprécie également les creux de la relation entre S et leïla qui apparaissent ; ils ne deviennent pas magiquement copains comme cochons, tous les mois d'éloignement effacés ainsi. En résumé : j'ai trouvé ce chapitre très délicat, qui effleure sans les gratter ni les cicatriser les blessures qui viennent avec le temps et les événements.
Plein de bisous !
Merci beaucoup pour ce retour. Je suis très très contente d'avoir réussi à te faire ressentir tout ça (et soulagée, comme toujours, si tu as trouvé les réactions de Sofiane réalistes).
Bisous !
Mow merci pour ces compliments, Rach. Je pense rarement à une histoire avec ses étapes narrative, mais plus souvent avec les relations de personnages ou leurs caractères et leurs blessures ; je suis très heureuse que ceci fonctionne.
Beaucoup de textes sont basés sur une narration (on va de A à C en passant par B) qui doit avancer, quitte à tordre les personnages, leur donner des motivations peu réalistes et des relations peu vraisemblables. Tu ne tombes jamais dans cet écueil !!!
https://fr.wikipedia.org/wiki/Revest-des-Brousses
Alive Arsenic est toujours très doué pour recommander des lieux paumés. Le nom était juste parfait xD
Les personnages enfants me posent aussi beaucoup de soucis. J'ai pu un peu tricher avec Fatou, donc si jamais ça sonne faux je peux toujours m'appuyer sur l'excuse scénaristique (bouuuh)
Je trouve très fort la description d'enfants mignons, en fait ! Certains auteurs y arrivent sans que ça exaspère ou que ça sonne faux (j'ai lu "à quoi rêvent les étoiles" de Manon Fargetton, et y a une petite tornade choupi comme ça, qui fonctionne bien !)
A force de bosser avec des enfants, j'aimerais bien les représenter et les écrire... mais je ne suis pas encore prête je crois. Cela dit, je suis très contente et soulagée que Fatou te plaise ! Pourvu que ça dure !
Bisous Cricri !