La nuit fut courte. Pas à cause de Maude, qui a dormi comme un bébé — dormir, c’est encore ce qu’elle fait de mieux ces derniers temps. Plutôt à cause des cauchemars qui n’ont cessé de torturer son esprit. Olivier est épuisé. Il a l’impression d’avoir couru un marathon sur une route ensanglantée qui s’allongerait à l’infini, et dont chaque kilomètre serait ponctué d’une voiture accidentée. Leur voiture accidentée. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas replongé dans ces souvenirs tragiques, mais cette nuit, il s’est bien rattrapé.
— Si ça se trouve, c’est encore à cause de la lune.
Il pouffe tout seul. Puis se demande si la fatigue le rend meilleur public que d’habitude, ou si l’isolement commence à le rendre fou. Il se demande ensuite à quoi on reconnaît la folie.
— C’est sûrement quand on commence à parler tout seul.
Il sent qu’aujourd’hui ne sera pas une bonne journée. Maude semble plus faible que d’habitude et ne s’est même pas relevée contre la tête du lit pour observer le paysage. Olivier décide tout de même de lui préparer son petit déjeuner. Un œuf brouillé, des framboises et de la compote. Il sait que les framboises ne sont pas de saison et qu’il faut les faire venir du Mexique, ce qui est un désastre en matière d’écologie et de sauvegarde de la planète. Mais c’est le péché mignon de Maude, son fruit préféré. Pour faire plaisir à sa femme, Olivier est prêt à faire passer ses convictions écolos par la fenêtre.
Alors qu’il finit les restes de sa femme — elle n’a pratiquement rien avalé, le téléphone sonne. Olivier a bien envie de l’ignorer. C’est tellement plus simple. Si ces dernières semaines lui ont appris quelque chose, c’est qu’on s’épargne beaucoup de peine et de problèmes en s’éloignant du téléphone. Par curiosité, il va quand même voir qui essaie de le contacter. Sa mère. Olivier soupire. Avant même de décrocher, il sait déjà qu’elle va lui faire des reproches. Ou la morale. Pourtant, il décroche. Même à distance, il n’arrive pas à faire de la peine à sa mère adorée.
— Bonjour maman.
— Mon chaton, comment tu te sens aujourd’hui ?
— Un peu fatigué. Mais je tiens le coup.
— Oh mon coeur, tu ne peux pas continuer à faire ça tout seul.
Olivier sent que sa mère retient ses larmes. Sa voix est voilée. Elle prend une grande inspiration pour se calmer.
— Oli, viens à la maison s'il te plaît. Tu as besoin de changer d'environnement et de te reposer. Je veux retrouver mon garçon. Je veux te voir sourire et te préparer à manger, comme avant. Laisse-moi jouer mon rôle de mère.
Par la fenêtre, Olivier aperçoit un écureuil bondir dans le jardin. Il laisse des petites traces de pattes dans la neige fraîche, puis disparaît dans une haie. Maude l'a sûrement vu passer. Il espère que ça l'a fait sourire.
— Pas tout de suite, finit-il par répondre d'une voix douce. Je ne suis pas encore prêt.
Toujours cette peur d'apercevoir de la pitié dans le regard des autres. Ou pire, de la colère pour ce qu'il a fait. Qui peut avoir de la compassion pour quelqu'un qui s'est mis sciemment en danger ? Non, vraiment, la perspective d'un repas de famille ne le réjouit pas. Il s'en veut bien assez comme ça. Pour le moment, il préfère être le seul juge de ses mauvais choix de vie.
— Maman, il faut que je te laisse, je dois aller préparer le dîner. Ce soir, on mange des lasagnes ! Fais des bisous à papa, bye.
Il ne lui laisse pas le temps de répondre, et raccroche en soupirant. La situation est bien assez difficile sans devoir en plus consoler sa mère. Bien sûr, il sait qu’elle a raison et qu’il devrait parler à quelqu’un. Ou au moins, essayer de partager le poids de son quotidien si solitaire. Maude n’est pas des plus bavardes… Il ne se fait toujours pas au silence qui règne désormais dans leur grande maison. Alors parfois, il s’amuse à regarder d’anciennes vidéos de Maude et lui. Ils n’en ont pas beaucoup, car Maude préfère prendre des photos, donc les rares extraits qu’il trouve sont d’autant plus puissants. Il écoute le rire de sa femme. Un rire bien particulier, parfois irritant, mais qui lui manque tellement. Entendra-t-il ce rire résonner à nouveau dans leur nid douillet ?
Cela fait quelques jours que des pensées sombres s’accumulent dans l’esprit d’Olivier. Il pense à l’avenir. Il se demande si Maude sera encore là longtemps. Pas à cause de sa santé encore vacillante, mais de leurs liens qui s’effilochent… Sa femme prend ses distances. Son regard n’est plus le même. Quand il la touche, elle se dérobe. Les repas, pris dans un silence de plomb, sont devenus une torture. Désormais, Olivier allume la petite télévision qu’il a installée dans la chambre d’amis, afin d’amener un semblant de vie. La situation est douloureuse, pour l’un comme pour l’autre. Il ne voit que deux évolutions possibles : Maude guérit totalement et le quitte, ou sa santé ne s’améliore jamais et ils finissent par se haïr. Olivier repense à la soirée où tout a basculé. Si seulement il avait su profiter de l’instant présent…
Il y pense encore quand il ouvre le frigo et qu’il scanne rapidement les étagères pour décider de ce qu’ils mangeront ce soir. Tout en bas, le fameux plat de lasagnes semble l’attendre. Voilà deux jours que la voisine le leur a amené, mais Olivier l’avait totalement oublié. Tant mieux. Pas besoin de se mettre aux fourneaux, il n’y a qu’à enfourner le tout.
— Ce soir, je relaxe. Merci Susan !
Il place les lasagnes dans le four en faisant bien attention à laisser la feuille d’aluminium. Il ne veut pas que le dessus du plat, recouvert de fromage, ne brûle pendant qu’il le réchauffe. Il le passera au grill pendant les cinq dernières minutes pour faire colorer le tout, et voilà ! Peut-être que les délicieuses lasagnes de la voisine redonneront le sourire à Maude…
En attendant que ce soit prêt, Olivier décide d’aller regarder la télé à l’étage, dans leur ancienne chambre. Il a besoin de prendre un peu de temps pour lui pour laisser divaguer son esprit et ne penser à rien. Il zappe entre plusieurs chaînes, quand enfin, il trouve l’émission parfaite pour éteindre son cerveau quelques minutes. À l’écran, des candidats de tout âge essaient d’impressionner un jury en faisant des acrobaties, des tours de magie ou de la danse. C’est plein de bons sentiments, de rires, de larmes et de chutes. Bizarrement, voir ces gens si stressés de finir en finale, pour une chance de revenir faire des sauts périlleux à la télévision, ça le détend. Se concentrer sur les problèmes des autres, c’est oublier les siens.
J'apprécie ce jeu de faire intervenir un nouveau personnage à chaque chapitre sans totalement oublier les précédents. Il permet de rester concentrer sur l'histoire et de pleinement en profiter.
Puisse Olivier briser le cycle infernal de cette rémanence.
Un chapitre fidèle aux autres. Le rythme est bon. Il n'y a plus qu'à souhaiter que le dernier acte de ce récit soit à la hauteur.
Chapitre final, ho hisse !
Le récit suit son court et reste intriguant. Je me demande ce qui va arriver par la suite car certains éléments restent obscurs. On ne sait pas finalement ce qu'à vraiment eut Maud, ni les conséquences de cet accident sur sa santé physique. Son mutisme en dit long mais seul l'aspect psychologique est étudié, toujours du point de vue de son mari. Celui-ci en revanche est très touchant et l'on ressent tout à la fois son inquiétude et sa culpabilité.
J'ai hâte de voir les prochains chapitres :)