Chapitre 9

Leur désir de promenade exprimé, Ada glissa deux morceaux de gâteau encore chauds et des oranges au fond d’une musette, tout en donnant des recommandations qu’elles écoutèrent d’une oreille distraite. Les fillettes empruntèrent le chemin qui traçait droit vers la colline, marchant en silence. La raideur du sentier, le froid vif et la neige épaisse qui collait aux bottes n’encourageaient pas la conversation. Alors qu’elles approchaient un bosquet de hêtres, Éloïse reprit la parole :

  • Tu te sens pas un peu barbouillé depuis qu’on est parti…
  • Si, je me sens toute drôle, c’est comme si j’avais la tête dans du coton…

Un appel provenant du petit bois les fit sursauter. Elles se regardaient interdites quand la voix retentit à nouveau. Quelqu’un demandait aide. Sans hésiter elles se précipitèrent. Une vieille femme était allongée dans la neige, un pied coincé sous une branche.

  • Je ne peux pas me relever, gémit-t-elle. Je crois que je me suis foulée la cheville et j’ai tellement froid...
  • Allons tout de suite chercher de l’aide à la maison ! s’écria Éloïse.
  • Non, non ! Je n’habite pas très loin, à une centaine de mètres à peine. Offrez-moi juste vos bras secourables et tout ira bien.

Hors du chemin, la neige montait jusqu’aux genoux rendant la progression encore plus difficile. Les fillettes peinaient à soutenir la vieille femme qui pesait de tout son poids sur leurs frêles épaules. L’effort était si intense que la cabane semblait s’éloigner au fur et à mesure qu’elles s’en approchaient. Elles atteignirent enfin la porte, épuisées. L’intérieur était à l’image de la locataire, misérable et triste : un sol de terre battue, une paillasse roulée dans un angle, un coin de cuisine rudimentaire et un poêle froid. Jamais elles n’auraient imaginé qu’une telle masure pouvait être habitée. L’atmosphère était humide et glaciale. Les yeux des petites, confrontées à une réalité inconnue, se mouillèrent de larmes. Pour se soustraire à l’émotion, elles s’activèrent l’une à dérouler le matelas et arranger le lit, l’autre à allumer le feu. Puis elles installèrent au mieux la vieille femme, la couvrirent d’une couverture élimée et de leurs épaisses pelisses afin qu’elle se réchauffât plus vite.

  • Vous êtes bien dégourdies pour des enfants de la ville.
  • On aide souvent à la maison, expliqua Éloïse. Nous, on veut savoir tout faire pour être des filles indépendantes !
  • Qu’est-ce qui vous fait penser qu’on est de la ville ? S’étonna Lara.
  • Vos manières et vous n’êtes pas vêtues comme les enfants d’ici...

La chaleur commençait à envahir la pièce. Une bougie, découverte au milieu d’une vaisselle dépareillée, diffusait une douce lumière.

  • Mettez de l’eau à chauffer. Il y a un pot avec des aiguilles de pin sur la table. Une bonne tisane nous réconfortera.

Tandis que Lara servait l’infusion dans des bols ébréchés, Éloïse sortit les parts de gâteau et les oranges de la musette pour les disposer sur une assiette. Elles s’assirent en tailleur à même le sol aux pieds de la vieille femme.

  • C’est pour vous, dit Éloïse en présentant l’assiette.
  • Mais, nous pouvons partager...
  • Non, non, répondit Lara, nous n’avons pas faim.

La vieille femme ne se fit pas prier et engloutit les parts gâteau comme si sa vie en dépendait. Puis elle regarda les fillettes avec intensité et bienveillance :

  • Éloïse et Lara Salvieski, vous êtes du Castel…
  • Oh ! Vous connaissez nos noms ? s’étonna Lara. Mais comment ? Nous ne nous sommes jamais rencontrées.
  • Il n’en est nul besoin, rien ici n’échappe à mon regard. Je lis dans les étoiles et dans les cœurs. Notre rencontre était inscrite depuis longtemps.
  • Oh ! Vous êtes la bonne fée ! s’exclama Éloïse. C’est pour ça que grand-mère ne vous a jamais trouvée, le moment n’était pas venu.
  • En effet, cette rencontre aurait été prématurée. Votre grand-mère est une femme de bien, mais trop impliquée pour conserver les idées claires, c’est pourquoi je vous ai choisies et je suis certaine de ne pas m’être trompée.
  • Vous nous avez choisies ? s’inquiéta Lara, mais pourquoi ?
  • Ne croyez pas que votre présence ici soit un hasard, vous êtes mes invitées, répondit la vieille femme en guise de réponse.

Les fillettes échangèrent un regard :

  • C’est pour ça que je me sentais toute drôle depuis ce matin, murmura Éloïse.
  • La magie fait parfois cet effet. Pardonnez-moi d’avoir eu recours à ce stratagème pour vous attirer. Vous êtes des enfants généreuses et désintéressées, deux qualités remarquables que j’apprécie au plus haut point. En remerciement de votre gentillesse et de ce délicieux repas, je vous offre mon aide. À présent, je vous écoute.

Consciente de leur bonne fortune, les fillettes ne se firent pas prier et contèrent, sans omettre le moindre détail, la terrible histoire de Mamochka.

  • Je vois… Apportez-moi deux petits morceaux de bois.

Sa demande satisfaite, la magicienne emprisonna les brindilles dans ses paumes jointes tandis que ses lèvres dévidaient en silence des formules obscures. Au bout de quelques instants, elle ouvrit les mains et leur tendit deux bâtons, l’un était noir comme la suie, l’autre d’un blanc d’albâtre :

-     Voici un fragment de nuit et un rayon de lune. Ce que l’un absorbe l’autre le révèle. La lune de sang annonce la fin. Ce soir, lorsque retentira le douzième coup de minuit, la magie disparaîtra à jamais emportant toute existence avec elle. Je vous offre également ces ciseaux d’or, peut-être en aurez-vous besoin… mais je n’en suis pas certaine. Dans tous les cas, prenez garde, ils peuvent se montrer redoutables. Allez maintenant, vos proches s’inquiètent de votre trop longue absence.

  • Vous avez raison, on va se faire ramoner par Eustache ! Il fait presque nuit, s’exclama Lara, on n’a pas vu le temps filer !
  • Allons-y vite !

Le jour déclinait doucement.

Les petites remercièrent chaleureusement la vieille femme et promirent de revenir lui rendre visite mais lorsqu’après quelques pas elles se retournèrent, la cabane avait disparu.

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Edouard PArle
Posté le 20/11/2024
Coucou Hortense !
Chouette chapitre, avec une tension grandissante tout au long de l'escapade dans la forêt. Je me suis d'abord méfié de cette vieille femme qui les attire dans sa cabane. Bon, finalement elle a de bonnes intentions, ouf!! Intéressant de montrer qu'elle les a attirées volontairement dans sa masure.
J'aime bien l'ambiance magique, conte de fée qui règne dans la fin de chapitre, avec les conseils de la fée. En tout cas, hâte du dénouement de tout ça, ça risque de pas être si évident pour les petites...
Mes remarques :
"Tu te sens pas un peu barbouillé" -> barbouillée
"Non, non ! Je n’habite pas très loin, à une centaine de mètres à peine." un peu louche tout ça
"jusqu’aux genoux rendant la progression encore plus difficile." virgule après genoux ?
Un plaisir,
A bientôt pour terminer cette histoire !
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