Chapitre 9

Notes de l’auteur : 03/03/2022: J'ai décidé de réécrire certains aspects de l'histoire et de reposter, en raccourcissant les chapitres sur Plume d'Argent pour que ce soit plus facile à lire pour les lecteurs de PA.
Je serai reconnaissante de tout commentaire, tout avis constructif pour améliorer mon récit.

Merci, et bonne lecture!

 

9

 

— Te voilà, je t’attendais, dit le jeune homme dans lequel j’étais rentrée avant de se tourner vers le garde. Veuillez excuser mon amie, elle est si petite qu’elle arrive toujours à se perdre dans la foule.

Je levai les yeux pour le foudroyer du regard mais il sourit d’un air charmant. Le garde se contenta d’hocher la tête et continua son chemin. Le jeune homme qui m’avait aidée était grand et imposant, avec des cheveux blonds cendrés et ébouriffés, et des yeux noisette.

Une fois le garde éloigné, je repoussai la main qu’il avait gardée sur mon épaule. Il baissa son regard vers moi, et un sourire amusé apparut sur son visage.

— De rien, je suis ravi d’avoir aidé une jeune femme qui sache faire preuve d’autant de gratitude, ironisa-t-il.

— Je ne t’ai pas demandé d’aide.

— Cependant, tu avais l’air d’en avoir besoin, continua-t-il.

Je m’éloignai, mon cœur battait fort. Mon regard ne cessait de parcourir la foule mais aucun garde ne me portait la moindre attention. Le jeune homme m’observa du coin de l’œil, puis me suivit aisément avec ses longues jambes.

— Si tu veux passer inaperçue parce que tu essaie d’échapper les gardes du palais, tu devrais arrêter d’avoir l’air aussi suspicieuse, suggéra-t-il.

Je me retournai vers lui si brusquement qu’il manqua de me rentrer dedans. Je levai la tête vers lui.

— Je n’ai pas l’air suspicieuse, répliquai-je. Et qu’est-ce qui te fait croire que j’essaie d’éviter les gardes du palais ?

Il haussa un sourcil, peu convaincu. Il lança un regard autour de nous si rapide et discret que je réalisai à quel point j’avais été empotée. Il tira rapidement ma capuche pour montrer mon visage puis passa à mes côtés pour m’offrir son bras. De cette façon, je serai cachée par sa silhouette. Après un moment d’hésitation, je posai ma main dans le creux de son avant-bras.

— Je t’ai tout de suite repérée, entre ta volonté de cacher ton visage et ta jambe boiteuse. De plus, c’est rare pour une jeune femme de porter des armes. Ce sont les gardes qui t’ont blessée ? Qu’est-ce que tu as fait pour les agacer à ce point ? Tu es une Agramienne ? demanda-t-il, sa voix devint plus dure.

— Qu’est-ce qu’une… Agramienne ?

La marche relativement calme qu’on avait commencée s’arrêta brusquement. Il me fixa, confus, comme s’il ne pouvait croire que quelqu’un pose une telle question. Plutôt que d’avoir à répondre aux questions qui allaient venir, je répondis à celles qu’il avait déjà posées pour le distraire :

— Quant aux gardes, ils… ce ne sont pas eux qui m’ont blessée mais je ne suis pas sûre qu’ils m’aient sur leur liste d’amis. J’ai entendu ce terme avant, mais qu’est-ce qu’Agram ? Je croyais que j’étais à Melahel ?

Il me toisa. Je vis dans ses yeux qu’il comprit que je n’étais pas d’ici et que quelque chose d’étrange se passait. Il lança un regard à la forêt. Le Bilderŵ qui se trouvait de ce côté du portail avait-il provoqué la même tempête que lors de mon départ de Sehaliah ?

Il ouvrit les lèvres, mais avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, une alarme se mit à résonner.

Tout le monde s’immobilisa. Je me retournai quand tous les gardes se mirent à courir à l’autre bout de la place. Un cor fut soufflé. Ils hurlèrent l’ordre de quitter les lieux et l’instant d’après la panique se répandit comme une vague.

— Les Agramiens attaquent ! Barricadez-vous ! Les Agramiens attaquent !!

Tout le monde fuit en criant, les vendeurs quittèrent leurs étalages sans prendre leurs marchandises. Bousculée par la foule, la seule raison pour laquelle je pus restée sur mes pieds fut grâce au jeune homme qui me protégea de son corps.

— Qui sont ces gens ? Que se passe-t-il ?!

— Ce sont eux, les Agramiens, maugréa-t-il à voix basse.

Sans répondre, il m’entraîna vers l’extrémité de la place. Les gens accoururent dans les ruelles ou les bâtisses pour s’y barricader. Au loin, j’entendis des chevaux au galop. Des hommes robustes se battaient contre les chevaliers, d’autres approchaient d’un air dangereux.

Le jeune homme me tira jusqu’à la forge. On passa à côté de deux feux qui brûlaient, surmontés par un toit. À l’intérieur de la bâtisse, des épées et des établis étaient disposées tout autour de nous. Il me lâcha le bras, ferma la grande porte en bois et la bloqua. Des pas précipités attirèrent mon attention.

— William ! Les Agramiens sont…

La jeune femme s’immobilisa en me voyant. Elle lança un regard à son ami qui m’avait aidée.

— Qui est-ce ? demanda-t-elle d’un air suspicieux.

— Plus tard, Isolde, répondit-il. Où est mon père ?

— À l’étage.

Il soupira de soulagement puis se rendit à l’arrière du bâtiment, dans une autre pièce. Quand il revint, il nous ignora et se dirigea vers la fenêtre la plus proche.

— On dirait que les Agramiens ont réussi à pénétrer la ville mais ils sont retenus par les gardes, dit-il en observant du mieux qu’il put.

— Tant mieux, que ces monstres soient décimés par nos soldats, siffla-t-elle avec une grimace.

Elle se tourna vers moi et me regarda de haut en bas.

— Pourquoi est-ce que tu as fait entrer cette fille dans la forge ? Qui est-ce ? Tu travailles au palais, non ?

Je lançai un regard à ma tenue, sans doute la raison pour laquelle elle pensait que j’étais une servante du palais.

— Cette fille n’est pas d’ici, répondit William, s’approchant en me fixant d’un air sombre. Qui es-tu, et d’où viens-tu ?

J’ouvris et fermai la bouche, hésitant longuement.

— Je… vous remercie pour votre aide, mais je peux me débrouiller maintenant, déclarai-je en me dirigeant vers la porte.

À mon passage, il m’attrapa le bras et me repoussa en arrière. Je grognai à la douleur qui traversa ma jambe.

— Un orage éclate au-dessus du chêne et une jeune femme à la jambe blessée, qui ne connait ni Azraald, ni l’existence des Agramiens, se balade en se cachant des gardes du palais. Il est hors de question que je te laisse sortir d’ici avant que tu n’aies répondu à mes questions. Lorsque ce sera fait, si tu veux te jeter dans la gueule du loup, je ne te retiendrai pas.

Le silence résonna, à part pour le son des batailles, étouffé par la distance et les murs.

La jeune femme s’approcha et sourit d’un air aimable.

— Tu peux nous faire confiance. Je m’appelle Isolde Lajoie. Et voici William Smith.

Elle m’offrit sa main tout en restant distante, comme si elle tendait de la nourriture à un animal sauvage qu’elle voulait apprivoiser. Fronçant les sourcils, je me redressai et dis d’un ton sec :

— Je ne suis pas un animal, inutile de faire comme si j’en étais un.

Elle perdit son sourire, replia doucement ses doigts puis rapprocha sa main de son corps, comme si je l’avais brulée avec mes paroles.

William eut un fantôme de sourire avant de s’adresser à moi :

— Tu connais nos noms, quel est le tien ?

— Je… je m’appelle Catherine… mentis-je, restant sur mes gardes et utilisant avec un pincement au cœur le nom de ma mère.

— Catherine ? C’est mignon. D’où viens-tu ?

Isolde était plus joviale que William. L’une était lumineuse de joie, et l’autre taciturne et distant. Isolde apportait de la chaleur et William, au contraire, un mur froid.

Comme je ne répondis pas à leur question, William intervint de nouveau :

— Tu ne sais vraiment pas ce qu’est Agram ? demanda-t-il d’un air suspicieux.

— Tu ne sais pas ? Comment est-ce possible ? s’enquit Isolde, confuse.

Un silence s’imposa et elle m’attrapa le bras.

— Pauvre enfant, elle a dû perdre la mémoire…

— Je n’ai rien perdu du tout ! m’écriai-je en reculant. C’est cette fée ! Et… et le Bilderŵ… !

— Le quoi ? Une fée ? répéta William, haussant un sourcil.

— Je veux juste rentrer chez moi, retrouver ma mère et ma vie d’avant !

Ils se regardèrent d’un air étrange. Je passai une main sur mon visage, désespérée. J’en avais assez de ce cauchemar atroce.

— Assieds-toi, fit Isolde.

Elle me guida à un tabouret et s’assit face à moi tandis que William resta debout, contre un établi, les bras croisés sur sa poitrine.

— Raconte-nous ce qu’il t’est arrivé, dit-elle doucement.

Je ne savais pas ce que je pouvais dire ou non, mais si je restais silencieuse, je n’apprendrais rien sur l’endroit où je me trouvais et comment rentrer chez moi. Et ce William m’avait aidée avant même de connaître mon identité. Même si j’avais l’impression qu’il l’avait seulement fait parce qu’il ne me faisait pas confiance.

— Vous… connaissez Sehaliah ? demandai-je d’une petite voix.

— Sehaliah est l’un des continents qui a été détruit il y a des siècles, répondit William d’un air confus.

— Il n’est pas détruit, et c’est d’où je viens.

Il déglutit et se tourna vers Isolde qui semblait aussi choquée que lui.

— Je… je ne sais pas vraiment pourquoi mais… mon village a été attaqué. Je me suis enfuie avec l’aide de… d’un ami. Il m’a emmenée à un endroit appelé le Bilderŵ.

— Qu’est-ce que c’est, ce Bidule ?

— Bilderŵ, corrigeai-je. Il s’agit d’un lieu sacré, un chêne immense et magique–

— Un chêne ? Comme notre chêne ?

— Votre chêne magique s’appelle juste « chêne » ? maugréai-je.

— Écoute...

— Qu’est-ce que ce chêne a fait ? interrompit Isolde.

— J’ai… j’y ai rencontré une fée, qui garde ce portail… entre les mondes. Et elle m’a envoyée ici.

— Un portail, entre les mondes, gardé par des fées ? répéta William en fronçant les sourcils. Tu as conscience que tu sonnes complètement folle ?

— Tu as conscience que tu sonnes complètement inutile ? répliquai-je.

Il fit une drôle d’expression et se redressa, ne pouvant croire que je lui avais parlé sur ce ton. Il eut un petit rire de fond de gorge, presque ironique.

— Folle ou pas, tu as une sacrée audace pour t’adresser à moi comme ça, fit-il.

— Et tu es sensé être quelqu’un de spécial ? Un roi peut-être ? ironisai-je en désignant la forge autour de nous.

Il roula les yeux au ciel d’un air agacé. J’aurais presque souri, si Isolde n’était pas à nouveau intervenue, exprimant son impatience d’en apprendre plus :

— Donc, tu viens d’un autre monde, de… Sehaliah, c’est bien ça ? Pourquoi as-tu été envoyée ici ? Que t’est-il arrivé depuis ?

— La nuit dernière une tempête est arrivée de nulle part, cela devait être le portail du chêne, commenta William.

— Je ne me souviens pas vraiment de mon arrivée ici, quand je me suis réveillée, j’étais au palais. Des hommes arrogants et imbus de leurs personnes ont décidé de m’interroger et lorsque j’en ai eu la possibilité…

Je ne finis pas ma phrase mais c’était assez explicite pour qu’ils comprennent.

— Tu t’es enfuie du palais, c’est pour ça que tu es recherchée par des gardes. Qui étaient ces hommes qui t’ont interrogée ?

—L’un d’eux s’appelait Benbrick, ou quelque chose comme ça–

— Le Duc Kendrick ? Le maréchal du Connétable Durand ? fit William d’un air ahuri.

— Et l’autre était ce Durand.

Il se tourna vers Isolde qui secoua la tête.

— Qu’est-ce que le Connétable Durand et le Seigneur Kendrick voudraient apprendre d’une complète inconnue ? s’enquit-elle.

— Les mêmes questions que vous, je suppose, intervins-je. D’où je viens, pourquoi, comment… Malheureusement, je n’ai quasiment aucune réponse. Est-ce que… est-ce que vous connaissez quelqu’un qui… pourrait m’aider ? Me donner des réponses et me permettre de… rentrer chez moi ? murmurai-je, serrant les pans de ma robe nerveusement.

— Oui, au palais, tu devrais y retourner et demander au Connétable Durand de te pardonner pour ton impudence ! s’exclama Isolde. Il est l’homme le plus puissant de Melahel, il est le seul à pouvoir t’aider ! William va…

Avant qu’elle ne puisse finir sa phrase, les escaliers de bois grincèrent. On se tourna vers un homme âge, courbé vers l’avant. Son visage était fatigué et ses traits étaient marqués par le tourment, mais il y avait suffisamment de William pour comprendre qu’il s’agissait de son père. Il s’arrêta en me voyant, et cligna des yeux, confus.

— William, qui est cette jeune fille ?

— Um, c’est… Catherine, qui vient d’un autre monde et cherche un moyen d’y retourner, répondit-il.

Il le dit de manière si nonchalante que j’aurais pu croire qu’il se moquait de son père, si ce n’était pour le fait qu’il s’agissait de la stricte vérité (à part mon nom, mais il n’en avait aucune idée). L’homme ouvrit et ferma la bouche puis hocha la tête, comme si c’était normal.

— Ah.

— Elle était en danger lorsque les Agramiens sont arrivés, continua William.

— Je vois…

Son visage s’assombrit et il sembla perdu pendant un moment. Il se retourna pour remonter à l’étage mais s’arrêta au dernier moment.

— Lorsque la menace dehors sera écartée… j’ai entendu dire que Myrddin était de retour en ville.

— Je sais, papa, tu me l’as dit ce matin, fit William. Je n’ai pas encore eu le temps d’aller le voir, mais j’irais dès que les Agramiens seront partis.

— Lothaire, intervint Isolde, on est occupés et je suis certaine qu’Émeline aurait besoin de votre compagnie pour se sentir rassurée pendant que la bataille fait rage.

— Bien sûr…

Il repartit, et je me tournai vers William qui garda sa mâchoire serrée.

— Il va bien ? demandai-je à voix basse.

Il me lança un regard froid et sombre. Je regrettai instantanément ma question.

— La guerre nous a beaucoup pris, répondit-il d’une voix dure comme la pierre.

— La guerre… contre… Agram ? hésitai-je, voix chevrotante.

— Ne te préoccupe pas de telles choses, fit Isolde d’un air rassurant en réalisant que j’avais peur. Si tu veux rentrer chez toi, tu devrais retourner au palais et demander à voir le Connétable Durand et Myrddin, je suis sûre qu’ils t’aideront.

— Qui est ce Myrddin ? La fée… a mentionné son nom, et ils ont parlé de lui au palais, continuai-je.

— Il s’agit du mage le plus puissant de Dareia, fit William.

Quand j’étais petite ma mère et Calador me racontaient les histoires de cinq mages et sorciers puissants, immortels, appelés les Inedor, qui parcouraient tout Dareia pour guider et protéger ses habitants. Myrddin… Myrddin était l’un d’entre eux, mais… Ce n’était qu’une légende.

Isolde prit mon silence pour de l’inquiétude. Elle pinça les lèvres avant de prendre mes mains dans les siennes pour me réconforter. Je grimaçai à la sensation étrange qui parcourut mon bras gauche. Cela attira l’attention d’Isolde et William qui observèrent ma main grisée d’un air confus, et inquiet :

— Ce n’est pas normal, qu’est-ce qui est arrivé à ta main ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas… lorsque je me suis réveillée, c’était...

Ma voix se brisa en un cri lorsque la douleur frappa mon corps et me fit tomber au sol. Isolde essaya de me retenir et William approcha pour m’aider à me redresser. Je lançai un regard paniqué à ma main qui tremblait de douleur.

— Qu’est-ce qui m’arrive ? murmurai-je, sans espérer de réponse.

— Cela ressemble à de la magie… Tu penses qu’il s’agit d’un mauvais sort ? interrogea Isolde, levant son regard vers William.

— Un mauvais sort ? répétai-je. Mais… je viens seulement d’arriver ici, ça n’a aucun sens ! Je n’ai rien fait de mal !

— Peut-être est-ce un effet de ton arrivée à Erydd, cela peut ne rien être, ajouta-t-elle en tentant de me rassurer.

Je me tournai vers William, espérant qu’il affirmerait ces mots mais son visage resta grave.

L’alarme cessa de résonner, suivie d’un cor. Leurs sons étaient étouffés par la distance mais toute la ville l’entendit. William réagit enfin. Il soupira de soulagement, et me fixa d’un air méfiant.

— Les Agramiens ont été repoussés. Je devais partir à la recherche de Myrddin qui est enfin de retour à Azraald. Si tu veux, viens avec moi et tu pourras lui poser tes questions. Peut-être saura-t-il ce qu’il t’arrive.

— Est-ce qu’il pourrait… me faire retourner dans mon monde ? m’enquis-je d’une voix hésitante.

Ils se regardèrent rapidement puis William se tourna de nouveau vers moi, ignorant ma question. Il prit sa cape et la mit autour de ses épaules.

— Je pars tout de suite. Viens et tu pourras poser toutes les questions que tu veux à Myrddin.

Je soupirai. Après tout, je n’avais pas vraiment le choix… Au moins, Myrddin me permettrait sûrement de retourner à Sehaliah, s’il était aussi puissant que tout le monde voulait me faire croire.

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