Chapitre 9

Le 33ème jour : Dïri

Ils avaient un nouveau problème avant de devoir descendre dans le Grand Arbre : avoir des élégantes léthargiques dans les bras c’était bien, mais avoir de quoi les gérer, c’était mieux. La chaleur de l’air avait rendu les jeunes amorphes et indolents, mais dès que leur petit groupe serait au cœur de l’écorce, la température allait descendre et ils allaient s’agiter. Dïri ne pensait pas que le réveil de ces charmants bambins allait causer des problèmes d’agressivité, même si quelques coups de bottines n’avaient rien d’agréable, mais si les élégantes s’enfuyaient en les laissant perdus dans le labyrinthe ?

Il y avait une solution très simple à cela.

— Bon, dit-il, prenant les choses en main et espérant que Mock était en train de l’observer (car il n’avait pas particulièrement brillé ses deux derniers jours, et sa fierté était meurtrie). Comme vous avez pu le remarquer, ces créatures sont lourdes à porter, pénibles à tirer, alors il nous faut une troisième solution. J’ai une idée derrière la tête, mais avant, il va falloir que nous nous occupions de choisir nos binômes.

— C’est moi qui t’accompagne ! ӝ On va bien s’amuser ! bondit Izzirod, des étoiles pleins les yeux.

Il eut envie de lui préciser qu’il s’agissait d’une mission de sauvetage et pas d’un pique-nique en plein air, mais se contint. Elle ou un autre, peu importe.

Les jumeaux restaient collés. Ça n’avait rien d’étonnant, car ces deux-là ne se séparaient jamais. Ils n’avaient pas réussi à attraper d’esprit des os – qui étaient beaucoup moins aimables depuis que Dïri avait enchaîné l’un des leurs –, mais deux flamboyants follets dont les flammes chatoyantes changeaient régulièrement de teinte. Tendoori attacha les fils du couple autour de son poignet.

Il y eut un vague blanc et Lissarod lança un regard terrible à Haéri de sous ses arcades sourcilières qui commençaient à se recouvrir de precah bleuté.

— Eh ! Je n’y suis pour rien, protesta-t-il vainement. T’aurais dû choisir plus vite !

Elle renifla et se détourna, l’ignorant. Dïri reprit la parole d’un ton un peu plus dur. Y avait-il un peu de sérieux dans ce groupe ? Par le Grand Arbre, qu’est-ce qu’il préférait sa solitude !

— Bon, il faut que nous ayons un porteur d’eau et un porteur d’élégante. Le porteur d’élégante marchera devant et le porteur d’eau déroulera le fil derrière lui. Il est logique que la personne ayant la lumière marche devant.

— Wow ! dit Izzirod. Mais porter l’élégante ӝ va cacher la lumière  ?

Elle parlait de la lueur diffuse qui sortait de l’ouverture ventrale des bromrods.

— On va les attacher dans votre dos, avec leur propre fil. Ce sera plus simple pour les déplacements, et il y aura moins de risque de fuite.

— C’est foireux, dit Lissarod.

— Pour te punir, tu vas servir de cobaye, riposta Dïri.

Il récupéra le premier jeune qui continuait de dormir comme un bienheureux.

— Que quelqu’un m’aide à le porter, ordonna-t-il.

Tandoori obéit après que Lissarod eut fait un geste peu sympathique dans la direction de Haéri qui se proposait. Il tint fermement l’animal collé au dos de Lissarod tandis que Dïri récupérait le fil et l’emmaillotait avec.

— C’est lourd, dit Lissarod. Pourquoi c’est pas le grand qui porte la bête ?

— J’ai des problèmes de dos, répliqua Haéri. ӝ La faute aux tentacules.

C’était certainement vrai vu la cambrure de celui-ci. Toute cette histoire commençait à agacer sérieusement Dïri.

— Bon, que tout le monde se prépare et allons-y !

Le 34ème jour : Haéri

La descente s’était faite prudente. Avec la chaleur et l’humidité, le sol était poisseux, collant et visqueux ce qui n’aidait personne. De plus, les élégantes avaient commencé à s’agiter un peu et à se demander où se trouvait leur mère, ce qui était une vaste question.

Il leur fallut quatre heures pour atteindre le lac et là, ils durent prendre du temps pour remplir les feuilles d’eau, que ce soit pour eux ou pour Nimrod. Ils en profitèrent pour se tremper dans le liquide une bonne fois pour toutes, au grand dam de leurs nouveaux protégés qui n’appréciaient la manœuvre qu’à moitié, puis ils finirent le chemin jusqu’au palais de papier.

Haéri ne dit rien, Haéri observait. Lissarod lui lança un regard à la dérobé.

— Il faut se concentrer sur Nim. Moi aussi, ça m’a mis un vrai coup de poing dans la figure. Mais c’est en observant ce truc que je l’ai oubliée et qu’elle a disparu.

Haéri hocha la tête pensivement. C’était la première fois que Lissarod lui adressait la parole de son plein gré sans pour autant l’agresser. La vieille bromrod n’était visible nulle part.

Ils entrèrent prudemment dans le palais et Lissarod les conduisit jusqu’à la grotte. Ils approchèrent le nez de ce trou noir et humide et Izzirod frissonna des pieds à la tête. Ça définissait bien le sentiment général. La galerie se divisait rapidement en quatre boyaux.

— Je crois que c’est ici qu’on se sépare. Si l’un d’entre vous tombe sur un cul-de-sac, il remonte et prend le chemin le plus à gauche, d’accord ?

Ce n’était pas trop compliqué. Dïri compléta :

— Bon, c’est parti, dépêchons-nous...

Izzirod montra son approbation en s’engageant la première et il la suivit rapidement. Les jumeaux firent de même dans le tunnel suivant. Lissarod soupira et jeta un long regard mauvais à Haéri de ses grands yeux jaunes. Il grogna :

— Dis-le-moi si je gêne ӝ Mieux je peux me barrer !

— Je te suis reconnaissante de participer au sauvetage de Nimrod. Tu n’étais pas obligé de le faire.

— Alors, montre un peu ӝ de reconnaissance faquine !

Elle ne répondit pas et s’engagea dans le dernier tunnel. Ils marchèrent longtemps tandis que le boyau se rétrécissait. Haéri se cogna quatre fois et poussa des jurons. Il était trop grand pour ce genre d’aventure. Il se fit la réflexion que c’était très droit pour un labyrinthe.

— Je ne suis pas sûr qu’on ӝ ait pris le bon chemin.

— C’est même clair, regarde.

Le boyau se terminait par un cul-de-sac. Bon et bien, ils étaient bons pour revenir sur leurs pas et prendre le quatrième tunnel, ce qu’ils firent en ronchonnant. Pour une fois qu’ils étaient sur la même longueur d’onde...

Après plusieurs heures, ils retournèrent au point de départ. Le dernier boyau était encore plus petit et bas de plafond que le précédent. Haéri gémit avant de suivre Lissarod et se cogna pour la cinquième fois. En plus de ses deux nouvelles bosses, une sève noire et pétillante se mit à couler sur son front. Il se racla la gorge avec ostentation. Lissa grogna :

— Quoi ?

— Ton truc machin ne sert ӝ à rien il fait trop sombre.

Elle ne s’arrêta même pas.

— Qu’est ce que tu veux qu’on y fasse ? On ne va pas abandonner les recherches pour ça quand même !

— Non... mais... ce n’est pas ça...

Il soupira et termina :

— Juste... ne t’énerve pas...

Elle marchait devant lui. Les deux longues tresses de ses tentacules pendaient sur sa poitrine. Il voyait sa nuque grise couverte de bleue et avança la main. Quand ses doigts touchèrent sa peau, tous les tentacules de Haéri se dressèrent autour de lui comme un soleil avant de se mettre à luire dans l’obscurité.

Elle s’arrêta brutalement. Ils voyaient loin dans le tunnel : la terre, les racines, les reliefs du sol et les autres chemins qui débouchaient de partout.

Elle ne dit rien puis recommença à avancer à pas prudents.

Le 35ème jour : Nimrod

Elle pensait qu’elle était déjà morte et n’avait pas ouvert les yeux depuis plusieurs jours. Elle avait cessé de sentir l’air, cessé de sentir la douleur. Les os avaient arrêté de raconter, ils s’étaient juste mis à ronronner doucement comme pour la bercer.

Elle n’avait pas entendu les cris, les pas et les bruits.

Mais elle avait senti les mains.

Et puis l’eau.

Les mains avaient mouillé ses yeux et sa bouche, puis étaient passées sur la surface craquelée de ses tentacules et elle avait frissonné. La vie et la douleur avaient envahi progressivement ses membres un par un, avant qu’elle ne se sente la force d’entrouvrir les paupières.

La lumière était faible et elle voyait flou. Il y avait quelqu’un penché sur elle. Elle referma les yeux. Les mains lui ouvrirent la bouche et y glissèrent de l’eau. Bien qu’elle ne puisse l’avaler, le liquide rentrerait plus facilement dans son organisme.

Nimrod entrouvrit à nouveau les paupières et les cligna. L’image était plus claire.

C’était un regard d’or ; le premier jour, le premier regard du monde éclairé par les rayons de Mîme. Elle tenta de bouger et Dïri lui prit la main :

— Ne force pas, il faut qu’on t’hydrate. Tu essayeras après. Il faut que tu trouves des forces pour sortir du labyrinthe.

Nimrod cligna des yeux une deuxième fois. Il y avait une autre silhouette derrière. Elle reconnut Izzirod qui était en train de lui humidifier la queue. La bromrod ne disait rien ; elle semblait terrifiée.

Nimrod releva son regard vers Dïri ; il la mouillait avec application, avec les deux mains jointes, puis avec la paume et enfin du bout des doigts. Elle ferma les yeux et se laissa faire jusqu’à plonger dans un sommeil sans rêve qui dura plusieurs heures.

Quand elle se réveilla, elle se sentait mieux, mais la douleur était plus forte. Elle se redressa à moitié ; Dïri et Izzirod l’aidèrent.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? ӝ Comment t’es-tu perdue ? demanda Izzirod.

Nimrod essaya de parler, mais Dïri posa une main ferme sur sa bouche avant de froncer les sourcils :

— Ne parle pas pour l’instant. Il faut qu’on sorte d’ici le plus vite possible. Nous n’avons plus d’eau et tu es encore faible. Retournons jusqu’au lac.

Elle acquiesça de la tête, mollement.

Il tenta de la porter, mais elle était plus grande et plus lourde que lui. Il ne tiendrait pas longtemps à ce rythme. Nimrod essaya de ramper. Elle grimaça. Son precah était si sec qu’elle avait l’impression de progresser sur des aiguilles.

Izzirod et Dïri se placèrent chacun d’un côté de ses épaules et la soutinrent avec leurs bras pour l’aider. Ils commencèrent une longue et pénible ascension qui devait durer plusieurs heures.

Nimrod regarda Dïri. Il avait ce même regard dur, sérieux et déterminé qui surplombait son nez pointu. Il remarqua son intérêt et lui sourit. C’était la première fois qu’elle le voyait sourire, ce tepmehri qui lui faisait si peur.

Ses lèvres étaient douloureuses et gercées, mais elle lui sourit en retour.

Le 36ème jour : Lissarod

— Par le Grand Arbre !

Ce n’était pas dans sa tête.

— Il se passe quelque chose ӝ Quelqu’un tire sur la corde ! dit Haéri.

C’était vrai ! Ils l’avaient trouvée, ils l’avaient trouvée !

— Vite, remontons !

Haéri avait gardé sa main sur sa nuque jusque là, mais pour l’encourager à accélérer, il lui avait pris la main. Dans d’autres circonstances, ça l’aurait contrariée, mais à cet instant précis...

— Haéri ?

Il se retourna et Lissarod murmura d’une petite voix :

— Elle est vivante, pas vraie ? Elle ne peut pas être morte ?

Il lui sourit. Il était vraiment grotesque avec sa couronne de tentacules fluorescents.

— Bien sûr qu’elle est vivante ӝ Qu’est-ce que t’imagines ?

Ils accélérèrent le plus qu’ils purent et arrivèrent à l’entrée de la grotte avant les jumeaux. C’était logique puisqu’ils avaient finalement traversé deux boyaux du labyrinthe, cependant, il n’y avait personne à l’arrivée, juste un rouleau de fil d’élégante posée à la sortie du deuxième tunnel. Lissarod jeta un regard angoissé autour d’elle.

Un nouveau fil était tendu, mais il sortait du palais de papier. Ils le suivirent à travers les pièces jusqu’à arriver au bord du lac.

Izzirod était assise sur le rivage et Nimrod était dans l’eau parmi les coraux multicolores. Vivante. Elle ressemblait à une anémone avec ses tentacules mauves et ses yeux verts qui brillaient dans le noir. Dïri versait de l’eau au dessus de sa tête.

Lissarod glissa vers elle à toute vitesse, traversa l’onde jusqu’à être immergée jusqu’à la taille et la serra dans ses bras.

— Attention, elle n’est pas très bien.

Ça se voyait. Nimrod avait un teint de cendre, sa peau était creusée de crevasses d’où coulait de la sève, et la presque totalité de son precah était tombée. Deux de ses yeux verts étaient ouverts – les yeux de l’esprit – tandis que les yeux du cœur – qui pouvaient le lui briser – dormaient.

— Je suis si heureuse que nous t’ayons retrouvé, murmura Lissarod en lui tenant la main.

Nimrod ne répondit pas, mais elle sourit.

— Je crois qu’elle est trop enrouée pour parler, dit Dïri.

Haéri se rapprocha d’eux.

— Pas de vieille bromrod qui traîne dans les environs ?

— Non, à croire que nous l’avons inventée, mais il vaut mieux monter la garde. Elle terrifie Nim. Dès que les jumeaux seront arrivés, on charge de l’eau et l’on remonte. On lui fera un petit bain là-haut qu’on alimentera en eau fraîche.

— Wouhou !

Les jumeaux étaient reparus et venaient vers eux à grandes ondulations. Ils souriaient, mais leur expression se fana quand ils aperçurent l’état de fragilité de Nimrod. Ce qui se peignit sur leurs traits fut une stupeur totale.

Dïri se redressa.

— Nous sommes au complet, allons-y !

Il se désintéressa des tentacules de Nimrod et se rapprocha de la rive pour y remplir sa feuille roulée. Lissa se rappela parfaitement de ce moment où Nimrod lâcha sa main pour se tourner toute entière vers lui comme s’il était Mîme descendu sur le monde.

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VavaOmete
Posté le 06/02/2019
Polpy !
Bon. J'aime toujours autant ^w^/<br />J'aime bien comme on sent monter les personnalités de Dirï, Lissa et Haéri... bon, pour Lissarod, ça fait déjà un moment, mais pour les deux autres... ça commence a être de plus en plus fort, et du coup le fait que tu parviennes à garder ce côté éthéré/bête des autres est juste... waoh !
 
Petites remarques :
"— Bon, dit-il, prenant les choses en main et espérant que Mock était en train de l’observer (car il n’avait pas particulièrement brillé ses deux derniers jours, et sa fierté était meurtrie)" -> brillé ces deux derniers jours
"Après de Lissarod eut" => je crois que c'est le présent après "après que" même si c'est très moche T.T
"Haéri ne dit rien, Haéri observait. Lissarod lui lança un regard à la dérobé." je ne sais pas si c'est un soucis de temps ou une répétition de nom en trop, mais ça m'a sorti de ma lecture.
 
Et petite question : je viens d'avoir un flash. Il me semblait que tu m'avais dis que les Grünes n'avaient pas d'estomac pour manger... pourtant je crois que dans le chapitre précédent tu évoques plusieurs fois le fait que l'estomac des personnages est brassé ?<br />Mais c'est peut-être moi qui ai un flou x.x
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