Elle est un peu pompette, ses oreilles chauffent et ses zygomatiques semblent avoir une vie indépendante de sa volonté. Yann à l'air si triste ce soir, elle a envie de rire pour deux, elle aimerait pouvoir lui perfuser son bonheur.
- Pourtant, il a tout pour être heureux ce con ! C'est vrai, Yann à au moins, un homme qui l'aime, minimum ! Il squatte un appartement magnifique dans la capitale. Il a enfin reçu son dossier pour la formation de pâtissier dont il rêve depuis des lustres. Il a un job en attendant, bon avec un salaire au SMIG certes, mais il n'a pas de loyer à payer quasiment. Il vit sa passion pour la musique à fond. Pourquoi n'arrive-t-il pas à voir les bons côtés ?
Elle observe le propriétaire des lieux, Liam, lui non plus n'est pas heureux, contrairement à ce tragédien de Yann, il le cache. Assez bien d'ailleurs, si Marie n'avait pas le nez pour ça, sans doute ne s'en serait-elle pas aperçue.
- Vous avez l'air fatiguée Marie.
Il est prévenant et bienveillant cet homme là mais il y a chez lui un petit quelque chose d'irritant, sa mollesse peut-être ou un certain vide dans le regard. Elle a déjà ressenti ça avant, elle ne se souvient plus auprès de qui, il est vrai qu'il est tard, qu'elle a avalé beaucoup de kilomètres en deux jours, peut dormi et que l'alcool ne l'aide pas à se souvenir.
- Je suis épuisée, mais on est tellement bien là.
Assise sur la peau de mouton du salon elle admire la vue par la baie vitrée.
- Vous restez longtemps à Paris, Marie ?
- Qu'est ce qu'il a à utiliser mon prénom à tout bout de champs ? Il est lourd ! Ne soyez pas si formelle, peut-être qu'on peut se dire « tu » non ?
Il se gratte la tête et ricane bêtement, un peu confus.
- Ha oui bien sûr, les amis de Yann sont mes amis !
- C'est ça oui....
Elle ne sait pas pour quelle raison, elle ressent ça, vraiment pas. Elle le trouve juste énervant. Elle comprend Yann. Qu'est-ce que ce Uzu a bien put lui trouver ? À bien y réfléchir c'est un bel homme, elle ne peut pas dire le contraire. Surtout que physiquement elle apprécie pour sa part les hommes musclés. Il faut l'avouer, ce gars là n'a rien a jeté. Sa peau laiteuse pourrait repousser sans doute les allergiques au roux, encore que ça n'est pas certain, le blond vénitien de ses cheveux étant relativement loin du poil de carotte originel de Yann et ses boucles pailletées d'or lui donnant certainement plus l'air d'un chérubin que d'un simple rouquin. Cette bouche magnifiquement dessinée, ce menton large et viril, ce cou de taureau, ces épaules rondes dont les vaisseaux sanguins affleurent sous la peau, cette poignée, à peine, de poils luisant dorés sur son torse, qui dépassent légèrement de son débardeur, l'ensemble, certes, à de quoi attirer même les plus réfractaires de ce genre d'esthétique. Uzu serait donc du genre à s'intéresser surtout au physique athlétique ? Il est donc mal barré avec gabriel ! Il y a toutefois quelque chose en Liam de presque écœurant.
- J'avais réservé pour trois jours une chambre dans un petit hôtel à côté de la gare saint-Lazare, lui apprend-t-elle.
- Un hôtel, ha bon ? Je pensais que vous... que TU logerais ici. Tu es la bienvenue.
- Je crois que Yann le pensait aussi haha ! Je te remercie de la proposition et je vais l'accepter, en tout cas pour cette nuit. Je ne me vois pas ressortir dans mon état.
- Tu es saoule ma biche ? se moque Yann, revenant de la cuisine.
- Tu as déjà lavé toute la vaisselle ?
- Il y a un lave-vaisselle chérie, on est moderne ici.
- Ha je t'en prie Yann, ne parle pas comme-ci tu étais déjà chez toi, pense-t-elle tout-à-coup exaspérée sans raisons. Ha oui ? Tu parles d'un gage, c'est de la triche !
- Yann, tu devrais emmener ton amie se coucher, il est tard. Je te prépare le canapé ?
Marie les dévisage interloquée.
- Oui, je te passe mon lit ma chère. Dans le salon il n'y a pas de volets, toi qui ne supporte pas la moindre lumière pour dormir, tu serais réveillée à l'aube.
- Hé bha, c'est le couvre-feu chez vous ! s'insurge-t-elle.
- Haha tu es vraiment saoule ma belle, il est deux heures du mat.
*
- Ses draps sentent la lavande tu ne trouves pas ? remarque Yann.
Assise sur le pouf dans la chambre de son vieil ami, elle le laisse changer la literie. Sa tête lui tourne un peu, ça n'est pas désagréable. La lumière de la lampe de chevet est faible, les ombres qui se dessinent sur les joues de celui-ci lui donnent un petit air de personnage de comics.
- Tu te souviens de cette soirée du quatorze juillet où tu avais mis ton poing dans la gueule à Matis et qu'on avait dû fuir le bal à quatre pattes derrière les haies parce que sa bande nous cherchait partout pour te refaire le portrait ? lui demande-t-elle.
- Comment tu veux que j'oublie ça ?
- La première nuit qu'on a passée ensemble.
- Tu n'étais pas fraiche non plus ce soir-là haha !
- C'était la fatigue aussi. J'arrivais plus à arrêter de rire.
- J'ai bien cru qu'on allait réveiller tes parents !
Il s'assoit sur la couette et sourit à ce souvenir lointain. Ses yeux brillent et sur son expression celle du jeune ado qu'il était à l'époque se superpose.
- Tu venais de teindre tes cheveux.
- Oui, y'a eu plein de première fois à cette époque là.
- J'aimais tant tes cheveux roux, ce que j'étais en colère que tu fasses ça.
- Je me souviens.
- Je t'ai posé la question du pourquoi et tu m'as répondu...
- "Je suis déjà une tapette gothique si en plus faut que je sois roux..." Y'a pas mal de choses que j'avais du mal à assumer.
- Oui, ça m'a rendu tellement triste. Je t'ai détaillé ce soir là, torse nu avec tes petits seins minuscules qui s'étaient arrêtés de pousser et ton pauvre petit air fier qui n'arrivait pas à sauver les apparences, tout d'un coup je n'ais plus eu envie de rigoler du tout. C'était notre premier câlin, nos premières larmes. On a parlé presque toute la nuit non ?
Yann est troublé, quand Marie le rejoint sur le lit, il baisse la tête et n'ose soutenir son regard.
- Ce soir là, est-ce que tu as eu envie de moi ? l'interroge-t-elle curieuse.
Il hésite à répondre, que cherche-t-elle ? La tournure que prend cette conversation est inattendue.
- Je...
- Oui ?
- À vrai dire, quand tu m'as invité dans ton lit ce soir là, j'ai vraiment cru qu'on allait le faire, avoue Yann.
- Pourquoi n'as-tu rien dit, pas réagi ?
- À quoi pensais-tu, toi, à ce moment là ?
- À te consoler de tout, de rien. Je ne savais pas que je te ferais du mal et que tu en éprouverais des regrets, comment j'aurais pu deviner ? Peut-être oui, j'aurais dû me poser la question mais tu étais déjà tellement un extra terrestre pour moi.
En prononçant ces paroles à voix basse, elle rapproche sa main du visage brouillé de Yann, ses doigts glissent bientôt sur sa joue, descendent le long de son cou, de son torse et s'attarde sur ses tétons raidis. Il pose la main sur celle de son amie qui continu de caresser son mamelon. Yann souffre d'éprouver de nouveau ce désir qu'il a si souvent repoussé. Leurs regards se croisent et Marie y voit enfin cette lueur de convoitise qu'elle n'avait jusque là jamais perçue. Elle à beau l'avoir entendu le lui dire, le lui crier même, il lui aura fallu le voir de ses propres yeux pour pouvoir l'admettre.
- Qu'est-ce que tu essais de prouver ? bredouille-t-il gêné.
- Tu as envie ?
- Tu crois quoi ?
Leurs bouches se touchent presque.
- Arrête ça, l'implore-t-il dans un souffle. Je n'veux pas te perdre !
- Tu m'as déjà perdue. Le jour où tu m'as balancé tout ça sans réfléchir, tu m'as perdu Yann !
- ...
- C'est entre nous, que tu le veuilles ou non. C'est un mur qui nous empêche d'être comme avant ! Ses lèvres frôlent celles de son meilleur ami.
- Récupère-moi, souffle-t-elle. Je t'en prie, tu me manques trop ! Enlève cette barrière invisible qui est en train de nous séparer.
- Qu'est-ce que tu attends de moi ? Que je te prouve que je ne te désire pas, c'est ça ?
- Non, si tu le veux vraiment faisons-le !
- Arrête de raconter n'importe quoi ! la repousse-t-il soudainement.
- J'ai besoin de savoir ce que je ressens pour toi Yann.
- Quoi ?
- C'est moi qui suis perdue dans tout ça.
Elle se couche lentement sous les draps frais et l'invite à l'y rejoindre. Il reste là, indécis.
Combien d'années a-t-il rêvé d'une telle invitation ? Et combien de fois l'a-t-il crainte ? Cette frontière à ne pas franchir, le rempart protégeant leur amitié ne ressemble ce soir guère plus qu'à un mince linceul de soie légère. Et alors qu'il la fixe lascive, les yeux brillants, ses idées s'embrouillent. La tête de Yann bourdonne, sa gorge est douloureuse, son cœur cogne dans sa poitrine. L'alcool y est sûrement pour quelque chose, son manque d'affection aussi.
- Pas ça Marie...
Puisqu'il ne fait aucun geste pour s'approcher d'elle, elle se relève et le rejoint. Posant d'un même élan, ses lèvres douces sur cette bouche qu'elle a tant de fois baisée innocemment. Yann lâche un soupir, mi paniqué mi faible, il ne bouge ni la repousse. Prenant doucement son menton entre les mains, elle laisse glisser son souffle tiède le long de la joue avant d'appliquer de nouveau ses lèvres, cette fois sur les paupières fermées de celui-ci.
- Laisse-toi aller Yann, ça n'aura vraiment aucune conséquence, je te le promets.
- Marie...
Elle embrasse cette bouche tremblante, sa langue cherche la sienne.
- Non, renifle-t-il tentant désespérément de reprendre le contrôle.
- Embrasse-moi Yann, pour de vrai.
- Je t'en prie Marie, souffle-t-il à bout. J'peux pas.
- Pourquoi ?
- Je t'aime trop, j'ai trop besoin de toi pour nous faire ça. Je suis désolé pour ce que je t'ai avoué, vraiment. J'aimerais revenir en arrière et n'être jamais venu chez toi ce jour là, je te jure.
- Mais, tu en as vraiment envie non ? Même si ça me laisse sur le cul, je le vois bien.
- Et après, tu peux me dire ce qu'il se passera après ? On va sortir ensemble en gentil petit couple ?
- Yann, j'aime Brad.
- Je sais, alors arrête. C'est pas ce que j'attends chérie.
- Ok, viens là. J'ai trop bu, pardon.
Elle l'attire lentement dans ses bras. Ils finiront la nuit l'un contre l'autre, dans un câlin soft comme au bon vieux temps.
*
Plus d'un mois qu'il n'avait plus mis les pieds à la salle de sport, aucuns médicaments n'arrivent plus à l'aider à se vider la tête sans totalement perdre de vue la réalité, le voilà de nouveau à courir sur de la mécanique.
La respiration en rythme avec le thème musical de sa série préférée du moment, il essaie de ne réfléchir à rien.
Ordinairement ses soucis fondent en même temps que coule sa sueur, le sport est pour lui une drogue sans équivalent. Après avoir couru, il se sent généralement léger, fort, à la limite parfois de l'euphorie. Ce matin rien à faire, ses interrogations continuent de le hanter et un putain de poids dans l'estomac le gène. Quel est le problème cette fois ? Yann, toujours lui, ce type lui prend la tête aussi sûrement qu'il a conquis son cœur et autant sans doute qu'il le lui brisera.
Son cher androgyne n'a pas dormit dans le canapé comme prévu, lui et Marie sont effectivement restés dans la mezzanine. Liam s'est relevé plusieurs fois pour vérifier cet état de fait. La chose l'a tellement perturbée cette nuit qu'il n'a pas eu envie de partager le petit-déjeuner avec eux. Il a beau connaître les penchants de Yann et avoir des informations sur l'état marital de Marie, la relation de ces deux là étant des plus ambiguës, Yann ne donnant pas l'impression de savoir réellement ce qu'il veut et la nana ayant tout l'air d'être largement éméchée la veille, ses suppositions vos bon train.
- Il a bien couché avec Mathilde ! Après tout il fallait sans doute toutes ces histoires pour que ces deux là se trouvent.
Avec ce qu'il ressent pour Yann, Liam n'a eu aucune envie de le vérifier à chaud, alors il court. La musique dans les oreilles, la respiration rythmée, il tente depuis plus de cinquante minutes de « sortir se son corps » mais aujourd'hui ça ne fonctionne pas, rien à faire. L'acharnement n'a rien de bon, de soupir en exaspération, ce simple « échauffement » se termine en laissant le sportif épuisé, il jette l'éponge.
Que faire, pourquoi une telle bagatelle prend-t-elle autant d'ampleur ? En vertu de quoi tout ce qui touche Yann lui échauffe les sangs ? Ils ne sortent même pas ensemble ! Assis sur un banc dans les vestiaires, il réfléchit, la tête dans les mains, retournant ce problème qui est bel et bien le sien propre. Quand un habitué de la salle de gym avec qui il a déjà échangé diverses amabilités d'usages, vient lui adresser la parole.
- Hé ! Ça faisait longtemps !
- En effet, oui, bonjour.
- Moi non plus je ne viens plus aussi souvent. J'aimerais remarquez, mais avec le boulot, les gosses hein !
- Oui...
- Et puis y'a de plus en plus de pédé !
- Pardon ?
- Ouais, je n'sais pas pour vous, mais moi ça me fout mal à l'aise tout ces gus ! Notez que j'ai rien contre eux hein, font ce qu'ils veulent avec leurs culs, mais devraient pas se mélanger !
- ...
- Nan mais c'est vrai, un pédé dans les douches des mecs normaux quand on y pense c'est comme de mettre un gars dans les douche des gonzesses. Ça mate quoi, forcément. Du coup j'ose plus prendre de douche moi. Ça vous dérange pas vous ?
- ...
- Devrait séparer moi j'dis, c'est malsain. Surtout que question « paupaul » je suis assez bien doté, ça fait des envieux forcément, j'me sens visé moi !
- Il y a des cabines de douches fermées, personne ne vous empêche de les utiliser.
- Bha tien, et c'est encore à nous, les gens normaux de se cacher, ça pas question ! Pour moi, le sport c'est le partage, c'est convivial ! J'aime bien causer avec les potes de gym sous la douche, j'ai pas envie de m'enfermer dans un réduit à cause d'une minorité de déviant ! Enfin, ça finira que je viendrais même plus, y z'auront tout gagné. On va les laisser entre eux et ça deviendra un vrai baisodrome ici ! Allez bonne journée !
Avec les témoignages qu'il reçoit presque tous les soirs à la radio, Liam est sans cesse confronté à la connerie humaine, qu'importe, il n'arrivera jamais à s'y faire. Ce genre de discrimination ordinaire est sans doute une des pires. Cette matinée lui aura au moins apporté le prochain sujet de débat de son émission quotidienne.