Le matin il démarche, l'après-midi il crée, le soir il fait le bilant avec son amant. Les choses n'avancent guère mais Gabriel est tellement occupé qu'il ne s'en rend pas trop compte. Sa patience paraît sans limite. Yann commence à laisser un vide, tout de même, c'est vrai. Il aimerait sa présence en studio. Il aimerait le présenter au monde entier. Sa voix, son odeur, son corps, lui manquent bien qu'il endure son absence physique avec constance. Il a plus grave à traiter. Il supporte la pression de sa sœur qui aimerait savoir ce qu'il compte faire à présent de sa vie, reprendre ses études, partir travailler ? Et également le découragement de Yann, qui, à des milliers de kilomètres, a tendance à craquer. Il est au demeurant, de plus en plus impossible d'avoir une conversation avec lui.
Pourtant Gabriel tient le bon bout, il en est certain. La vie est faite de plans, de décisions, de réflexions, de recherches, de calculs. Il construit, et même si les fondations sont les moins visibles de l'ouvrage, il les estime plus importantes que toutes autres. Il ne retournera pas à la FAC, en tout cas pas pour le moment. Et s'il veut que ça sœur accepte de les aider en se portant caution pour l'appartement de Yann, il doit travailler. Le seul travail qu'il sache faire étant celui que Yann lui a appris.
- Tout a une utilité dans la vie !
Gabriel croit au destin. Alors depuis quelques jours, il ne dépose plus de CV pour Yann, il cherche pour lui-même. C'est de lui que va venir la solution, il en est certain.
*
Un an et demi plus tard chez Liam.
Marie observe son meilleur ami, assis sur son lit, le dos au mur, les genoux sous le menton. Depuis que Liam et Uzu se sont enfermés dans la cuisine, il a l'air absent.
- Je suis désolée de m'être énervée après toi tout à l'heure, c'est que j'ai l'impression que tu fais n'importe quoi dernièrement.
- C'est le cas.
- Ce youzou quel physique hein ? Il est sympa en plus. Je ne m'attendais pas à retomber dessus dans l'ascenseur, il m'a surprise.
- À côté de Liam, il est tout petit finalement, lâche lascivement Yann.
- Hein ? Tu as l'air presque déçu.
- Je me croyais seul à être désagréable avec l'autre grand idiot. Youzeu est sympa d'habitude.
- C'est vrai qu'ils n'ont pas vraiment l'air de s'apprécier mais je ne l'ai pas trouvé si antipathique. À ton avis qu'est-ce qu'il cache ?
- Je ne sais pas. C'est impressionnant la façon dont Liam le protège malgré son agressivité envers lui. Il est vraiment trop gentil ce gars là... ou trop con.
- J'ai dû louper une étape, moi.
- Tu crois qu'il me protègerait de la même façon ?
- Aurait-il besoin de le faire ?
L'aura lumineuse dans laquelle baigne Uzu ordinairement, a tout simplement disparue à son entrée. L'être presque fantastique a laissé la place à une version sombre que Yann tente de décrypter. Ce n'était pas le Uzu de d'habitude. Autre chose l'a choqué, depuis leur discussion sous le même parapluie, il n'avait plus jamais eu l'impression de voir en lui un rival. Si on réfléchi, il prend tout de même bel et bien sa place auprès de Gabriel. Ça aurait dû être logique de ressentir ça. Pourtant non, le japonais est devenu un ami au fil des mois, aucune rivalité n'existe plus entre eux. Yann ne comprend donc pas cette envie mêlée de colère qui l'a submergé sitôt qu'il les a vus ensemble Liam et lui.
- Liam est si prévenant avec Youzeu, ça saute aux yeux qu'il l'aime encore, quel couillon !
- Ma parole t'es possessif toi !
- Envieux seulement, enfin je crois.
- Yann, tu as besoin de prendre du recul pas vrai ? Tu sors avec cette fille, tu es attiré par tout le monde. Tu as, je pense, tes chances avec presque tous d'ailleurs, pourtant tu ne poursuis personne en particulier. Tu pédales dans la semoule. J'ai peur de te demander ce que tu préférerais si vraiment tu pouvais choisir n'importe qui.
- Gabriel...
- Ta ta ta, je ne te l'ai pas demandé !
- ...
- Pourquoi lui ? Tu sais ce qu'il vaut. Tu sais ce qu'il ne peut pas t'offrir. Tu n'envisages vraiment autre chose qu'en désespoir de cause ?
- Je l'aime.
- Je n'en doute pas, ou alors faudrait vraiment que tu sois maboule. As-tu déjà repensé à ton idéal ? Parce que si je ne me trompe pas, Gabriel est assez loin de ce dont tu rêvais non ?
- Je n'ai plus d'idéal. Je ne souhaite désormais qu'une personne qui m'aime comme je suis et avec qui j'aurais un minimum de points commun.
- Cette fille, cette Mathilde, y'a une raison qui t'as poussé ?
- C'était pas compliqué, elle n'attendait rien de moi. Puis, on se comprenait, elle est un peu désabusée elle aussi.
- Comment ça ?
- Sa vie l'ennuie, en fait nan pour être plus exacte, LA vie l'ennuie. J'avais besoin d'un peu de douceur sans que ça n'entraine encore tout un tas de conséquences, elle aussi, c'est tout.
- Tu ne l'aimes pas ?
- Elle est douce et gentille, je l'aime beaucoup. Elle ne m'a pas demandé d'être ce que je ne suis pas. Elle ne m'a jamais jugé. Il n'y a pas eu de question, pas de prise de tête, aucunes promesses.
- Normal, il n'y a aucune attente de part et d'autre, vous n'avez rien prévu de construire ensemble, donc pas de crainte, pas de réaction.
- ...
- Yann, l'amour n'est pas une chose facile.
- Avec ton mec ça se passe comment ?
- Tu cherches à détourner la conversation ? C'est bien la première fois que tu me poses des questions sur Brad.
- Je me demande ce que tu lui trouves. Tu le fais bien, chacun son tour !
- Soit, il est beau gosse, on poursuit les mêmes études, du coup, je peux parler de ce qui me passionne sans problème. Il est gentil, patient, il a de l'humour, on a les mêmes objectifs.
- Super... C'est cool ça d'avoir les même objectifs !
- Yann la vérité c'est que je suis complètement folle de lui parce qu'il me rend dingue. Il discute chacune de mes décisions. Il fait le con, chaque fois qu'il devrait être sérieux. Sa mère nous envahie tous les dimanches. Je passe ma vie à lui faire la gueule et tu sais quoi ? Il le prend toujours en rigolant. Ce gars se fiche de tout sauf d'avoir perpétuellement raison. J'adore ses yeux qui pétillent avant qu'il ne me sorte une connerie, il m'exaspère mais je ne pourrais pas vivre sans lui.
- J'ai l'impression que tu parles de moi.
- ...
- Désolé.
- Tu avais dit que tu n'en parlerais plus.
*
Dans la cuisine la conversation sur l'affaire de Uzu est au centre du débat. Le japonais est aux prises avec un cas de conscience.
- Il dit que je risque gros, mon témoignage a été d'une importante capital dans le résultat du jugement, s'il s'avère contestable...
- Le médecin t'a couvert, vice de procédure ?
- J'en sais rien, j'y connais rien, je pige pas tout. Je les ai pratiquement tous reconnus formellement. Soit je dis que j'ai menti, soit la vérité, que j'avais une amnésie partielle, dans les deux cas ça pose problème.
- Attend, tu as reconnu les personnes présentes sur les lieux, tu n'as pas accusé ce Rachid d'avoir participé.
- Je n'ai accusé directement que deux personnes, pour les autres c'était impossible, même si mes souvenirs avaient été clairs. Ils étaient presque tous cagoulé. Pour les autres les prélèvements ont suffit.
- Pour eux tu dois être au moins tranquille non ?
- J'en sais même rien.
- Et celui là, il était mineur au moment des faits, c'est déjà ça.
- Super, au lieu de vingt, il a pris dix ans.
- On dit que la justice est trop laxiste en France, comme quoi parfois le contraire arrive.
- Ouais bha c'est pas terminé.
- Sauf si tu te tais.
- Dix ans Liam, tu crois qu'après ça, il aura encore envie de sauver quelqu'un ? Je le hais, mais sans son intervention, je serais mort. Je n'ai pas envie de me sentir fautif toute ma vie.
- Tu ne sais même pas ce qu'il souhaite. Écoute, tout ce que je peux te proposer c'est de les rencontrer.
- ...
- On va faire ça ?
Uzu acquiesce sans un mot.
*
- TOC TOC TOC !
Quand il entre dans la chambre de Yann, il leur trouve à Marie comme à lui un air suspecte. De quoi c'est deux là pouvaient-ils bien discuter ?
- Youdzeu est parti, leur annonce-t-il.
- Il aurait pu monter dire au revoir le filou ! ronchonne Yann.
- Il n'a pas osé vous déranger.
- Toi ça ne te gène pas !
L'affirmation n'est ni agressive, ni méchante, malgré cela elle embarrasse Liam.
- c'est que... il est tard nous n'avons déjà pas déjeuné, j'ai pensé que pour ce soir... Enfin si je vous dérange.
- Ha mais naaaan ! réfute Yann presque irrité qu'il se justifie.
- Yann va faire le dîner, hein Yann ? affirme Marie en poussant son meilleur ami d'un coup de coude.
- C'est vrai qu'il est doué, embraille avec enthousiasme Liam. Son dernier gratin était divin !
- Ouais divin... avec le pouvoir d'un dieu vengeur ! Ya qu'à voir ta main, rétorque le cuisinier.
Il coupe, hache menu, grimpe sur le tabouret, lève les bras et laisse voir son nombril, ouvre des placards, fait sauter des champignons dans une poêle, le même manège que d'habitude et Liam le reluque l'air "affamé" comme chaque fois. Marie observe la scène intriguée. Yann ne provoque même plus exprès, il fascine son monde naturellement et sans effort. Le temps a beau passer, son meilleur ami continu de l'étonner.
Le repas se déroule dans une bonne ambiance, Yann oriente rapidement la conversation sur le groupe et leurs répétitions. Aucun adjectif n'apparaît suffisant pour convaincre l'assistance du talent incommensurable de Uzu au chant. Son admiration pour le jeune japonais l'illumine et elle est très vite partagée par les deux autres et ce, même s'ils ne l'ont jamais entendu chanter. Uzu est un sujet, qui met tout le monde d'accord ou presque.
Marie remarquera bien de temps en temps une sorte de rivalité qui s'immisce chez Yann à son propos ainsi qu'une légère amertume de la part de Liam. La vie quotidienne de Yann avec de tels proches est décidément bien ambigüe. En plus de jalouser la place qu'ont pris tout ces gens auprès de son meilleur ami, Marie commence à comprendre pourquoi celui-ci se retrouve si perdu.
- Avant, il n'avait que moi. J'étais sa seule hésitation.
Marie arrose très largement le dessert de t'it punch maison, qui rapidement réussi à griser tout le monde.