- Tu me quittes mi zézer* ?
- Je n'ai pas que toi à voir sur Paris mon pauvre , on se voit demain soir ? Je dors chez une copine de promo.
- Tu m'abandonnes ! Je vais être malade si tu parts, je suis pas très bien.
- Haha gogoz* ! Avec la répèt' d'aujourd'hui tu vas être occupé non ?
- Et moi qui pensais que tu voulais nous voir jouer.
- Une autre fois !
- Qu'est-ce que tu penses de Liam ?
- Pourquoi tu me poses cette question ?
- ...
- Yann tu me fais peur, j'aime pas ton regard.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Il y a cette lueur dans tes yeux.
Il se balance doucement, la moue boudeuse, le menton sur les genoux, les pieds nus sur son lit, baissant la tête.
- Je l'attire tu sais.
- Et après ?
- Tu crois qu'il pourrait m'aimer de la même manière qu'il a aimé Youzeu ? Ça avait l'air indéfectible.
- Ce que tu fais volte face facilement ma parole ! Alors ça y'est ? Tu vas le choisir lui, en vertu de quoi ? Parce que c'est simple ? Il est célibataire, une cible facile, tu lui plais et voilà ? Ça règle tout c'est ça ?
- Je ne sais pas. Tu crois que c'est ça ?
- Tu ne peux pas t'ouvrir à un ailleurs au lieu de choisir simplement ce qui traine devant toi ? Est-ce que tu l'aimes déjà ? Avoir envie de coucher ça ne suffit pas si ? Tu cherches quel genre de relation en ce moment ?
- J'n'en sais rien, je ne me crois pas capable pour le moment d'entretenir une quelconque autre flamme correctement. Je ne souhaite pas m'engager mais, j'ai pas forcément envie de "coucher", un peu de tendresse chérie. Il est doux et gentil.
- Vous n'avez rien en commun, tu es un homme de passion Yann ! Tu ne vas pas te contenter d'une relation de substitution juste parce qu'elle va être facile, nan, quand même ? En plus je ne crois pas que ce soit un gars prêt à jouer les sex's friend ! Il n'a pas franchement l'air très bien dans ses baskets. Je doute qu'il accepte d'être un mouchoir !
- Tu parles comme-ci je n'éprouvais aucun sentiment.
- Parce que tu en as, vraiment ? En dehors de voir ton gibier convoiter par un autre chasseur ?
- Déjà y'a pas d'autre chasseur, ensuite, tu me prends pour qui Marie enfin ? Pour la deuxième fois, j'ai un cœur !
- Bha justement si tu l'écoutes, il te dit quoi ton cœur bordel ?!
- Que je suis perdu, que je me sens seul, que j'aime Gabriel.
- T'es indécrottable. Tu crois que tu peux l'oublier dans les bras d'un autre ?
- Tu penses ça impossible ?
- Non, j'ai pas dit ça, mais...
- Mais ?
- Est-ce que c'est le bon « autre » ? Si ça ne marche pas, si tu n'arrives pas à oublier, tu lui feras du mal à cet autre.
- Je sais, c'est le problème. J'ignore ce qu'il attend de moi, si c'est la même chose ça peut marcher... Sinon, le mieux serait que je m'en aille, rentrer à Saint Pierre pour faire le point.
- ...
Il soupire et s'allonge sur le dos.
- Tu te souviens de cette conversation que nous avons eue au téléphone tandis que je venais de le rencontrer ?
- Les considérations sur ton cœur d'artichaut dans les toilettes d'un bar ?
- C'est ça ! Bha je me bats, entre ce que je dois faire, ne pas faire et ce que j'ai envie.
- C'est bien, tu évolues, ordinairement tu fais juste ce dont tu as envie.
- Le vrai souci, c'est que je ne sais pas de quoi j'ai vraiment envie et je ne suis pas sûr de ce que je veux faire. Écouter ma raison, mon cœur ou bien mon sexe ?
- Tu pourrais pas tenter de combiner le tout ? Le problème Yann c'est que tu ne dis jamais ce que tu penses et que tu ne fais jamais c'que tu dis, constate le résultat hein !
Elle a quitté l'appartement depuis dix minutes pourtant son parfum flotte encore partout. Cette nuit passée avec elle, lui laisse deux opinions contraires. D'un côté il est tranquille, entre Marie et lui il ne se passera définitivement rien, leur amitié est sauve. D'un autre, il est profondément blessé qu'elle ait put s'imaginer qu'il accepte n'être qu'un coup d'un soir.
Yann s'étonne d'être seul, il n'a pas entendu Liam partir. Où est-il d'ailleurs ? Il a envie de lui parler, envie de se savoir attrayant pour quelqu'un. Même si le comportement de Liam n'est pas plus clair que le sien, que ses actions sont plutôt ambivalentes aussi, Yann sait qu'il lui plait. Le sentiment est réciproque, il en est persuadé et ça le rassurerait bien ce matin. Quand il y réfléchi Gabriel ne le désire plus dans sa vie privée malgré cela il continu de vouloir l'avoir sous la main. Marie ne le souhaite pas comme petit ami mais n'a rien contre le foutre dans son lit pour passer le temps.
Il n'est pas évident pour Yann de garder l'estime de soi dans ces conditions. Il lui reste tout de mêmes quelques petits espoirs, l'intérêt que lui porte Liam en est un et la considération de Uzu en est un autre. Il décide de garder ces deux points positifs en mémoire pour aujourd'hui et d'écarter ses idées noires.
Et puisque pour le moment aucune enquête, même pas l'inspection de la chambre du propriétaire des lieux, ne peut lui donner d'information sur l'endroit où Liam pourrait se trouver, il décide de mener à bien celle qui lui apprendra ce que peut cacher le rendez-vous d'avocat de son ami asiatique. Et puis ça lui permettra peut-être d'oublier ce mal de gorge qui commence franchement à l'incommoder.
*
Avoir l'esprit en paix, se concentrer sur la répèt' voilà ce qui anime Uzu aujourd'hui. Il a bien du mal à lâcher prise, entre ses cauchemars qui finalement sont loin d'avoir disparus, les conseils de Liam qui lui tournent en tête, l'avis de son avocat avec lequel il n'est pas forcément d'accord et la prochaine confrontation avec le fameux Rachid de la lettre.
Le plus étrange dans tout ça, reste que la conversation qu'il a eue avec Marie est la chose qui le perturbe le plus.
« Ce que tu décris, ça n'est pas de l'amour (...) C'est le début, plus tard si tout va bien tu ressentiras aussi avec Gabriel une sorte de paix, comme avec Yann (...)Je suis en train de t'expliquer la différence entre l'amour et la passion. L'amour et l'amitié, ce qui les sépare c'est parfois presque rien du tout. Écoute-moi, ne laisse pas Yann te mettre le doute. Ne le laisse pas vous séparer. »
Pour le coup c'est elle qui lui fout le doute. Il se sent bien avec Yann, en revanche s'il ne s'était jamais interrogé sur leur relation, là il commence à se poser des questions. Il secoue sa tête pour la vider de ces idées ridicules qui l'envahissent tout-à-coup.
- N'importe quoi ! s'esclaffe-t-il à haute voix.
En admettant qu'il n'y connaisse effectivement pas grand chose à l'amour ou à la passion et qu'il mélange un peu les deux, il n'a pour autant jamais été attiré sexuellement par Yann, sa présence même proche, ne l'a jamais perturbé outre mesure et il ne croit pas l'inverse non plus.
- Encore que je ne suis pas dans sa tête.
Se trouver en confiance avec quelqu'un, être heureux de le voir ça n'a rien à voir avec de l'amour ! Bien sûr en étant totalement honnête, il ne pourrait pas nier qu'il trouve effectivement Yann plutôt sexy.
- Mais je ne suis pas le seul, ça n'est pas un avis personnel !
- Tu parles tout seul ?
(Sursaut.)
Gabriel pénètre dans la salle de bain en caleçon sans prévenir. Cette intimité naturelle et simple ne cesse de surprendre le japonais. Gabriel entre et sort des pièces, ils se croisent ainsi parfois dans le plus simple appareil sans que le goth ne paraisse jamais en rien perturbé par la nudité de son amant. De même, il se mêle de tout, décroche le téléphone portable de l'autre sans se poser de question.
Uzu a pour sa part, du mal à rester stoïque. Il continue de rougir quand Gabriel le surprend à poil, se sent profondément perturbé chaque fois qu'il se trouve face à son petit ami si attirant se baladant sans le moindre vêtement et s'énerve lorsqu'il a cette impression d'invasion de son espace personnel. Cela lui donne la sensation parfois, de continuer à vivre avec sa mère abusive.
- Hééé ! Tu pourrais frapper ! râle le japonais.
- ?
- Me regarde pas avec cet air d'ahuri, on ne t'a jamais appris ce qu'est l'intimité ?
- Haaa ça va haha ! J'te connais maintenant hein !
Gabriel assortie sa réponse d'une claque sonnante sur les fesses de son chéri outré. Puis referme la porte sur le regard noir de celui-ci sans demander son reste.
*
Gabriel est soucieux, même s'il feint la légèreté, il se rend bien compte que Uzu est préoccupé. Ses cauchemars sont récurrents et il comprend que la fameuse rencontre, prochaine étape obligatoire à sa progression, est une épreuve qui l'inquiète beaucoup. Il aimerait pouvoir l'aider davantage surtout qu'il a également énormément de mal à laisser Liam prendre sa place de confident.
Le chant qui bientôt s'élève dans la salle de bain, le rassure un peu. Aller en studio va leur faire du bien à tous. Presque mécaniquement, il prend sa guitare sèche afin d'accompagner son copain. Tandis que les notes s'égrainent le volume de la voix de Uzu augmente.
*
Quand il dépose son sac de sport dans le couloir, Liam remarque de suite que Yann se trouve seul dans l'appartement. Marie est visiblement sortie, pas besoin d'une inspection en règle pour s'apercevoir que les chaussures de la belle ont disparues et que son manteau n'est plus sur la patère. La musique est à fond, les fenêtres sont ouvertes mettant toutes les pièces dans un immense courant d'air, « l'égoïste platinum » flotte un peu partout malgré le vent qui s'y engouffre.
Il l'appelle mais ne reçoit aucune réponse.
- Forcément avec la musique !
La porte de la chambre de Yann est toujours ouverte, il pourrait la fermer, il a une clef, il semblerait que le jeune homme n'accorde pas beaucoup d'importance à sa vie privée.
Sans doute n'a-t-il rien à cacher.
Une curiosité malsaine titille Liam, le lit est-il défait ? Il hésite. Il monte lentement les marches en tremblant tel un coupable, bien qu'il soit dans son propre appartement. La literie ressemble à un champ de batailles, par contre nulles traces suspectes à déplorer. Cela ne le rassure pourtant en rien. Il sait pour en avoir parlé avec l'intéressé que Yann met un point d'honneur à se protéger lors de ses rapports. Va-t-il aller vérifier jusque dans la poubelle ? Au moment où il relève le nez dans la direction de la corbeille, c'est sur l'ordinateur portable resté en marche que ses yeux tout-à-coup affolés par ce qu'ils y voient, se posent.
Yann n'aura eu besoin que d'une recherche basique pour découvrir l'horreur du vécu de leur ami commun. Il lui aura suffit de taper son nom et son prénom pour tomber sur nombre d'articles de journaux horrifiants par leur banalisation de la chose, des vidéos du journal régional relatant ce fait divers atroce entre la météo et « le point sur nos régions ». D'interviews glauques en paparasia à la sortie du tribunal, d'articles d'associations gays montant au créneau, relatant l'histoire sans omettre le moindre détail, de reconstitutions sordides en imaginations galopantes, Yann ne se sera rien épargné.
Liam fait défiler l'historique des pages ouvertes du bout du doigt. Il s'en veut, il aurait sans doute pu éviter ça. Il se demande ce que Yann va bien pouvoir retirer de cette information et surtout de quelle manière va-t-il l'encaisser. Où est-il d'ailleurs ? Il éteint la machine.
- Yann ?!
Lorsque Liam se penche au-dessus de l'escalier, il le voit apparaître débouchant lentement du couloir de la cuisine, le jean cigarette trainant par terre, les mains qui se chiffonnent, le dos rond sous un teeshirt sans forme dont le col découpé laisse entrevoir une épaule, les yeux et les cheveux mouillés, le visage éteint sans réelle expression, il ressemble à une adolescente dont on aurait abusée.
- Je suis désolé, je suis monté pour voir où tu étais et je...
Il descend l'escalier sans terminer sa phrase. L'androgyne ne se laisse pas approcher, il recule vers le canapé, s'y installe en boule et se détourne de son colocataire.
Yann ignore de quelle façon réagir, il regrette d'avoir voulu savoir. Il a honte et l'impression d'être entré dans la vie personnelle du japonais par effraction. En même temps il n'arrive pas à réaliser. L'information est tellement intolérable, qu'il en a mal au ventre. Toute cette histoire le renvoie à la sienne. Il en veut à Liam de le lui avoir caché, tout en le laissant chercher par lui-même.
- Je n'sais même pas comment je vais pouvoir me comporter face à lui désormais, avoue-t-il.
- Il n'a pas changé depuis hier tu sais, continu comme avant.
- Tu te fiches de moi ? Je serais totalement incapable de faire semblant !
- Je ne te le conseille pas non plus. Mais la dernière des choses à faire serait de changer ton comportement vis-à-vis de lui. Il n'a vraiment pas besoin de ça.
- Pour quelle raison ne m'as-tu pas empêché de fouiner ? Et ne dis pas que tu n'avais pas deviné !
- Tu avais le droit de savoir.
- Dans ce cas pourquoi ne pas me l'avoir dit toi-même ? Tu aurais pu, je ne sais pas moi, me prévenir un minimum !
- Je n'en avais pas l'autorité.
- Je suis choqué, tu es content ? C'est ma punition pour avoir été trop curieux c'est ça ?
- Tu es humain, de plus ça te touche personnellement vu ton vécu, si tu ne ressentais rien je m'inquiéterais.
- Ce que j'ai vécu... ça n'est pas comparable, faut arrêter avec ça non d'un chien ! Est-ce que Gabriel est au courant ?
- Évidement.
- C'est dingue ! Ces gars là méritent de subir la même chose ! Youzeu a l'air zen tout le temps, tranquille, calme, serein même. Comment est-ce qu'il arrive à gérer celui là ? Quand je pense que j'ai envié sa vie...
Liam s'assoie au côté de Yann.
- Certaines victimes se construisent un mur qui les sécurise. Youz' a refoulé parce qu'il ne pouvait pas se protéger plus qu'il ne l'avait déjà fait. Il était avant ça déjà tellement insensibilisé. J'ai eu très peur pour lui, j'ai vraiment cru qu'il allait devenir fou. Il est plus fort que n'importe qui. Son indifférence aux autres et à lui-même a été un véritable rempart contre la douleur.
- Indifférent, insensible, Youz' ? On croit rêver, tu es certain que nous parlons de la même personne là ?
- Il l'était. Je suis content qu'il soit heureux avec Gabriel aujourd'hui et que tu sois son ami. Pour obtenir ça, il a dû quitter son château fort, rien ne le protège plus dorénavant. Tout ce qu'il avait refoulé est en train de l'envahir de nouveau, il se souvient.
- Toi qui l'aimais, tu as pu supporter qu'on lui ait fait subir ça ?
- Notre histoire date du lycée... J'ai fais ce que j'ai pu pour l'aider. Ce que tu ignores, c'est qu'il a débarqué chez moi, personne n'était encore au courant. Il avait disparu depuis plusieurs jours et il est resté muet sur ce qui lui était arrivé. Je n'ai pu que supposer.
- Mon dieu le choc que ça a dû être.
- Il était à moitié nu en plein hiver, couvert de blessures et de sang. Il a menacé de se tirer si j'appelais les flics. Le pire choc est venu plus tard, quand j'ai connu les détails.
Yann relève la tête, il a l'air d'un enfant apeuré.
- C'est pas possible.
- J'ai soigné les blessures superficielles et j'ai appelé l'asso pour qu'ils l'accompagnent.
- Il ne t'en a pas voulu de les avoir prévenus ?
- Ça n'était pas la police, c'était mon devoir d'agir.
- Oui.
- Quand tu m'as fait cette « blague » et plus tard, lorsque j'ai vu les marques sur tes bras... Liam secoue la tête en fermant les yeux tandis que Yann pince les lèvres.
- Tu m'avais déjà parlé de viol, j'ai imaginé tellement de choses.
Un silence pesant s'installe, Yann n'ose pas soutenir son regard, pas plus qu'il ne bouge. Ils sursautent tout les deux au moment où le portable du bassiste vibre.
Un sourire passe sur le visage jusqu'alors grave de Yann à la lecture du texto.
- Quoi ? le questionne aussitôt le blond.
- Un message de Youz' : « J'espère que tu n'as pas oublié que l'on répète dans une heure, je n'ai pas envie de me retrouver seul avec ces sauvages (Gabriel est persuadé que je peux bosser la ballade en Do) m'abandonne pas ! » Avec tout ça, j'avais zappé, dans une heure j'y serais jamais, surtout avec le matos que je dois ramener ce coup-ci. Gabriel va me tuer haha !
- Tu veux que je t'emmène ?