En survolant le domaine, Arya fut heureuse d’y voir les hommes déambuler par petits groupes. Le bois avait été rentré à l’intérieur. Les outils également. Parfait. Ils savaient travailler.
Ils se tournèrent vers Arya et firent mine de venir vers elle.
- Continuez ce que vous faisiez. J’ai dit le compte-rendu au zénith. Nous en sommes loin. Faites comme si je n’étais pas là.
- D’habitude, nous devons cesser toute activité, nous agenouiller et mettre les mains sur la tête, précisa Gautier en sortant du dortoir.
Il souriait, une épaule sur un mur, les bras croisés dans une attitude nonchalante.
- Pas avec moi, indiqua Arya. Tu veux bien m’aider, Gautier ?
- Bien sûr, madame, répondit-il en se décollant du mur, plaçant ses bras le long du corps.
« Madame », pas « gestionnaire », reconnut Arya. Cela lui convenait très bien, même si se faire appeler ainsi à son âge lui semblait étrange.
- Ce trajet a été très désagréable pour moi. J’ai besoin du harnais sauf que je ne peux pas le mettre moi-même, précisa-t-elle en levant sa main droite.
- Je n’ai jamais fait ça, précisa Gautier d’une voix gênée.
- Je te guiderai.
- Vous voulez vraiment que…
- Oui, dit Arya en lui tendant l’ensemble de lanières en cuir.
Il retrouva rapidement son assurance malgré de nombreux rouges au joue. Approcher d’aussi près un ailé était nouveau pour lui. Pour serrer le harnais, il dut la toucher et s’en excusa à chaque fois. De nombreux travailleurs observèrent la scène en chuchotant. Arya les laissa faire. Le but était justement d’apprendre à se connaître les uns les autres, de s’apprivoiser.
- Merci, Gautier, dit-elle une fois l’ensemble fixé. Il faudra me l’enlever chaque soir et me le remettre chaque matin.
- Sans problème, dit le travailleur. C’est quoi ?
Il désigna la marmite du menton.
- De l’argile. Il faut l’étaler et le faire sécher, une couche de la largeur d’un doigt environ, indiqua Arya.
- Quelle longueur et largeur ?
- Le plus grand possible, indiqua Arya. Ce que cette quantité permettra.
- Comment prévoyez-vous de faire ça ?
- Je n’en ai aucune idée, ronchonna Arya. Il n’y a rien ici. C’est désespérant.
Gautier ricana. Arya regarda autour d’elle.
- Pouvez-vous réaliser un genre de moule dans le sol, à un endroit très ensoleillé ?
- Oui, dit Gautier, mais ça ne séchera jamais totalement.
- Ce n’est pas le but, le rassura Arya. L’argile doit rester un peu molle, mais pas liquide.
- Je vais dire aux hommes de le faire, assura Gautier. Autre chose ?
- Ça viendra après, grogna Arya et Gautier ne put s’empêcher de sourire. Je repars.
- Votre demande aura été réalisée à votre retour, assura Gautier.
- Je te remercie, répondit Arya.
- De rien, répondit le travailleur.
Son regard riait. Il s’amusait follement. Arya s’envola pour rejoindre les marécages. Ici, il ne fallait en aucun cas mettre pied au sol. La mort guettait. Il s’agissait de rester en vol tout le temps. Arya trouva ce qu’elle cherchait. Elle récupéra les lianes, les arrachant difficilement. Fort heureusement, le harnais les maintenait sans qu’elle n’eut à les tenir. Elle put ainsi en rapporter beaucoup.
- On fait quoi de ça ? demanda Gautier qui l’avait rejointe à peine posée.
Il l’aida à se débarrasser de son fardeau, prenant garde à ne pas la toucher.
- Il faut les laver, les étaler et les faire sécher, annonça Arya.
- Souhaitez-vous qu’on vous aide à les cueillir ? proposa Gautier.
- Vous ne pouvez pas, répondit Arya. Ceci vient de l’intérieur des marais.
Le travailleur hocha la tête.
- Laver, étaler, faire sécher, répéta Gautier. Ça sera fait. L’argile est prêt.
- J’irai voir avant le déjeuner, promit Arya avant de repartir.
Elle ramena de nombreuses lianes. Le colis précédent était toujours lavé, étalé et en train de sécher lorsqu’elle revenait. Les travailleurs se montraient très efficaces. Au zénith, enfin, elle se posa, les ailes en feu. La plaque d’argile promettait. Arya entra dans le bâtiment des travailleurs. Ils cessèrent immédiatement de parler et se figèrent. Arya en dénombra dix. Ils étaient tous là, parfait. Ils firent mine de s’agenouiller.
- Arrêtez de faire ça, gronda Arya. Debout et continuez. Je suis fatiguée et j’ai faim.
Elle s’assit sur une grosse pierre, déploya ses ailes qu’elle laissa tomber au sol pour les détendre puis tendit la main vers Amine qui touillait le contenu d’un chaudron au-dessus du feu central. Il attrapa un bol en bois fourni par l’intendant et le remplit à l’aide d’une louche. Une cuillère en bambou traînait dedans, ustensile permettant de manger. Sauf que le dortoir ne proposait aucune table où poser le bol. Il fallait donc le tenir dans une main et se servir de l’autre pour manger.
Tristan s’avança, prit le bol de la main gauche d’Arya et se plaça face à elle, lui tendant le contenant fumant. Arya dut retenir ses larmes, tant de rage contre cette main paralysée que de reconnaissance envers cet homme pour son aide. En silence, elle attrapa la cuillère et mit un peu de pâtée d’avoine dans sa bouche. C’était aussi immonde que dans son souvenir.
- Servez-vous et mangez ! ordonna Arya. Après, nous partirons pour la future rizière. Il vous faudra des forces.
- Vous comptez manger avec nous ? demanda Gautier, les yeux écarquillés.
- Je ne compte pas mettre un pied dans la maison à côté, indiqua Arya.
- Vous dormirez ici aussi ? s’étrangla Gautier.
Pour toute réponse, Arya désigna son hamac accroché en hauteur. Les travailleurs échangèrent des regards ahuris mais se mirent en mouvement pour aller récupérer leur ration de nourriture.
- Fred ! Tu commences, annonça Arya. Ton compte-rendu !
Le concerné s’assit sur la grosse pierre qu’Arya lui désigna.
- Des trous dans les murs, dit Fred. Et le toit.
- Autre chose ? demanda Arya.
Il secoua la tête.
- Parfait. Merci, Fred. Émile, à toi !
Émile se leva et prit volontiers la place de Fred. Le fait qu’elle ait écouté sans rien dire, sans s’agacer du langage laconique de l’ancien puni, tout cela donna des ailes aux autres. Arya écouta. La plupart avaient remarqué les mêmes choses qu’elle. Elle enregistra les quelques demandes différentes. Ayant terminé de manger assez vite, elle avait libéré Tristan qui put manger à son tour.
- On part pour la rizière, annonça Arya dès le repas terminé.
- Vous venez avec nous, comprit Gautier et cette fois, ce n’était pas une question.
Il commençait à comprendre. Chacun prit un outil. Arya marcha, préférant économiser ses forces. Les travailleurs n’osèrent pas échanger un mot. Lorsqu’ils arrivèrent, ils ne purent cependant s’empêcher de soupirer.
- Au prochain quartier de lune, il faudra avoir semé, annonça Arya.
Les travailleurs la regardèrent, interloqués.
- C’est impossible, madame ! osa Gautier. Nous ne sommes que dix et…
Il désigna l’état du champ qui n’en était pas un.
- Tout est à faire, pleura-t-il.
- Je sais. Au boulot ! La zone à assainir ira de là, à là, annonça Arya.
- C’est petit, prévint Gautier.
- Vous n’êtes que dix. Si nous prouvons être de bonnes fourmis, sa Majesté la reine nous fournira davantage de bras. Nous ne disposons que d’une lune pour prouver notre valeur alors, au boulot !
Les travailleurs se regardèrent, ne sachant trop comment réagir devant cette insolence caractérisée envers les purs citadins ou l’intendant, nul ne savait trop.
Les hommes commencèrent à creuser. Il fallait isoler la zone du reste des marais, placer des digues que l’aiguadier contrôlerait afin que le riz reste toujours bien les pieds dans l’eau mais la tête au sec.
- Je suis sur une grosse racine ! annonça Tristan. Je n’arrive pas à creuser. Il va falloir faire une tranchée ailleurs.
- Non, dit Gautier. On va venir t’aider ! Ne t’inquiète pas. Elle ne résistera pas si on s’y met à dix.
- Non ! dit Arya. Continuez où vous êtes !
- Mais, il…
- Gautier ! Ne vous opposez pas à moi, prévint Arya.
Le travailleur recula en levant les mains en signe d’apaisement. Il ne reprit cependant pas le travail, observant la gestionnaire. Arya s’avança vers Tristan.
- Attache ça autour de ta racine récalcitrante, ordonna Arya en lui tendant une liane.
Non tressée, elle ne serait guère solide mais ils ne disposaient de rien de mieux pour l’instant. Tristan attrapa l’objet et plongea les mains dans l’eau saumâtre. Arya frissonna. Elle n’avait pour sa part pas du tout envie de faire ça. Mais comment faisaient-ils ? Ils ignoraient sûrement tous les parasites que cette eau contenait. Elle attrapa le bout de liane et le lia à son harnais. Puis, elle déplia les ailes et s’envola d’un battement puissant. La racine céda aisément. La liane fut aussi brisée mais Arya s’y attendait.
- Merci, dit Tristan avant de reprendre son ouvrage.
Arya intervint cinq fois afin de casser des racines ou soulever des obstacles lourds – pierre, morceau de bois ou os. Finalement, tout le monde rentra au domaine.
- Je n’avais jamais vu un gestionnaire nous aider, lui dit Gautier sur le chemin du retour. Vous êtes fine et menue mais vos ailes vous donnent sacrément de la puissance. Je ne m’en étais jamais rendu compte jusque là. Avec votre aide, oui, c’est peut-être possible de semer avant le prochain quartier de lune. Madame ? Vous allez bien ?
- Je suis épuisée, admit Arya. Les derniers jours ont été rudes.
Gautier acquiesça.
- Amine ! Prépare un dîner s’il te plaît ! lança Arya dès qu’ils arrivèrent en vue des bâtiments.
- Madame, si vous mangeons deux fois par jour, nous n’aurons jamais assez pour tenir une lune entière ! prévint Gautier.
- Fais, Amine, s’il te plaît.
- Une portion plus petite, ordonna Gautier.
Arya ne s’opposa pas. Elle s’assit directement le sol, le dos reposant sur un mur, ses ailes étalées de part et d’autre. Elle fut réveillée par la main de Gautier sur son épaule. Il lui tint le bol, permettant à Arya de se nourrir, son estomac criant toujours famine une fois la portion terminée. À peine eut-elle fini qu’elle s’envola vers son hamac et s’endormit, épuisée.
Elle fut réveillée par le bruit sous ses pieds. Elle retrouva le sol d’un coup d’ailes. Elle avait faim et soif. Manger n’était pas envisageable. Elle se contenta de l’eau putride du puits. Combien de temps avant de tomber malade en buvant ça ?
Tout le monde prit la route de la future rizière. Ils passèrent toute la journée là-bas. Fred accepta d’aller chercher de l’eau au puits et de faire des norias.
- C’est incroyable comme le travail est facilité grâce à vous, répéta Gautier sur le chemin du retour.
- Il y a tant à faire ! maugréa Arya, la jointure de ses ailes avec ses omoplates en feu.
- Qu’avez-vous en tête ? demanda Gautier.
Arya ne répondit rien. Amine prépara le dîner. Arya avala puis s’endormit. Les jours suivants furent répétitifs. Arya se contentait d’être une mule ailée. Elle transporta les cailloux, graviers et monceaux de terre nécessaires. Grâce à ses ailes, elle soulevait des poids que trois travailleurs ne parvenaient pas à porter. Comme prévu, au changement de quartier de lune, la rizière fut prête à recevoir les semences.
Alors qu’ils venaient de rentrer après la longue journée ayant permis de terminer les travaux dans la rizière, Arya réunit les travailleurs dans la place centrale, devant la plaque d’argile qui avait eu le temps de sécher, devenant solide mais légèrement molle. La consistance idéale. Arya était ravie.
- Ceci est une tablette d’argile, annonça Arya en désignant la plaque sur le sol.
Elle sortit un petit os de sa poche et traça neuf dix traits verticaux espacés régulièrement. En haut de chaque colonne, elle traça des symboles. Devoir utiliser sa main gauche rendit son écriture instable et tremblante. Elle avait l’impression de se retrouver en apprentissage avec Rouge-Géraldine. Jamais sa préceptrice n’aurait accepté qu’elle écrive aussi mal. Elle l’aurait fait recommencer, encore et encore, jusqu’à ce que le résultat lui convienne. Arya repoussa ses souvenirs. Elle avait besoin d’être concentrée sur le moment présent.
- J’ai écrit vos prénoms, indiqua-t-elle avant de les lire un par un. Retenez bien quelle colonne est la vôtre.
- Vous savez écrire, fit remarquer Alexandre.
- Tu es perspicace, répondit Arya en riant.
- N’est-ce pas classique pour un ailé ? demanda Gautier.
- Non, répondit Tristan. Seuls les purs – et quelques impurs chanceux – accèdent à cette connaissance. Notre superviseur en ville ne savait pas. Seul le maître écrivait et lisait.
- Arya est pure, répliqua Gautier en haussant les épaules.
- Bien sûr que non ! Sinon, elle ne serait pas gestionnaire ! rétorqua Fred.
- Vous êtes aveugles ? Elle a de gigantesques ailes jaunes ! Bien sûr qu’elle est pure ! s’énerva Gautier.
- Si elle était pure, vu sa couleur d’ailes, elle serait médecin ou prêtresse, indiqua Alexandre.
- Madame, médecin ou prêtresse ? interrogea Gautier en se tournant vers elle.
Pendant l’échange, Arya avait tracé six lignes horizontales, elles-aussi équitablement réparties. Chaque en-tête de ligne portait des symboles.
- Aiguadier, lut-elle en désignant la première ligne. Demain, deux d’entre vous devront se porter volontaires pour aller semer puis prendre le rôle d’aiguadier.
- Deux ? répéta Gautier qui avait compris qu’elle ne comptait pas répondre à sa question.
- Aucun de vous ne restera jamais seul, indiqua Arya. Par sécurité, d’abord. Et par besoin social, ensuite. D’ailleurs, je m’étonne de ne jamais vous entendre chanter.
- Vous accepteriez que nous le fassions ? frémit Gautier.
- Bien sûr !
- L’art n’est-elle pas un cadeau des dieux, réservé à leurs serviteurs ?
Aaron ne savait-il pas que les travailleurs chantaient ? se demanda Arya. Le leur interdisait-il ? À bien y réfléchir, ils ne le faisaient que lorsqu’ils se croyaient seuls, la gamine du gestionnaire se cachant pour les écouter. Arya n’avait jamais imaginé une seule seconde qu’ils puissent commettre un crime, voire un blasphème ce faisant.
- Les dieux, ricana Arya.
Elle explosa de rire. La religion, elle en avait assez soupé. Certes, elle lui devait son existence mais elle lui avait coûté sa famille. Elle la vomissait. Daryl n’était pas croyant. Samuel non plus. Les deux chirurgiens n’exposaient pas leurs idées à voix haute mais ils se comprenaient très bien à demi-mot sur ce point.
- Chantez, travailleurs. Chantez. Et puissent vos mélodies arriver à leurs oreilles.
Les hommes échangèrent des regards interloqués. Ils parvenaient encore à être surpris.
- Prêtresse, en conclut Gautier. Que vous ont fait les dieux pour que vous en ayez rompu vos vœux ?
Pour toute réponse, Arya traça deux croix dans la première ligne, une sous « Amine » et l’autre sous « Gautier ».
- Demain, il faudra que le tableau soit rempli, de la manière dont je viens de le faire. Remarquez bien que ça n’est pas définitif.
Elle effaça la croix de sa main, égalisant simplement l’argile mou, avant de cocher d’autres noms.
- Ce qui compte, c’est que chacun ait une place, termina Arya.
- C’est quoi, aiguadier ? demanda Fred.
- T’écoutais pas pendant les formations ? cracha Josselin.
- S’il était en centre de correction, ça n’était probablement pas sans raison, dit Arya. Ceci dit, Josselin, puisque tu sais, explique-lui donc au lieu de lui sauter à la gorge.
Le travailleur grimaça avant d’annoncer :
- C’est celui qui gère l’eau dans les rizières, jamais trop et jamais trop peu.
Fred hocha la tête avant de lancer :
- Toute la journée dans les marais à regarder monter et baisser l’eau. Non merci. C’est quoi les autres possibilités ?
- C’est pas trop fatigant comme mission, répliqua Josselin.
- Ben t’as qu’à le faire ! répliqua Fred.
- Carrément ! Tu peux me cocher, Arya ! lança Josselin.
Arya fixa Josselin dans les yeux puis se tourna vers Gautier. Le travailleur hocha la tête puis regarda Josselin, le regard de feu.
- Parle autrement à notre gestionnaire ! Ensuite, tu n’as pas à décider. Nous allons devoir nous concerter. Ce n’est pas parce que tu veux que tu auras.
Arya acquiesça à destination de Gautier avant de poursuivre :
- Service. Les deux volontaires resteront au domaine et en prendront soin. L’avantage est que cette corvée permet de rester au domaine. L’inconvénient est qu’elle oblige à rester au domaine.
Les hommes ricanèrent à la blague.
- Tout devra être propre et ils prépareront le repas, poursuivit Arya. Pour le moment, cela n’implique pas grand-chose de plus alors en attendant que la corvée augmente, les deux de service s’occuperont également des lianes.
Arya rajouta un petit « + lianes » en dessous de Service.
- Je vous montrerai comment tresser les lianes.
Les hommes hochèrent la tête. Ils se regardaient, cherchant du regard qui semblait intéressé par la tâche proposée.
- Sablier, lut Arya. C’est un travail fastidieux et fatigant, très physique. Cela devrait te plaire, Fred.
- Je prends note, indiqua le concerné.
- Caillou, poursuivit Arya. Le travail est moins dur que sablier mais à peine. Et enfin, bois. Cette corvée nécessite d’avoir un bon sens de l’orientation. Dans une forêt, je ne peux pas voler. Mes ailes sont trop grandes. Si vous vous perdez, vous serez seuls.
Elle venait de leur annoncer que s’ils s’enfuyaient, elle ne serait pas en mesure d’aller les chercher. Cela n’échappa pas aux travailleurs. Arya s’en moquait. Qu’ils partent s’ils le souhaitaient. Dans une forêt sans outil ou arme, bon courage aux fuyards !
- Réfléchissez bien. Demain, soit les cases sont cochées, dit-elle en tendant un bout d’os à Gautier, soit je cocherai moi-même, répartissant les missions au hasard.
Les travailleurs en cessèrent un instant de respirer.
- Maintenant, on mange et je vais dormir. Vous pouvez échanger pendant que je me repose. Je suis tellement épuisée que vous pourriez jouer du tambour que ça ne me réveillerait pas.
Les hommes rirent de bon cœur. Le lendemain, toutes les cases étaient cochées. Arya envoya les deux aiguadiers à leur ouvrage. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire.
Elle mena les huit autres travailleurs aux lianes séchées.
- Vous regardez tous, même ceux qui ne le feront pas aujourd’hui.
Arya prit plusieurs brins de liane et demanda à Alexandre, qui avait choisi Service, de l’aider. Il était impossible de réaliser le tressage à une seule main. Ils travaillèrent donc à deux. Alexandre semblait gêné de se trouver aussi proche de la gestionnaire. Leurs doigts s’effleurèrent souvent, principalement à cause d’Arya qui contrôlait mal ses gestes. La tresse fut malgré tout rapidement terminée et Arya jugea le résultat correct.
- C’est pour faire des cordes, indiqua-t-elle.
Elle prit d’autres brins et, toujours en binôme avec Alexandre, réalisa un second montage, plus complexe, plus long aussi. Elle obtint une surface plate et isolante de deux mains sur trois.
- Le but est de poursuivre jusqu’à ce qu’il soit un peu plus grand qu’un homme, autant en longueur qu’en largeur, indiqua Arya.
Amine et Alexandre, les deux préposés au Service, ouvrirent de grands yeux.
- On a combien de temps pour faire ça ? demanda Amine.
- Jusqu’à ce que vous en ayez marre d’avoir froid dans le dortoir. Ça sera notre future porte.
- Vous faites ça en priorité ! gronda Fred.
- Leur priorité, c’est de nettoyer le domaine. Ça, c’est secondaire, rappela Arya d’une voix sifflante.
- Des cordes ? Combien ?
- Beaucoup, dit Arya. Le plus possible. Et des surfaces plates aussi. Nous allons beaucoup en avoir besoin. Je vais essayer d’obtenir d’autres matières mais ça risque d’être compliqué.
- Nous ferons au mieux. Il y a peu de lianes, observa Amine.
- Je vous en apporterai autant que possible, promit Arya. Il y a d’autres tressages possibles mais pour l’instant, faites déjà ces deux-là.
- Oui, madame, répondit Amine.
- Fred, je commence par toi. Les autres, aidez Amine et Alexandre le temps que je revienne. Tiens, Fred, mets-ça.
Elle lui tendit le second harnais, normalement destiné au deuxième gestionnaire. Fred observa l’objet, circonspect.
- Pourquoi dois-je le porter ? demanda-t-il en fronçant les paupières.
- La gestionnaire vient de te donner un ordre ! gronda Gautier.
- Parce que je ne peux pas te tenir en plein vol avec une seule main, répondit Arya.
- Vous allez… l’emmener en vol ? s’étrangla Gautier.
- La plage n’est pas exactement à côté, répliqua Arya. Grouille-toi, Fred, on a peu de temps alors inutile d’en perdre !
Fred s’harnacha puis Arya le lia à elle avant de déployer ses ailes et de prendre son envol. Arya sentit peser sur elle le regard des travailleurs. Un ailé non transporteur qui portait un humain. C’était du jamais vu !
Sinon, je n'ai pas compris la dernière phrase : les transporteurs ne sont-ils pas des ailés ?