Chapitre 9 : Face à la mer

Notes de l’auteur : Saviez vous que dans la mythologie grecque, on désigne souvent les Éthiopiens comme les peuples d'Afrique et du sud de l'Égypte. Ce nom signifierait « visage brûlé » et fait référence à la légende de Phaéton. Il est le fils du dieu Hélios et de Clymène, épouse de Mérops, roi des Éthiopiens. Un jour, il vola le char de son père et durant sa course à travers le ciel, il s'approcha trop près du sol de la Terre. Alors, les habitants qui vivaient dans ces régions, furent brûlées et marquées, ainsi que toute leur descendance, expliquant ainsi la couleur de leur peau.
Les dieux aiment y prendre des vacances et faire la fête dans ses régions.

Si l’on m’avait dit il y a quelques semaines que je me retrouverais loin de ma maison, loin de ma mère, loin de tout ce que j’ai connu jusqu’à aujourd’hui, avec pour seule compagnie le messager des dieux, je ne l’aurais pas cru. Quelle étrange sensation. Durant notre envol, j’ai dû finir par m’assoupir dans les bras d’Hermès et celui-ci m’aura déposée ici, dans cette maison inconnue. Je sais que je me suis endormie tandis qu’une idée germait dans mon esprit. Cependant à mon réveil elle semble s’être évanouie dans les méandres du monde des songes. Je n’arrive plus à me souvenir, la température effroyable m’empêche de réfléchir. Cela me pousse à croire que nous avons bel et bien quitté la Sicile. L’air est lourd et ma peau est moite. Je relève mes cheveux en un chignon tressé grossièrement, dans le but de dégager ma nuque. Je ne pense pas avoir supporté semblable chaleur même durant l’été. Je me demande bien où je suis.  

Je me trouve dans une demeure toute en pierre blanche, des plus charmante et pittoresque. Elle n’est certes pas très grande, mais tout dans la décoration et l’ameublement rend l’endroit accueillant. On pourrait croire qu’il s’agit d’une simple maison de campagne, cependant le tissu soyeux des tentures et les broderies finement entremêlées des tapis sont de qualité. Plusieurs armes sont exposées sur les murs. Sur les poteries posées un peu partout, ce ne sont que des exploits et des épopées où intervient le dieu Hermès. C’est une imposante collection d’objets d’art. Je souris en voyant un vase relatant comment le dieu, alors enfant, avait réussi à voler le troupeau de bœufs du dieu Apollon à son insu. La légende raconte qu’il aurait fait preuve d’ingéniosité pour cacher les traces des animaux à l’aide de branches et ainsi tourner au ridicule le dieu des arts et de la musique. Zeus aurait tant apprécié les qualités d’Hermès qu’il l’aurait invité à devenir un des membres du panthéon des dieux. Je n’imagine pas le poids que l’on doit ressentir lorsqu’on est le fils du roi des dieux. J’ai rapidement fait le tour de la demeure puisque la chambre est séparée par un paravent du séjour et de la petite cuisine. À présent, je remarque la couche de poussière recouvrant chaque recoin, comme si la maison avait été laissée à l’abandon depuis bien longtemps. Mon baluchon est posé sur un tabouret et mes vêtements ont été mis à sécher.   

Je m’approche de l’une des fenêtres, car un étrange son provient de l’extérieur. Je dois pousser avec force pour ouvrir l’un des battants des volets. Il fait tellement chaud que l’air y est brûlant et me pique la gorge. Je suis obligée de mettre mes mains en visière pour me protéger les yeux de la lumière. Le ciel est dégagé, pas un seul nuage gris et le soleil semble briller plus fort. De là où je me trouve, la vue est stupéfiante de beauté et j’en ai presque le souffle coupé. À quelques mètres de moi, je peux apercevoir l’eau à perte de vue. Alors c’est cela, la mer ? J’ai tant rêvé de découvrir un jour, cette étendue bleue se confondant avec le ciel. C’est encore mieux que ce que j’ai pu imaginer. Mon cœur bat la chamade. Je ne peux quitter des yeux le roulement paisible des vagues aux éclats dorés qui vont et viennent. L’or et le saphir s’entremêlent tandis que de grands oiseaux blancs tourbillonnent et piaillent bruyamment. Ce doit être des mouettes ou des goélands comme dans les histoires d’Hermès. Dès que je rêvais de liberté ou de voyage, je m’imaginais face à la mer et maintenant que je me trouve réellement à quelques pas, je n’ose plus bouger alors que mes larmes coulent jusqu’aux coins de mon sourire béat. Une brise marine parvient à mes narines et je savoure cet étrange parfum aussi salé que revigorant.   

L’unique porte d’entrée s’ouvre à la volée et je sursaute. Je me retourne pour tomber nez à nez avec Hermès les bras chargés. Il est rayonnant. Impossible de deviner qu’hier soir il a dû voler durant des heures et a certainement peu dormi. Il arbore un chiton court bleu avec de fines broderies rouges en forme de vagues, assorties aux lacets de ses sandales. Les ailes sont repliées sur elles-mêmes. Un ruban scinde son front et ses boucles blondes sont coiffées en une petite queue de cheval. Il me sourit et dépose sur la table un panier rempli de victuailles et une amphore.  

— J’espérais revenir avant ton réveil ! As-tu faim ?  

— Ce n’est pas la faim qui me dévore de l’intérieur, mais la curiosité, allons dehors ! je m’exclame en lui prenant la main.    

— J’imagine que je n’ai pas le choix, dit Hermès en croquant dans une pomme.  

La chaleur est étouffante, mais je m’en moque et avance d’un pas décidé jusqu’au bord du précipice, Hermès me suivant docilement. La maison se situe sur les abords d’une falaise. En contrebas, j’aperçois les rouleaux des vagues s’écrasant sur la roche dans une explosion d’écume laiteuse. Des oiseaux sont nichés contre la paroi tandis que d’autres s’envolent en me voyant. Je peux sentir sur mon visage les embruns rafraîchissants. Plus loin un sentier permet d’atteindre une plage de sable blanc. Je me retourne et constate que le dieu du voyage m’observe un sourire aux lèvres.   

— Inutile de poser la question, allons-y ! déclare le jeune homme en riant.   

— Le dernier en bas est une chimère ! je dis en commençant la course.   

— Tu oublies qui je suis Koré ! s’exclame Hermès.   

En un battement de cils, je le vois, accompagné d’un nuage de poussière, arriver déjà à la plage. Levant les bras victorieux, il s’amuse au point que son visage a pris une teinte rosée. Je lui crie alors qu’il n’est qu’un tricheur. À mon tour, je ris à gorge déployée. Évidemment Hermès est connu pour protéger les tricheurs, tout comme les voleurs et les menteurs. Il n’allait certainement pas se priver d’utiliser son pouvoir de vitesse pour me doubler. Je me dépêche de descendre le petit sentier caillouteux et trébuche à plusieurs reprises. Je peux déjà sentir dans mon dos la brûlure du soleil.  

Une fois arrivée à la plage, je ralentis le pas et prends le temps d’admirer la mer. La brise marine est si exaltante. Je suis fascinée par ce bleu cyan qui me tend les bras. J’accélère finalement la cadence, car le sable est trop chaud, m’obligeant à tressauter. Je délasse mes sandales avant de poser mes pieds blancs sur le sable gorgé d’eau devenu brun. La fraîcheur me fait frissonner. Les premières vagues lèchent mes mollets et éclaboussent mon chiton pourtant taillé court. Je ramasse un petit coquillage nacré et continue d’avancer tandis que mes jambes disparaissent peu à peu dans la mer. L’eau est si pure que je peux voir mes pieds sur les galets colorés, cachés sous la surface. Je manque d’ailleurs de glisser à plusieurs reprises ce qui me fait bien rire. Ciel et mer s’entremêlent et je distingue à peine l’horizon. J’ai l’impression d’être minuscule perdue dans ce bleu infini. Les oiseaux planent sur les vents marins. Je me sens si libre et confiante. J’y suis enfin arrivée, je suis face à la mer. Comme j’aimerais que Cyané soit à mes côtés. Nous rêvions tant de pouvoir ensemble voguer sur les vagues et vivre des aventures à travers nos voyages. Pourtant, je ne dois pas laisser le chagrin m’imprégner à nouveau, car elle ne voudrait certainement pas que je gâche un moment pareil. Je l’entends me sermonner et me dire de profiter de l’instant.  

— Alors, c’était ce que tu imaginais ? demande Hermès en jaillissant des flots un peu plus loin. 

— C’est encore mieux que dans mes rêves !   

— Allez rejoins-moi vite !  

Je m’élance dans l’eau et apprécie cette sensation de nager dans les vagues. Le courant marin n’est pas fort, c’est une mer très calme qui m’accueille. C’est agréable de s’abandonner ainsi, je me sens si légère et libérée de tout. Je m’immerge entièrement et laisse mes cheveux flotter autour de moi avec grâce. Je n’ai pas pris le temps d’ôter mon chiton et le tissu de mon vêtement se gorge d’eau et je me dis que je dois ressembler à un énorme nénuphar.  

Lorsque je ressors ma tête, Hermès m’accueille par des éclaboussures et comme des enfants nous rions et nous nous attaquons mutuellement. Je découvre le goût salé de l’eau sur ma langue et le picotement cruel dans mes yeux que je frotte avec frénésie. Hermès se moque de mon chiton gonflé par l’eau et je remarque qu’il est presque nu, mais nullement gêné. Nous nous sommes baignés tant de fois ensemble dans la mare de Cyané que j’ai fini par ne plus rougir. Le jeune dieu est si fier de sa silhouette svelte, qu’il n’hésite jamais à exhiber ses muscles fins. C’est ce que j’aime avec Hermès, c’est cette intimité et cette confiance qu’il y a entre nous. Selon ma mère je devrais me méfier de tous les hommes qu’ils soient mortels ou divins. Pourtant, le premier dieu que j’ai rencontré s’est révélé être le plus adorable et bienveillant qui puisse exister. Il veille sur moi comme un grand frère le ferait, je suppose.   

Hermès me prend la main et me guide sous la surface. La mer est si claire qu’on peut y voir distinctement une nuée de poissons multicolores nageant tout autour sous nos pieds. C’est une pure merveille. Je me laisse couler au fond de l’eau encore peu profonde pour admirer de plus près les créatures aux écailles brillantes. Un banc de poissons jaunes certainement aussi curieux que nous s’approche doucement et nous tourne autour. Puis j’aperçois enfin à quoi ressemble un crabe vivant, marchant nerveusement sur le sable avec les deux pinces en l’air. Je remonte prendre mon souffle et replonge aussitôt. Cachés parmi les algues et les coraux se trouvent divers petits poissons et des coquillages blancs ou tachetés. Sur les rochers, je voulais caresser de drôles de plantes, mais Hermès m’en empêche et m’explique à la surface qu’il s’agit d’anémones venimeuses.  

Même si je ne me suis pas lassée d’explorer les fonds marins, après avoir passé un bon moment à battre des jambes dans l’eau, je me dis qu’il serait temps de se reposer un peu. Hermès s’est déjà allongé sur la plage et lambine au soleil. Son chiton est noué négligemment sur ses hanches et ses longues boucles ont séché. Les yeux fermés, il semble serein. Je m’approche doucement et m’amuse à laisser perler quelques gouttes d’eau sur son torse imberbe et doré. Il sursaute et sourit. Mon vêtement est quasi transparent et me colle à la peau. Je me divertis en accrochant dans ses cheveux de jolies algues rouges qui flottaient à côté. Il finit par m’attraper les mains pour me renverser sur le sable près de lui. Provoquant notre hilarité. Nos visages se trouvent à quelques centimètres. Ses yeux verts me scrutent et il sourit. Avec tendresse il enlève de mon front les mèches humides, qu’il replace derrière mes oreilles.  

— Merci Hermès. Merci de m’avoir emmenée ici, je murmure.   

— Attends de voir ce que je te prépare, j’ai tant de choses à te montrer !    

— Où sommes-nous exactement ? Il fait une de ces chaleurs.    

— C’est certainement ce voyeur d’Hélios qui doit s’amuser à nous épier d’un peu trop près ! Je plaisante Koré ! Nous sommes loin de ta Sicile natale et même de la Grèce, car nous sommes en Éthiopie, et nous venons de nous baigner dans la mer Érythrée. Et cette maison est la mienne, du moins techniquement : c’était plutôt la cabane d’Apollon, mais il n’est plus jamais revenu alors c’est devenu la mienne ! raconte Hermès, plein de fierté.    

— La légende est donc authentique, tu lui as vraiment volé son bétail enfant ! Ce qui explique tous les objets à ton effigie. Je croyais que tu vivais sur le mont Olympe ?   

— Oui j’aime quand les mortels me rendent hommage alors je collectionne les bibelots que je trouve ! Mais les autres dieux disent que cela fait de moi un vantard. Donc je les entrepose ici plutôt que dans mes appartements dans le palais de Zeus.   

— D’ailleurs n’as-tu pas un travail auprès des dieux et même aux Enfers ? je demande en le pointant du doigt.   

—  Certaines missions peuvent attendre. En plus je déteste descendre dans les Enfers, même si Hadès est un bon roi. C’est sale, noir et déprimant. De plus, je ne supporte pas ce charognard de Charon !    

— Tu es incorrigible Hermès, moi qui te pensais plus courageux ! je me moque.   

— Parfois il est préférable de se reposer. Cela faisait si longtemps que je ne m’étais pas senti si vivant et insouciant, déclare Hermès en se redressant pour s’étirer.  

Le terme « insouciant » me frappe de plein fouet et je me relève à mon tour comme touchée par la foudre. Je récupère mes sandales et époussette les grains de sable. C’est vrai que j’ai été insouciante tout ce début de journée. Je me suis amusée, imaginant les derniers évènements de ma vie semblables à de lointains cauchemars. Pourtant à présent, je me souviens enfin de la décision que j’ai prise avant de m’endormir. C’était même une évidence, tapie derrière un certain déni, mais je ne peux plus ignorer mes pensées. Cela doit se lire sur mon visage, car Hermès me scrute, tandis que j’essore mes cheveux. Je crois que si je lui parle de mon projet il va vouloir m’en dissuader. Cependant, je ne peux lui mentir sans qu’il ne le sache. Alors, je dois me montrer beaucoup plus ingénieuse. Je me mords la lèvre et finis par lui sourire en déclarant :  

— Allons manger, je meurs de faim !   

— Bonne idée ! approuve-t-il.  

Dans la maison, la poussière me provoque des éternuements. Je signale au jeune dieu qu’un bon ménage s’impose. Il rit et s’excuse, car il ne vient plus aussi souvent qu’il l’aimerait. Tandis qu’Hermès s’attèle à préparer le déjeuner, je vais remplir un seau dans le petit ruisseau à l’eau limpide, derrière la demeure. J’en profite pour me laver rapidement de tout ce sel marin et enfile un vêtement propre. Puis nous échangeons alors nos rôles et je termine de dresser les assiettes. C’est un repas très simple, une galette de pain, de la viande séchée et un bouillon de légumes finissant de cuire dans une vieille marmite. Dans l’amphore se trouve un vin épicé grec à en juger par le contenant. Nous nous installons sur le seuil de la porte à l’ombre de la maison, mais face à la mer. Pieds nus, les cheveux humides et mon assiette sur les genoux, je regarde l’horizon. Hermès mastique tranquillement sa viande. Tout serait parfait si je n’avais pas en tête toutes mes pensées. Je ne sais par où commencer pour ne pas éveiller ses soupçons.  

— D’où provient cette nourriture ? je demande.   

— Non loin d’ici se trouve la cité d’Adulis où règne le roi Céphée. J’ai fait quelques provisions durant ton sommeil et tu vas pouvoir goûter des fruits que tu n’as jamais vus !   

— Tu as réellement acheté ces victuailles ou tu les as volés ?    

— Allons, il m’arrive de payer des produits aux nobles commerçants ! s’amuse Hermès, faussement outré.   

— Être à la fois le protecteur des marchands et des voleurs, des voyageurs et des brigands, ce n’est pas compliqué à concilier ?   

— Au contraire c’est encore plus divertissant ! s’exclame-t-il  

Je continue de savourer mon repas. C’est vrai que j’avais faim ! Et je dois dire qu’il n’est pas mauvais cuisinier pour un dieu certainement habitué à se nourrir de nectar et d’ambroisie. C’est ce qui rend attachant le messager des dieux. Hermès chérit les choses simples et sa curiosité le pousse à toujours apprendre des mortels et adopter leur mode de vie quand il le peut. C’est pour cela, m’a-t-il dit un jour, qu’il aimait me rendre visite et passer du temps avec mes dames de compagnie et moi-même. Ma mère ne m’élevant pas comme une déesse, il appréciait le fait que je n’étais ni prétentieuse ni envieuse à l’instar de certaines divinités sur le mont Olympe. L’on se contentait de ce que la vie pouvait nous offrir tout simplement. Hermès se lève pour récupérer dans son panier un fruit aussi gros que la main, teinté de rouge et de vert. Il le tranche en deux morceaux et le parfum qui s’en dégage est exquis. Puis découpe un carré dans la chair orange et le glisse dans ma bouche. Je me délecte de ce mets sucré et tendre. Hermès semble ravi par ma réaction et il rit en m’apprenant qu’il s’agit d’une mangue qu’il a bel et bien achetée au marché. Tandis qu’il boit un peu de vin, je décide de me lancer.  

— Sommes-nous loin d’Athènes ?   

— Rien n’est assez loin pour moi. Je peux m’y rendre en quelques minutes, mais je ne sais pas si toi en revanche tu pourrais supporter cette vitesse-là, donc cela prendra plus de temps comme hier. De tous les endroits à visiter tu veux aller à Athènes ?   

— Disons que j’ai bien conscience, même si cela m’effraie un peu, que tu ne pourras pas éternellement rester à mes côtés, tu auras forcément des obligations à remplir, je déglutis en finissant ma phrase.   

— Voyons Koré, tu sais bien que je ne vais pas te laisser seule, je l’ai promis à Cyané. Le ton de sa voix est sérieux et il a arrêté de manger.   

— Mais je ne veux pas être une charge pour toi…   

— Koré, tu m’offenses en imaginant cela !   

— Ce n’était pas dans mes intentions Hermès. Mais il faudra bien que je découvre ma voie et ce que je vais faire dans ce monde.   

— Ne me dis pas que tu t’es enfuie de chez toi pour trouver un travail ! plaisante Hermès, essayant de détendre l’atmosphère.   

— Il y a tant de choses que je veux faire et je dois apprendre à me débrouiller seule…   

— Pourquoi ai-je l’impression que tu t’efforces à me cacher quelque chose ? Je peux entendre ton cœur battre plus rapidement et les notes dans ta voix n’ont pas leur tonalité habituelle.   

Je me relève et entre dans la maison afin de nettoyer mon assiette et surtout éviter le regard plein de suspicions d’Hermès. Face à lui, je suis une piètre menteuse et cela commence à m’agacer fortement. Évidemment le dieu me suit et fait le tour de la table pour me forcer à l’affronter.  

— Que comptes-tu faire Koré, fille de Déméter ? Et je t’interdis d’essayer de me tromper car c’est désagréable d’assister à cela ! demande Hermès toujours un sourire en coin.   

— Très bien si tu insistes ! Je vais me rendre à Athènes afin d’anéantir Pallas Athéna et retrouver Médusa, je dis d’un ton sûr.  

Les yeux d’Hermès s’écarquillent tandis que les muscles de sa mâchoire se crispent. Il devait s’attendre à tant d’autres réponses qu’il ne sait plus quoi dire. Ça bouche s’ouvre à plusieurs reprises, mais aucun mot n’en sort. Il se passe la main dans les cheveux et je croise les bras sur ma poitrine, les pieds plantés dans le sol. Je veux qu’il comprenne que je suis tout à fait sérieuse. Je ne pourrai jamais savourer ma liberté pleinement en sachant qu’une innocente a été condamnée injustement ! Mais sa réaction n’est pas du tout ce que j’imaginais, le voilà qui se met à rire. Un rire si fort qu’il se tient les côtes et peine à respirer. Je suis sidérée et ne trouve plus quoi répondre. Son rire finit par s’éteindre lorsqu’il remarque enfin qu’il est le seul à être amusé par mes propos.  

— Allons, Koré, dis-moi que tu plaisantes ? demande Hermès en se recoiffant.   

— Je suis tout à fait sérieuse Hermès ! Je dois libérer Médusa et rien ne me fera changer d’avis ! Je ne passerai pas une journée sans essayer de la délivrer tu m’entends ! Au fond de moi la culpabilité et la tristesse me rongent de ne pas avoir été à ses côtés pour la sauver !  

Hermès prend appui avec nonchalance contre la table. Je serre mes bras contre moi tandis qu’il me scrute de haut en bas. À croire qu’il me découvre pour la première fois. Les sourcils plissés, il semble se retenir de me hurler dessus. Ses phalanges prennent une teinte blanchâtre tant ses doigts s’agrippent au bois. Droite et les pieds plantés dans le sol, j’espère me donner une contenance qui lui fera comprendre que je ne plaisante pas.  

— Allons sois raisonnable. J’ai contribué à ta fuite et je t’offre la vie que tu rêvais d’avoir : voyager et découvrir le monde. Tu quitterais tout cela pour braver la colère d’Athéna ? Cela en vaut-il réellement la peine ? demande Hermès en indiquant la fenêtre d’une main.   

— Je te serai éternellement reconnaissante de m’avoir aidée Hermès, mais comment vivre cette vie sans penser au calvaire de la pauvre Médusa…   

— Qu’imagines-tu au juste ? Que le palais de la déesse du savoir est comme la demeure de la déesse des moissons et que tu vas pouvoir y entrer à ta guise ? Tu es aussi naïve qu’une enfant. À l’instant où tu pénètreras dans la ville, tu seras repérée ! Des centaines d’amazones la servent sans compter les autres créatures qu’elle doit abriter. Athéna préviendra évidemment ta mère et ta liberté aura été de courte durée, mais je suis persuadé que tu sais déjà que la déesse trouvera un moyen de te faire payer tes affronts avant la venue de Déméter. Imagine quel sort humiliant elle te réservera. Et soyons fous si tu parvenais à battre Athéna par je ne sais quel miracle, puisque rappelons-le tu n’as plus de pouvoir, tu seras condamnée par Zeus !    

— Condamnée ? Mais pourquoi ?   

—  Ne me dis pas que ta mère ne te l’a jamais appris, entre divinités olympiennes nous ne pouvons nous combattre. Tu es la fille de Déméter malgré le secret qui te protège, tu fais partie de notre famille et tu serais obligée de subir les pires souffrances dans le Tartare durant une éternité ! Alors, dis-moi Koré c’est ça l’avenir que tu voulais : une vie de malheur et d’emprisonnement ?  

Ses paroles pleines de sarcasmes me désarçonnent et me ramènent à la réalité. Qu’est-ce que je pouvais bien imaginer ? Je ne suis personne, je n’ai pas de pouvoir et je ne connais rien à ce monde, pas même les règles fondamentales de mon ascendance divine. Je maudis ma mère de m’avoir gardée enfermée et inculte. Je baisse les yeux et fuis le regard d’Hermès, je ne veux pas pleurer encore une fois devant lui. Je me dirige vers la fenêtre et admire le bleu de la mer.   

Que ce soit par amusement, ennui ou sollicitude, les dieux n’ont de cesse d’intervenir dans les vies des hommes et des femmes qui les vénèrent chaque jour. Mais bien souvent leur sort leur est indifférent une fois l’intérêt passé ou leur curiosité assouvie. J’étais si effarée de voir comment ma mère pouvait négliger les attentions de certaines villes à son égard. Je peux même supposer que cet ignoble roi des océans a déjà oublié sa victime. Je sais que jamais je ne pourrai être heureuse si je ne libère pas Médusa, car au fond de moi j’aurai l’impression d’avoir volé sa vie. C’est elle qui m’avait poussée à sortir enfin de chez moi et prendre des risques. J’avais gouté à une nuit de liberté et elle, avait tout perdu.  Je respire un grand coup et fais face à Hermès.  

— Tu as raison mon ami. Je ne suis qu’une enfant puérile et naïve. Je ne suis pas forte, je n’ai plus de pouvoir, je ne connais rien de notre monde et il serait facile de fermer les yeux et d’oublier. Mais je pense que jamais je ne pourrai savourer ma nouvelle vie en sachant qu’une innocente croupit dans les cachots d’Athéna. Je dois la délivrer. Je veux te proposer un marché Hermès. Aide-moi comme tu l’as fait pour tous ces mortels et demi-dieux que tu as assisté durant leurs quêtes, entraîne-moi au maniement des armes, apprends-moi à devenir plus puissante et à me faufiler dans l’ombre telle une voleuse. Ou alors, refuse tout simplement et laisse-moi partir, de grâce ne m’enferme pas comme ma mère… 

Le messager des dieux reste silencieux. Les bras croisés sur son torse, il évite mon regard à son tour. Comme s’il se retenait de dire quelque chose, je remarque qu’il se mordille l’intérieur de la joue. Il s’amuse à faire rouler sous son pied un caillou. Je n’aime pas la tension qui s’est abattue dans la maisonnette. Je savais qu’il n’approuverait pas mon choix, mais j’espérais au fond de moi qu’il changerait d’avis. Encore une fois j’étais naïve d’imaginer qu’il prendrait part à une action qui pourrait lui coûter cher auprès des autres membres du panthéon. Je n’ai pas le droit d’être déçue, Hermès a déjà fait beaucoup pour moi. Je soupire et face à son mutisme, je commence à ramasser mes vêtements séchés et les enfournent dans mon baluchon, puis je me dirige vers la porte. À peine ai-je posé mes doigts contre le loquet, qu’une main attrape mon poignet.   

— Ne pars pas ! s’écrie Hermès. Tu as bon cœur et je voulais savoir si tu allais me quitter pour tes convictions. Tu es prête à sacrifier ta sécurité et ta liberté pour sauver ton amie et peu de divinités auraient fait la même chose. Pardonne-moi pour cette vilaine ruse. Je ne peux pas agir par moi-même à cause de mon statut, mais reste ici Koré : je t’apprendrai ce que tu m’as demandé et je te mènerai au temple. Si je peux donner du fil à retordre à la fille favorite de Zeus, je ne peux que m’en réjouir et pour cela laisse-moi réfléchir à un plan !  

Je n’ai pas de mots assez forts pour remercier le dieu du voyage et je me jette à son cou et le serre avec tendresse dans mes bras. Je devrai me sentir agacée ou humiliée qu’il ait envisagé de me tester, mais finalement, le principal c’est qu’il y a de l’espoir pour Médusa. La chaleur de son corps est apaisante. Il prétend vouloir ennuyer Athéna, mais je sais qu’il va m’aider, car au fond il est bon et juste. Peut-être même avait-il prévu ce stratagème depuis le début, qui sait avec le dieu de la ruse et du mensonge, il est difficile de connaître la vérité.    

 
 

 
 

 

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Mentheàleau
Posté le 21/07/2023
Koré est différente dans ce chapitre, c'est comme on redécouvrait un peu le personnage avec son nouvel environnement et sans son entourage. L'histoire est de plus en plus intéressante.
Salem
Posté le 15/11/2022
Ce chapitre est une vraie pause pour Koré et pour le lecteur. C''est très agréable de se poser au soleil et de profiter avec elle de sa nouvelle liberté ! Après les chapitres précédents qui étaient riches en émotions fortes, celui-ci apporte une bouffée de légèreté bienvenue.
Sa Majesté S.
Posté le 13/11/2022
Encore un chapitre riche en descriptions, au terme duquel le temps semble s’arrêter !

Perséphone goute à la vraie liberté mais n’oublie pas pour autant son amie Médusa, qui en a injustement été privée !
Passionlivres
Posté le 12/11/2022
Apres les 3 derniers chapitres, ce passage plein de nouveaux paysages et d'émotions véritablement positives fait vraiment plaisir à lire ! Les subtilités du personnages d'hermès continuent de me surprendre ! Bravo !
Noe
Posté le 12/11/2022
Je ne sais pas où tu m'emmènes, JJ, mais tu arrives à me surprendre de chapitre en chapitre et j'adore ça <3 Koré a une évolution juste géniale et cohérente
Je ne me lasse pas d'Hermes (oui je me répète, mais je le droit haha)
Plumenchanté456
Posté le 12/11/2022
Nous sommes avec les personnages ! Le chapitre est tellement bien écrit que nous sommes avec eux ! Technique rare mais qui demande un travail d’écriture assidu ! Merci !
Dragibou93
Posté le 28/08/2022
J’ai littéralement adoré ce chapitre

J’avoue avoir eu très peur de lire quelque chose de trop commun avec l’es histoire qu’on connais déjà mais c’est très bien amener et surtout inattendu
LorenzoBook
Posté le 28/08/2022
J’aime tellement ce chapitre je pense que c’est mon préféré ! J’ai tellement hâte de continué ! L’héroïne commence de plus en plus à me plaire.
J’espère qu’on va continué à voir Hermès même si Hades a pas l’air mal …
Ella Miller
Posté le 02/08/2022
"L'énorme nénuphar" est un vrai régal. Quelle belle héroïne tu nous offres-là. On veut l'accompagner jusqu'au bout de l'aventure que tu promets, de suspens en rebondissements.
Sa fraîcheur devant la beauté du monde qu'elle découvre enfin. Une adorable ado positive mais bien décidée à sauver la justice. Ton écriture rend tout si réel (depuis le chapitre 1).
Avec Hermès à ses côtés, lui qui a sauvé jadis le Dieu de la guerre et connaît l'Olympe, nous sommes rassurés et nous nous demandons ce que tu vas pouvoir inventer pour corser l'histoire.
Vrai suspens... Merci
dollykitten
Posté le 13/06/2022
Superbe chapitre , j'adore les descriptions bien précises qui nous baignent totalement dans l'histoire et dans la mer avec elle
C'est un véritable plaisir à lire encore une fois !!
J.J.Canovas
Posté le 22/06/2022
Merci pour ton soutien ! Figure toi que j'ai toujours peur d'en faire trop dans les descriptions du coup tu me rassures un peu si tu me dis que tu as aimé :)
Paul
Posté le 04/06/2022
Tu as un véritable don pour décrire avec justesse et sensibilité de façon a vraiment éveiller le sens et les émotions, c'est vraiment excellent : "Je m’approche doucement et m’amuse à laisser perler quelques gouttes d’eau sur son torse imberbe et doré. Il sursaute et sourit. Mon vêtement est quasi transparent et me colle à la peau. Je me divertis en accrochant dans ses cheveux de jolies algues rouges qui flottaient à côté. Il finit par m’attraper les mains pour me renverser sur le sable près de lui. Provoquant notre hilarité. Nos visages se trouvent à quelques centimètres. Ses yeux verts me scrutent et il sourit. Avec tendresse il enlève de mon front les mèches humides, qu’il replace derrière mes oreilles. "
J.J.Canovas
Posté le 12/07/2022
Tu trouves pas que c'est too much ? J'ai peur de tomber dans quelque chose de pompeux alors que pas du tout XD
Pierre Pastel
Posté le 04/06/2022
La description de la baignade à la fois sensuelle et innocente est magnifique. Le "picotement cruel dans mes yeux" et le "goût salé", on a l'impression de se baigner !
Pierre Pastel
Posté le 04/06/2022
La conclusion est très habile : "Il prétend vouloir ennuyer Athéna, mais je sais qu’il va m’aider, car au fond il est bon et juste. Peut-être même avait-il prévu ce stratagème depuis le début, qui sait avec le dieu de la ruse et du mensonge, il est difficile de connaître la vérité. "
Décidément il est très attachant ce Hermès, et sa relation avec Koré est très intéressante et subtile, elle sort des sentiers battus, du vieux maître dans les voyages initiatiques, on serait presque tenté par une romance entre les deux.
J.J.Canovas
Posté le 12/07/2022
Oui avec Hermès on ne sait jamais ce qu'il pense vraiment !
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