Chapitre 9 - Humilité

Elmarion se tourna vers Pierre. Le garçon avait posé son arc dès que son maître avait eu le dos tourné et tentait à nouveau de lancer un sort. Abigaël sourit à son époux. Elmarion, lui, ne le voyait pas de cet œil.

- Istius pueri timor maximus fiat, murmura Elmarion.

Abigaël sursauta. Cela pouvait être dangereux. Si ce dont le garçon avait le plus peur était de mourir, alors cela se produirait. Apparemment, Elmarion était à bout de nerfs, sans cela, il n'aurait pas lancé un sort aux retombées plus qu'inattendues. D'abord, rien ne se passa puis Pierre mit les mains à sa gorge. Terrorisé, il se tourna vers Elmarion. Il ouvrait et fermait frénétiquement la bouche, mais rien ne sortait.

- Il est muet, comprit Elmarion en souriant.

Abigaël sourit. La punition était parfaite.

- Reprends ton travail ! ordonna Elmarion au jeune garçon. Je ne te rendrai ta voix que lorsque tu auras un peu plus de plomb dans la cervelle !

Pierre baissa les yeux et ramassa son arc. Il semblait misérable. Lorsque la première flèche partit, une larme coula sur sa joue.

- Tu maltraites tes élèves maintenant ? dit quelqu'un derrière Elmarion.

Le Morden sourit et sut avant même de se retourner qui était là.

- Lieutenant Craig ! Vous venez essayer d’obtenir des informations ? le taquina Elmarion.

- J’ai laissé tombé cette idée il y a bien longtemps, répondit Ewin. Pourquoi ? J’ai encore mes chances ?

- Pas la moindre, assura Elmarion. Que me vaut l’honneur de votre visite ?

- Un message pour vous.

- Moi ? s’étonna Elmarion.

- Vous et votre femme, précisa Ewin. De la part de l’archimage.

Elmarion fit la moue. Il n’aimait pas ça. Taïmy ne leur avait pas adressé la parole depuis des années. Que pouvait bien motiver un tel envoi ? Elmarion saisit le message et le déplia tandis qu’Abigaël le rejoignait.

- Il veut nous voir, tous les deux. C’est urgent, annonça Elmarion.

- Avec Taïmy, c’est toujours urgent, fit remarquer Abigaël.

- On ne peut pas refuser la requête de l’archimage, murmura Elmarion.

- Je n’ai pas dit que je voulais refuser, dit Abigaël, juste qu’il aurait pu y mettre un peu plus les formes au lieu de nous convoquer de la sorte. Et puis, nous sommes occupés !

- Pierre et Julian nous accompagnerons, proposa Elmarion. Un peu d’action et de grand air leur fera du bien. À Julian qui passe trop de temps dans ses livres. Et à Pierre qui ne le fait pas assez.

Abigaël sourit. La description était très juste. Elle soupira puis haussa les épaules. Après tout, pourquoi pas.

Le soir même, Elmarion et Abigaël entraient dans la citadelle des mages, accompagnés de leurs deux apprentis.

- Enfin ! s’exclama Taïmy en les voyant arriver dans la salle du conseil.

- Bonjour à vous aussi, archimage, dit Elmarion piqué au vif.

Le magicien était assis confortablement devant une assiette de fromage. Son assistant se tenait debout, contre le mur. Il ne faisait aucun doute qu’il était très contrarié.

- Yohan, va prévenir Pauline et demande qu’on nous amène de la nourriture.

- Je ne suis pas ton larbin, cracha Yohan.

Taïmy jeta un regard noir à l’ensorceleur mais celui-ci ne broncha pas. Le magicien finit par fermer les yeux avant de les rouvrir.

- Asseyez-vous. Je vais vous expliquer la mission que je veux vous confier, annonça Taïmy.

- Mission ? répéta Elmarion.

Il n’aimait pas ça du tout. La dernière fois que l’archimage lui avait demandé quelque chose, il avait dû tout quitter et vivre en ermite pendant près de vingt ans. Tandis qu’il s’asseyait, Taïmy commença :

- Depuis la renaissance des ensorceleurs, de nombreux problèmes se sont posés. Celui qui me préoccupe le plus est la sécurité des Ar’shyia.

- La citadelle manque de protection ? interrogea Elmarion.

- Là n’est pas le problème, assura Taïmy. Chaque magicien a son assistant pour le protéger. Non, le souci vient des Ar’shyia adultes éparpillés un peu partout. Ils sont sans défense contre les ensorceleurs qui, maintenant qu’ils sont libres, peuvent s’attaquer à eux sans restriction aucune.

Abigaël et Elmarion ne surent que dire. Elmarion jeta un œil à Yohan. L’ensorceleur restait muet. Il connaissait la mission que le magicien voulait leur confier et dans son regard, Elmarion lut une haine brûlante.

- En quoi cela nous regarde-t-il ? interrogea Abigaël.

- Il ne faut pas laisser ces Ar’shyia sans défense, dit Taïmy.

- C’est certain, dit Elmarion. Les amener ici et les former serait…

- Non, le coupa Taïmy. On ne peut pas former des Ar’shyia adultes. Seuls les enfants peuvent devenir…

- C’est faux, siffla Yohan rouge de colère. Les adultes peuvent…

- Tu n’en sais rien ! cria Taïmy en se levant. Tu es magicien, non ? Alors tais-toi ! Sors ! Allez, dehors !

Yohan obtempéra non sans jeter un regard noir au magicien. Taïmy le regarda partir. Lorsqu’il fut dehors et la porte fermée, Taïmy se rassit et continua :

- Je disais donc que seuls les enfants, les bébés, peuvent devenir magiciens. Les autres, privés du contact avec des magiciens dans leur enfance, ne seront jamais en mesure de se séparer, comme cela a été le cas pour ma prédécesseure.

Abigaël hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris. Cependant, elle n’oublia pas d’aller demander après sa version des faits à Yohan plus tard. Pauline entra, suivie par des serviteurs portant des plateaux. Taïmy attendit qu’ils soient sortis pour reprendre la conversation :

- Pauline ici présente vous accompagnera.

- Nous accompagnera où ça ? s’enquit Elmarion.

- On ne peut pas laisser ces gens à la merci des ensorceleurs, dit Taïmy. C’est notre devoir de les aider. Ils ne pourront jamais devenir magiciens alors leur don ne leur sert à rien sinon à risquer de devenir des marionnettes impuissantes. La meilleure façon de les protéger est donc de leur ôter ce don.

Abigaël et Elmarion ouvrirent de grands yeux. Elmarion constata que Pauline grimaçait mais la jeune magicienne ne dit rien.

- Leur ôter ? répéta Elmarion la voix tremblante de rage.

- Votre pouvoir vous permet bien de faire cela, n’est-ce pas ? demanda Taïmy en se tournant vers Abigaël.

- Hé bien, euh… commença Abigaël.

- Si vous projetez vos pouvoirs sur la Perle, elle meurt parce qu’elle est faite de magie. Mais si vous projetez vos pouvoirs sur un magicien, il ne meurt pas. Il se contente de perdre ses pouvoirs. Il en va de même pour les Ar’shyia, conclut Taïmy.

- Mais lorsqu’elle retire ses pouvoirs, la magie revient dans les magiciens, fit remarquer Elmarion.

- Non, le contra Abigaël. Elle ne revient pas. Les magiciens créent eux-mêmes leur magie. Ce sont des êtres à part. Si je lance mes pouvoirs sur un mage, il perd son don, à jamais.

Elmarion regarda sa femme bizarrement. Elle ne lui avait jamais fait part de cette nuance.

- La mission est simple : vous allez voir les Ar’shyia et vous projetez vos pouvoirs sur eux. Ils ne se rendront même pas compte qu’il vient de se passer quelque chose. Ils seront protégés et libres, finit Taïmy.

- Lors de mon dernier voyage à la recherche d’Ar’shyia, j’ai noté la présence de plusieurs Ar’shyia adultes, annonça Pauline en tendant un parchemin au couple. Il nous suffira de commencer par là. Amel est en train d’essayer de trouver les autres.

- Peut-être la magia verborum pourra-t-elle vous aider à trouver les autres, proposa Taïmy.

- Non, la magia verborum utilise la magie des dragons, pas celle de la Perle, argua Elmarion.

- Ça ne coûte rien d’essayer, fit remarquer Taïmy.

Elmarion réfléchit puis annonça sa conclusion :

- Non, ça ne marchera pas.

- Pourquoi ? interrogea Taïmy.

- Parce que je ne crois pas que ça marchera, expliqua Elmarion.

- Et alors ? dit Taïmy que le refus du sorcier commençait à exaspérer.

- Ça ne marchera pas, c’est tout, dit Elmarion. Je n’ai pas remis en doute votre compétence en tant que magicien formateur, accordez-moi le même respect. Je connais la magia verborum et si je vous dis que ça ne marchera pas, c’est que c’est le cas.

Taïmy plissa les lèvres puis grogna, mais se contenta de cela.

- Il y a une douzaine de noms sur cette liste, dit Abigaël en la parcourant des yeux. Les villes mentionnées sont très éloignées les unes des autres.

- Je soupçonne la présence de plus de cinquante Ar’shyia adultes, leur apprit Taïmy. En fait, j’ai parié sur soixante-trois, mais je peux me tromper.

- Cela nous prendra des années ! s’exclama Elmarion.

- Plus vite vous partirez, plus vite vous reviendrez, répondit Taïmy.

- Je dois former mes élèves à la magia verborum, annonça Elmarion. J’ai besoin d’Abigaël pour ça.

- La magia verborum nécessite un apprentissage oral. Je ne vois pas en quoi être sur les routes empêchera quoi que ce soit, rétorqua Taïmy.

Elmarion lança un regard noir au magicien. Le jeune homme avait tout prévu pour que ses ordres soient suivis. Le couple n’avait pas le droit de refuser. Abigaël n’avait qu’une envie : dire non au magicien et partir pour ne jamais revenir. Elmarion était la seule chose qui la retenait ici, Elmarion et sa fille Solveig, mariée au salopard qui leur demandait une nouvelle fois de lui donner des années de leur vie. Elle serra les poings. Une pensée lui aurait suffi pour priver à jamais ce magicien de son pouvoir et par conséquent, de son rang. Seulement, ça n’était pas à elle de décider. Ce peuple avait choisi son mode de fonctionnement. Ce n’était pas à elle de juger. Abigaël regarda Elmarion et posa sa main sur sa tête. Ce signe était convenu.

- Ego et Abigael orare cogitato capacem simus, dit Elmarion.

Taïmy sursauta mais rien de visible de ne produisant, il lança :

- Que viens-tu de faire ?

Nul ne lui répondit.

- Je sais que ce pays est le tien mais cette mission, je n’en veux pas, dit Abigaël en pensée et grâce au sort lancé, son mari fut en mesure de l’entendre.

- Ce pays n’est pas le mien, répondit Elmarion de la même manière. J’ai vécu vingt ans ici et vingt ans chez les Suunit. J’ai eu la possibilité de choisir et je préfère les Suunit. Seulement, nous n’avons pas le choix.

- Nous l’avons, assura Abigaël. Nous pouvons toujours partir.

- Et laisser Solveig ?

- Elle a choisi sa vie, remarqua Abigaël.

- Ces Ar’shyia sont sans défense.

- Je suis très égoïste, avoua Abigaël, mais je refuse de perdre cinq à dix ans de ma vie pour une soixantaine de personnes. De plus, je voudrais d’abord en discuter avec Yohan. Il ne semblait pas d’accord avec cette impossibilité de former des Ar’shyia adultes.

- Il n’est pas magicien, fit remarquer Elmarion.

- Pauline non plus n’a pas l’air d’accord.

Elmarion fut forcé d’admettre que sa femme avait raison.

- On pourrait également en parler avec Julia, continua Abigaël. Je refuse d’obéir aveuglément à l’archimage.

Abigaël et Elmarion cessèrent le contact visuel. Taïmy en profita pour lâcher :

- Pourriez-vous nous faire profiter de votre discussion, puisque vous semblez soudain être devenus télépathes ?

- Nous voulons parler avec Pauline, Yohan et Julia… en privé à chaque fois, annonça Elmarion.

- C’est non, dit Taïmy. Je suis l’archimage, je vous ai fait part de ma décision et vous partirez demain.

- Viens, Abigaël, nous partons, dit Elmarion en se levant.

- Parfait, lança Taïmy.

- Nous retournons vivre chez les Suunit, précisa Elmarion. Débrouillez-vous avec vos Ar’shyia. Et bon courage avec la magia verborum sans moi.

Elmarion tourna ostensiblement le dos à Taïmy tandis que Pierre et Julian se mettaient à gémir à l’idée de ne pas recevoir la formation tant espérée.

- Vous n’avez pas le droit ! Je vous ordonne de…

Abigaël leva une main vers Taïmy et le magicien se tut en tremblant.

- Je ne veux pas en arriver là, assura Abigaël. Mon pouvoir ne devrait pas servir à cela. Je n’appartiens pas à ce peuple. Je refuse de me sacrifier pour lui. La dernière fois, c’est pour le monde, mon peuple y compris que j’ai accepté la mission. Cette fois, ...

- Amel me contacte, dit Pauline. Il y a un problème.

Tous se tournèrent vers la jeune magicienne.

- Il y a un problème avec une Ar’shyia, précisa-t-elle.

- Quoi ? s’exclamèrent tous les membres présents.

- Je l’avais repérée. Elle s’appelle Annabelle Meriat.

Abigaël se souvint avoir vu le nom sur le parchemin.

- Amel a été appelé par les justiciers en charge de ce secteur. La mère et la servante d’Annabelle ont été exécutées dans ce qui ressemble à un cambriolage. La jeune fille est portée disparue. Le père est inconsolable.

- Pourquoi ont-ils appelé un magicien pour un simple cambriolage qui a mal tourné ? interrogea Taïmy, en colère d’avoir été interrompu pour si peu.

- Parce qu’on a voulu que ça passe pour un cambriolage, mais ça n’en était pas un. Des détails clochent. Le plus important est que les corps de la duchesse et de la servante étaient… désartibulés…

Pauline souffla ce dernier mot sans le croire. Elle ne faisait que répéter ce qu’Amel lui transmettait mais le contenu du message arrivait à son cerveau en même temps qu’elle le prononçait.

- Des nécromanciens, comprit Elmarion. Pourquoi des serviteurs de la mort s’en prendraient-ils à une Ar’shyia ? Ils n’ont rien à y gagner.

- Sauf s’ils travaillent pour quelqu’un, fit remarquer Taïmy, un ensorceleur, par exemple.

Elmarion secoua la tête. Non, il manquait une pièce pour compléter le puzzle.

- La meilleure chance de cette enfant, c’est toi, Elmarion, continua Taïmy. Avec la magia verborum à tes côtés, tu la retrouveras en moins de deux. À moins que tu ne refuses de l’aider…

- Non, bien sûr que non, dit Elmarion. Il me faut une carte.

Quelques instants plus tard, plusieurs parchemins recouvraient la table. Elmarion lança un sort pour y faire apparaître l’emplacement d’Annabelle mais rien ne se produisit.

- Ces cartes sont fausses, expliqua Abigaël. La magie ne peut pas y placer quoi que ce soit. Elles ne sont pas à l’échelle et sont très vieilles. Le lancement de sort de rajeunissement lancé par Elmarion a modifié le visage du monde.

- Ces cartes datent de l’an dernier, rétorqua Taïmy.

- Alors ceux qui les ont faites se sont trop précipités, répondit Abigaël.

- Qu’en savez-vous ? répliqua Taïmy.

- Je connais le monde, à la perfection, annonça Abigaël en levant un index vers le ciel.

Taïmy vit Elmarion hocher la tête mais pour le magicien, ce signe n’avait aucun sens.

- D’accord, admit Taïmy. En ce cas, vous pouvez nous dessiner une carte parfaite.

- Je vois la carte dans ma tête, mais je ne suis pas cartographe. Je suis incapable de dessiner ça.

Elmarion inspira puis murmura une phrase en magia verborum avant de demander :

- Aby ? Tu vois quelque chose ? demanda Elmarion avant de continuer : Non, évidemment que non, puisque je pose la question.

Nul ne dérangea le maître sorcier dans ses réflexions. Abigaël savait que l’imagination était une qualité indispensable mais surtout qu’elle n’était pas la seule. Apparemment, son mari se noyait dans les lois requises.

- Un simple Tropare me permettrait de savoir dans quelle direction elle se trouve, finit par annoncer Elmarion, mais cela ne sera guère précis.

- C’est toujours mieux que rien, assura Taïmy.

- Que disent les voyants ? interrogea Abigaël.

- Rien, que voulez-vous qu’ils disent ? répliqua Taïmy. Ils voient la météo et les dangers immenses à venir mais certainement pas le destin d’une gamine.

Abigaël hocha la tête.

- Nous partons aider cette enfant, mais uniquement cette enfant ! précisa Abigaël.

- Ôter leur don à tous les Ar’shyia vous épargnerait de devoir les sauver, les uns après les autres, répliqua Taïmy.

- Enquêtons d’abord sur celle-là et nous verrons pour le reste, proposa Elmarion. Nous n’aurons pas besoin de Pauline. Nous nous débrouillerons très bien avec Amel.

- Tant mieux, s’exclama Taïmy. Ainsi, elle pourra continuer à chercher les autres Ar’shyia qui auront un jour besoin que vous veniez les sauver.

Elmarion préféra ne rien répondre et sortit. À l’aide de la magia verborum, il trouva Yohan et entendit son point de vue. D’après lui, les Ar’shyia adultes pouvaient être formés mais Taïmy s’y refusait par crainte de voir renouvelé le malheur de sa mère.

Julia ne savait qu’en penser. Les nouvelles générations d’Ar'shyia étaient bien meilleures qu’eux. Ils apprenaient plus vite et se séparaient bien plus tôt. Elle ignorait s’il était possible de former des Ar'shyia adultes et s’en remettait à Taïmy.

Pauline ne lui apprit rien de plus. Elle n’avait aucune opinion sur le sujet, étant trop jeune pour réellement être en mesure de décider.

Les assistants ne furent d’aucune aide à Elmarion car ils ignoraient totalement si former un Ar’shyia adulte était une bonne chose, aucun écrit n’en parlant dans la bibliothèque des mages.

Ainsi, le lendemain, au moment du départ, Elmarion n’était guère plus avancé. Il ignorait toujours si la volonté de Taïmy était la bonne, s’il fallait ou non obéir à ses ordres et accepter la mission. Abigaël était totalement réticente mais si Elmarion lui disait de le faire, elle suivrait son époux.

Ainsi, ce choix reposait entre les mains d’Elmarion. Imaginer les Ar’shyia possédés par des ensorceleurs peu scrupuleux lui faisait froid dans le dos mais s’imaginer les priver de ce don l’horrifiait davantage. Il aurait aimé être certain que former un Ar’shyia adulte était impossible, que cela n’apporterait que souffrance à l’apprenti magicien. Si seulement quelqu’un était en mesure de lui fournir une réponse claire, quelqu’un en qui il avait confiance…

 

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Annabelle était à bout de souffle. Poursuivie par une meute de loups contrôlée par Teuss, elle n'avait pas dormi depuis trois jours. Elle se permit quelques secondes de repos mais reprit sa course lorsqu'elle entendit les grognements se rapprocher.

Elle avait tenté de prendre possession de l'esprit des animaux mais Teuss était le plus fort. À chaque fois qu'elle avait dû lutter d'esprit à esprit avec l'un de ces hommes, elle avait perdu. Pour ralentir les loups, elle leur envoyait des ours mais elle gagnait très peu de temps et les loups la rattrapaient rapidement.

Elle utilisait la magie pour se fortifier, mais la fatigue la gagnait. Se servir ainsi de ses multiples capacités l’harassait. Pour couronner le tout, il avait plu toute la journée de la veille. Elle était frigorifiée et ne cessait de trembler. Ne voulant pas perdre d'énergie inutilement, elle ne s'était pas séchée. Elle claquait des dents sans parvenir à s'arrêter. Ses yeux se fermaient tous seuls.

Les six hommes ne la lâchaient pas. Ils gagnaient du terrain, malgré ses multiples tentatives de les semer. Elle s'était souvent félicitée elle-même d'avoir créé cette cape. Elle l'avait faite plusieurs années auparavant et ça avait été terrible. Ne sachant pas utiliser ses pouvoirs, elle avait réalisé cette œuvre à l'instinct et avait failli en mourir.

Depuis le début de la traque, cette cape l'avait sauvée bien des fois. Les six hommes ne s'étaient parfois pas rendus compte à quel point elle était près d'eux. Le Morden en avait vite eu assez de réciter sans cesse la formule lui permettant de la rendre visible si bien qu'il ne l'utilisait que lorsqu'il était certain qu'elle était près d'eux.

En réalité, Annabelle s'approchait souvent car c'était bien là le dernier endroit où ils iraient la chercher. De plus, elle voulait comprendre comment cet homme, Anthony Bree, faisait pour lancer des sorts en prononçant des mots. Elle avait à plusieurs reprises dit Dolor en pensant à l'un des hommes mais jamais rien ne se produisait. Elle aurait bien voulu savoir pourquoi. Ainsi, il lui aurait suffit de dire Mortuus, et elle n'aurait plus eu aucun souci. Seulement voilà, cette magie lui résistait.

La veille, elle avait dû changer ses plans. En effet, lassé de devoir sans cesse réciter une formule, Bree avait demandé à Hanson de lui créer une amulette lui permettant de voir l'invisible. Bree voyait plus loin et surtout, à chaque heure du jour et de la nuit, tout ce qui aurait dû être invisible. Heureusement, Annabelle avait eu une vision prophétique de cette demande. Depuis, elle ne s’approchait plus de ses poursuivants. Annabelle fuyait mais elle savait, au fond d'elle-même, qu'elle avait perdu.

Elle reprit sa course effrénée dans la nuit noire. La forêt était dense mais les loups n'étaient pas gênés. Les grognements se rapprochaient. Annabelle regarda derrière elle. Des ombres se mouvaient dans les bois. Elle était terrorisée. Ces hommes allaient-ils laisser les loups la dévorer ? Elle avait cru comprendre qu'ils la voulaient vivante, mais rien n'était moins sûr.

Terrifiée, elle ne raisonnait plus. Le cœur emballé et la respiration folle, le monde tournait autour d'elle. Elle ne vit pas la racine qui courait très légèrement au dessus du sol. Elle s'écroula. La terre était humide et douce. Elle n'eut pas mal en tombant. Néanmoins, sa cheville lui envoya un message de douleur foudroyant. Elle venait de se briser l'os. Annabelle n'avait plus la force de se guérir. Elle avait utilisé toute sa magie druidique pour se fortifier.

Elle se retourna, le visage en larmes. Un loup apparut devant elle en grognant. Il ne la voyait pas mais la sentait et l'entendait sans la moindre difficulté. Elle recula en rampant, sa cheville en feu. D'autres loups apparurent, l'encerclant. Annabelle gémissait de terreur. Ils montraient leurs dents avec colère.

Elle tenta une dernière fois de contrôler l'un d'eux mais Teuss lui envoya une décharge au cerveau. Elle hurla et lâcha son emprise. Elle était vidée, physiquement et mentalement. Plus rien ne pouvait plus l'éloigner de ces hommes. Qu'allait-il se passer maintenant ?

Terrorisée, elle continua à regarder les loups. Les prédateurs ne semblaient pas vouloir l'attaquer. Toutefois, il était clair qu'ils ne la laisseraient pas s'enfuir. Un instant après, un loup s'écarta et laissa passer Teuss. Il sourit. Il ne voyait pas la jeune femme mais il savait qu'elle était là.

Il s'accroupit et chercha à tâtons. Annabelle lui envoya son pied valide en pleine mâchoire. Teuss retomba en arrière en criant. Il se reprit, du sang s'écoulant de sa mâchoire. Il plongea dans la magie et sa bouche fut guérie. Les autres hommes apparurent. En voyant le sang sur le cou de son ami, Bree lança :

- Elle est là et mord toujours, à ce que je vois.

Teuss hocha la tête, le visage déformé par la rage. Le druide se releva et recula. Il intima aux autres de faire de même. Ils se placèrent derrière le cercle des loups.

- Si elle doit frapper quelqu'un, je préfère que ça soit les loups, annonça Teuss. Allez, mes chéris, trouvez-la, et déchiquetez-moi sa cape. Si vous la mordez en même temps, ce n'est pas grave.

Le druide n'avait aucune raison de prononcer cela à voix haute. Les loups ne le comprenaient pas. Seule la magie les faisait obéir. S'il l'avait dit, c'était uniquement pour terrifier la fillette.

Ils entendirent un gémissement et des sanglots alors que les loups s'approchaient. Ils arborèrent tous des sourires ravis. Annabelle vit le cercle de loups se rétrécir. Elle regardait autour d'elle, cherchant une faille qui n'existait pas.

Lorsqu'une mâchoire se referma sur son bras droit, elle hurla et tenta de se retirer. Le loup serra plus fort, la blessant au sang. Le loup en face d'elle lui sauta dessus. Elle se retrouva projetée au sol, le dangereux prédateur sur son ventre. Les dents du grand mâle étaient à quelques millimètres de son visage. Elle sentit un bras enserrer sa gorge.

- Je l'ai, dit Teuss.

Les loups s'éloignèrent et les hommes prirent leur place. Teuss ôta violemment la cape de la jeune fille. Elle apparut aux yeux des hommes qui sourirent.

Annabelle était plutôt grande pour son âge. D'habitude, elle était très jolie, mais après une semaine de course dans les bois, elle avait plus l'air d'une souillon.

Ses longs cheveux bruns étaient sales et retombaient lourdement. Sa peau blanche était masquée par une couche de saleté. Elle était vêtue d'une robe d'intérieur déchiquetée par les ronces. La robe, qui au départ retombait jusqu'aux chevilles, laissait désormais apparaître une bonne partie de ses cuisses. Elle ne portait pas de braie. Elle ne le faisait jamais à l'intérieur et n'avait pas pu en trouver depuis son départ.

Ses bras nus étaient recouverts d'écorchures et de blessures, la plus profonde étant celle que venait de faire le loup. La robe, au départ, recouvrait une partie des bras mais les longues manches s'étaient vite retrouvées embarrassantes. Annabelle fixait Bree de ses yeux bruns emplis de larmes avec une terreur non dissimulée.

- Ravi que tu aies menti, dit Bree au druide. Ça m'aurait déplu que la cape soit détruite.

- Je me disais bien qu'elle te plairait ! répondit Teuss en lui lançant la cape rouge vif.

Annabelle tenta de se défaire de sa poigne. En réponse, le druide serra fermement. Annabelle ne pouvait même pas hurler. Sa trachée comprimée la lançait douloureusement.

- Tu vas te calmer, maintenant ! ordonna le druide à son oreille.

Teuss relâcha son emprise et Annabelle ne tenta plus rien, trop ravie de pouvoir à nouveau respirer. Teuss apposa sa main sur le front de la fillette. Elle sentit la magie agir mais était trop faible pour répliquer. Lorsqu'il retira sa main, elle ne se sentait pas différente. Teuss annonça :

- C'est fait. Vous pouvez le faire aussi. Elle ne bougera pas.

Annabelle trembla. Assise, le druide à genoux derrière elle la maintenant par la gorge, elle ne pouvait rien faire.

Lorsque Bree avança, elle tenta de bouger mais sa cheville la lança, lui interdisant tout mouvement. Elle se sentit harassée. Le pouvoir de fortification avait pris fin. La semaine de course sans sommeil ni nourriture la submergea. Elle gémit de douleur et se retrouva presque paralysée. Le moindre mouvement lui apportait une souffrance inouïe.

Bree apposa à son tour sa main sur le front de la fillette. Là encore, Annabelle ne sentit rien mais le Morden annonça avoir réussi sans difficulté. Puis, vinrent Anfer, Versatis et Hanson. Lorsque Martial approcha, Annabelle vit dans ses yeux une rage telle qu'elle en trembla de terreur. Il lui souleva le menton de la main.

- Tu vas regretter de m'avoir possédé. Tu vas pouvoir constater que je n'ai pas oublié. Lorsque nous serons chez nous, tu apprendras…

Puis, il apposa sa main sur le front de la jeune fille. Cette fois, Annabelle sentit quelque chose se produire. Elle eut l'impression d'une douche froide mais qui ne cessait pas. Elle se sentit comme entourée d'un halo sombre. Il lui semblait être séparée du monde extérieur par un mur noir fin, presque transparent, mais infranchissable. Martial retira sa main et hocha la tête.

- Bien, dit Bree en s'accroupissant devant Annabelle. Écoute-moi bien maintenant. Nous venons de brider tes pouvoirs… tous. À partir de maintenant, si tu veux les utiliser, il faudra notre accord.

Annabelle trembla. C'était pour cela qu'elle se sentait si mal. Elle n'avait plus accès à la magie. Le Morden lui caressa la joue avant d'annoncer :

- À partir de maintenant, tu vas obéir à chacun de nos ordres. Chaque faux pas te coûtera très cher.

Annabelle tremblait sous les yeux noisette du Morden. Il la transperçait, comme s'il lisait jusqu'au plus profond de son âme.

- Le premier ordre est simple : la tentative d'évasion est interdite. Tu dois toujours avoir l'un de nous à moins de dix pas de toi. Si à un seul moment, cette limite est franchie, tu souffriras. As-tu compris cet ordre ?

Annabelle hocha la tête. Elle sentit ses entrailles se nouer.

- Le second ordre est celui-ci : il t'est interdit de parler sans permission. Tu te contentes de répondre aux questions mais tu n'as absolument pas le droit de parler la première. As-tu compris ?

Annabelle hocha à nouveau la tête.

- La troisième règle est celle-ci : lorsque tu t'adresses à l'un de nous, tu l'appelles "maître". Si tu l'oublies ne serait-ce qu'une fois, la punition tombera. Tu n'auras jamais d'avertissement. As-tu compris ?

Annabelle hocha la tête. Elle tremblait de plus en plus et des larmes recouvraient son visage d'enfant.

- D'autres règles viendront, finit Bree en se levant. Pour le moment, c'est déjà pas mal.

Il regarda ses compagnons qui hochèrent la tête en souriant. Annabelle sentit tout son corps se guérir. Teuss lançait ses pouvoirs sur elle. L'os de sa cheville se ressouda, son bras guérit, les multiples blessures et écorchures disparurent et la fatigue s'envola. Jamais elle n'aurait pu obtenir un tel résultat en une fois et en aussi peu de temps, surtout si elle avait dû contrôler une dizaine de loups pendant trois jours avant cela !

Elle comprit qu'elle avait eu beaucoup de chance de parvenir à échapper à ces hommes pendant autant de temps. Ils étaient des êtres magiques puissants et aguerris. Seule la surprise lui avait permis de leur échapper. Ils ne s'étaient pas attendus à tomber sur quelqu'un en mesure de se défendre, ne serait-ce que faiblement. C'était uniquement parce qu'ils l'avaient mal jugée au départ qu'elle avait pu ne pas tomber immédiatement entre leurs mains.

Teuss la força à se relever. Elle se tint debout. Dans son état de délabrement, elle n'était plus du tout la fille d'un duc puissant. Elle n'était tout simplement plus rien. Face à ces six hommes, resplendissants malgré la traque, elle se sentit misérable. Elle regardait le sol, tremblante. Teuss lâcha sa gorge et rejoignit ses camarades.

Les hommes tournèrent les talons et partirent. Aucun d'eux ne lui dit rien ni ne s'intéressa à elle. Elle ne comprit pas. Lorsqu'ils furent tous à plus de dix pas d'elle, une douleur fulgurante explosa dans son dos. Elle s'écroula au sol. Si on lui avait arraché la colonne vertébrale à mains nues, cela lui aurait fait moins mal.

Bree s'approcha. Dès qu'il fut à moins de dix pas d'elle, la douleur cessa. Il stoppa et attendit. Annabelle venait de comprendre qu'elle n'aurait pas le choix. Elle ne voulait en aucun cas connaître à nouveau cette douleur affreuse. Elle se releva en tremblant et fut surprise que son dos la porte. Bree retourna auprès de ses compagnons et cette fois, Annabelle les suivit. Elle ne put empêcher des larmes de ruisseler sur ses joues.

Elle les suivait de plus en plus difficilement. Ils discutaient gaiement sans jamais se soucier d'elle. Pourquoi le feraient-ils ? Elle ne pouvait pas s'enfuir de toute manière. Ils avançaient à un rythme difficile à suivre pour la jeune femme. Teuss ne l'aidait pas. Il l'avait guérie mais ne comptait apparemment pas faire plus pour elle. Elle avait déjà à plusieurs reprises frôlé la distance limite. À chaque fois, elle avait senti une étincelle dans le bas de son dos si bien qu'elle avait forcé l'allure mais elle perdait rapidement des forces.

Annabelle s'écroula de fatigue. Bree s'arrêta et s'approcha d'elle.

- Lève-toi ! ordonna-t-il.

- Pitié, maître, je n'en peux plus, supplia Annabelle.

- Je t'ai dit de te lever ! répéta Bree d'une voix cassante.

Annabelle se redressa difficilement. Ses jambes tremblaient et ne la tenaient qu'avec peine. Bree s'approcha d'elle, lui prit le menton et la força à le regarder. Elle tremblait et de faibles gémissements sortaient parfois de sa gorge. Son visage était recouvert de larmes.

- D'accord, on fait une pause. Agenouille-toi.

Annabelle obéit. Bree resta près d'elle. Il lui passait la main gauche dans les cheveux comme si elle était un animal domestique. À ses pieds, Annabelle ne se rendait qu'à peine compte des caresses du Morden. Trop éreintée pour penser pleinement, elle ne pensait qu'à dormir.

Les autres hommes s'approchèrent et commencèrent à discuter. Annabelle ne sut pas combien de temps dura la pause. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait été trop courte. Lorsqu'elle se releva, Bree la prit par la hanche et ordonna :

- Reste à côté de moi.

Annabelle hocha la tête et la suite de la marche se fit aux côtés du Morden. Lorsqu'elle ralentissait, il la poussait doucement. Si elle était vraiment trop lente, il lui caressait le bas du dos de sa main droite gantée. La robe, très fine, ne la protégeait qu'à peine de la douleur.

Lorsque l'aube se leva, Annabelle n'avait plus la force de rien. Elle avançait mécaniquement, relancée par la douleur dans son dos dès qu'elle osait ralentir ne serait-ce qu'un peu. Lorsqu'elle vit apparaître des chevaux dans une clairière, elle soupira. Les hommes venaient de récupérer leurs montures. Allaient-ils enfin permettre une pause ? Elle fut exaucée.

- Natis, Vital et Thibault, occupez-vous des chevaux. Jérémy et moi allons chasser, dit Bree. Thomas, tu t'occupes du feu et de rendre cet endroit convenable. On repart après la sieste.

Les hommes sourirent. Bree caressa le visage d'Annabelle avant de lâcher sa hanche et de s'éloigner. Les six hommes partaient dans des directions différentes. Elle devait en choisir un si elle ne voulait pas souffrir.

Elle n'allait pas suivre les chasseurs, c'était impossible. Ceux qui allaient s'occuper des chevaux allaient probablement beaucoup bouger, or, elle voulait se reposer. Restait Martial, qui devait s'occuper du feu. C'était probablement celui qui se déplacerait le moins. Seulement, c'était également le seul à ne cesser de la foudroyer des yeux. Il avait été très clair : il ne lui pardonnait pas son contrôle et comptait bien le lui faire payer. Elle le choisit tout de même, la fatigue étant la plus forte.

Martial n'afficha pas la moindre émotion en la voyant le suivre. Il se dirigea dans vers les arbres et commença à ramasser du petit bois.

- Approche, ordonna-t-il après quelques instants.

Il lui tendit du bois, elle le prit sans rien dire. Il continua à ramasser quelques branches puis retourna au camp. Il se plaça au centre de la clairière et s'assit. Annabelle fit de même.

Le sol était brûlé et des pierres entouraient les cendres, preuve que les hommes faisaient attention à protéger leur feu. Martial posa quelques branches dans le cercle de pierre. Annabelle ne dit rien mais elle trouva le bois bien humide pour faire du feu. Il avait plu toute la veille. Les branches étaient trempées.

Lorsqu'il eut fait une petite formation, il ferma les yeux. Annabelle sentit la magie vibrer. Le bois sécha et un feu partit, faisant crépiter l'air. La chaleur qu'il dégagea fit frissonner Annabelle. Elle se rendit compte qu'elle était frigorifiée. Sa robe déchiquetée ne la protégeait presque pas. Le magicien attrapa une besace, en sortit une couverture qu'il tendit à la jeune fille. Elle n'attendit pas de comprendre pourquoi le magicien agissait de la sorte. Elle attrapa la couverture et s'enroula dedans.

- Règle numéro quatre, dit le magicien, sois polie avec nous. Ça comprend de devoir nous remercier lorsqu'on fait quelque chose de gentil.

- Je vous remercie, maître, dit Annabelle.

Le magicien hocha la tête. Annabelle frissonnait toujours mais elle se sentait mieux. Martial sortit divers matériels de cuisine puis se leva.

- Reste là, et ne bouge pas, dit-il.

Puis, il s'éloigna, lorsqu'il fut à plus de dix pas, Annabelle contracta son dos mais rien ne se produisit. Elle se pétrifia. Il avait dit de ne pas bouger et elle ne comptait pas le faire, trop terrorisée à l'idée de ce qui pourrait se produire si elle le faisait. Martial revint quelques instants plus tard, un seau plein d'eau à la main et remplit une boîte en fer.

- Merci, maître, de m'avoir permis de rester assise au chaud, dit Annabelle.

Martial sourit puis s'éloigna à nouveau. Elle le regarda préparer le camp, puis, la fatigue étant la plus forte, elle se coucha et s'endormit sans même s'en rendre compte.

Lorsque Bree et Hanson revinrent de la chasse, ils sourirent en voyant la jeune fille, recroquevillée sous une couverture près du feu. Ils commencèrent à préparer le repas. Leurs trois compagnons les rejoignirent. En voyant Annabelle endormie au chaud, Teuss lança :

- Aurais-tu oublié ta rancœur, Thomas ?

- Absolument pas, répondit le magicien. Je compte bien la faire souffrir pour ce qu'elle a osé me faire. Toutefois, je préfère la punition directe, violente et brutale. La faire mourir de froid ou de sommeil n'est pas, à mon avis, une punition digne de ce nom.

Les autres hommes sourirent en secouant la tête. Ils savaient tous que le magicien était un homme très violent. Même eux n'auraient pas voulu subir ses colères. Il ne faisait aucun doute que la fillette allait beaucoup souffrir à son arrivée au manoir.

Lorsque la nourriture fut prête, Bree réveilla Annabelle en lui caressant doucement les cheveux. Le ragoût n'était pas aussi bon que la nourriture à laquelle Annabelle était habituée, mais elle n'eut même pas l'idée de se plaindre. Elle était bien trop heureuse de manger. Après qu'elle eut avalé la première bouchée, elle sentit le regard du magicien peser sur elle.

- Merci, maîtres, de me permettre de manger, lança-t-elle.

Le magicien cessa de la fixer et les autres sourirent.

- On dirait qu'elle a appris une règle de plus, dit Bree en souriant. C'est très bien, petite, finit-il en lui caressant le visage.

Pendant tout le reste du repas, aucun des hommes ne prêta la moindre attention à la fillette. Ils discutaient de magie mais Annabelle ne comprenait pas grand-chose. Ils utilisaient des termes dont elle ignorait jusqu'à l'existence. La conversation semblait tourner autour d’une théorie à laquelle l’ensorceleur croyait et que les autres contraient, mais Annabelle ne comprit pas exactement de quoi il retournait.

Puis, ils parlèrent de personnes qu'elle ne connaissait pas, des amis à eux apparemment. Annabelle fut la première à finir de manger. Elle était encore très fatiguée mais ignorait si elle avait le droit de dormir. Bree se tourna vers elle et annonça :

- Repose-toi, nous allons chevaucher tout l'après-midi. Tu auras besoin de forces.

Annabelle détestait cette façon que ces hommes avaient de lire dans ses pensées. En même temps, pensa-t-elle, étant donné que je n'ai pas le droit de parler la première, s'ils ne lisent pas dans mon esprit ce dont j'ai besoin, comment pourraient-ils le savoir ? Elle remercia très poliment le Morden qui parut apprécier puis elle s'allongea et s'endormit.

Elle fut à nouveau réveillée par une caresse du sorcier. Les chevaux étaient scellés et prêts à partir. Apparemment, ils l'avaient réveillée au tout dernier moment. Ils l'avaient donc laissée dormir le plus possible. Elle se leva et suivit Bree jusqu'aux chevaux.

- Sais-tu monter à cheval ? demanda le Morden.

- Oui, maître, répondit Annabelle.

L'équitation faisait partie de son enseignement de jeune fille noble. Bree hocha la tête et lui demanda de monter. Elle le fit sans difficulté. Il sembla satisfait. Il lui demanda de retirer ses pieds des étriers puis monta derrière elle. Il passa sa main droite – non gantée, remarqua Annabelle – autour de ses hanches et attrapa les rênes de l'autre. Il talonna ensuite sa monture. Le cheval réagit et se mit à trotter. Annabelle suivait les mouvements de la monture avec aisance.

Le crépuscule était proche lorsqu'ils arrivèrent en vue d'une ville de taille modeste.

- On va pouvoir dormir dans de vrais lits, lança Anfer d'une voix satisfaite.

Lorsqu'ils arrivèrent près des portes de la ville, Bree resserra son emprise sur les hanches d'Annabelle et lui murmura à l'oreille :

- Tu es ma nièce. Si tu dis quoi que ce soit d'autre, sache d'abord que ta punition sera particulièrement terrible et qu'ensuite, tu seras responsable de la mort de toutes les personnes à qui tu aurais pu laisser croire autre chose. Suis-je clair ?

Annabelle hocha la tête.

- Parfait, finit Bree.

Ils passèrent sans aucun problème les portes de la ville. Les gardes n'avaient pas l'air ravi de les voir entrer mais ne firent rien pour les en empêcher. Ils s'arrêtèrent devant une auberge qui annonçait en dessins "Lits propres et thermes". Un jeune homme vint s'occuper des chevaux à l'instant même où les hommes pointèrent le bout de leur nez. Les clients étaient bien accueillis ici, c'était certain. Ils entrèrent.

La salle à manger était vaste. Elle contenait des tables disposées dans un chaos apparent mais également de multiples alcôves permettant aux clients d'obtenir un peu de calme. En plein milieu, le pied sur une chaise, un troubadour déclamait une chanson d'amour. La salle n'était qu'à moitié remplie et à peine deux personnes écoutaient le chanteur, pourtant doué.

Les six hommes avancèrent vers le comptoir. Bree tenait Annabelle par les hanches. Il ne désirait visiblement pas qu'elle s'éloigne.

Annabelle n'était jamais allée dans ce genre d'endroit. Elle trouva l'établissement étonnamment propre et joli. Elle s'attendait à ce qu'une auberge pour pauvre soit plus piteuse que cela. Ses préjugés sur les roturiers étaient nombreux.

Le tavernier ne posa pas la moindre question sur Annabelle. Il offrit les six chambres demandées par les hommes, les thermes et la nourriture, surtout lorsque Hanson montra deux pièces d'or. À partir de ce moment-là, il y eut toujours quelqu'un près d'eux pour les servir.

Ils demandèrent à se rendre dans les thermes en premier. Ils se trouvaient au sous-sol. Ils y descendirent. Cinq des six hommes disparurent du côté homme. Bree resta avec Annabelle.

- N'oublie pas que nous lisons dans ton esprit. Si tu fais quoi que ce soit qui puisse nous nuire, nous le saurons instantanément. Tu ne feras rien d'interdit, n'est-ce pas ?

- Non, maître.

- Bien, alors, tu peux aller te laver. Lorsque tu auras fini, attends-nous ici. Ne remonte pas seule. J'ai demandé qu'on t'apporte des vêtements. Quelqu'un devrait t'en donner.

- Merci, maître.

Bree l'amena vers le couloir des femmes et la poussa à l'intérieur. Puis, il tourna les talons et rejoignit ses camarades.

Annabelle s'avança. Elle n'était jamais allée dans des thermes publics, ayant une salle de bain chez elle. Elle se choisit une alcôve. Il faisait chaud et l'air était agréable. Elle se dévêtit et se plongea avec bonheur dans l'eau chaude. Se laver les cheveux était un vrai délice. Elle choisit quelques-uns des savons et huiles présentées et se les passa sur le corps. Elle se sentit relaxée et bien.

Quelqu'un frappa sur le mur puis une jeune femme à peine plus âgée qu'elle souleva le rideau, entra, s'inclina puis posa des vêtements sur le rebord en pierre.

- Merci, dit Annabelle.

La servante s'inclina puis demanda :

- Avez-vous besoin d'autre chose, mademoiselle ?

- Rien que tu ne peux me donner, répondit Annabelle.

- Pardonnez-moi, mais, lorsque je vous ai vue arriver, j'ai cru que vous étiez une paysanne. Maintenant que je vous entends parler, j'ai plutôt l'impression que vous êtes de haute naissance, dit la servante.

- Je suis née noble mais à ce moment précis, ça n'a guère d'importance. Je m'appelle Annabelle, et toi ?

- Sanaa, répondit la jeune femme.

Annabelle chercha une serviette des yeux. Sanaa s'approcha et lui en tendit une. Annabelle sortit. Sanaa l'aida à se sécher.

- Tu n'as pas besoin de faire cela, dit Annabelle en éloignant la jeune fille avec douceur. Je suis capable de le faire seule.

- Mais… on m'a demandé de le faire, répliqua Sanaa.

- Merci, Sanaa, c'est très aimable. Écoute, je dirai que tu m'as aidée, mais je t'en prie, ne fais pas ça. C'est… mon oncle qui est riche, pas moi.

Sanaa hocha la tête puis partit s'asseoir. Elle affichait une mine triste.

- Ça doit être merveilleux de voyager comme vous le faites, dit Sanaa. Je veux dire, votre oncle vous amène avec lui sur les routes. Je n'ai jamais quitté cette ville. J'adorerais voir d'autres paysages !

Annabelle ne répondit rien. Elle tourna le dos à la servante. Si elle savait combien elle aurait préféré rester chez elle. Son père devait la croire morte. Elle se demanda ce qu'il avait pensé en rentrant. Elle y avait souvent pensé pendant sa fuite. Comment avait-il pu réagir en trouvant le cadavre de sa femme et de la vieille servante ? Qu'avait-il fait en constatant la disparition de sa fille ? Avait-il lancé des recherches ? S'était-il contenté de la déclarer morte ?

- Vous n'aimez pas cela ? Voyager ? demanda Sanaa en sentant que quelque chose n'allait pas.

- Non, répondit Annabelle. Crois-moi, voyager sur un cheval toute la journée est tout sauf plaisant. On a vite mal partout.

- Mais pouvoir rencontrer des gens différents, voir des endroits magnifiques… j'aimerais tant.

Je te laisse volontiers ma place, pensa Annabelle.

- Vous dites être noble ? continua Sanaa. Votre père l'est ?

- Sanaa, je suis fatiguée. Nous sommes partis à l'aube et…

- Je vous ennuie avec mes questions, dit Sanaa en se levant puis en s'inclinant, pardonnez-moi.

Annabelle sourit.

- Je te promets que je dirai que tu as été parfaite avec moi.

Sanaa lui rendit son sourire. Annabelle s'habilla. On lui avait apporté des braies, une simple robe d'équitation et des bottines souples et solides. Annabelle apprécia de pouvoir enfin mettre des vêtements propres. Lorsqu'elle eut fini, elle soupira et sortit. Elle allait devoir retourner vers les hommes qui l'avaient enlevée.

- Mademoiselle, que dois-je faire de vos vêtements ?

- Si tu en as une quelconque utilité, je te les donne. Sinon, brûle-les, répondit Annabelle.

Sanaa sourit. La robe, une fois lavée, pouvait aisément être transformée en un très beau vêtement. Les bottines étaient usées mais pas complètement immettables. Elle courut prendre les habits et disparut derrière une porte au fond du couloir.

Lorsqu’Annabelle arriva en bas de l'escalier, elle resta debout et attendit. Un peu plus tard, le tavernier descendit. Lorsqu'il la vit, il annonça :

- Vous pouvez monter, mademoiselle. On vous servira le dîner.

- Merci, monsieur, répondit Annabelle. Mais mon oncle m'a demandé de l'attendre ici. Je monterai avec lui.

- Comme vous voulez, jolie demoiselle, dit le tavernier en souriant et en la déshabillant du regard.

- J'en avais plus que besoin, je sais, dit Annabelle en souriant. Au fait, merci de m'avoir envoyé Sanaa. Elle m'a été d'une aide précieuse et sait très bien faire son travail.

Le tavernier sourit. Il n'était pas dupe. Annabelle se tenait bien droite, comme son éducation de noble le voulait. Elle parlait en prononçant chaque syllabe et en détachant les mots. Elle se montrait polie et respectueuse.

- Je n'avais pas compris que votre oncle était un noble, dit le tavernier.

Les six hommes arrivèrent à ce moment-là, empêchant le patron de continuer son interrogatoire.

- Ah ! Messieurs ! Cela vous a-t-il convenu ?

- Parfait, tavernier. Les femmes étaient une attention très délicate, dit Martial.

Le patron de l'auberge ricana. Bree regarda Annabelle et sourit. Il souffla :

- Incroyable qu'il y ait une petite fille aussi jolie sous la crasse. Tout s'est bien passé, Annabelle ? Pas de soucis ?

- Aucun, mon oncle. L'aubergiste a eu aussi une attention délicate à mon égard. Rassurez-vous, il s'agissait d'une jeune servante très douée.

Bree sourit. Le tavernier, lui, avait tiqué. "Incroyable qu'il y ait une petite fille aussi jolie sous la crasse". L'homme avait dit cela comme s'il le découvrait. Si cette jeune fille était effectivement sa nièce, il devait le savoir. L'aubergiste n'insista toutefois pas. Il ne tenait pas à combattre ces hommes mais ne comptait pas laisser cela en l'état.

Bree fit signe à Annabelle de le rejoindre et il monta les marches, une main posée sur les hanches de la fillette. Le tavernier était surpris. Alors que les autres hommes montaient, il était encore perdu dans ses pensées.

Puis, il repensa à la façon dont la fillette avait répondu à son prétendu oncle. Un ton léger, presque drôle. S'il y avait eu un souci, la fillette n'aurait sûrement pas usé de telles paroles. Rassuré, il décida de ne rien faire. À table, Bree tendit une écuelle pleine à Annabelle.

- Merci, mon oncle, dit Annabelle.

Bree lui sourit. Il semblait satisfait de son comportement. Le dîner fut long et les hommes ne semblaient pas vouloir aller se coucher. Annabelle s'endormit à table. Bree la réveilla lorsqu'il monta dans sa chambre. Lorsqu'ils y furent, elle constata qu'elle contenait le lit principal mais qu'on avait rajouté une seconde paillasse. Annabelle s'approcha de la paillasse et s'y assit.

- Tu te comportes très bien, petite. C'est parfait, dit Bree.

- Merci, maître, répondit Annabelle.

- Le tavernier avait quelques doutes, annonça Bree. Curieusement, j'ai commis une erreur que ta réponse a permis d'effacer. Tu agis vraiment très bien.

Bree la regarda et s'approcha.

- Tu devais être la fille parfaite pour tes parents. Gentille…

- Je rends ce qu'on me donne, maître, précisa Annabelle.

Bree lui prit le menton et la força à le regarder.

- Est-ce une façon détournée de me demander d'être gentil avec toi ? murmura Bree.

Annabelle ne répondit rien. Bree continua :

- Je le serai du moment que tu es polie et obéissante.

- Je l'avais compris, maître, merci, répondit Annabelle.

La réponse pouvait paraître insolente mais ce n'était absolument pas le cas. Il s’agissait d’une simple constatation.

- Tu as appris quelque chose avec nous, n'est-ce pas ? comprit Bree. L'humilité…

Annabelle baissa les yeux. Fille de duc possédant de grands pouvoirs, elle s'était souvent considérée comme une personne supérieure aux autres. Bien qu'elle n'ait jamais utilisé ses pouvoirs contre quiconque, elle n'avait jamais eu la moindre considération pour personne, y compris pour ses propres parents. Aujourd'hui, elle était terrifiée. Elle se sentait misérable. Annabelle hocha la tête. Ça oui, elle avait appris l'humilité.

- C'est important, répondit Bree. Si on se croit supérieur à tout le monde, on finit par se croire invincible alors que c'est faux.

- Vous-même, maître, ne vous croyez pas… commença Annabelle.

- Absolument pas, dit Bree.

Le Morden s'assit sur son lit, face à Annabelle.

- Vu les pouvoirs que mes amis et moi avons, si nous nous croyions au dessus des autres, nous serions très vulnérables. Se croire invincible, c'est s'offrir à la mort en pensant être capable de lui rire au nez. Nous t'avons sous-estimée la première fois que nous t'avons vue. Nous nous sommes crus tellement supérieurs que nous avons négligé de prendre le temps de te juger. Nous t'avons trouvée et avons foncé. Cela nous a coûté des jours de poursuite. Nous ne sommes pas pressés, précisa Bree. Toutefois, j'aurais préféré passer ces quelques moments à autre chose.

La remarque arracha un sourire à Annabelle. Il parlait d'un ton léger et agréable.

- J'ai l'impression que vous me faites une leçon, maître… remarqua Annabelle.

Bree sourit.

- C'est mon côté professeur qui revient…

- Vous enseignez la magie, maître ?

Bree hocha la tête.

- J'enseigne la magie noire dans une école spéciale…

- La magie noire, maître ? Qu'est-ce que c'est ?

- C'est la magie que j'utilise. C'est un peu compliqué et trop long pour que je réponde plus précisément à ta question.

- C'est pour ça que vous m'avez enlevée, maître ? demanda Annabelle d'une voix tremblante. Pour m'enseigner…

- Non, petite, je crains que non, la coupa Bree. Nous ne t'apprendrons rien. Nous avons besoin de toi pour quelque chose dont je ne te dirai rien parce que tu n'as pas à le savoir. Mais tu n'apprendras rien… à part l'humilité.

- Mais… qu'est-ce que…

- Ce que nous allons faire de toi, tu t'en rendras compte bien assez vite, dit Bree d'une voix douce. Apprends à vivre au jour le jour. Ne te pose pas trop de questions sur l'avenir. C'est un conseil, pas un ordre. Ce que je peux te dire, c'est que je suppose que ça ne va pas être plaisant pour toi. Nous ignorons encore exactement les conséquences pour toi de ce que nous allons faire, mais j'imagine que ça va être très douloureux. Je crois sincèrement qu'en te laissant faire, tu souffriras moins.

Annabelle baissa les yeux. Il se leva, s'approcha, s'accroupit devant elle et lui caressa la joue.

- Maintenant, dors, nous avons encore une longue route à faire. Essaye de ne pas trop penser à l'avenir. Dis-toi que tu es propre et que tu as la possibilité de dormir dans un lit. Ça risque de ne pas se reproduire avant longtemps. Profites-en au maximum…

Annabelle se coucha. Il étendit la couverture sur elle. Elle s'endormit. Bree n'aimait pas ce qu'il allait faire à cette fille une fois arrivé au manoir, mais si ça fonctionnait, la chose serait tellement extraordinaire que ça vaudrait tous les sacrifices, y compris la vie de cette fillette.

Il s'assit sur son lit. Elle lui avait demandé s'il voulait la former. Il s'en voulait tellement. Elle demandait de l'aide et il l'enfonçait encore plus. Il la regarda dormir un bon moment avant d'être à son tour capable de trouver le sommeil.

Pendant toute la journée qui suivit, Annabelle fut silencieuse et refermée sur elle-même. Elle chevauchait toujours avec Bree. Très à l'aise dans ses vêtements propres et confortables, bien nourrie et bien traitée, elle n'était pas trop malheureuse.

À la nuit tombante, ils arrivèrent devant un long fleuve. Jusque-là, ils avançaient en plein milieu des terres Mordens au nord-ouest. Le fleuve s'écoulait dans la direction ouest/est. Le fleuve était rapide et puissant. Le traverser était inenvisageable. Ils longèrent les eaux en furie jusqu'à arriver à un pont. Un Morden, reconnaissable à sa ceinture, montait la garde de leur côté du pont.

- Nos poursuivants ne sont plus très loin, annonça Versatis. Mieux vaut passer inaperçus. Ça brouillera leur piste.

Bree hocha la tête.

- Invisibilis, commença Bree avant de rajouter : Silentium. On peut y aller.

Ses compagnons le suivirent sans broncher.

- Nous sommes invisibles et silencieux, supposa Annabelle et Bree hocha la tête en retour.

De fait, lorsque le groupe avança sur le pont gardé, aucun des Mordens ne réagit à leur présence. Nul ne les retint. Aucun garde ne s’adressa à eux ni même ne posa les yeux sur eux.

- Pourquoi est-ce que ça ne marche pas quand je répète vos paroles ? interrogea Annabelle.

- Tu es privée de tes pouvoirs, lui rappela Bree.

- D’accord, mais j’ai essayé pendant que vous me poursuiviez et ça n’a jamais fonctionné, fit remarquer Annabelle.

- Parce que tu croyais réellement que c’était aussi simple ? s’étonna Bree.

- Non, évidemment, mais j’ai essayé quand même, on ne sait jamais. Qui ne tente rien n’a rien.

- Et tu as échoué, conclut Bree.

Annabelle se tortilla pour voir le visage du Morden mais ce dernier conservait un visage fermé. Visiblement, la conversation était terminée. Annabelle se rassit en marmonnant. Elle avait espéré que le côté prof du Morden ressortirait mais il ne comptait pas se laisser faire aussi facilement. Annabelle se promit d’essayer de nouveau de questionner le sorcier.

Ils passèrent le fleuve. Annabelle avait appris la géographie de son pays, suffisamment pour savoir qu’elle venait de le quitter et d’entrer dans l’inconnu.

Depuis la venue des six hommes chez elle, elle cherchait à comprendre. Dans toutes ses hypothèses, les six hommes appartenaient au peuple de la terre des mages. Comment aurait-il pu en être autrement puisqu’ils parlaient la même langue qu’elle, s’habillaient comme elle et portaient les même symboles – le gant rouge des Mordens – que les habitants de son pays ?

Elle se sentit seule et désemparée. Au-delà de ce fleuve, les justiciers de la terre des mages n’avaient aucune prise. Ainsi, même si son père l'avait fait rechercher, personne ne pourrait rien pour elle. Elle ignorait ce qui se trouvait devant elle. D'autres pays… d'autres gouvernements… d'autres peuples… c'était l'inconnu.

Ils traversèrent des villes et des villages qui ressemblaient grandement à ceux de son pays. Ici, Bree avait remis son gant de Morden. Les gens semblaient reconnaître les six hommes. Ils étaient toujours très bien accueillis et on leur donnait les meilleurs places, mets ou chevaux.

Annabelle était regardée étrangement. Les gens semblaient se poser beaucoup de questions. Ils ne savaient pas comment la considérer. Ils choisirent de l'ignorer, ce qui convint à Bree.

Ils finirent par arriver dans une campagne très jolie. Des fermes isolées, des petits villages où les gens vivaient heureux. Annabelle trouva l'endroit accueillant et sympathique. Les gens qui vivaient ici n'étaient pas très différents de ceux de son pays. Elle se demanda comment leur pays pouvait ne pas nouer des liens avec celui-là.

- Notre pays est jeune. Avant le retour dans la magie dans l’air, nous n’étions rien que des peuples chasseurs - cueilleurs nous battant les uns contre les autres.

« Sacré progrès », pensa Annabelle en regardant les maisons de pierre et de chaumes.

- Tout ça a été crée par la suite. Celui qui a mené notre peuple vers la puissance a fini par partir. Un remplaçant lui a succédé.

- C’est votre chef actuel, maître ? demanda Annabelle.

- Non, le roi a changé depuis que les deux magies coexistent dans l’air.

- Je ne comprends pas ce que vous dites, maître.

- Tu devais être une petite fille lorsque cela s’est produit, trop jeune pour t’en rendre vraiment compte.

Annabelle attendit mais le Morden garda le silence. La leçon venait de se terminer. La jeune femme aurait préféré qu’il continue. Elle ne rêvait que d’apprendre. Pourquoi refusait-il de lui enseigner ? Qu’allaient-ils lui faire ?

La chevauchée continua jusqu'à ce qu'ils arrivent devant une maison isolée. Le manoir avait une façade dégagée depuis laquelle on avait une vue magnifique sur la campagne environnante. Au loin, on apercevait une ville. Plusieurs palefreniers et un grand homme sortirent du bâtiment en voyant arriver les six hommes. Les voyageurs descendirent de cheval.

- Bonjour, Bree. La chasse a été bonne, à ce que je vois, dit l'homme pendant que les palefreniers prenaient soin de bêtes.

- Bonjour, Beltar, répondit Bree qui tenait à nouveau Annabelle par les hanches. En effet, la chasse a été bonne… excellente même.

- Elle n'a pas l'air si terrible que ça, fit remarquer Beltar.

- Elle ne l'est pas. C'est nous qui avons commis une erreur.

Beltar hocha la tête. Annabelle n'avait jamais entendu un homme puissant reconnaître aussi ouvertement une erreur commise. Qu'il l'eut fait devant elle, passe encore, mais qu'il l'avoue ainsi devant un homme qui ne semblait pas d'un rang social inférieur au sien lui inspirait une grande crainte et une grande humilité. Si Bree capta cette pensée, il ne le montra pas. Il resta de marbre. Beltar se dirigea vers les autres membres du groupe tandis que Bree poussait gentiment Annabelle pour qu'elle avance.

Il ne l'amena pas vers la porte du manoir. Il lui fit contourner la demeure. De l'autre côté s'étendait un splendide jardin. Il y avait également un terrain grand et dégagé avec, au fond, des cibles pour les archers.

Bree la ramena vers le bâtiment. Il ouvrit une trappe disposée contre le mur. Un escalier descendait. En bas des marches, il faisait tellement sombre qu'on ne voyait rien.

- Luminis, dit Bree.

Une lumière pure et brillante, sortant de nulle part et de partout à la fois, illumina la pièce toute entière. Elle faisait à peine trois mètres sur trois. Sur chacun des murs, une ouverture était visible. Derrière Annabelle, bien sûr, se trouvait l'escalier menant dehors. Sur chacun des autres murs se trouvait une porte fermée. À part cela, la pièce était entièrement vide. Les murs, le sol et le plafond étaient en terre sèche. Le plafond était suffisamment haut pour qu'un homme adulte s'y tienne sans difficulté.

- Comment faites-vous cela, maître ? demanda Annabelle en désignant la lumière environnante.

- Tu n'es pas censée prendre la parole sans y être conviée, petite. C'est la première et dernière fois que je te rappelle cette règle, répondit-il d'une voix froide.

Annabelle baissa les yeux. Elle avait un instant oublié à qui elle s'adressait. Elle avait failli payer son manque d'humilité.

- Merci, maître, murmura-t-elle.

Bree sembla satisfait de l'entendre dire ça. Il n'avait visiblement aucune envie de répondre à la question d'Annabelle. Elle la ravala et s'enferma dans le silence.

- Ignis, lança Bree.

Les torches présentes dans la petite pièce s'illuminèrent d'elles-mêmes.

- Sortis luminis finis, annonça Bree.

La lumière disparut, laissant place à la lumière chaude et mouvante des torches. Annabelle retenait le plus de mots possible. Si un jour elle parvenait à lancer un sort, elle aurait quelques mots à sa disposition. Bree s'avança vers le mur du fond. Annabelle l'y suivit.

- Porta patefaciat, dit Bree.

La porte s'ouvrit. Il invita Annabelle à entrer d'un geste. Lorsqu'elle fut entrée, il referma la porte derrière elle. Elle n'entendit aucun loquet mais supposa que la magie était à l'œuvre. Bree ne lui avait laissé aucune lumière.

En entrant, elle avait pu constater que la cellule était petite et complètement vide. Le sol de terre n'était guère agréable mais elle s'assit tout de même, le dos contre un mur, qu'elle avait trouvé à tâtons. Annabelle n'avait jamais trop aimé le noir. D'habitude, elle créait de la lumière par magie quand elle avait trop peur. Elle essaya de faire de même mais ses pouvoirs lui échappaient. Les hommes lui avaient dit les avoir bridés. Elle ne contrôlait plus rien.

Elle se blottit. La cellule n'était pas froide mais il n'y faisait pas non plus spécialement chaud. Elle se concentra pour ne pas céder à la panique dans le noir tout le temps que dura son attente.

Anthony rejoignit ses amis à l'intérieur du manoir. Ils s'étaient installés et se reposaient de leur longue chevauchée.

- Jérémy ? dit-il en s'approchant de l'ensorceleur qui était étendu sur un canapé.

- Moui, dit-il en entrouvrant un œil.

- J'aimerais parler avec Sa Majesté. Tu veux bien faire l'intermédiaire ?

- Si tu veux, dit Jérémy en refermant les yeux. Tu veux lui dire quoi ?

- J'aimerais faire ça un peu plus en privé, si tu n'y vois pas d'inconvénient, répondit Anthony en regardant la salle dans laquelle ses amis se reposaient.

Jérémy lui lança un regard surpris, haussa un sourcil, puis les épaules, se leva et suivit Anthony dans le salon voisin.

- Je t'écoute, dit Jérémy, qu'as-tu à lui dire ?

- Voilà, martyriser cette fillette ne me plaît pas. Elle est soumise et a été parfaite depuis qu'on l'a enlevée. Elle m'a demandé de la former. Je… Je crois qu'on obtiendrait plus si elle nous aidait.

- Un instant, je lui transmets, dit Jérémy.

Anthony attendit en silence. Il savait que l'ensorceleur agirait rapidement car le roi n'était pas très loin. Finalement, Jérémy, installé dans un fauteuil, annonça :

- Il est d'accord pour qu'on essaye de l'amadouer mais doute que cela serve à quoi que ce soit étant donné qu'elle ignore tout de ses pouvoirs. Il nous demande de la garder enfermée et de ne rien lui laisser passer.

- Thomas va la punir, murmura Anthony, ça ne va pas aider à l'avoir dans notre poche. Le roi pourrait-il intervenir pour que Thomas reste tranquille ?

Jérémy sourit tant l'idée lui parut absurde mais il transmit tout de même le message avant d'annoncer :

- Sa Majesté n'a aucune envie d'intervenir en ce sens. Si Thomas pense que c'est nécessaire pour dresser la fillette, il ne s'oppose pas à son opinion.

Anthony hocha la tête en soupirant. Il connaissait bien le magicien du groupe. Il était plus violent et sadique que lui, et c'était peu dire. D'habitude, l'élément incontrôlable des groupes était les sorciers et dans celui-ci, les problèmes venaient du magicien. Anthony soupira une nouvelle fois.

- Tu as autre chose à lui dire ? demanda Jérémy.

- Non, merci, répondit Anthony. Tu peux aller manger. Encore merci, mon ami.

- De rien, chef, répondit Jérémy en souriant.

Anthony sourit à ce titre et accepta volontiers la tape dans le dos que lui fit Jérémy. Il resta seul dans le petit salon un long moment avant de retourner dans la salle où ses amis reprenaient des forces.

Lorsqu'ils se furent reposés, qu'ils eurent bu et mangé, Thomas exprima sa volonté d'aller voir la jeune prisonnière. Anthony en frissonna par avance.

Annabelle ne sut combien de temps elle était restée seule dans l'obscurité. Il lui avait semblé que cela avait duré une éternité.

Lorsqu'elle entendit la porte s'ouvrir, elle se leva et se redressa. "Une noble ne s'appuie pas contre un mur, elle reste droite". Il lui semblait encore entendre la voix de sa mère. Elle se décolla du mur tandis que les six hommes entraient. Anfer tenait une torche. Annabelle baissa les yeux et attendit. Anfer, Versatis et Teuss se placèrent à sa gauche, Martial devant elle. Hanson et Bree se placèrent à droite, entre elle et la porte restée ouverte.

- Bien, commença Martial. Chose promise, chose due.

Annabelle sursauta.

- La raclée qui va suivre est ta punition pour avoir osé lever tes pouvoirs sur moi. Je pense qu'après cela, tu ne recommenceras plus, finit Martial.

Annabelle se demanda si le supplier servirait à quoi que ce soit. Elle se tourna vers Bree en quête d'aide mais le Morden restait de marbre. Elle continua à le fixer. Il réagit enfin. Il sourit et se tourna vers Martial. Annabelle se sentit trahie. Non seulement il n'allait rien faire, mais il allait prendre du plaisir à la regarder se faire punir. Raclée ? pensa Annabelle. Il va me frapper ?

Martial tendit la main vers Teuss, le druide. Celui-ci se concentra et du néant apparut une barre en bois. Lisse et brillante, elle semblait très solide. Deux fois plus courte qu'une épée, elle semblait aisément maniable. Martial s'approcha d'elle. Annabelle ne recula pas. Sa fierté de noble l'en empêchait. Lorsque la batte s'abattit violemment sur sa mâchoire, la propulsant sur le sol, Annabelle maudit la fierté noble.

Alors qu'elle crachait du sang et que sa mâchoire brisée la lançait, elle sentit son dos exploser. Le coup porté sur ses reins lui arracha un hurlement affreux. Il attrapa ses cheveux et la força à se lever. Puis, il abattit son arme sur le ventre de la fillette. Il lui sembla que ses organes internes avaient explosé. Il la frappa plusieurs fois. Elle aurait voulu s'écrouler, mais il la maintenait, apparemment sans la moindre difficulté. Enfin, il la lâcha.

Elle s'écroula à ses pieds. Il usa du bout de bois comme d'un levier et lui brisa le radius, le cubitus puis l'humérus de chaque bras. La fillette n'avait plus la force de hurler. Impitoyable, il lui cassa les os des jambes. Incapable de bouger, le corps en morceaux, Annabelle ne voulait plus qu'une chose : mourir. Martial n'en avait pas fini. Il avait encore une chose à faire. Il brisa une à une les côtes de la fillette. Enfin, il se leva et annonça :

- Ce que j'ai fait n'est pas mortel. Natis, tu seras gentil de ne la guérir que demain. En attendant, je tiens à ce qu'elle souffre.

Natis Teuss hocha la tête en souriant. À part celui provenant de la bouche de la fillette, aucune trace de sang n'était visible. Annabelle ne respirait qu'avec peine. Son cerveau hurlait de douleur mais elle ne parvenait pas à crier. Elle était simplement pétrifiée sur le sol, incapable de faire le moindre mouvement. Son corps tout entier était douloureux. Il lui sembla qu'aucun de ses os n'était plus intact.

- Il y a beaucoup plus d'os que ça dans un corps humain, déclara Martial avec un sourire. Si tu le souhaites, je me ferai un plaisir de te les faire tous découvrir.

Annabelle hurla son désaccord dans son esprit. Les hommes sourirent avant de sortir en emmenant avec eux la lumière.

Annabelle n'avait jamais passé une aussi mauvaise nuit. Terrifiée dans le noir mais incapable de bouger, elle crut mourir de peur et de souffrance. Elle n'avait pas fermé l'œil lorsque Teuss revint, une torche à la main. Il la guérit en silence puis ressortit, emportant avec lui la lumière.

Annabelle tâta son corps redevenu sain. Tremblante, elle sanglotait misérablement. La douleur ayant disparu de ses os, elle se rendit compte qu'elle mourait de faim et de soif. Toutefois, ce qu'elle ressentait par-dessus tout était de la fatigue. Elle s'endormit comme une masse.

Elle avait l'impression de n'avoir fermé les yeux qu’un battement de paupière lorsqu'un violent coup de pied dans le ventre lui fit reprendre ses esprits.

- À genoux ! s'écria Martial.

Même si je détestais sa façon de me traiter comme un animal domestique, je préférais encore la façon que Bree avait de me réveiller, pensa Annabelle, avant de se souvenir qu'ils lisaient ses pensées. Annabelle se redressa et se prosterna. Les six hommes l'entouraient.

- Je ne vais pas m'étendre, dit Anthony. Nous sommes là parce que tu es spéciale, petite. Tes pouvoirs nous intéressent parce qu'ils sont particuliers. Afin de les comprendre, nous allons pénétrer ton esprit et tenter de découvrir comment tu es faite et essayer, si possible, de reproduire la chose. Cela sera moins douloureux si tu es consentante et que tu ne te débats pas.

- Je ne comprends pas, dit Annabelle.

Le magicien lui envoya un coup de pied en plein visage et Annabelle tomba sur le sol. Elle se relevait en tremblant lorsque Martial siffla :

- Personne ne t'avait permis de parler. Tu fais ce qu'on te dit, et tu te tais.

Annabelle sut à cet instant qu'elle les haïssait. Pour rien au monde elle ne voulait leur venir en aide. Ils l'avaient enlevée, la martyrisaient, la traitaient pire qu'un animal. Ils voulaient ses pouvoirs ? Ils allaient devoir se battre pour les obtenir.

Lorsqu’Annabelle sentit cinq esprits tenter de pénétrer le sien, elle les repoussa. Elle n'avait jamais appris à le faire mais son instinct lui dictait quoi faire.

- Si tu préfères souffrir, c'est ton problème, dit Martial en souriant.

Anthony Bree, lui, cacha son malaise mais ne le ressentit pas moins. Il aurait suffi de peu pour que cette enfant s'offre. Il secoua la tête, dégoûté, et entreprit d’attaquer l'esprit enfantin.

Les cinq créatures magiques forcèrent l'entrée de l'esprit d'Annabelle et transpercèrent ses défenses. La douleur fut foudroyante. Elle hurla et se prit la tête dans les mains mais cela s'avéra totalement inutile. Les esprits étrangers violaient jusqu'à son âme. La punition de Martial lui sembla douce par rapport à ce qu'elle subissait à ce moment-là. Ils déchiquetèrent ainsi son esprit pendant un temps qui sembla être une éternité à la fillette. Enfin, ils quittèrent le sanctuaire de ses pensées et sortirent, la laissant seule dans l'obscurité.

Annabelle s'écroula au sol. La douleur qui irradiait son esprit ne la quittait pas. Lorsque la porte se rouvrit, elle n'avait plus la force de bouger.

- Ton repas, entendit-elle.

Elle ne réagit pas.

- Lève-toi ! ordonna la voix.

Annabelle entendait mais dans un brouillard. Lorsqu'elle fut soulevée et qu'une batte de bois s'abattit sur son ventre, elle sut que Martial était là. Il la jeta sur le sol puis souffla d'une voix froide :

- Je t'ai dit de te lever !

Annabelle ne pouvait même plus penser. Elle perdit connaissance. Martial, impitoyable, s'approcha de la fillette, bien décidé à se faire obéir. Elle se mit à convulser. Martial comprit enfin que la fillette était vraiment mal. Il plongea au cœur de ses pouvoirs et la secourut. Aidée par la magie, la crise cessa et Annabelle ouvrit les yeux.

- Ça va, petite ? demanda Martial.

Annabelle fut incapable de répondre. Martial l'aida à s'asseoir contre le mur et amena la nourriture à elle. Il l'aida à manger, forçant Annabelle à avaler ce qu'elle refusait à cause de la douleur. Ensuite, Martial ressortit.

Annabelle tremblait. Combien de temps allaient-ils la torturer de cette manière ? Elle espérait en même temps qu'ils arrêteraient vite pour qu'elle cesse de souffrir, et que cela ne s'arrête jamais car elle espérait qu'ils ne trouveraient jamais en elle ce qu'ils cherchaient.

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Honey41
Posté le 10/10/2023
que vont-ils faire d'Anabelle, et qui viendra la délivrer ?
Elmarion et Abigaël ? ou Bree va-t-il contrer son équipe ?
qui est le roi des 6 hommes ?
Nathalie
Posté le 10/10/2023
Tu as l'air à fond ! C'est super !
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