« Excuse-moi, réponds Raivo, dubitatif, dans le plus grand calme, entouré par des apprentis curieux à l’appétit commère. Il reste assis et tends une poignée de main amicale. Hani la sert, l’écrase, puis attrape son col dans une tentative d’intimidation désuète de réaction.
– Tu veux que je t’explique la situation ? Regarde-toi. Regarde-nous ! Ta pâleur déteint sur le tableau. On croirait qu’un infecté a infiltré le quartier des architectes. On devrait ramener des couvertures pour t’étouffer, avant que tu nous enflammes tous.
– Excuse-moi, mais j’ai beau te regarder. Je ne saisis pas la différence… Oh… Oh. Attends. Je le sens ! L’odeur de tes expirations sur mon visage. Tes amis doivent probablement se pincer le nez pour te parler. »
Déstabilisé par un fond de petits ricanements, tandis que Wazo tente de voir la scène en sautillant, Hani lâche sa poigne sur le col. Dans un mouvement de dégoût, il recule d’un pas avant d’insister avec malveillances ses derniers mots en direction de Raivo et Iro.
« Un de plus, un de moins. Deux de plus, deux de moins. Ne sous-estimez pas la vitesse à laquelle le Croc remplace ses apprentis architectes. Une chute, une infection ou un monstre. »
Iro se lève brusquement pour confronter Hani, mais se retrouve paralysée par son visage déformé. Un mélange de haine et de tristesse, des pupilles de braises dont s’écoulent des sillages de larmes séchées. Un reflet familier qui réveille en elle de la compassion. Ses mots se tuent tandis que Hani s’engouffre dans le couloir en bousculant Wazo, suivi par les derniers spectateurs.
« Pour un premier cours, je pensais me faire des amis, pas forcément des ennemis. C’est une coutume ? questionne Raivo en lançant un regard à Iro, puis Wazo qui s’approche hésitante.
– Probablement, réponds Iro. Pas un cours se passe, sans que je ressente une emprise froide me serrer la gorge, et à chaque fois que je tourne la tête, je croise le regard maudissant de Hani.
– Peut-être qu’il veut juste le banc du premier rang, et mon fayotage auprès du professeur ne lui a pas plu.
Ils rigolent timidement ensemble. Iro s’approche pour inspecter Wazo à la recherche de heurts mais se fait repousser stoïquement par ses bras tendus, paumes ouvertes.
– Je vais… bien, je vais bien
Raivo se lève promptement et saisit un des bras tendus, empoigne la main.
– Raivo, heureux de faire ta connaissance, dit-il d’un air charmeur.
– Wazo ! C’est mon nom, s’exclame-t-elle en sursaut en essayant de délicatement tirer sa main sous un silence gêné, alors que Iro intervient et rajoute sa main au-dessus.
– Et moi c’est Iro, disons Aînée Apprenti Iro pour toi.
– Comment ça ? Au premier coup d’œil, n’importe qui peut voir que je suis le plus âgé.
– J’ai dit Aînée App-ren-ti.
– et moi Aînée Wazo, renchérie Wazo les yeux souriants de complicité.
– N’importe quoi. Je sais que les architectes représentent l’élite, les détenteurs des plus grands secrets de ce monde, mais de là à me faire menacer et bizuter, le premier jour en plus ! Ça me dépasse, soupire Raivo ironiquement en relâchant la main de Wazo, pour s’adresser à toutes. Avant de jouer les aînées, commencez par me guider à la cantine. Je meurs de faim, et si mon teint de peau pâlit de plus belle, il y a des chances qu’un garde me jette dehors.
Iro saisit l’avant-bras de Wazo et Raivo.
– En route ! »
Le trio quitte la salle de cours.