Un frottement métallique et régulier résonnait dans l’air. Il y avait aussi une odeur de fumée et de nourriture qui parvenait à peine à camoufler les relents de renfermé. Ces derniers suffirent pour me faire reprendre connaissance. Recouvrant peu à peu mes esprits, mes yeux durent s’acclimater à la pénombre qui régnait dans ce qui ressemblait à une petite masure. Dehors, la nuit était tombée, recouvrant les environs de son voile obscure.
La seule source de lumière provenait du foyer creusé au centre de cette pièce unique. Les flammes crépitaient depuis ce trou carré au-dessus duquel était suspendue, à l’aide d’un crochet tombant du plafond, une sorte de marmite. Doucement, je me redressais pour examiner les alentours, repoussant le lourd édredon dans lequel j’avais été allongé. Je remarquais aussitôt la besace de mon compagnon de voyage qui semblait s’être volatilisé. Où était-il ?
Debout, je suivis alors le bruit qui me conduit vers l’extérieur. Le plancher grinçait sous mon passage, démontrant à lui tout seul la vétusté des lieux. Néanmoins, le bâtiment s’avérait suffisamment solide pour supporter l’épais manteau de neige qui faisait craquer la toiture. Il était si lourd que j’apercevais certains arbres plier sous son poids. La tempête de la veille avait dû être bien plus forte par ici.
Je tendis ma main tremblante vers la poignée tout en me remémorant les derniers instants précédant ma perte de conscience. L’angoisse me labourait la poitrine à coup de marteau. Était-ce réellement lui ? Si c’était bel et bien le cas, comment était-ce possible ? Je le croyais mort depuis tellement d’année. Partagée entre la peur et la volonté d’en avoir le cœur net, je fis lentement coulisser la porte, découvrant ainsi sa silhouette dans la lumière blafarde de la lune.
Il me tournait le dos, occupé à aiguiser le tranchant de son sabre avec une pierre plate. Je restais là, immobile, la bouche entrouverte tandis que je cherchais quoi dire. Puis, mon attention se porta sur son poignet et je déglutis lorsque j’aperçus sa cicatrice. Il n’y avait plus aucun doute.
- Je suis désolée, lâchais-je finalement.
Il marqua un arrêt dans ses gestes, tournant légèrement le visage vers moi, puis reprit sa besogne.
- Je… Si je pouvais, je changerais tout ce qu’il s’est passé. Hawke, je t’en prie, crois-moi. Je t’ai tant pleuré, si tu savais. Toutes ces années, pas un jour ne s’est passé sans que je pense à toi et à ce que je t’ai fait. À cette chose affreuse que je t’ai faite ! Jamais je ne pourrais me le pardonner, même maintenant que je sais que tu as survécu. Ma culpabilité reste la même … tu as dû subir tellement de choses par ma faute. Je … Je suis tellement désolée, déclarais-je en retenant un sanglot.
À ces mots, il rangea l’arme dans son étui et se leva. Une expression sombre se lisait dans le bleu de ses iris. Il passa devant moi sans même m’accorder un regard et regagna l’intérieur pour s’assoir sur l’un des rondins de paille tressée près du feu. En silence, je l’observais tandis qu’il remuait les cendres afin de raviver les braises.
- Hawke, s’il te plait, dis quelque chose, n’importe quoi, même si c’est pour me dire que tu me détestes et que jamais tu ne me pardonneras.
- N’aies pas la prétention de me comprendre ou de savoir ce que je pense, Princesse.
- Non, ce n’est pas ce que je…
- Aucun de nous deux n’est resté le même depuis cette époque, me coupa-t-il. On a tous les deux vécu notre vie de notre côté et, sans t’offenser, j’aimerai que cela continue ainsi. Donc que ce soit clair, je te conduis comme promis à Cerf-de-Pic mais n’en espère pas plus de moi.
Je me contentais d’acquiescer d’un simple mouvement de tête. Il avait raison, je ne pouvais pas m’attendre à ce que notre relation redevienne ce qu’elle avait été autrefois. C’était impossible. Je l’avais bien trop fait souffrir. Pourtant, le voir là, assis à côté de moi, était comme un rêve devenu réalité. Alors, quitter Hawke tandis que je venais tout juste de le retrouver était une chose difficile à accepter. Néanmoins, je n’avais pas le choix, il me fallait respecter sa décision. Je lui devais bien ça.
- J’ai une question. Pourquoi ne pas m’avoir dit dès le début qui tu étais ? demandais-je tandis qu’il nous versait dans des bols une espèce de potage.
- Probablement l’envie de jouer un peu avec toi. J’étais curieux de savoir si …
- Si quoi ?
- Tu te souviendrais de moi.
- Évidemment ! déclarais-je le cœur serré. Comment aurais-je pu t’oublier ? Tu étais mon meilleur ami.
- Alors pourquoi tu as menti et dis que c’était moi ?
Déconcertée par la question, je demeurais muette, incapable de répondre et de faire face à ma lâcheté.
- Laisse tomber… ça n’a plus d’importance maintenant. Mange avant que ça ne refroidisse.
Triste et honteuse, je plongeais mon attention dans le liquide fumant et jaunâtre dans lequel baignaient des bouts d’herbes. Cela n’avait rien d’appétissant mais j’avais une faim de loup. Je soupirais avant d’en boire une gorgée et … par tous les dieux c’était aussi mauvais que cela en avait l’air. Du coin de l’œil, Hawke surprit ma grimace de dégoût et se mit à rire.
- Mais qu’est-ce que c’est ? C’est …
- Répugnant ? Oui, je sais, se moqua-t-il avant de reproduire le même rictus lorsqu’il but d’une traite sa soupe.
- C’est tellement amer…
- Ah c’est sûr que ce n’est pas aussi raffiné que la cuisine dont tu as l’habitude au Palais mais je t’assure que c’est bon pour ce que tu as. D’ailleurs, tu comptais me le cacher encore combien de temps ?
- De quoi tu parles ? Te cacher quoi ?
- Allons, tu crois vraiment que je n’allais pas finir par m’en apercevoir ? Je suis un mage, je te rappelle, ce qui fait que j’ai autant d’expérience que n’importe quel guérisseur dans le domaine de la médecine puisqu’elle découle de la magie.
- Oui, bon, j’ai été un peu malade ces derniers temps, rien de grave. Je suis sûre qu’avec un peu de repos tout s’arrangera. Je suis désolée si je t’ai …
- Arrête ton chart, ça ne sert à rien de nier ! Les vomissements à répétitions, les sautes d’humeur, l’odorat surdéveloppé, ton évanouissement, énuméra-t-il avec ses doigts. Théa, tu n’es pas malade, tu es enceinte !
- Q-quoi ? Si c’est une plaisanterie, elle est de très mauvais goût !
- Je suis on ne peut plus sérieux. Et tu sais que, pour ça, je devrais te faire payer le double du prix convenu !
- Non, ce n’est pas possible, tu dois faire erreur, réfutais-je alors que ma poitrine peinait de plus en plus à contenir les battements de mon cœur.
- Lorsqu’il s’agit de magie, je ne fais jamais erreur, dit-il sèchement. Après que tu te sois évanouie, j’ai … hum, vérifié, juste pour être sûr, tu vois ? Il aurait pu s’agir d’autre chose, un empoisonnement ou bien une infection mais … il n’y a aucun doute possible. Tu es bien enceinte. Je dirais même de plusieurs semaines.
Je demeurais stoïque. Qu’est-ce qu’il venait de dire ? Cela ne pouvait être vrai. Il devait se tromper. Il fallait qu’il se trompe. Comme abattue par un coup de massue, je laissais tomber la coupelle au sol. L’air devint brutalement irrespirable. L’oxygène commençait à me manquer. Mes membres se mirent à trembler et ma vision s’obscurcit. Je sentais les larmes rouler sur mes joues, incapable de les retenir.
- Oh, hey Théa ! Calme-toi ! m’apostropha-t-il en me secouant, inquiet de ma réaction.
- J-je ne peux pas être enceinte… ce n’est pas possible, sanglotais-je. I-il faut que je prenne l’air.
Je me dégageais aussitôt de sa poigne et me précipitais dehors, où je tentais de reprendre ma respiration. Instinctivement, je posais une main sur mon ventre comme pour sonder mes entrailles dans l’espoir de démentir cette vérité. Il fallait que cela soit un malentendu.
- Donc, tu n’étais vraiment pas au courant de … ton état ?
Incapable de prononcer le moindre mot, je hochais négativement la tête.
- Loin de moi de vouloir me mêler de tes affaires ou d’enfoncer le clou mais … tu sais au moins qui est le père ?
- Bien sûr ! Pour qui me prends-tu ? m’outrais-je.
- Bon, c’est déjà ça. Une fois à Cerf-de-Pic tu n’auras qu’à prendre contact avec lui et …
- C’est impossible !
- Comment ça ? Pourquoi ? Aurais-tu honte par hasard ? À moins qu’il soit suffisamment intelligent pour ne pas vouloir de toi ? railla-t-il.
- Il est mort ! hurlais-je à plein poumon, de rage et de désespoir.
Un silence pesant plana ensuite tandis que nous nous dévisagions, moi de colère et lui de surprise. Au bout de plusieurs secondes qui me parurent une éternité, il soupira et reprit un air sérieux.
- Ça complique un peu les choses, en effet. Et qu’est-ce que tu comptes faire ?
- Je… Je n’en sais rien. C’est trop tôt… Je… je suis encore sous le choc. Ce n’était pas prévu. Ça ne devait pas se passer comme ça. Il … il faut que je réfléchisse. Je … j’ai besoin de rester seule.
Accédant à ma requête, il ouvrit la porte et disparut à l’intérieur de la maisonnette. Je lâchais une longue expiration tandis que je levais les yeux vers les plus hauts sommets enneigés d’Opalpe. J’étais alors submergée par tout un tas de sentiments, dont la peur était le plus dominant. La décision qui s’imposait à moi n’était pas de celle que l’on pouvait prendre à la légère. Comment aurait pu-t-elle l’être ? Bien trop de choses dépendaient de mes actions et un bébé allait tout compromettre.
Je n’étais pas prête. Pas prête à devenir mère. Pas prête à abandonner tout ce pourquoi je me battais, les raisons qui m’avaient poussées à m’enfuir d’Argenterre. Pas prête à voir mon enfant naître dans un monde pareil. Mais d’un autre côté, il s’agissait de l’héritage de l’homme qui m’avait aimé. Je ne pouvais pas y faire abstraction. Après tout, c’était pour lui que j’avais décidé de tourner le dos à ma propre famille et de me dresser contre elle et ses dictats.
Le cœur en miettes et l’esprit en ébullition, j’avais perdu la notion du temps. Une heure s’était déjà écoulée. Le regard fixant le vide, j’étais restée, là, dans le froid, recroquevillée contre l’un des piliers du porche. Même le filet d’air glacé se faufilant sous le pli de mes vêtements ne parvenait à m’extirper de mes pensées noires. J’étais pourtant frigorifiée et grelottais mais le chagrin et la confusion me rendaient incapable de bouger.
Ma transe fut néanmoins brisée lorsque je sentis mes épaules être recouvertes par la douceur d’une fourrure. Je portais alors mon attention vers Moineau qui vint s’assoir sur les marches à côté de moi.
- Merci, lui murmurais-je en me blottissant un peu plus dans la chaleur du manteau.
- Je ne voudrais pas que tu meures de froid.
- C’est moi ou tu t’inquiètes ? m’amusais-je.
- T’emballe pas, c’est uniquement pour mon paiement que je m’inquiète.
Puis, le silence retomba durant de nombreuses minutes que nous passions à admirer les étendues enneigées. Un paysage à la fois angoissant et magique s’offrait à nous.
- J’ai une question, Princesse.
- Je suis curieuse de l’entendre.
- Qu’est-ce qui t’a amené à te perdre dans ces montagnes ?
- La vengeance, avouais-je d’une voix dure.
- Hum, je me doutais de quelque chose comme ça. Et tu comptes la trouver à Cerf-de-Pic ?
- Cerf-de-Pic n’est qu’une étape. J’ai… un projet.
- Hum, quoi qu’il en soit, il ne nous reste que quelques heures avant le lever du soleil, alors tu devrais en profiter pour te reposer. La ville est encore à une demi-journée de marche et je n’ai aucune intention de te porter à nouveau sur mon dos.
- Tu m’as porté sur ton dos ? m’étonnais-je avec amusement.
- Oublies ça et viens dormir, dit-il en se relevant.
Je m’apprêtais à le suivre lorsque mon regard se posa vers le ciel.
- Attends ! Regarde, le retins-je par la manche.
Je pointais alors mon doigt vers une lueur naissante au-dessus de l’horizon. De couleur verte, elle s’intensifiait en dansant au milieu des étoiles comme un ruban flottant au vent. Petit à petit, d’autres teintes apparurent et se mirent à miroiter, perçant le bleu obscur de la nuit. Ce serpent de lumière diffusait ses nuances vives sur les millions de cristaux de neige, créant une atmosphère des plus surréalistes. Puis, au bout de longues minutes d’un ballet ininterrompu de reflets multicolores, tout disparut.
Transcendée par la beauté d’un tel spectacle, je n’osais faire le moindre mouvement. Jamais, je n’aurai cru avoir un jour l’honneur de contempler ce phénomène que l’on racontait comme sacré. Une manifestation provenant directement des dieux que l’on ne pouvait voir mais qui résidaient tout autour de nous. Seuls les endroits sains, exempts de tout vice avaient le droit à ce privilège. Et les rares témoins recevaient alors la bénédiction et le soutien des déités dans leurs futures actions.
- Le sourire des dieux, soufflais-je encore sous le coup de l’émotion. C’est … la première fois que je vois ça. À Anthémis, il n’y en a plus depuis longtemps. Il faut croire que ce que l’on dit est vrai, les dieux ont abandonné la capitale. Mais je compte bien changer cela. Je vais le trouver, j’en ai fait le serment.
- T’enflamme pas, c’est juste un signe de beau temps !
Devant tant d’insensibilité, je levais les yeux au ciel en soupirant.
- Ça te tuerait de te montrer un peu moins rabat-joie ?
Il se contenta de hausser les épaules avant de tourner les talons et retrouver la chaleur du feu. Je fis de même et allais m’emmitoufler au sein du futon qui m’était destiné. À l’abri des regards, j’empoignais la bourse à ma ceinture afin d’en sortir une chevalière. Avec délicatesse, j’en caressais les motifs ce qui fit naitre en moi une profonde mélancolie. Il me manquait. Son sourire ainsi que son éternel bonne humeur et optimisme me manquaient. Sa voix aussi. J’avais peur de l’oublier.
Au bout d’un moment, je finis par céder à l’appel insistant du sommeil. Le bijou dans mon poing, je fermais les paupières en espérant profiter du peu de temps qu’il me restait à dormir.
Lorsque Thea reflechit a toutes les implications de cette grossesse, c'est curieux qu'elle ne pense pas une seule fois (serieusement, apres le choc) qu'apres tout, Moineau se trompe peut-etre. Compte tenu de leur voyage, son odorat, ses vomissements etc. peuvent avoir une autre explication. A moins que ce soit par magie qu'il ait compris son etat?
..." mon compagnon de voyage qui était aux abonnés absents " : cette expression fait un drole d'effet dans ce monde si different du notre. Mais c'est peut-etre juste moi!
je suivais > je suivis
certains arbres se plier > je crois que ca "coulerait" mieux si le verbe etait transitif, "arbres plier"
Je tendais > je tendis
"Aucun de nous deux n’est resté le même qu’à cette époque" : ...le meme depuis cette epoque"?
Un beau chapitre, bravo!
Et tu as raison, je n'ai pas suffisamment expliqué le fait que Moineau soit certain que Théa puisse être enceinte ! Je vais me pencher là-dessus et approfondir ce passage pour qu'il soit moins confus ! Car en effet la magie entre en quelque sorte en jeu dans son "diagnostic" !