Â
       Demain, on y est encore ! Allez, donne-moi ça, grogna-t-il en arrachant le BlackBerry des mains de son père, je vais te lécrire en deux-deux ton message. Tsssk, cque tu peux être has-been parfois ! Vas-y, Laurier, accouche.
       Les Espions se retirent de la société, dicta Camille.
       Quoi ?! sécria la famille Ajacier, choquée.
       Jai dit : les Espions se retirent de la société. Ecris, Joël.
       Et évite le langage SMS, souligna le sénateur. Jai une réputation à tenir.
Â
Le jeune homme sactiva et pianota à toute vitesse sur le clavier du smartphone, pendant que ses parents sinterrogeaient sur le sens de cette annonce.
Â
       Cest tout ?
       Hmm Oui, cest tout. Balance ça à tous les contacts de ton père. Ils nont pas besoin den savoir plus. Vous, si.
       Explique-toi, Camille, bon sang !
       Le message est assez clair, Monsieur Ajacier. Michaël arrête tout. Tout. Entre Joël, Tonio et moi, ça commençait à devenir dangereux pour le groupe. Les Espions font une pause. Une très longue pause. Plus despionnage, plus dattentats, plus rien. Disparition totale dans la nature.
       Mais cest génial ! sécria Joël, ravi. Ça veut dire quon a gagné !
Â
Cétait le seul qui semblait heureux dapprendre la nouvelle. Ses parents restaient inquiets et Camille dégageait une noirceur qui la rendait terrifiante.
Â
       Ce nest pas génial, Ajacier. Pour vous, ça veut dire que vous allez continuer à côtoyer des Espions, inoffensifs, certes, mais des Espions quand même, sans savoir qui ils sont et ce quils pourraient bien faire à lavenir. Car il faut que vous sachiez une chose. Les Espions reviendront. La date nest bien entendu pas encore déterminée, mais dans quelques années, quand tout le monde les aura oubliés, ils reviendront. Et ils frapperont fort. Ils ne feront plus de cadeaux. Et là, je cite Michaël.
       Mon Dieu, souffla Flavie, terrifiée.
       Ma théorie, cest une idée de vengeance que Michaël pourrait bien mettre en place à son retour. Monsieur Ajacier, jai bien réfléchi à votre situation. Promettez-moi de faire tout ce que je vous demanderai avant le come-back des Espions. Vous ne pouvez pas rester en France. Terminez votre mandat, et faites-vous élire à lUnion Européenne par exemple, ou nimporte où ailleurs. Je ne sais pas comment cest foutu, votre système, mais ne restez pas là. Vous êtes un bon politicien, vous réussirez à vous caser. Allez vivre avec votre femme où vous le souhaitez. Belgique, Pays-Bas, Allemagne Quest-ce que jen saurai moi ? Vous serez le premier avec qui Michaël voudra en découdre lorsquil reviendra et nul ne sait jusquoù il pourrait aller. Vous êtes un échec pour lui. Je ne veux pas quil vous fasse du mal. Et il ny a quà létranger que vous ne risquerez rien.
Â
Incrédules, Flavie et Joël lancèrent un regard en biais au sénateur qui, après un silence de réflexion, hocha la tête pour montrer à Camille quil lécouterait. Son fils avait du mal à réaliser quil venait daccepter de quitter la France. Où iraient-ils ? Dans quel pays ? Etait-ce vraiment nécessaire de se réfugier à létranger par crainte des représailles dun Michaël complètement barjo qui se croyait tout permis ? Et lui, que deviendrait-il ? Il venait à peine davoir sa majorité et navait pas la moindre envie de partir dici !
Â
       Et et Joël ? osa demander Flavie qui se faisait elle aussi du souci.
       Joël continuera ses études ici, à Paris. La promesse que je vous ai faite tient toujours.
       Quoi ?! Quelle promesse ? Quest-ce que vous avez trafiqué dans mon dos encore ?!
       Je mengage à le surveiller et le protéger tant que laffaire avec les Espions ne sera pas réglée, continua Camille sans écouter les protestations de lintéressé. Noubliez pas : Joël est témoin et sait beaucoup de choses. Bref, pour les Espions, Joël est une menace qui doit être liquidée. Rajoutez à cela que Michaël la pris en grippe et quil a fait de votre fils une affaire personnelle.
       Quel honneur, marmonna lintéressé, avant de réaliser quelque chose. Attends une minute ! Quest-ce que ça signifie quand tu dis que tu tengages à me surveiller ? Tes en train de sous-entendre que je vais tavoir dans les pattes tout le restant de ma vie ?!
       Tu ne ten rendras même pas compte, promit Camille avec un sourire en coin.
       Et si je refuse ?!
       Tu ne peux pas. Jai juré à tes parents.
Â
Joël ne manqua pas de décocher un regard assassin à Monsieur et Madame Ajacier, vexé davoir été mis de côté dans une décision qui le concernait pleinement. Mais ces derniers, notamment le sénateur, paraissaient plus accaparés par le futur de lEspionne exilée.
Â
       Et toi, Camille, que comptes-tu faire ?
       Je viens de vous lexpliquer partiellement, Monsieur Ajacier. Jassurerai les arrières de votre fils.
       Camille, insista le politicien avec un regard entendu. Je sais que tu as des projets. Lesquels ?
       Jattends mon heure, Monsieur Ajacier. Jattends mon heure.
Â
À ce moment-là, et malgré son silence sur ses fameux projets dont elle ne disait jamais rien à personne, Pierre Ajacier devina tout le danger et la cruauté qui se cachait derrière Camille Laurier. Elle navait pas dix-huit ans, mais la jeunesse ne lui faisait pas peur. Le sénateur la connaissait assez bien pour savoir quelle avait des comptes à rendre à la vie, aux Espions, un peu à tout le monde en fait. Une soif de vengeance qui nappartenait quà elle et quelle ferait tout pour assouvir. Non, personne naurait pu penser que Camille Laurier était si noire, si rongée de lintérieur. Encore moins lorsque, en se levant de table en bâillant à sen décrocher la mâchoire, elle déclara :
Â
       Bon, jvais pieuter. Ça fait quatre jours que jai pas dormi. Prière de me réveiller demain matin à huit heures. Ya Bob lEponge à la télé.
Â
Â
Flavie navait pas osé réveiller Camille, le lendemain matin. Cette petite avait passé quatre jours sans boire, manger et dormir, disait-elle, alors elle méritait bien un peu de repos. Mal lui en prit, car Camille se réveilla toute seule cinq minutes après lheure fatidique et gronda Madame Ajacier pour sa négligence. La rouquine était dans un état lamentable, avec ses cheveux en bataille, son teint blafard et ses lourds cernes sous les yeux.
Â
       Madame Ajacier, je ne peux vraiment pas vous faire confiance, soupira-t-elle en se préparant un copieux petit-déjeuner. Heureusement que jai un sixième sens qui minterpelle quand je suis sur le point de rater Bob lEponge.
Â
Flavie ne fit aucun commentaire, et la regarder séloigner en toute hâte vers le salon, avec son plateau rempli à bloc, la peur au ventre de rater son dessin animé préféré. Dessin animé qui, au passage, était normalement destiné aux très jeunes enfants.
Â
       Alors, elle sest vraiment levée pour regarder Bob lEponge ? demanda Joël, qui apparut à son tour dans la cuisine, à moitié endormi. Tu sais que je suis sorti du lit exprès pour voir si elle allait vraiment le faire ?
Â
Le générique de Bob lEponge parvint jusquà ses oreilles et il éclata de rire.
Â
       Cinq ans dâge mental, je te jure ! Dès fois, je me dis quelle cache bien son jeu.
Â
Le sourire aux lèvres, il versa des céréales chocolatées dans son bol de lait et partit rejoindre Camille devant la télévision. Cette dernière était totalement absorbée par Bob en train de se disputer avec Patrick létoile de mer parce quil ne soccupait pas bien du bébé coquille Saint-Jacques.
Â
       Yo, Polichinelle.
       Yo, Ajacier.
Â
Elle replia ses jambes pour quil pût sasseoir à côté delle, ce quil fit naturellement, comme sil navait jamais été en conflit avec elle. Le silence retomba et Bob lEponge récupéra lattention de ses deux téléspectateurs. Joël mangeait tranquillement ses céréales Crunch qui croustillaient et dérangeaient Camille, qui ne cessait de lui envoyer des regards furieux.
Â
       Tu peux faire moins de bruit ?! sénerva lEspionne.
       Qui est Tonio ? répondit simplement Joël.
Â
Camille sursauta, aussi surprise par la question elle-même que par la facilité avec laquelle le jeune homme lavait posée. Toutefois, elle se garda bien de répondre ce qui obligea son compagnon à insister.
Â
       Etant donné que tu ne mapportes que des emmerdes depuis que je te connais et quapparemment, ça va durer encore quelques années, jestime que cest la moindre des choses que tu me dises tout ce que je ne sais pas encore.
       Dit celui qui refuse dentendre ma version des faits depuis trois mois.
       Qui est Tonio ? répéta Joël, borné.
Â
Camille détourna les yeux de Bob lEponge et se remémora le chaleureux visage de Tonio. Tonio qui avait été le seul à la comprendre, à lapprécier vraiment pour ce quelle était et qui avait été son frère dadoption. Tonio, le seul en qui elle avait eu confiance.
Â
       On lappelait Tonio, raconta finalement lEspionne, qui fixait sa tartine de Nutella. Mais comme Michaël, ce nétait quun pseudonyme et personne, bien évidemment, ne connaissait sa véritable identité. Tonio était le bras droit de Michaël, et le cofondateur du groupe. Il était lun des meilleurs Espions que lon pouvait compter parmi nous. Pas aussi bon que Michaël lui-même, mais presque. Et cétait accessoirement le meilleur homme qui mait été donné de connaître. Il avait toujours un mot gentil pour moi. Je laimais comme un frère autant que je pouvais haïr tous les autres Espions.
       Oh souffla Joël, qui comprit mieux la réaction hystérique de Camille quand elle avait appris son arrestation.
       Jignore tout de ce quil faisait sous la croupe de Michaël. Tout cela passait sous silence et ils restaient tous les deux discrets sur ce quils manigançaient. Tonio disparaissait de longs mois, et rentrait sur Paris pour quelques jours sans quon sût où il sétait trouvé tout ce temps.
       Les lignes SNCF ?
       Probable. Ça ne métonne pas que les journalistes aient parlé des lignes SNCF comme cible dun attentat. Le train est très développé dans ce pays et sattaquer aux chemins de fer, cest comme sen prendre à un des colosses de notre société et aussi à lEtat. Michaël a dailleurs toujours fait une drôle de fixette sur la SNCF.
       Et tu nas pas peur que Tonio parle de vous aux flics ?
      Tonio ne dira jamais rien. Il a juré sur lhonneur. Il na pas hésité à avouer lensemble de ses activités devant la police, les poulets devraient déjà sestimer heureux ! Nous sommes tous des langues de plomb, et même sous la torture, Tonio ne délivrera aucune information compromettante pour chacun dentre nous. Cest un peu le principe. Si lun de nous va en taule, les autres sont conservés. Personne ne se risquera à aller rendre visite à Tonio une fois quil sera en prison. Ça me fait mal au cur de savoir que je ne le reverrai plus jamais de ma vie, mais cest le prix à payer pour ne pas se faire choper.
Â
Joël opina dun mouvement de tête, comme sil comprenait, et Camille sourit en devinant quil essayait darrêter le flot de questions qui lui venait en tête. Seulement, la curiosité était beaucoup trop forte.
Â
     Comment tas fait pour retrouver Michaël quand tu es allée à Paris ?
     Oh, rien de plus simple, fit lEspionne trop modestement tout en examinant ses ongles. Jai posé la question au majordome.
Â
Cétait la nuit noire. Camille poussa le petit portillon de la Place des Vosges et sengagea dans le parc. Tout était calme et relativement silencieux entre ces quatre façades qui coupaient la place du reste du monde. Il ny avait pas un chat et elle nentendait même pas les voitures qui roulaient sur les avenues les plus proches. Elle savança à grandes enjambées vers lhôtel dans lequel vivait Michaël et écrasa son doigt sur la sonnette en croisant les doigts pour que son plan fonctionnât. Quand elle donna son identité à Paul et le supplia de la laisser entrer, il hésita une seconde puis lui ouvrit. Comme prévu, le majordome était seul. Michaël était bien trop occupé à essayer de résoudre un problème qui le dépassait totalement. Elle nota aussi la présence de cartons dans le hall dentrée. Car évidemment, le chef des Espions déménageait. Il ne pouvait plus rester ici. Pas après que son second eût été arrêté par la police et que sa favorite eût retourné sa veste.
Â
       Cest tout ? Tu lui as juste posé la question ? sétonna Joël, surpris que la chose eût été aussi facile pour lEspionne.
       Oui, cest un vieil ami, mentit Camille sur un ton léger. Il sest montré très coopératif et très gentil. Nous avons discuté autour dun doigt de porto.
Â
Elle plaqua brusquement le majordome contre le mur tapissé. Paul se cogna la tête et fut légèrement assommé. Quand il reprit pleinement connaissance, Camille Laurier le tenait empoigné à la gorge et le menaçait de son regard perçant et dun redoutable couteau à viande.
Â
       Paul, tu es lun des seuls que jai toujours respectés dans cette putain de baraque, alors dis-moi où se trouvent Michaël et ses sbires, sinon je ne réponds plus de moi et tu pisseras le sang jusquà ce que tu crèves ! Où est-il ?! Si tu ne sais pas ça, tu dois au moins savoir où et quand il compte réunir ses caniches ! Dis-moi, Paul, cest un ordre !
Â
       Ah ouais, autour dun porto ? Sympa ça, commenta Joël, y croyant dur comme du fer.
       Oui, on aurait pu discuter longtemps si je navais pas du pain sur la planche ailleurs. Et puis je ne voulais pas le mettre en danger, tu comprends.
Â
Paul avoua ce quil savait. Michaël réunirait dans deux jours ses Espions dans un local secret au cur de Paris. Le majordome connaissait le nom de lendroit, car cétait lui-même qui lavait réservé dans laprès-midi, son patron étant trop occupé à lextérieur. Satisfaite, Camille le relâcha et éloigna le couteau de Madame Ajacier de sa gorge.
Â
       Bien. Merci Paul. Je savais que je pouvais compter sur toi. Bien entendu, je nen toucherai pas un mot au patron. Ce sera notre petit secret. Je te dis adieu, Paul. Nous ne nous reverrons probablement plus jamais.
Â
Camille le regarda une dernière fois, et peut-être Paul décela une lueur de grande considération. Il neut pas le temps den être certain. Elle était partie comme elle était venue, et jamais plus elle ne reviendrait Place des Vosges.
Â
       Et comment tas pu espionner Michaël et ses Espions sans te faire remarquer ?
       Javais du liquide sur moi. Jai acheté des mouchards dans une boutique que javais remarquée depuis longtemps.
       Non ?! Des mouchards ? Comme à la télé ?!
       Précisément. Je suis entrée par effraction dans le local la veille de la rencontre pour les installer. Ni vu, ni connu. Je me suis installée sur le toit. Et jai attendu. Jai eu de la chance, ils ont tous utilisé le trottoir pour une fois.
       Et quest-ce qui sest dit, à la réunion ?
       Ce que je vous ai raconté. Michaël a parlé de la situation délicate dans laquelle il se trouvait. Toi, moi Tonio a été la goutte deau qui a fait déborder le vase. Son arrestation a beaucoup affecté Michaël.
       Tu métonnes, grogna le jeune homme.
Â
Le générique de Bob lEponge attira leur attention. Camille navait pas vu la fin du dessin animé, et ne savait donc pas ce qui était arrivé au bébé coquille Saint-Jacques. Sans attendre, Joël prit la télécommande et zappa. Dès quils virent les Tortues Ninja sur lécran, leurs visages rayonnèrent aussitôt.
Â
       Putain, les Tortues Ninja !
       Comme ça fait longtemps ! Laisse ça, Joël, laisse !
       Ah, mais carrément !
Â
Ils rirent de bon cur en voyant Michelangelo se trimballer dans les égouts avec ses cartons de pizza. Camille en profita pour observer Joël à la dérobée. Elle avait très envie de se pelotonner contre lui, comme avant, à lépoque où elle en avait encore le droit. Mais plus que ça, elle avait envie de parler avec lui. Maintenant quil savait tout (ou presque) delle, rien ne lui ferait plus plaisir que de pouvoir discuter des Espions avec lui comme ils le faisaient avec les Tortues Ninja. Ce serait comme avoir quelquun pour partager le lourd poids du secret. Michaël, les Espions, les toits, Tonio, et le reste. Le reste qui pesait, pesait, pesait sur ses épaules qui se fragilisaient au fur et à mesure.
Â
       Tu sais, Joël, Tonio nétait pas là quand nous étions à lancienne gare de Bobigny, confia doucement Camille. Il naurait jamais accepté que les choses se passent comme elles se sont passées. Michaël sest laissé emporter par ses valeurs, et Tonio aurait pu calmer le jeu. Il savait sy prendre pour ces choses-là.
       Si tu le dis Tu penses que tu aurais été épargnée ?
       Je ne sais pas. Il était bon et juste, comme Michaël. Jaurais été punie, cétait nécessaire, mais on aurait évité la violence, jen suis sûre.
       Bon et juste comme Michaël ?! répéta Joël, furieux. Tu te fous de moi là ! Ce mec est un barjo !
       Je tinterdis de critiquer Michaël. Cest un homme bien qui se bat pour des principes !
       Des principes qui lui dictent de poignarder une fille juste parce quelle a joué un double jeu ?
       Aha, tu reconnais enfin que jai joué un double jeu ? lança Camille, victorieuse.
Â
Frustré dêtre repoussé jusque dans ses tranchées, Joël se leva du canapé et partit senfermer dans sa chambre. Camille sourit malicieusement. Il ne pourrait pas se voiler la face encore longtemps. Bientôt, il craquerait.
Â
Â
Dans ces moments où Joël ne lui adressait plus la parole, Camille était bien contente davoir son petit moment de victoire chaque nuit. Elle continuait à sintroduire dans sa chambre pour lui voler un baiser qui suffisait à la mettre dexcellente humeur. Cétait devenu une douce habitude, que ni le jeune homme ni Mélissa ne pouvaient lui prendre. Cette nuit encore, elle débarqua dans la pièce endormie sur la pointe des pieds par lintermédiaire de la terrasse commune aux deux chambres. Elle était presque folle de joie : cétait lheure de son baiser. Joël avait passé sa journée à léviter, mais le baiser de la nuit constituait sa revanche.
Â
Avec un plaisir non dissimulé, elle sapprocha du lit en silence, retint ses cheveux en arrière et se pencha lentement vers lui pour lui voler ce petit quelque chose si précieux à ses yeux. Camille rencontra pourtant un pépin dans son plan, cette nuit-là. Alors quelle sapprêtait à frôler ses lèvres, la main de Joël fendit subitement lair et sabattit aussitôt autour de son poignet. La rouquine sursauta, effrayée, et vit les paupières du jeune homme souvrir sans manifester la moindre fatigue. Elle eut alors la preuve quil ne dormait pas, mais alors pas du tout.
Â
Chaque Espion avait en lui une part de lâcheté. Il était temps pour Camille de recourir à la sienne. Elle essaya de dégager son poignet pour prendre la fuite, mais Joël finit par la tirer de toutes ses forces de son côté et la fit basculer sur le lit. Elle cria quelques secondes. Il plaqua vite sa main sur sa bouche pour la faire taire. Ils roulèrent et Joël prit le dessus en prenant bien soin de lécraser de tout son poids. Elle se débattit du mieux quelle put, mais il acheva de la maîtriser en resserrant ses prises autour de ses poignets.
Â
       Tiens tiens, mais qui voilà ? taquina-t-il alors quelle déglutissait. Jai attrapé une Espionne dans mes filets
       Lâche-moi, espèce de sadique ! Tu me fais mal !
       Tu croyais vraiment que tes petites escapades nocturnes allaient continuer à passer inaperçues ?
       Cest bon, je ne le referai plus, je te le jure. Tu peux me laisser partir maintenant !
       Non, cest trop facile.
       Je te préviens, Ajacier, je vais cri
Â
Elle mit quelques secondes à réaliser quil lembrassait furieusement, et comprit enfin quelle ne crierait pas. Ou alors, pas comme ça. Lorsquil cessa le baiser, essoufflé et les yeux noirs de désir, la jeune fille ne sétait toujours pas remise de ses émotions et se laissa ôter sa chemise de nuit sans comprendre. Mais quelque chose parut lintriguer et arrêta Joël dans ses caresses. Camille sétonna et vit quil contemplait étrangement la longue cicatrice rouge sur sa poitrine. Il ne dit rien et se contenta de suivre lentaille du doigt. LEspionne ferma les yeux et savoura le contact de sa peau contre la sienne. Lorsquelle les rouvrit, Joël était sorti de sa torpeur et la regardait intensément. Leurs bouches se rejoignirent à nouveau, dabord timidement, comme sils réapprenaient à se connaître, puis de plus en plus pressées de satisfaire ce besoin quils avaient de lun lautre. Peu à peu, Joël se montra plus entreprenant pour le plus grand bonheur de Camille.
Â
Et comme le petit chaperon rouge, elle se laissa dévorer. Toute crue.
Â
Â
       Bonjour Madame Ajacier ! Bonjour Monsieur Ajacier !
Â
Pierre et Flavie levèrent la tête de leur occupation, tous deux étonnés. Camille venait de débarquer dans la cuisine, rayonnante, déjà habillée, prête à démarrer une journée du bon pied. Douceur, qui avait assiégé la cuisine car lheure du déjeuner approchait, bondit sur sa maîtresse pour lui dire bonjour.
Â
       Bonjour ma fifille de moi ! sexclama la rouquine qui frottait frénétiquement le pelage du labrador.
       Bien dormi ? demanda Pierre, soupçonneux, reposant son journal sur la table.
       Oui !
       Tu as vu lheure, Camille ? sinquiéta son épouse. Tu sais quil est bientôt onze heures et que tu as raté Bob lEponge ?
Â
Cétait, à leurs yeux, ce quil y avait de plus intrigant. Jamais Camille ne se levait aussi tard. Jamais Camille ne ratait un épisode de Bob lEponge. Lintéressée haussa les épaules, tout sourire, et sortit le pot de Nutella du placard.
Â
       Tant pis, ce sera pour demain. Vous permettez que je grignote un peu avant le déjeuner, Madame Ajacier ? Je meurs de faim !
Â
Flavie opina puis rencontra le regard encore étonné de son mari, qui haussa à son tour les épaules et replongea dans le journal et ses notes. Monsieur Ajacier était en vacances et préparait actuellement la rentrée du Sénat ayant lieu en septembre. Pour loccasion, il voyageait beaucoup en France tout en prenant soin de venir se ressourcer dans sa famille, à Bobigny. Il allait accomplir la dernière année de son mandat, avant quune partie des sénateurs fût renouvelée, et réfléchissait déjà à la proposition de Camille concernant un éventuel poste à létranger.
Â
       Laurier ! rugit la voix bien connue de Joël à létage.
       Allons bon, la journée commence, grogna Pierre.
Â
Le plafond trembla, annonçant que le jeune homme quittait furieusement sa chambre, prêt à liquider Camille. Camille qui souriait, ironique, devant ses tartines de Nutella. Ils avaient passé toute la nuit à faire lamour, mais au petit matin, Joël lavait laissée dans le flou le plus total quant à leur relation. Il sétait endormi, sans un mot, sans se préoccuper davantage de la jeune fille et des nombreux doutes qui lassaillaient. Mais il pouvait bien la refouler à nouveau, lui faire comprendre que cette nuit ne représentait rien, quil fallait oublier, Camille sen fichait bien. Elle avait eu plus que ce quelle espérait, et rien ne saurait entacher sa bonne humeur. Pas même la fessée que le garçon lui donna avec Le Monde de la veille quand il débarqua dans la cuisine.
Â
       Tes parents tont jamais appris à dire au revoir ?! pesta Joël, furieux.
       Hmm ? fit lEspionne, un sourcil arqué, en levant son couteau recouvert de pâte à tartiner.
       Euh, pose ce couteau, tu veux ! Jai pas confiance !
       Ma foi, je ne vois pas de quoi tu parles.
       Mouais, cest ça
Â
Il nen rajouta pas davantage et laida tout naturellement à tartiner ses tranches de pain. Pierre, Flavie et Douceur écarquillèrent les yeux. Devant eux, Joël et Camille échangeaient des banalités et se lançaient des plaisanteries. Ils nen revenaient pas ! Et cela ne semblait avoir rien déphémère. Même lorsquils prirent leur bref petit-déjeuner, les illades complices étaient toujours là.
Â
       Bon, allez, je vais faire mon lit, annonça Camille.
       Moi, je vais prendre ma douche.
Â
Les deux jeunes adultes se levèrent en même temps de table et séloignèrent vers lescalier qui menait à létage. Joël crut bon de sarrêter en milieu de chemin et se pencha par-dessus la rampe pour aviser ses parents.
Â
       Au fait Papa-Maman, Camille déménage !
       Je te demande pardon ?! fulmina lintéressée, vexée. Quest-ce que tu fous là ?
       Jannonce la nouvelle à mes parents. Tu libères ta chambre.
       Mais pour aller où ? sinquiéta Flavie.
Â
Camille leva les yeux au plafond et décida de reprendre sa route vers sa chambre. Quant à Joël, il adressa à sa mère un sourire enjôleur et un regard pétillant de malice.
Â
       Dans la mienne.
Â
Flavie ouvrit la bouche, surprise. De là où il était, Joël vit son père lever la tête vers lui et brandir discrètement son pouce. Le jeune homme sourit davantage et rejoignit lEspionne. Quand il referma la porte derrière lui, il se rendit compte que jamais il nétait entré dans la chambre dami depuis que Camille lhabitait. Sur une étagère, le Polichinelle quil avait acheté au marché de Bobigny le fixait de ses pupilles glaciales. Le vrai Polichinelle lui tournait le dos, occupé à faire son lit consciencieusement. Avec un sourire en coin, Joël prit son élan et plongea sur Camille qui hurla aussitôt. Ils roulèrent sur le matelas et ses mains retrouvèrent vite leur repère sous le débardeur de la jeune fille.
Â
       Bordel, Ajacier ! beugla lintéressée. Mon lit ! Je dois le refaire maintenant !
       Ça peut attendre, suggéra Joël dans un souffle.
       Non, non et non ! Tant que ce nest pas clair entre nous, tu peux toujours courir !
Â
Elle le repoussa sans ménagement, et il se sentit un peu déboussolé par ses sautes dhumeur. La rouquine lavait habitué à une humeur plutôt douce et câline quelques heures plus tôt. Il avait bien compris ce quelle insinuait, mais préférait faire lignorant. Camille le poussait lentement vers une pente glissante, et même sil pensait avoir démêlé le flot des sentiments qui avaient pris en otage son cur, Joël ne se sentait pas encore prêt daborder le sujet dune réconciliation officielle. Cétait le retour sur les faits ayant eu à la gare de Bobigny qui leffrayait le plus. Car il paraissait évident que Camille voudrait sentretenir sur ce point-là avec lui.
Â
       Bien Puisque tu nes pas décidée à moffrir le logis, je me retire donc dans ma tanière, vilaine fille.
       Une minute, je ne tai pas autorisé à sortir dici, Ajacier ! se rebiffa lintéressée.
Â
Il était sur le point datteindre la porte lorsquelle se dressa en obstacle devant lui. Bras croisés, regard ferme, cette fois-ci, elle ne céderait pas. Son petit air borné fit rouler les yeux de Joël, qui aurait tout donné pour continuer à vivre cet amour en clandestin. Cétait tellement plus passionnant et beaucoup moins problématique.
Â
       Je veux être fixée. Je veux que tu arrêtes dêtre flou, et que tu me dises précisément ce que tu souhaites. Tu ne peux tout simplement pas coucher avec moi comme tu las fait pour mignorer ou recommencer, sans minformer de ce que tu cherches pour nous ! Est-ce que cette nuit, cétait sérieux ? Ou pas ? Comment je dois linterpréter ? Cest ça que je veux savoir, Ajacier, et tu ne sortiras pas dici tant que ce ne sera pas clair entre nous. Dis-moi tout ce que tu as sur le cur, engueule-moi si tu veux, mais dis quelque chose, merde !
Â
Joël resta dabord silencieux. Il ne regardait pas Camille et se contentait de se triturer la peau autour des ongles, comme pour se laisser le temps de répondre. Lui-même nétait pas vraiment fixé sur ce quil voulait. Il ne savait quune seule chose : cette nuit avait ravivé toute la passion quil avait éprouvée dans le passé pour lEspionne.
Â
       Jai essayé, daccord ?! lâcha-t-il, exaspéré, alors quil se sentait visé par le regard insistant de la rouquine. Je te jure que jai essayé de détester, de te haïr même, après ce que tu mas fait.
Â
Soulagée par sa franchise, le visage de la jeune fille se dérida complètement. Après tout ce temps, Joël crevait enfin labcès. Après tout ce temps, le véritable face-à-face, le très attendu règlement de comptes, avait finalement lieu. Enfin, Joël allait lâcher tout ce quil avait sur le cur, depuis ces longs mois où personne navait pris la peine de se mettre à sa place et de sinquiéter réellement de ses états dâme. Et Camille eut grand plaisir à lentendre se délivrer.
Â
       Excuse-moi de te dire ça, parce que cest toi ma pauvre qui a failli clamser dans cette histoire, mais peux-tu au moins comprendre ce que jai vécu à la gare de Bobigny ? Toi, tu ne tes pas vue poignarder, tu ne tes pas vue mourir, tétais déjà inconsciente bien avant ! Mais moi, Camille, moi, je me suis pris une claque ce soir-là ! Dune, on mannonce que tes une Espionne, rien que ça ! De deux, ah ben merde, je suis pris au piège, impossible de prendre la fuite ! Et la cerise sur le gâteau, jai vu de mes propres yeux Michaël te poignarder, je tai entendue crier ! Tes tombée comme une masse par terre, Camille, tu tes vidée de ton sang Comment tu veux que je passe léponge sur ça ?! Jen ai fait des cauchemars ! Ça me poursuit encore la nuit ! Javais la cervelle partagée en deux. Javais peur pour toi, et en même temps, je me suis senti trahi Tu mas fait du mal, tu mas menti depuis le début ! Si tu maimais vraiment, tu aurais pu tout mavouer avant quon en arrive là. Je ne taurais pas refoulé, Camille, je taimais ! On aurait trouvé une solution, merde !
Â
Camille aurait bien aimé lui répondre que cela aurait été trop dangereux et quelle était déjà allée trop loin avec lui, mais préféra garder le silence. Elle prit la main de Joël et linvita à sasseoir sur le bord de son lit, avec elle. Il sexécuta, posa ses coudes sur ses genoux et continua son récit, non sans se cacher les yeux.
Â
       Je pensais aimer une fille que je croyais connaitre. Javais limpression davoir construit avec toi une relation normale, comme tout le monde. Mais en fait, quest-ce qui était vrai chez toi si tu as joué un rôle depuis le début ? Michaël semblait croire que je ne tai pas intéressé une seconde. Est-ce que tu mas déjà aimé au moins ?
       Oui, je tai aimé ! sécria Camille, émue. Pas au début, cest vrai, je te trouvais franchement bidon et moche, mais tu es devenu mon ami, mon seul ami ! Tu as pris une place importante dans mon cur. Tas une idée de ce que cest dêtre toujours refoulé par les autres ?!
       Avec une fille aussi aimable et agréable que toi, Camille, pas étonnant !
       Et au fur et à mesure que jai appris à te connaître, je suis vraiment tombée amoureuse de toi. Sache que si je ne lavais pas été, je naurais jamais accepté de tu vois
Â
Elle rougit violemment en se rappelant la nuit durant laquelle Joël Ajacier lavait dépucelée. Lintéressé scruta ses pieds, embêté. Il sen souvenait très bien aussi, son meilleur souvenir étant la douche du lendemain matin où Camille lui avait fait lhonneur de sa présence.
Â
       Ça aussi, jai cru que ça navait été que du bidon pour toi Du faux, comme tout le reste.
       Ça ne létait pas. Tu me connais, jai une dignité.
Â
Joël esquissa un mince sourire, soulagé. Camille fut touchée de le sentir apaisé maintenant quil avait la certitude quau moins, elle avait été réellement sincère cette nuit-là. Le jeune homme se sentait bien mieux dans sa peau et posa tranquillement sa tête dans le creux de lépaule de la rouquine. Le nud se démêlait, les doutes sestompaient et la vérité, aidée par la franchise, éclatait. Rien que dimaginer que sa vie allait pouvoir redevenir presque comme avant suffit à remplir son cur de joie.
Â
       Tu te souviens du concierge ? demanda Camille tout à coup, le faisant ainsi sursauter.
       Le concierge ?
       Oui. Le concierge du lycée.
       Ouais Et alors ? Attends, ne me dis pas que Cétait aussi un de vos sales coups ?! Oh ! Tu las tué, cest ça ?!
       No-non, je ne lai pas tué. Mais jétais là lorsque Michaël sen est chargé.
       Vous avez tué le concierge ?! sécria Joël, terrifié, après un mouvement de recul. Bon Dieu !
       Nous navions pas le choix.
       Bien sûr que si ! On a toujours le choix de laisser vivre quelquun !
       Le concierge mavait reconnue parmi les Espions ! Michaël ne pouvait tout bonnement pas le laisser vivant !
       Mais enfin, le concierge était innocent ! Il ny était pour rien dans vos putains de délires, le concierge !
       Je sais, mais
       Vous étiez donc au lycée ?! À Louise Michel ? Mais quest-ce que vous foutiez là ?!
       Grande réunion annuelle, répondit Camille, gênée. Michaël voulait changer de lieu et utiliser une salle dinterro assez grande pour nous tous.
       Laisse-moi deviner La B12 ?
       Oui.
       Tes en train de me dire que jai passé mon Bac dans la salle qui a servi aux Espions ?! Bordel !
Â
La situation navait pourtant rien damusant, mais Camille ne put se retenir de rire en voyant Joël se cacher les yeux devant tant de révélations. Largement dépassé par tout ça, il se demandait si lEspionne cachait encore dautres anecdotes de ce genre dans son sac. La réponse était évidente : oui.
Â
       Ce qui est arrivé au lycée était un accident. Nous navons pas été aussi discrets que nous laurions voulu. Mais si je ten parle aujourdhui, cest parce que cest ce soir-là que Michaël ma pris ta gourmette pour la laisser à proximité du corps du concierge.
       Quoi ?! Ouais, en gros, jai failli me retrouver dans la merde par sa faute ! marronna Joël, qui essayait de modérer la colère bouillonnant en lui.
       Cétait lobjectif. Mais comme je lai raconté à ton père, cest ce qui a probablement signé mon arrêt de mort et celui de mon père. Je tai juré de te la rendre, et jai pris de grands risques pour aller la récupérer. Je me suis rendue chez les flics, Joël. Chez les flics ! Je me suis jetée dans la gueule du loup pour tes beaux yeux, jai volé ta gourmette sous le nez de la Police, et Dieu sait que ça men a coûté ! Jai perdu mon père dans laffaire ! Mon propre père ! Par ma faute ! Moi aussi, jai eu des raisons de ten vouloir, Ajacier, mais dès fois je me dis que si cest le Destin qui a voulu ça, cest quil y a forcément des raisons. Je ne veux pas imaginer que mon père est mort «Â pour la bonne cause », parce que tu nen es pas une Mais je me dis quaprès avoir tant perdu, subi un tel sacrifice, je mérite bien davancer dans la vie, dêtre heureuse et de venger mon père. Donc, tu vois Joël, nous nous reprochons beaucoup de choses, mais ça ne sert à rien de se lamenter sur nos sorts plus longtemps. Maintenant que cest dit, étalé et mis à plat, avançons tous les deux, daccord ?
Â
Joël sourit et attira Camille contre lui. Celle-ci noua ses bras autour de son cou et se laissa aller contre son épaule.
Â
       Ça fait du bien de parler, avoua-t-elle à mi-mots.
       Oui. Mais tu ne mas pas laissé terminer. Ta question, à la base, cétait de savoir ce que je voulais vraiment. Je tai dit que tu mas fait du mal et que jai essayé de détester pour tout ça.
       Cétait de bonne guerre.
       Jai failli y arriver, mais tu as fini par bien mavoir, comme avant. Je dois bien avouer que je taime et que ça me fait chier, vu le passé quon a en commun. Mais bon, voilà, je taime. Et je suis prêt à te reprendre si tu me promets déviter de me refaire des sales coups dans ce genre. Voilà. Tes contente ?
       Oui, sourit franchement Camille. Mais quest-ce qui ta fait changer davis ?
       Jai réfléchi. Puis je ne sais pas Il y a le Truc. Je ne sais toujours pas ce que cest, mais cest le Truc.
       Le Truc. Ah, javais oublié le fameux Truc.
Â
Ils échangèrent une illade complice, suivie par un long baiser que Joël essaya de tourner à son avantage. Il aurait bien aimé reprendre les câlins là où ils les avaient laissés lorsque Camille lavait repoussé de son lit. Tentative ratée, car lintéressée eut tôt fait de séchapper encore une fois des caresses insistantes pour se lever et lui faire face dun air victorieux.
Â
       Han, arrière Ajacier !
       Quest-ce quil y a encore ? soupira le jeune homme en retombant sur le lit à moitié défait.
       Je ne partage pas.
       Quoi ?
       Je ne partage pas, répéta Camille bien distinctement.
Â
Voyant quil ne comprenait toujours pas, elle prit un malin plaisir à lui rappeler lexistence de la belle jeune fille avec qui il sortait, et qui était aussi sa plus grande rivale (certes, une rivale éradiquée et mise hors détat de nuire).
Â
       Au cas où tu loublierais, tu sors officiellement avec Mélissa Beauchamp que tu as trompée avec moi au passage et ce qui fait de toi un parfait salaud, mais quimporte, je taime quand même et je suis désolée, cest pas que ça me gêne de la faire cocue loin de là mais jaime pas partager. Alors, vire-la ou cest moi qui me tire.
       Meeerde, Mélissa ! sécria Joël, qui se frappa le front en se maudissant. Mais quel naze, je lai complètement zappée ! La pauvre fille, elle ne mérite pas ça
       Hé, fais pas dans les sentiments et vire-moi cette pétasse sans plus tarder ! On sait tous que tes un sale con, mais on sen fout delle ! Elle sen remettra. Les Barbies sen remettent toujours.
       Camille, tu es méchante.
       Je sais. Mais merde, chacun son beef, à la fin quoi !
Â
Joël éclata de rire devant la jalousie perceptible de Camille et sortit son téléphone de sa poche alors quelle croisait fièrement les bras sur sa poitrine. Avec un sourire malin, il composa le numéro de Mélissa et attendit quelle décrochât. Par politesse, et parce que la jeune fille était plutôt gentille, il serait galant et romprait en face à face. Mélissa souffrirait certainement de la rupture, mais Camille avait raison sur un point : elle sen remettrait. Après quelques tonalités, elle répondit et Joël lui exposa brièvement quil souhaiterait sentretenir avec elle dans laprès-midi. Elle ne fit aucun commentaire, mais ladolescent devina quelle avait compris.
Â
       Elle se doute de quelque chose, fit-il en raccrochant, alors que Camille revenait sallonger près de lui pour déposer un bisou sur sa joue.
       Ten fais pas, elle va te gifler bien bien, mais je serai là pour te consoler après, je te le jure. On va tout recommencer toi et moi. Et comme je le dis si bien : une de perdue, une Camille de retrouvée.
Â
Oui, une de perdue, une Camille de retrouvée, sauf que cette dernière ne sattendait certainement pas à ce qui lui arriva, quelques heures plus tard. Avant larrivée de Mélissa, Joël avait tenu à ce quelle restât enfermée dans sa chambre et quelle se fît oublier le temps de sa discussion avec son ex-petite amie. Il avait fait promettre difficilement à Camille de ne pas les espionner par la terrasse quils avaient en commun et de ne pas narguer sa rivale. LEspionne avait grogné avec mauvaise foi, mais acceptait. Enfin, Mélissa arriva et comme Camille navait jamais juré de ne pas écouter aux portes, cest évidemment ce quelle fit en toute discrétion. Elle entendit Joël annoncer leur rupture, ainsi que les trois gifles quil estimait avoir bien méritées. Elle eut à peine le temps de le plaindre quelle fut surprise par Monsieur Ajacier qui lui lançait un regard réprobateur depuis lescalier, la contraignant à retourner dans sa chambre. Bref, tout se déroulait plutôt bien. Jusquau départ de Mélissa.
Â
Une fois la jeune fille (très furieuse) ramenée à la porte par politesse, Joël était allé trouver la rouquine dans sa chambre et il semblait, lui aussi, très en colère. Quand Camille le vit entrer dans la pièce, elle lâcha le livre quelle feuilletait et bondit sur lui pour accueillir comme il se devait le soldat rescapé de la guerre. Mais de façon très surprenante, Joël la repoussa fermement et Camille resta les bras ballants alors quil sévertua à la sermonner.
Â
       Mélissa a jugé bon de minformer de certains faits que jignorais royalement. Pour quelquun qui dit vouloir repartir de zéro, je trouve que tu passes encore pas mal de choses sous silence ! Alors, tu nas rien à me dire, Laurier ?
       Euh, non, répondit bêtement lintéressée, après un moment de réflexion.
       Je ten prie, Camille !
       Je ne vois pas absolument pas à quoi tu fais allusion, je te jure !
       Mélissa ! sécria Joël, énervé.
       Quoi, Mélissa ?! Quest-ce quelle vient faire encore là, merde !
       Mélissa, au lycée, dans les toilettes des filles
Â
Camille dut faire un effort de mémoire monumental pour essayer de retrouver un souvenir lié à Mélissa, le lycée et les toilettes des filles. Joël vit bien quelle ne jouait pas la comédie, mais comprit aussi que Mélissa navait pas menti lorsque le visage de lEspionne séclaira au bout dune minute.
Â
       Ah, ça.
       Oui, ça. Quas-tu à dire pour ta défense, Laurier ?
       Rien. Puisque je nai rien fait.
       Rien ?! sesclaffa Joël. Putain Camille, tu las menacée de mort !
       Mais nimporte quoi ! Je nai jamais menacé de mort cette fille ! Je suis la justice même, voyons !
Â
Devant le regard insistant du jeune homme, la rouquine marqua un arrêt puis tenta un sourire commercial qui se révéla totalement inefficace.
Â
       Bon, peut-être que je lui ai dit que je lui casserais un petit peu la figure si elle tapprochait Mais merde, elle empiétait sur mon territoire ! Et puis, tu peux dire ce que tu veux, mais je ne lai pas menacée de mort ! Je laurais simplement défigurée, elle le sait très bien, alors pourquoi elle déforme tout ?!
Â
À la voir brailler et taper du pied comme une enfant, Joël roula des yeux. Camille différenciait peut-être simple menace et menace de mort, mais à ses yeux, laffaire était la même : elle avait failli sen prendre à une jeune fille convenable et innocente.
Â
       Tabasser, menacer On ne va pas chipoter. Quest-ce quon sen fout, dabord ! Le plus important, cest quelle nait pas réussi à tavoir, continua lEspionne en forçant le barrage de ses bras pour se pelotonner contre lui. Tu maimes toujours au moins ?
       Affirmatif. Mais nempêche, la pauvre Mélissa qui navait rien demandé
       On sen fout !
       Pas moi. Je ne peux pas tolérer ça. Camille, je te punis.
       Tu me quoi ?!
Â
Un sourire machiavélique apparut sur le visage de Joël, qui était bien dhumeur à faire enrager lEspionne. La tête de Camille le faisait déjà rire intérieurement : elle avait ouvert les yeux ronds comme des billes, se demandant là si ses oreilles ne lui avaient pas joué un mauvais tour. Butée, elle croisa les bras sur sa poitrine.
Â
       Et tu vas me faire quoi au juste ? Me mettre au coin avec le bonnet dâne ?
       Cest simple. Je retarde nos retrouvailles à demain.
       Hein ?! sécria-t-elle, choquée. Ah non ! Pas question !
Â
Mais déjà, il quittait la chambre dun pas décidé, poursuivi par la jeune fille qui ne tolérait pas cet affront (et comptait bien le faire savoir), et lui claqua la porte de sa chambre au nez. Bien entendu, il prit bien soin de la verrouiller le plus rapidement possible, de sorte que Camille neût pas le temps de se démener sur la poignée. Mais le plus amusant fut lorsquelle roua de coups la pauvre porte en criant au scandale à qui voulait lentendre.
Â
       Hé, espèce de salaud ! Et notre réconciliation alors ?! sécria lEspionne dans le couloir, furieuse. Ouvre cette putain de porte ou je la défonce !
       Camille ! rugit le sénateur mécontent depuis le rez-de-chaussée.
Â
Lintéressée devint toute rouge et retourna dans sa chambre aussi silencieusement quun rhinocéros afin dessayer dentrer par effraction chez Joël grâce au balcon quils partageaient. Quand le jeune homme la vit arriver juste au moment où il verrouillait sa porte-fenêtre, il ne put sempêcher déclater de rire sous son nez. Derrière la vitre, Camille était de plus en plus écarlate, prête à exploser. Elle le pointa du doigt, puis fit mine de se trancher le cou pour lui indiquer ce qui lattendait lorsquelle parviendrait à mettre la main sur lui. Hilare, Joël ferma ses rideaux, ce qui irrita au plus haut point lEspionne.
Â
Il ny eut plus de signes de vie de Camille pendant dix minutes. Refusant de croire quelle sétait évaporée et quelle avait laissé tomber, Joël se douta quelle était occupée à mettre au point un nouveau plan. En attendant, il choisit de regarder le dernier James Bond tranquillement sur son lit. Lintroduction venait à peine de se terminer lorsque la porte souvrit dans un grand fracas. Amusé, Joël tourna la tête pour découvrir sans surprise Camille qui se tenait dans lencadrement, rouge écrevisse mais armée dun passe-partout. Elle respira profondément pour essayer de reprendre une couleur normale. Effort inutile, mais qui lui permit tout de même de reprendre son calme.
Â
       On ne ferme pas la porte à une Espionne qui sappelle Camille Laurier, décréta-t-elle en jetant un regard assassin à Joël. Car dune façon ou dune autre, Camille Laurier finira toujours par entrer. Après un court arrêt, elle ajouta : Camille Laurier peut. Les autres essayent.
       Ben voyons, mais cest quelle se prend pour Chuck Norris en plus !
       Toi, tu vas me le payer.
Â
La jeune fille bondit sur lui et mit tout son cur à le frapper avec loreiller. Elle tenta même de létouffer avec, mais après quinze secondes dapnée, elle eut un peu peur quil sasphyxiât et elle préféra le rouer de coups dans labdomen. Joël ne se défendait pas. Il riait trop, entre deux souffles coupés, pour tenter quelque chose.
Â
Ils ne se chamaillèrent pas bien longtemps. Très vite, lagréable sensation dêtre à nouveau réunis, plus soudés quauparavant, reprit le dessus. Ils se pelotonnèrent lun contre lautre, sembrassèrent et prêtèrent un peu dattention au film. Le Truc, même sils ignoraient tout de sa nature, finissait toujours par simposer. Et puis, un peu de sérieux devant le dernier James Bond, bordel.
Â
Â
En cette magnifique journée daoût ensoleillée durant laquelle il avait préféré travailler au frais, Pierre Ajacier se sentait particulièrement suivi du regard. Dun regard noir et lourd de bien des reproches. Après avoir feint lignorance pendant une demi-heure, il céda à la pression, baissa lécran de son ordinateur portable et leva la tête dans un soupir vaincu.
Â
       Flavie, tu comptes me faire la gueule longtemps ?
       Aussi longtemps que tu prendras des décisions non réfléchies, répondit celle-ci, pète-sec, assez furieuse contre son mari.
       Quelles décisions non réfléchies ? Je nai rien fait.
       Tu nas rien fait ?! Ben voyons ! Cest la meilleure ! Dois-je te rappeler que tu as acheté un flipper à Joël ? Un flipper, Pierre ! Il a dix-huit ans ! Je ne sais pas moi, mais tu aurais pu trouver quelque chose de plus nécessaire à lui offrir pour son anniversaire !
       Je te corrige, chérie. Jai donné de largent à Joël, avec pour consigne den faire bon usage. Et il a acheté un flipper. Quest-ce que tu veux que je te dise ?! Je ny peux rien, il fait ce quil veut maintenant !
       Bien entendu, ce nest pas de ta faute. Ce nest jamais de ta faute. Ton fils que tu souhaites voir avocat, je te rappelle développe un esprit de vandalisme, et ça te passe complètement au-dessus de la tête !
       Le vandalisme ! Flavie, tu as une imagination débordante !
       Une imagination débordante ?! Mais tu ne te rends pas compte ! Viens voir, Pierre, viens voir, si tu oses lâcher ta satanée proposition de loi, ce que deviennent ton fils et ta belle-fille que tu chéris tant !
Â
Poings sur les hanches, elle le défia du regard et, impuissant, il se leva difficilement du canapé dans lequel il se sentait si bien, et la suivit sur la terrasse. Pierre nétait même pas arrivé devant le flipper quil entendait déjà des dlingdling, tchouw, bling, tabadam et trilililili retentissants accompagnés de jurons enragés. Quand il découvrit les deux jeunes gens en train de se bousculer et sacharner sur lappareil, il comprit où voulait en venir sa femme.
Â
       Et Putain de merde, cest pas vrai, tes une vraie salope quand même ! sécria Joël, furibond, qui donna un coup de poing au flipper.
       Espèce de connard, bouge de là ! Oh, le bâtard ! cracha Camille, alors que le jeune homme avait secoué la machine pour faire perdre sa trajectoire à la bille. Non ! Enculé, tu mas fait perdre !
       Ça tapprendra, pétasse !
       Cest moi que tu traites de pétasse ?!
       Oh mais vous allez vous calmer, oui ?!! rugit le sénateur, furieux. Joël, enfin, ce nest pas comme ça quon ta éduqué !
Â
Les deux jeunes adultes se redressèrent, pris en faute, laissant par la même occasion la bille descendre jusquau trou et assurer à Camille un «Â Game Over » sonore. Elle toussa, gênée, et sourit de toutes ses dents au sénateur dans lespoir de remonter dans son estime.
Â
       Mais ça va, Papa, essaya Joël, cest juste sous la pression du flipper Tu sais bien que je me comporte mieux que ça en société.
       Quand bien même, ce ne sont pas les paroles dignes dun étudiant en droit qui souhaite devenir avocat, décréta Flavie, les bras croisés sur la poitrine.
Â
Camille, compatissante, donna une tape amicale sur lépaule de son petit ami, sans abandonner son sourire malin. Malheureusement, elle faisait désormais partie de la famille et cela, la mère de Joël ne lavait pas oublié.
Â
       Ni même pour une jeune fille qui se destine à être institutrice.
Â
La rouquine ne sattendait certainement pas à ça ; sa fierté se décomposa en moins dune seconde. Son sourire disparut aussitôt et elle devint tant livide quelle se cacha derrière Joël, à la fois choquée et honteuse. Ce dernier ricana, même sil ne semblait pas très fier non plus.
Â
Soumis à la pression de sa femme et afin de regagner son estime, Pierre Ajacier neut dautres choix que de punir les deux jeunes adultes, à la grande stupéfaction de ces derniers qui pensaient avoir passé lâge. Ils supplièrent, tempêtèrent et tentèrent même une négociation mettant dailleurs Joël dans une situation de «Â cas pratique » pour sa future profession, mais rien ny fit : le sénateur ne céda pas et la punition resta de rigueur.
Ainsi
Â
       Je hais tes parents.
       Ils pourraient être un peu plus cools, grogna Joël. Prête ?
       Je hais tes parents. Je les hais du plus profond de mon âme. Et le pire dans tout ça, cest que je ne peux rien contre eux. Ce sont bien les seuls, dailleurs. Jai une trop grande dette envers eux.
       Prête ? répéta le jeune homme, sans lécouter.
Â
Camille marmonna une réponse vaguement positive, et Joël souleva une lourde brouette remplie de terreaux et de feuilles avant de quitter le garage et la faire rouler sur lallée du jardin. La rouquine attrapa les multiples branches de larbre que le sénateur avait décidé de faire scier pour lété et suivit mollement son petit ami, son équipage au-dessus de la tête.
Â
       Condamnés à aider aux travaux paysagers. Ça me tue. Je hais tes parents. Et je hais cet arbre.
       Tu le trouvais bien à ton goût pour ty cacher quand tu mespionnais encore, remarqua Joël, dans le crouicroui strident de la brouette.
       Quoi ?
       Quoi ?
       Jentends pas !
       Hein ?
Â
Il arrêta la brouette et le silence retomba dans le jardin. Camille, ses énormes branches feuillues planant au-dessus du crâne, le regardait sans comprendre.
Â
       Quest-ce que tu disais ?
       Je disais que cet arbre tavait bien arrangé à une époque.
       Ah. Oui. Cest vrai. Et cest vraiment con de vouloir le désépaissir, si tu veux mon avis.
       Va dire ça à mon père. Bon, allez, roule ma poule, déclara Joël, le moral à zéro. On na pas avancé et il faut vider tout le garage.
       Toi et tes expressions, pesta Camille. Allez, accélère, jai mal aux bras. Et je hais tes parents.
Â
Non sans grogner, ils sen allèrent tous deux en direction de lénorme poubelle située au bout de la rue, laissant derrière eux entendre à qui le voulait bien le clap-clap de leurs tongs. Arrivés au bout de la rue, ils eurent une pensée assassine pour Pierre et Flavie (leur faire faire des travaux paysagers en punition, à eux, en plein cagnard, non mais sans blague !) et sorganisèrent pour se débarrasser de leurs bagages.
Â
       Je crois commença Camille, qui prenait son élan.
Â
Elle balança sans ménagement les branches dans le container et se frotta les mains pour faire envoler la poussière.
Â
       Je crois que jaurai besoin dune consolation, ce soir.
       Tu lauras, répondit Joël, tout en renversant le contenu la brouette avec sa pelle. Enfin, nous laurons. Surtout que mes parents se cassent.
       Cest vrai ?!
       Ouais. Ils sen vont deux jours voir ma grand-mère en Seine-et-Marne.
       Non ?! Ça veut dire quon va avoir le toit pour nous tous seuls alors ! sexclama la rouquine, ravie, qui lui sauta aussitôt au cou.
       Euh Le toit pour nous tous seuls ?
Â
Â
Au moment où la Lune disparut pour offrir la nuit au bout du monde, les premiers rayons du soleil se dégagèrent de lhorizon. Le Soleil hésitait encore à se montrer vraiment, mais il était tellement éclatant quil neut aucune peine à faire la lumière sur Bobigny, et en particulier, sur le toit du pavillon des Ajacier. Le Soleil avait vu beaucoup de choses depuis des milliards dannées, mais cétait bien la première fois, de souvenir dastre, quil trouvait deux jeunes gens paisiblement endormis à moitié cachés derrière la cheminée. À les deviner nus sous la couverture, le Soleil ne douta pas un instant du genre de nuit que ces deux-là avaient partagée devant la Lune, unique témoin de cette scène damour. Lastre solaire voulut rire et sétira alors plus haut dans le ciel.
Â
Ses rayons vinrent frapper de plein fouet Joël, qui ouvrit difficilement les yeux en grognant. Il rencontra ceux déjà écarquillés de Camille, et au moment de lui dire bonjour, il éternua brusquement.
Â
       À tes souhaits, déclara la rouquine, suspendue à son cou.
       Bordel, répondit Joël dune voix rauque. Cest bien parce que cétait ton fantasme, Laurier ! Ce nest pas un truc que je referai, tu vois. Même si cétait assez sympa globalement, niveau confort en revanche Rajoute à ça les trombes deau qui sont tombées
Â
En effet, si la nuit avait été plutôt romantique, elle nen avait pas été moins fraîche et humide. Joël avait maudit Camille lorsque la pluie sétait mise à tomber au beau milieu de leurs ébats. Cétait sans compter lhumidité matinale qui lui donna la chair de poule et le fit frissonner de la tête au pied. La jeune fille, qui le dévorait des yeux, éprouva un peu de peine pour lui et remonta tendrement la couverture pour le réchauffer un peu plus. Tout comme son compagnon, ses cheveux étaient ondulés et encore mouillés, mais elle avait été plus chanceuse que lui. Etant allongée sous Joël, elle avait pu se délecter toute la nuit de la chaleur quil lui avait procurée, alors que lui-même avait été la première victime du froid et de la pluie.
Â
       Merci.
       Je dois répondre quelque chose ?
       Non, sourit Camille. Je rêvais de faire ça sur le toit, mais je ne pensais pas que ça pourrait marriver un jour. Jai adoré.
       Ah, cest le label qualité Ajacier, plaisanta lintéressé avant denfouir à nouveau sa tête au creux de son cou tellement le soleil léblouissait. Rah, ce soleil ! Quest-ce quil fait mal aux yeux, putain !
       Moi jadore les levers de soleil. Ils sont tellement plus puissants que les couchers. Je ne sais pas pour toi, mais à chaque fois que jen vois un, ça me donne de lespoir. Quand il fait nuit dans mon esprit, je me dis toujours que le soleil se lèvera bientôt et quil éclairera ma route.
       Mouais, mouais, mouais fit Joël, qui navait jamais été très convaincu par le non-concret. Tu mexcuseras, mais pour moi, ils sont tous pareils.
Â
Faisant mine dêtre vexée, lEspionne lui donna un gentil coup de genou et ils se redressèrent tous les deux pour sasseoir en tailleur. Enroulés étroitement dans la même couverture, ils se faisaient face. Joël bâilla à sen décrocher la mâchoire, sinterrompit pour tousser puis reprit ses étirements. Camille vint se blottir contre lui, la tête contre son cur.
Â
       Comment tu vas expliquer à ta mère que tu tes enrhumé en plein été ?
       Je ne sais pas. Je dirai probablement que cest encore de ta faute. Rien à faire, même quand on sort ensemble, tu trouves le moyen pour me pourrir la Oh Camille !
Â
Son regard sétait arrêté sur la longue cicatrice rouge qui fendait la poitrine de la jeune fille et sétirait hors de la couverture. Il venait davoir une révélation. La Révélation !
Â
        Camille.
        Hmm ?
        C'est ça, le Truc.
        Quoi ?
        C'est ça, le Truc, répéta Joël, en pointant du doigt la cicatrice.
        Le Truc, fit la jeune fille, sceptique.
        Oui, le Truc qui fait que deux personnes s'aiment et qu'elles sont sûres de s'aimer, mais vraiment très fort, c'est quand elles sont prêtes à mourir l'une pour l'autre.
Â
Camille réfléchit quelques instants, puis saccorda à penser que Joël navait pas tort. Elle tapota sur les mains de son compagnon avec son petit air bien elle.
Â
        T'es salement romantique, Ajacier. Mais je suis d'accord avec toi. Cela dit, même si je suis flattée, je t'interdis d'en arriver là pour moi un jour.
        Je le ferai si c'est nécessaire, répliqua très sérieusement Joël. Je ferai tout ce que je pourrai pour te protéger.
        Non.
Â
La fermeté de sa voix ne le surprit que très peu. Tandis quelle enroulait ses bras autour de son cou avec son air suffisant, elle sévertuait à lui faire la leçon comme une maîtresse à son élève. Joël savait dores et déjà quil ne pourrait changer la décision de Camille, mais lidée que le sacrifice amoureux de leur couple nallait que dans un sens le contrariait assez.
Â
        Tu as une vie trop précieuse pour la gâcher et une âme trop pure pour tuer des gens mauvais. Je ne veux surtout pas que tu en arrives là. Tout ça, cest mon boulot, Joël. Je taime assez pour prendre en charge ton Truc et le mien. Et puis, franchement, à quoi serviraient tous les sacrifices que jai faits pour toi si tu clamsais pour moi ? Pauvre garçon, tu ne sais même pas comment faire pour mourir, tu risquerais même de te rater tellement tu es nul. Laisse faire ça aux professionnels, tu veux ?
Â
Joël ne répondit pas, et de toute manière, lEspionne nattendait aucune réponse. Tous deux tournèrent la tête vers le Soleil qui éclairait désormais Bobigny de toute sa splendeur. Au loin, les hauts toits irréguliers de Paris se distinguaient suffisamment pour les reconnaître. Joël ne les connaissait pas. Camille, si. Pour elle, les toits parisiens nétaient pas de simples toitures que lon reconnaissait depuis des kilomètres. Les toits de Paris, elle le savait, seraient la suite et fin de son histoire avec les Espions.
Â
Â
Â
Marcher ensemble, sauter ensemble
Cest parfait
Tomber ensemble, mourir ensemble
Cest parfait
Â
Marcher ensemble, sauter ensemble
Tomber ensemble, mourir ensemble
Partir en cendre, ne rien entendre
Finir en sang
Ne plus attendre, ne plus attendre
Â
Finalement, on reste dans le cocon familial Ajacier durant tout le chapitre, mais ce n'est pas pour me déplaire. Un peu moins de Douceur, mais un peu plus de Joël x Camille, alors ça compense. La dissolution des Espions amène une sorte de trêve, même si Camille explique bien qu'elle ne sera pas éternelle. Mais cette trêve lui permet enfin de goûter au bonheur, alors tant mieux !
Et puis la thématique du "Truc" est tellement mignonne, ça m'a fait fondre ! Je n'ai qu'un mot à dire : Bravo ! ^^
Alooooors *o* J'ai vraiment aimé ce gros gros chapitre. Mais genre vraiment. D'ailleurs, la prochaine fois que je te vois dénigrer tes textes sur le forum, je te mords, Clochette. Et le fait qu'une grenouille n'ait pas de dents n'y change absolument rien :P
De toute façon, ça fait longtemps que je me dis que pour moi, Polichinelle, tout comme le 36, fait partie de mes textes préférés sur PA. Tu as une manière bien à toi d'écrire, de décrire les personnage, des les rendre si vivants, si attachants, si humains que c'est un vrai plaisir de plonger dans tes univers.
Ah, Camille... Son plan pour arriver à ses fins était beau, du début à la fin *o* Je l'aime cette petiote. Louer un toit, faut trouver quand même xD Et ses petites escapades nocturnes dans la chambre de Joël ♥ Et puis, Camille quoi ♥♥♥ Enfin, Joël n'est pas en reste :P La scène avec ce pauvre Joël emprisonné par la machiavélique Camille sur le canapé était particulièrement tordante *o*
Hum, je crois que j'avais encore plein de choses super intelligentes à dire. Enfin, m'en souviens pas, donc devaient pas être si intelligentes que ça...
Ah si, quand même. Les vraies retrouvailles de Camille et de Joël m'ont transformée en fondant au chocolat ♥ Tout comme le largage de la pauvre copine (owi).
Bon, je crois que je pourrais y passer la nuit. Mais je me contenterai de rajouter une chose - love you, Clochette ♥
Merci, merci beaucoup, même si je n'en attendais pas autant ! Mais on a bien le droit de se remettre en question sur ce qu'on écrit quand même, rien n'est parfait, scrogneugneu, on a bien le droit de douter quand mêmeuh. ^^ Bref... Je ne sais plus quoi dire, ça faisait longtemps que je voulais répondre à ton commentaire, ce que j'avais fait un jour mais l'ordi avait planté et Firefox n'avait rien récupéré - évidemment.
Autrement, eh bien écoute, je suis super contente que cette histoire - qui me tient pas mal à coeur malgré les difficultés que je rencontre - te plaise tant et c'est un véritable plaisir pour moi de te compter parmi mes lecteurs. ^^ Egalement ravie que tu adores Camille, qui est une fille de papier trop gâtée à mon goût (on lui passe tous ses caprices, franchement, si c'est pas honteux).
Bref, je le répète, je suis très très très contente de ta réaction. Ce "petit" chapitre bien "quotidien" aussi me paraissait essentiel pour terminer sur une note légère avant le retour aux choses sérieuses. Et puis, c'est la dernière fois qu'on les voit à 17 ans alors zut, fallait en profiter. ^^
Un gros merci à toi et plein de bisoudoux sur le nez ! Love you too Sejounette ! ♥