Chapitre 9: Retrouvailles au crépuscule

Notes de l’auteur : J'espère que vous apprécierez. J'aimerais beaucoup entendre vos avis.

  De longs cheveux mordorés tombaient en cascade sur ses épaules, tandis que ses yeux cendrés, tel un ciel orageux, regardaient la jeune femme. Ses mains rugueuses lui tendaient un mouchoir brodé de fil d'or. Elle se releva rapidement du sol froid, essuyant les larmes au coin de ses yeux. Ce mystérieux inconnu portait une chemise légèrement déboutonnée qui laissait entrevoir son torse, où étaient inscrites des runes. Son visage fin, presque efféminé, contrastait avec son corps d’athlète. Une boucle d'oreille ornée d’une émeraude brillait sous la lumière du soleil. Il semblait sorti d'anciennes légendes oubliées. Les yeux de Laria se perdaient dans la contemplation de cet être aux allures antiques. La voix douce et mélancolique de l'homme dit alors :

— Vous allez bien ? 

  Ses yeux embués de larmes troublaient sa vision, transformant le monde en une estampe dont elle ne pouvait en distinguer que les formes. Comment vivre, sourire et aimer ? Elle ne savait pas. Elle était vide, tandis que ses pleurs constellaient son visage de fines gouttelettes, comme pour cristalliser sa peine. Les mains tremblantes, elle prit le mouchoir de soie. Le tissu effleurait sa peau, tandis qu'elle essuyait son visage.

— Vous venez vous recueillir.

  Laria sentit monter en elle sa rage et son amertume, se muant en cri. Elle pleurait comme un enfant. Ses sanglots étouffés avaient fait place à un cri désespéré du cœur.

  L'homme ne dit rien, regardant la jeune femme hurler sa peine au monde. Elle semblait prête à se briser à chaque souffle de vent, comme emportée par la brise de ses sentiments. Le monde était devenu silencieux, ne laissant entendre que les pleurs d'une jeune fille esseulée. Les quelques rares passants la dévisageaient avec pitié, tandis que le ciel se couvrait, cachant le soleil derrière les nuages.

  Le temps continuait inexorablement sa course, et les larmes de la sang-mêlé finirent par se tarir. Il ne restait plus que des cris comme un hymne à cette douleur rongeant son âme. Elle n'avait plus l'énergie. C'est alors qu'elle entendit des gargouillements. La faim tiraillait son ventre. L'homme se pencha vers elle et dit :

— Tu devrais manger. Quels que soient ceux que tu pleures, je pense qu'ils ne voudraient pas te voir ainsi.

  L'inconnu regardait fixement l’arbre des hommages, avant de se retourner vers la jeune femme.

— Je te paye le repas si tu veux. Je ne vais pas laisser une aussi belle demoiselle seule dans les rues. On ne sait pas qui tu pourrais rencontrer, ajouta-t-il d'un rire amer.

  Laria n’avait plus la force de lutter. Qu’importe qui il était et ce qu’il voulait, elle cherchait juste un peu de chaleur. Elle ne souhaitait qu’une main tendue. Elle avait besoin d’une personne sur qui s’appuyer. Peut-être était-il celui qu’elle attendait ? Leur rencontre ne serait-elle qu’un battement de cils dans son existence, ou  scellerait-elle leurs destinées. Seul le temps avait la réponse, et cela lui importait peu.

  Laria attrapa cette main, suivant l’ombre de cet homme à travers les ruelles. Leurs pas résonnaient sur les pavés. Une devanture rouge se détacha au loin. Il s’engouffra à l’intérieur, suivi de la sang-mêlé.

  L’odeur du vin, les beuglement des clients, le bruit des couverts qui s’entrechoquent, elle était de retour dans une taverne. Le tenancier s’approcha d’eux et les conduisit à une table dans le fond. Une lumière tamisée éclairait la pièce.  Laria s’assit en face de cet étranger, dont elle ne savait rien, et demanda dans un hoquètement:

— Tu t’appelles comment ?

  Il rit avant de dire :

— Tu peux m’appeler Elros. Et toi ?

— Moi, c’est Laria.

  Le tenancier bedonnant affichait un sourire, tandis qu’il griffonnait sur un vieux bout de papier leurs commandes. La jeune femme ne prêtait pas attention à ce qu’il se passait. Rien n’avait d’importance. Elros lui jeta un regard avant de demander :

— Tu veux manger quelque chose en particulier ? 

— Prend ce que tu veux, répondit-elle las.

— Alors ce sera deux rôtis d’agneau avec des légumes. 

  Le gérant s’en alla, laissant Laria seule avec cet homme qu’elle venait de rencontrer. Aucun bruit ne sortait de leurs bouches. Ils se contentaient de se regarder dans l’attente de leur repas. Elle remarqua son reflet dans ces yeux argentés. Depuis combien de temps  ne se voyait-elle plus elle-même? Elle avait oublié qui elle était pour ne laisser qu’un être animé  par une vengeance vaine. 

— Sinon… Ça va mieux, demanda Elros à mi-voix.

  Elle le regarda, atterrée par la réalité. Elle avait pleuré et hurlé devant cet étranger. Elle sentit ses oreilles s’empourprer avant de marmonner :

— Comment est-ce que je pourrais aller bien. 

  Le monde, les humains et les dieux étaient cruels. Ils lui avaient tout pris, allant jusqu’à lui voler  son envie de vivre.

— Tu as perdu des membres de ta famille. 

  L’homme la regardait avec tendresse avant d’ajouter :

— Moi aussi… on m’a enlevé les miens.

  Laria le regarda avec compassion. Ils se ressemblaient. Elle pouvait voir au fond de son âme la même flamme éteinte que rien ne rallumerait.

— Je suis désolée pour toi, murmura la sang-mêlé. 

— Cela fait si longtemps que leurs visages ont petit à petit disparu de ma mémoire, souffla Elros. J’ai fini par m’y faire.

— Je ne me souviens pas du visage de ma mère, mais je sais qu’elle m’aimait plus que tout.

  Un silence pesant s’installa alors. Le tenancier apportait leur repas. Les mains épaisses et calleuses de l’homme déposèrent les plats devant les deux comparses. Le parquet grinça sous son poids, avant qu’il ne s’en aille servir d’autres clients. Sur la table étaient disposés deux rôtis d’agneau, accompagnés d’une poêlée de légumes, et de vieux couverts d’étain. Elros prit l’assiette de Laria et commença à découper la viande. La sang-mêlé reprit son repas en rougissant.

— Merci, chuchota-t-elle.

— De rien. 

  Il lui souriait. Peut-être se reconnaissait-il en elle. Elle sentait son cœur inondé d’une douce chaleur. Il avait écouté son cri de désespoir. Ses sentiments avaient enfin atteint quelqu’un. Le regard perdu dans le vague de ses souvenirs, le monde avait disparu. Plus rien n’existait. L’homme l’interpella alors et dit :

— J’ai l’habitude de dessiner ceux que je rencontre pour ne plus oublier leurs visages. Je pourrais faire ton portrait ? 

  Il semblait n’être qu’un pantin désarticulé en proie à ses émotions. Ses yeux étaient remplis de regret. Il était comme elle.

— D’accord, murmura Laria en rougissant. 

  Elle n’osait pas lui poser plus de questions. Dessinait-il dans l’espoir de revoir ceux qu’il a aimés à travers ses croquis ? Elle aussi aimerait apercevoir, ne serait-ce qu’un instant, le visage de sa mère. L’homme se leva, faisant virevolter ses longs cheveux aux reflets d’or.

— Je vais chercher de quoi faire ton portrait. Il y a un petit magasin à deux pas. Ce sera rapide, stipula-t-il.

  Elle le regarda s’en aller. Sa silhouette se dessinait au loin. Il passa le pas de la porte et disparut. Reviendrait-il ? Une boule enserra son ventre. Elle retenait son souffle dans l’espérance de le revoir. Les aiguilles du temps continuaient de tourner, et personne n’apparut. C’est alors que la porte d’entrée grinça, laissant le vent tiède de l’après-midi s’engouffrer. L’homme aux yeux cendrés s’assit en face d’elle, calepin en main. C’était Elros.

— Tu n’as pas touché à ton assiette. Tu n’aimes pas, demanda-t-il inquiet.

— Non. C’est succulent, répondit Laria paniquée. 

  Elle commença alors à goûter la poêlée de légumes, tout en savourant chaque morceau de viande découpé par cet étranger. Elle observait du coin de l’œil Elros qui faisait son croquis. Ses longs cils, ses traits fins, ses cheveux mordorés, tout semblait irréel comme hors du temps. Il dessinait calmement chacun des traits du visage de la sang-mêlé. Elle finit rapidement son assiette, et le fixa de ses yeux bleu glacés. Les heures passèrent sans qu’elle ne s’en rende compte. Elros releva la tête, et dit :

— J’ai fini.

  Il lui tendit le calepin. Dessus elle pouvait voir son visage larmoyant. Il semblait qu’il avait capturé une partie de son âme dans ce dessin.

— J’aimerais le garder. Si ça ne te dérange pas bien sûr, ajouta-t-il.

  Elle lui sourit et acquiesça. Les mains tremblantes, elle lui rendit le portrait. L’homme se leva et alla au comptoir. Elle le vit sortir quelques pièces de cuivre de sa bourse, avant de revenir vers la jeune femme.

— J’aimerais te montrer un endroit.

  Elle sentit son corps se lever et suivre cet inconnu. Elle marcherait sur ses pas autant qu’il le faudrait. Elle était seule et il lui avait tendu la main. Une force invisible semblait les lier. Peut-être n’était-ce que son désespoir ? Elle ne voulait pas savoir. Il était sa lueur, même si ce n’était que le temps d’un instant.

  Ils sortirent de la taverne. Le soleil commençait à zébrer le ciel de ses  rayons orangés, tandis que la brise printanière caressait son visage. Les rues résonnaient toujours de rires bruyants. Elle essaya d’oublier cette joie qui l’entourait, et continua d’emboîter le pas. Les avenues se  firent de plus en plus étroites, avant d’arriver à la bordure de la ville.

  Ils montèrent une butte de terre, loin du tumulte du monde. Le soleil couchant dessinait leurs ombres au sol, tandis que les herbes ondulaient au gré du vent. Elle le vit  esquisser un sourire mélancolique, avant de se tourner vers elle.

— Aimerais-tu revoir ta mère ?

  Elle ne savait pas pourquoi il lui demandait quelque chose d’aussi évident, mais elle dit :

— Ce serait merveilleux…

  Il la regarda une dernière fois avant de se retourner.

— Ne pose pas plus de questions. Je t’attendrais en bas. Dis-toi que c’est le présent d’un pêcheur. 

  Elle le vit redescendre le monticule. Elle voulut attraper sa main, mais son corps resta figé. Une magie semblait l’empêcher de bouger. Un sentiment inconnu l’envahit, entre peur et espoir.

  Elle sentit une présence derrière elle. Un souffle froid, comme fantomatique, envahit l’air. Elle vit alors une femme aux longs cheveux châtains la regarder. Elle avait des yeux révulsés, dont on ne voyait pas l’iris. Ce qu’on qualifiait de miroir de l’âme avait disparu. Laria sentit des larmes rouler le long de sa joue. Elle le savait. C’était sa mère. Elle en était certaine. La femme entrouvrit ses lèvres pâles pour laisser s’échapper une voix douce.

— Laria…

  Sa mère la scruta avant ajouter :

— Ma petite fille a bien grandi. Elle est devenue une belle femme. 

  Son ton changea ; et elle se rapprocha de la sang-mêlé.

— Que sont devenues tes ailes et ton magnifique sourire ? 

  La jeune fille ne savait quoi répondre devant cette femme qu’elle ne pensait jamais revoir. Malgré tout elle murmura :

— Ne t’en fait pas. J’ai une belle vie. Mes ailes ne sont pas un problème. 

  Elle se sentit honteuse de les avoirs arrachées de ses propres mains.

— Je n’ai pas beaucoup de temps. Le voile entre les mondes a été déchiré mais il faut que je retourne parmi les morts, dit Irène avec tristesse. J’aimerais savoir tant de choses sur toi. Mais avant tout, es-tu heureuse ?

— Oui. J’ai rencontré une adorable famille qui m’a élevée. J’ai pu arrêter de mendier et découvrir un nouveau foyer. 

  Laria savait qu’elle mentait. Elle ne se sentait pas à sa place chez les Carter, mais qu’importait la vérité. Elle voulait juste rassurer sa mère, qui avait donné sa vie en échange de la sienne. Plein de questions lui brûlaient les lèvres.

— Maman, tu n’as aucun regret de m’avoir sauvée alors que je ne suis même pas ta fille biologique. 

  Un silence s’installa avant qu’Irène affirme d’une voix claire et assurée :

— Je n’ai jamais pensé un seul instant que j’aurais dû te laisser mourir. Je préfère donner ma vie un million de fois, si cela permet de te sauver. Tu as tant de choses à découvrir. Je suis heureuse de voir que tu as survécu, et que tu as trouvé ton propre bonheur. Je craignais que tu sois contrôlée par la vengeance. J’aimerais que tu rencontres l’amour et vieillisse entourée de ceux que tu aimes. 

  Laria était atterrée. Elle ne vivait que dans le but de pourfendre celui qui avait ruiné sa vie. Pourquoi chercher un bonheur qui s’était déjà envolé ? Elle ne comprenait pas, mais elle ne pouvait rien dire.

— J’aimerais te dire au revoir ma petite fée. Je ne peux malheureusement pas rester dans cet endroit que j’ai déjà quitté. J’espère te revoir le plus tard possible. 

  La sang-mêlé sentit un baiser glacé sur sa joue.  Elle frissonna. Elle avait encore tant de questions sans réponses. Sa mère s’en allait à nouveau, mais elle avait pu la revoir. Le visage d’Irène s’effaça, ne faisant qu’un avec le ciel. Elle disparut aussi rapidement qu’elle était apparue. Ses jambes se dérobaient sous elle, tandis que les premières étoiles apparaissaient dans le firmament.

  La jeune femme se releva difficilement, et descendit chancelante la butte de terre. Le mystérieux inconnu l’attendait en bas. Elle s’approcha de lui avant de murmurer un merci voilé de mélancolie. L’homme inclina la tête avant de s’en aller dans la nuit, englouti par les ténèbres de la ville. Elle cria alors :

— Je vous attendrais ici demain.

  Elle n’entendit aucune réponse, mais elle le reverrait. Elle en avait la certitude.

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