Chapitre 9 - Soucis médicaux

Par Azurys
Notes de l’auteur : 9e chapitre des aventures d'Honorine à l'académie : la pauvre élève a vu son poignet se faire broyer lors d'un accident pendant une leçon de mécanique. Malgré les intéressantes discussions qu'elle a échangé avec ses camarades avant l'événement, la douleur est tout ce qui importe désormais. Heureusement, une jeune élève mystérieuse a pris l'initiative d’accompagner Honorine jusqu'à l’infirmerie, où sa douleur devrait normalement prendre fin.
Bonne lecture à tous !

— Elle ne t’a pas épargnée, cette saleté.

Honorine sonda son poignet broyé du bout des doigts et songea que non, effectivement, ça ne l’avait pas épargnée.

— J’aurais voulu essayer de te soigner, mais…

— Tu ne peux pas.

Les yeux orangés de la petite élève grossirent d’un coup, brillants, tournés vers la blessée. Leur tendresse évoquait celle d’une cuillère de miel.

— Comment ça, je ne peux pas ?

— Tu ne peux pas, c’est comme ça. Je ne peux pas non plus. La magie d’or ne réagit pas avec les os. Aucune magie ne réagit avec les os, en fait. Ne t’en veux pas pour ça.

— Oh… Oui.

Un long silence s’installa dans le sas. Les deux jeunes filles n’entendaient ni le labeur de leurs camarades dans la tunnellerie, ni les courants d’air fantomatiques parcourant le hall suspendu de l’autre côté de la colossale porte métallique. Juste quelques vibrations profondes en provenance de la tuyauterie.

— Depuis… depuis combien de temps uses-tu de cette magie ? souffla péniblement Honorine entre deux lancements de douleur.

— C’est toi qui m’en as donné envie.

Un nouveau foudroiement d’étonnement survint. Comment ça, elle ?

— Quand je te vois manipuler ce que tu veux comme bien te fasse avec cette énergie… ça m’inspire. Le coup des rouages, dans la salle aux orgues, c’était fabuleux ! Impossible d’effacer cette image de mon esprit. Ces roues de plomb, toutes membres d’une grande danse synchronisée…

La petite fille ne semblait pas à l’aise avec l’expression de son admiration. C’était comme si elle marchait sur des braises incandescentes. Mais ces braises s’illuminaient parfois, ce qui était le cas à l’instant même. L’élève blessée vit dans son visage une personne nouvelle. Durant leurs premiers mois à partager la même classe, Honorine doutait de lui avoir seulement adressé un regard. Aujourd’hui, c’était précisément cette jeune fille rousse au visage attendrissant qu’elle souhaitait auprès d’elle pour affronter la douleur.

— Ca me touche, répondit Honorine, réservée.

Elle aurait voulu obtenir une réponse, ne serait-ce que pour sonder un peu plus la voix de son interlocutrice. La situation ne s’y prêtait pas parfaitement, toutefois.

Le sas de la tunnellerie finit par s’ouvrir du côté du hall. Le courant d’air glacial s’engouffra, comme à son habitude à travers toutes les portes ouvertes, et le poignet d’Honorine en fut presque anesthésié. Les deux élèves se mirent à frissonner, le choc comparé à l’air de la tunnellerie, humide et lourd, était digne d’un bain d’eau glacée. Cependant, leur objectif immédiat était l’infirmerie, située dans le bâtiment administratif, et la jeune fille aux cheveux platine craignait pour son poignet. Le dialogue était difficile avec sa camarade, entre deux lancements de douleur brûlante. Elles devaient se dépêcher, qui sait le danger que son articulation courait réellement.

— J’espère que ça ne te dérange pas que je t’accompagne, avança tremblottante l’élève modèle alors qu’elles s’engageaient sur l’escalier du hall. Je peux toujours essayer d’alléger ta douleur, si tu veux.

— Non, ça ira. Je vais me débrouiller. Parle moi… d’autre chose. Ta magie d’or.

« Je suis une effroyable partenaire de conversation », pensait-elle. Au moins, la gêne l’empêchait de ressentir la douleur.

— Ma magie d’or ? Eh bien…

La jeune rousse s’anima d’une quinte de toux étonnamment douce, presque amusante.

— Je ne sais pas quoi te dire. J’ai appris grâce à des bouquins, dans la bibliothèque de la Cité. Il n’y en a pas beaucoup à ce sujet, alors je les ai relu encore et encore. C’est une magie compliquée, et je pense que ses fondamentaux m’échappent encore. L’autre jour, en essayant d’enfoncer un clou en plomb dans un mur, le clou s’est brisé en deux et la tête a fusé sur mon front. Je crois que j’ai encore une marque…

Honorine esquissa un sourire spontané, qui contamina son interlocutrice.

— Oh, tu peux rire, je te le permets. Je suis minable lorsqu’il s’agit de faire les choses seule. Je n’en ai pas l’habitude. Toutes mes connaissances viennent de l’école, de l’académie, de mes cours particuliers, de mes parents… Je me demande si ce sont tes parents qui t’ont inculqué la maîtrise de la magie d’or, à toi.

Un court silence. L’escalier était vide. Le ciel onirique dégringolait de sa lueur bleue par le puits de lumière.

— Imagine que oui.

— Excuse-moi, je ne suis pas sûr que c’était un sujet intéressant… Je voulais juste entretenir la conversation.

— C’est gentil de ta part, même si c’est effectivement un sujet très inintéressant. La magie d’or est une puissance encore très mystérieuse, qu’aucune école, aucun professeur n'arrivera à t’enseigner. Ce qui est primordial lorsque tu en uses, c’est de bien localiser sa source.

— Sa source ? Dans les livres, ils disent qu'il s'agit de nos propres organes vitaux. Le cœur et les poumons, c’est ça ?

Elle disait cela en portant une main sur sa poitrine, puis sur son estomac, comme pour sonder la réalité de ses propos. En fait, elle ne paraissait pas certaine du tout.

— Ca, c’est sa source concrète, oui. C’est pour ça qu’il est important de bien la maîtriser, pour éviter de se faire du mal. Mais cette énergie n’est pas soumise à des ordres, comme la magie bleue. C’est plus profond que ça. C’est ce que j’entends, quand je parle de « source ».

— Je comprends…

Honorine émit un doute sur ce postulat, mais se ravisa à l’idée d’entrer dans les détails.

— Et toi, comment as-tu appris la magie d’or ? reprit la jeune rousse après un silence, d’un ton allégé.

— Moi ? Toute seule. Ca m’est tombé dessus, disons. Je ne suis pas sûr que ce soit si intéressant à raconter.

La petite élève semblait perdre ses mots au fur et à mesure de la discussion. De toute évidence, une objection pendait à ses lèvres, mais elle aussi se ravisa. Quant à Honorine, elle songeait qu’il était peut-être temps d’apprendre le nom de son interlocutrice. Elles avaient parcouru la moitié de l’escalier vers l’administration et l’infirmerie, et le temps devenait très long. Au moins, la douleur au poignet s’estompait.

— Excuse-moi, je suis un peu honteuse de te demander cela maintenant, mais… je crois que je ne connais pas ton prénom. Je suis Honorine.

— Iona, répondit-elle légèrement de sous sa frange. Ionawyn, en entier, mais personne ne m’appelle comme ça.

Iona… je me souviens avoir entendu son prénom. Une seule fois…

— Enchantée, Iona. Il n’est pas trop tard pour faire connaissance, et j’en suis ravie.

Iona s’anima d’un sourire étonnamment expressif, toujours aussi avare en paroles. Finalement, le reste de l’ascension fut le théâtre d’une discussion enjouée entre les deux nouvelles amies, à propos de leur rapport à la magie et à l’académie. Honorine découvrait une fille d’une maturité exceptionnelle, aux grandes ambitions, le tout dissimulé sous un tempérament effacé et une éducation au-delà du strict. Il était regrettable pour elle qu’un tel esprit soit complètement refoulé par des parents avides de pouvoirs sur leur seule possession au-delà du matériel. Elle s’anima à nouveau de sa magie d’or, que Iona, contrairement à quiconque d’autre, admirait avec un sourire. La colère d’Honorine se calma aussitôt. Et heureusement, car l’énergie lui manquait.

— Je vais parler à Cassandra, assieds-toi le temps que l’infirmière t’accueille, proposa Iona devant la sobre porte de l’administration.

Assise dans l’antichambre, entourée d’une poignée d’adultes et de Ionawyn, à sa droite, Honorine sentait son estomac se recroqueviller et lui lancer une douleur brûlante, grouillante. Le stress la dévorait littéralement de l’intérieur, elle était incapable de parler. De toute façon, l’antichambre était si silencieuse, malgré les grattements de stylo frénétiques de la secrétaire, qu’il était tout à fait déplacer d’y discuter. Iona se tenait droite, sage comme une image, les yeux paradant tantôt sur le sol, tantôt sur les murs, puis à nouveau au sol. Ses grands yeux nerveux évoquaient également un stress.

A la surprise d’Honorine, parmi les visiteurs de l’académie se trouvait à nouveau un individu en costume noir élégant aux dorures rayonnantes. Les yeux dissimulés sous une visière en bismuth et les cheveux noués vers l’arrière en une courte queue de cheval, il était difficile pour Honorine de le reconnaître. Certainement la même personne que la dernière fois, lorsqu’elle traversait l’administration pour trouver Sylvain. En tout cas, sa posture et sa carrure étaient identiques en tous points.

Après cinq pénibles minutes d’attente, l’infirmière se dévoila depuis la salle des professeurs, enroulée dans une tunique immaculée tintante d’outils en tous genres. Cassandra, la secrétaire, adressa un hochement de tête attendrissant à la jeune blessée qui s’engagea sur les pas de la femme en tunique, non sans un dernier regard inquiet pour Iona.

 

 

La chevelure brune et ondulée de l’infirmière avait beau être coupée court, à peine en dessous des oreilles, une odeur de désinfectant valsait autour comme les anneaux d’une planète. L’avantage étant qu’il était toujours facile de localiser la soigneuse en cas de pépin. En l’occurrence, cette dernière se tenait cambrée au dessus de son plan de travail, imbriquant des outils brillants les uns dans les autres.

— Détends-toi bien Honorine. Surtout, pas de ta magie d’or pendant mes auscultations. Je dois t’injecter un antidouleur.

— Je n’ai pas mal.

— C’est sacrément inquiétant, alors, répondit la jeune femme d’une voix douce, tout juste perceptible.

Pincettes, petites scies à métaux, fioles vides, bâtonnets métalliques, une véritable guirlande d’outils pendait autour de sa tunique. Honorine n’était pas habituée à recevoir de soins des autres, et la médecine classique l’effrayait terriblement. Malheureusement, l’état de son poignet était suffisamment pitoyable pour la contraindre à rester calme. Les contusions et hématomes, qui se résumaient à quelques coulées de sang il y a à peine dix minutes, s’étaient transformées en un vilain anneau mauve étreignant sa peau. L’infirmière se retourna enfin, un outil voilé par un morceau de tissu opaque dans sa main. Ses yeux noisette, grands et cernés, évoquaient une douceur bienvenue.

— Que s’est-il passé alors ? interrogea la femme en tâtant l’avant bras d’Honorine.

— Un travail de groupe dans la tunnellerie…

— Ah, cette tunnellerie. Chaque fichu vis dans cette pièce miteuse pourrait tuer un homme.

— …on devait réparer un chauffage public. La barre de fonte s’est refermée sur mon poignet alors que j’en examinais le mécanisme.

Un haussement de sourcil souleva le visage de l’infirmière, qui retint son commentaire pour autant. Le sourcil retombé se fronça finalement, comme si la femme mastiquait soudainement une boule de poussière. Honorine sentit une vive douleur dans son bras, puis plus rien. Son poignet n’était plus qu’un élément étranger, flasque et misérable.

— Bon, je vais devoir opérer. Heureusement pour toi, cette académie est bien la seule au monde où l’infirmière peut opérer au sein même de l’infirmerie ! Ne t’inquiète pas, c’est une opération simple et sans grosses séquelles, j’en aurai pour vingt bonnes minutes.

Le cœur de la blessée se mit à battre un rythme insoutenable, suppliant pour sortir de sa cage. La jeune fille dut se faire violence pour retenir sa magie rebelle, qui commençait à pulser violemment à travers son corps. Elle pensa ensuite à Iona, qui devait l’attendre patiemment dans l’antichambre.

— Ma camarade… vous devriez la prévenir, je pense qu’elle doit m’attendre.

— Oh bien sûr ! J’y vais. Ne bouge pas, je serai là dans dix minutes le temps de réunir le matériel nécessaire.

Et de fermer la porte derrière elle, d’un léger clac qui instaura le silence. Honorine se retrouvait seule avec elle même dans un environnement qui l’inquiétait plus qu’autre chose. Heureusement, elle avait des pensées à entretenir. Le sourire d’Iona s’imprima quelques secondes sur sa rétine et la contamina en retour. Ensuite, ce fut le visage d’Ambroisie, à la fois tendre et inquiet, qui l’avait tant surprise il y a bien deux heures dans la salle aux orgues.

Rester en dehors des intrigues de l’administration, c’est ce que la remplaçante lui avait demandé. Pendant ce temps, Tenailles restait étrangement silencieux, le regard fuyant. Plus tard, le professeur Desonges intimait à ses élèves qu’ils les soutiendraient dans leur enquête. Mais quelle enquête ? Et pourquoi tenait-il à ce que le sujet ne soit pas abordé au sein de la tunnellerie ? L’Automate avait-il son rôle à jouer ? Ce qui expliquerait aussi ses non-regards insistant portés sur Honorine. Au fur et à mesure qu’on lui demandait de s’écarter de cette intrigue, l’élève sombrait de plus en plus dans le mystère. Un mystère qui l’intriguait plus qu’autre chose au départ, mais qui finissait par l’inquiéter profondément. D’autant plus qu’elle n’était plus seule à savoir, ses camarades s’intégrant petit à petit dans l’équation. Toutefois, elle n’avait toujours aucune idée de comment agir. Tout allait vite, trop vite. Aucun temps pour réfléchir, encore moins pour agir, et maintenant cette blessure si malvenue.

Soudain, les murs vibrèrent. La porte d’à côté venait d’être claquée, et des pas lourds retentissaient dans la pièce en question. Ce que renfermait cette salle, cela Honorine n’en avait aucune idée. Mais sa curiosité était piquée, il était temps d’écouter aux portes. Cela s’annonçait compliqué sans sa magie d’or, mais le silence était tel que la tâche fut plus aisée que prévue. Des raclements de chaises résonnèrent à leur tour, puis un court silence. Honorine sentait la tension s’installer alors même qu’elle était extérieure à la scène. Ses poils se hérissèrent malgré le chauffage confortable.

Le premier signe de vie qu’elle perçut fut un raclement de gorge suivi d’une voix basse, profonde, une voix d’homme sans aucun doute. Une importante partie des mots prononcés lui échappèrent cependant, ce qui donnait à l’écoute un air énigmatique.

« Allez-y… avant la fin de la semaine… ».

Un silence. Une autre personne, muette comme une taupe, semblait dégainer du matériel qu’elle posa sur une table. Un entretien ?

«  Tout d’abord, faites parvenir que… des défauts conception… pas au point.»

Capter le sujet le sujet de la discussion à travers un tel mur relevait du défi et la jeune fille peinait à en extraire les tenants et aboutissants. Elle n’osait pas non plus aller coller son oreille contre le mur, évitant une confrontation honteuse avec l’infirmière lors de son retour. Cependant, le ton sérieux, proche du sévère, que prenait la voix était suffisamment révélateur. Quelque chose se tramait. Un nouveau silence s’éternisa, offrant à Honorine tout le loisir d’apprécier l’environnement de l’infirmerie. D’innombrables fioles s’alignaient sur des étagères de bois de marbre couronnant la pièce, auxquelles pendaient une myriade d’outils et d’équipement métalliques. Ces-derniers se mirent à vibrer de plus en plus fort, au rythme des pas de l’infirmière déjà sur le retour. La porte s’ouvrit en même temps que la discussion reprenait dans la pièce d’à côté. La dernière bribe d’infirmations que Honorine capta fut «Ensuite… des accidents à cause de ça, des graves accidents. Citez le cas Siglinde.» . Le cœur de l’élève manqua un battement.

Siglinde ? Ténèbres… Pas maintenant !

— Excuse-moi de t’avoir fait attendre jeune fille. Ta camarade est retournée à la tunnellerie, elle m’a gentiment demandé de te souhaiter bon courage d’ailleurs. Vous avez l’air d’être proches toutes les deux, c’est une bonne chose que d’être bien entourée !

Une mallette saillait de sous le coude de la femme, pleine de terrifiants, sans aucun doute. Le cœur de la jeune fille redoubla dans sa frénésie malgré le sourire persistant de la soigneuse.

— Je t’invite à te lever et à patienter trente secondes derrière moi, si tu le veux bien.

Honorine s’exécuta, toujours rongée par le secret qui se dévoilait derrière les murs, et tremblante de terreur. La surprise capta cependant son attention lorsque l’infirmière, d’une impulsion de magie bleue, invoqua la salle d’opération. L’une des questions de la jeune blessée, à savoir « où pouvait bien se cacher une salle d’opération dans une si petite pièce », trouva une réponse de la plus imprévisible des manières : un plateau tournant, sur lequel reposait le lit que l’élève occupait à l’instant, se mit à pivoter de tout son ensemble, dissimulant le petit lit d’infirmerie et dévoilant une paire de rideaux bleus fermés. Sans trop de surprise, la petite salle d’opération se cachait derrière ces rideaux, entièrement intégrée au plateau tournant. Finalement, quoi de plus logique pour conserver une salle d’opération que de la garder scellée derrière un mur. Dans un mur.

— Voilà, Honorine. Prends place et nous commencerons quand tu seras prête.

Jamais elle ne serait prête, ça, elle le savait. Ainsi, elle entreprit de s’allonger sans poser de questions, ni à l’infirmière ni à elle-même. Le regard de velours de son opératrice l’aidait à rester calme, et une pensée à la pièce d’à côté la ramena finalement à la raison. La seule manière pour elle d’écouter cette discussion serait d’invoquer sa magie d’or.

La femme, après avoir enveloppé ses cheveux dans une charlotte médicale disgracieuse, commença par nettoyer le poignet meurtri. La douleur échappait complètement à Honorine, trop concentrée sur sa propre magie. Mais quelque chose lui manquait.
Ensuite, l’opératrice installa un voile de magie opaque juste au dessus de la zone meurtrie, ainsi la jeune fille ne verrait pas ce qui lui arrivait. C’était tant mieux, car la vue de ses propres tendons et vaisseaux l’aurait certainement incapacitée à se maintenir consciente. Le son des instruments claquants et tranchants luttait avec acharnement contre sa capacité à réfléchir. Les quelques mots rassurants administrés par son opératrice l’aidèrent malgré tout à se détendre et à enfin invoquer sa magie d’or. D’une pulsion invisible, qui se propagea dans le sol, les murs, elle entendait enfin cette fichue discussion qui avait déjà bien avancé.

« … nouvelle salve pour la semaine prochaine. Spécifiez qu’un manquement à son devoir sera sévèrement puni. Pour ce qui est des dysfonctionnements à résoudre, on l’a déjà évoqué… Ajoutez tout de même que tout modèle imparfait sera détruit, et qu’on en demande une salve de dix individus. Bon, c’est presque inatteignable, mais on peut lui faire confiance, je pense. Vous avez tout noté ? Envoyez-lui directement, je n’irai pas jusqu’à la manufacture pour ça. Ensuite… »

Même si Honorine avait entendu les mots suivants, elle ne les avait pas écoutés. Elle n’aurait jamais pu. Une douleur cinglante la posséda depuis son poignet meurtri jusque dans son épaule, puis à travers son torse, ses jambes. La foudre était tombée en elle.

— Honorine ? Que se passe-t-il ?

Des larmes occultaient sa vision, elle ne voyait plus que les traits inquiets de l’infirmière penchée au dessus d’elle. Le hurlement qu’elle contenait se convertit en de violentes convulsions parcourant son buste et son bras droit. Au sol, à quelques mètres de là, jonchait un outil couvert de sang, brisé en deux.

— Tu n’as pas fait ça ? la réprimanda l’opératrice, l’air agacé. Je t’ai pourtant prévenue…

Un silence pesant s’installa la blessée complètement vidée de ses forces et de ses larles, puis l’infirmière s’affaira avec ardeur sur le poignet de la jeune fille. La douleur avait à nouveau disparu, mais quelque chose ne tournait pas rond. De quoi l’avait-elle prévenue ?

— C’est une grave erreur que tu as commise, si seulement cela était volontaire… Je ne peux pas rattraper ça.

Et de déposer ses outils sur la desserte d’opération. Le ton de l’infirmière était devenu ferme, sévère. Ses yeux noisette imploraient une aide divine qui ne viendrait jamais. L’opération devait être simple, l’avait-elle finalement échouée ?

— Ta magie d’or, jeune fille. Ce n’était pas faute de t’avoir prévenue. Cela représentait déjà un danger pendant que je t’auscultais, mais directement pendant l’opération… je ne pourrai jamais rattraper ça. C’est un carnage !

Ce furent aux yeux d’Honorine d’implorer. Elle ne comprenait simplement pas ce qui se passait. De plus, la discussion adjacente n’avait rien révélé de concret. De toute manière, ce n’était pas le moment d’y penser. L’infirmière devenait frénétique dans son travail, jonglant d’outil en outil à une vitesse impressionnante. Des sons de plus en plus lourds agrémentaient l’opération, et une sensation de froid s’ajouta, puis de la magie bleue, beaucoup de magie bleue. Après plusieurs longues minutes d’incertitude et de peur se transformant en terreur, l’infirmière finalisa son travail et dévoila l’étendue des dégâts. Honorine n’avait rien senti d’autre qu’un peu de froid, pourtant une prothèse métallique de couleur ambrée recouvrait désormais intégralement son poignet. Une partie d’elle était dissimulée sous le métal. Son regard vacilla.

— C’est tout ce que j’ai pu faire. Sans cette prothèse, ton poignet commencerait à pourrir de l’intérieur un jour ou l’autre. Comment t’expliquer…

Son soupire ponctua le temps.

— Ton… entreprise a dérangé mon équipement pendant l’opération. Je préfère omettre les détails, mais je doute que ton poignet s’articule à nouveau un jour. C’est une blessure qui dépasse le domaine médical. Je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça maintenant.

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